Ne pouvant revenir au Petit-Bourbon, Olivier et Nicolas n’avaient plus d’endroit où se réfugier alors qu’ils avaient besoin de se soigner. Ils auraient pu s’installer dans quelque bouge de la cour des miracles, mais les centaines de truands qui vivaient là étaient certainement aussi dangereux pour eux que les gens de la Ligue. Cubsac proposa donc de les héberger, mais comment échapper à la dénonciation d’un voisin auprès du dizainier ou du conseil de quartier qui assurait la police de la Ligue?
C’est Nicolas qui suggéra qu’il les engage comme valets. Cubsac était noble et personne ne l’interrogerait sur ses domestiques. Ayant passé en revue les dangers encourus, c’est finalement la solution qu’ils adoptèrent.
Leurs armes dissimulées dans un sac de toile, Hauteville et Poulain se présentèrent donc en soirée à la maison de la rue de l’Aigle, après que l’ancien quarante-cinq eut raccompagné Perrine et fut rentré chez lui avec les chevaux. En arrivant, Cubsac avait expliqué à son domestique et à sa servante qu’il attendait depuis plusieurs semaines des gens de sa seigneurie pour compléter sa maison, que ceux-ci étaient arrivés mais qu’ils avaient été attaqués en chemin par des truands et que c’était leur tante et leur nièce, reçues en fin de matinée, qui l’avaient prévenu.
Il avait ensuite envoyé son valet chez un voisin qui pouvait lui prêter une paillasse de crin et la servante chez un apothicaire qui accepterait de vendre des onguents et du linge bien qu’il soit dimanche.
La maison que Cubsac avait louée était étroite, avec un seul étage en encorbellement et un toit en pointe. Le rez-de-chaussée était constitué par une cuisine, un cellier et des bouges où dormaient les domestiques. Cubsac avait la grande chambre du premier étage qu’il avait meublée au plus juste d’un lit à piliers et d’un coffre. Il proposa à Olivier et Nicolas de prendre son lit, lui-même dormant par terre sur la paillasse.
Passées les fêtes de Pentecôte, revêtus d’une mantille de valet pour paraître plus convaincants dans leur rôle de domestiques, ils poursuivirent leur quête du capitaine Clément dans le quartier de l’université. Hélas, dès le premier jour, en rentrant bredouilles, ils découvrirent Cubsac au plus mal, sa rage de dent s’étant aggravée. La joue avait doublé et la douleur était devenue insupportable.
Pourtant sa servante avait prié toute la journée sainte Apolline, expliqua-t-elle, navrée. Elle leur récita même l’oraison à la sainte pour qu’ils soient convaincus de ses efforts :
Illustre vierge et martyre Apolline, répandez pour nous vos prières aux pieds du Seigneur afin que nous ne soyons pas, à cause de nos péchés, affligés de maux de dents, vous à qui la cruauté des bourreaux les a arrachées si violemment, veuillez en dissiper la douleur.
Apolline, martyrisée à Alexandrie, avait eu les dents arrachées avant d’être brûlée vive. Sachant combien les maux de dents étaient douloureux, la sainte était réputée pour les soulager si on la priait suffisamment.
Olivier, constatant l’absence de résultat par la prière, fit chercher un barbier. C’était le valet de chambre d’un voisin. Il saigna Cubsac en lui tirant une pinte de sang et ne remarquant aucune amélioration, il conseilla une préparation de guimauve mélangée à de l’urine et du miel, remède souverain selon Pline.
Le lendemain, Cubsac avait la face aussi grosse que celle d’un bœuf et souffrait d’une forte fièvre. Son valet connaissait un médecin qui, après avoir à son tour saigné le malade de douze onces de sang, ordonna des emplâtres et des gargarismes au poivre et à l’aloès, une pharmacopée préconisée par Hippocrate qui ne pouvait échouer.
Dans la nuit, le Gascon délira et on fit revenir le barbier à la pique du jour. Trouvant M. de Cubsac trop faible, il n’osa le saigner à nouveau et suggéra d’appeler un chirurgien ou un prêtre. Olivier choisit le chirurgien. Le valet barbier connaissait vaguement le recteur du collège Saint-Cosme. Il demandait une somme élevée pour arracher une dent, mais assura-t-il, souvent le malade survivait.
Olivier lui donna l’ordre d’aller le chercher. Ensuite il partit avec Nicolas pour une taverne où, leur avait-on dit la veille, un jeune homme pouvant être Clément avait fait du tapage en menaçant le roi.
À trois heures, rentrant dans la maison de la Coupe d’Or sans avoir trouvé trace du capitaine Clément, ils entendirent un hurlement à glacer le sang. Persuadés que les gens de la duchesse avaient retrouvé Cubsac et l’égorgeaient, ils se saisirent de couteaux dans la cuisine et montèrent quatre à quatre dans sa chambre.
Un barbier chirurgien rondouillard, en robe noire avec ceinture bleue, essayait de calmer M. de Cubsac. Le Gascon, la bouche et la chemise ensanglantées, était vainement maintenu par son valet.
— Monsieur, si vous êtes incapable de supporter la douleur, je ne peux rien pour vous! criait le barbier très en colère.
Confus, ils posaient leur couteau sur un coffre quand, au bruit, le chirurgien se retourna. Olivier reconnut l’homme à côté duquel il avait été attablé à la Croix-de-Lorraine avec Caudebec, quand ils se faisaient passer pour des barbiers chirurgiens venant de Toulouse.
— Pouvez-vous m’aider, messieurs? demanda-t-il en s’apercevant qu’il s’agissait de valets d’après leur livrée. J’ai percé l’abcès mais la maudite dent ne veut pas quitter sa mâchoire!
Il brandissait un déchaussoir sanglant, gros comme un pied de biche, tandis que sur le lit souillé de sang, Cubsac gémissait, quasiment sans conscience.
Les deux amis avaient déjà aidé des chirurgiens après des combats et ils savaient comment procéder. Ils saisirent chacun un bras du quarante-cinq pendant que le valet lui introduisait dans la bouche une sorte de poire que lui tendit le chirurgien afin qu’il garde la mâchoire ouverte. Profitant de l’évanouissement de Cubsac, l’homme de l’art introduisit une grosse pince et parvint d’un seul coup à extraire la dent sans même arracher les dents voisines ou une partie du palais, ce qui montrait à quel point il était adroit.
Cubsac poussa un nouveau hurlement avant de retomber dans l’inconsciente.
— La voilà! s’exclama le chirurgien en la montrant fièrement à l’assistance. M. Paré n’aurait pas fait mieux!
Il alla chercher un flacon dans une sacoche en cuir qui contenait ses outils et en vida le contenu sur la plaie, entraînant un nouveau cri atroce tandis que les trois hommes maintenaient à peine Cubsac qui se tordait de douleur.
— C’est de l’acide d’absinthe mélangé à de la poudre vitriolique, expliqua le chirurgien en examinant son malade avec satisfaction. Un remède irremplaçable recommandé par maître Amboise Paré, mais qui pique un peu si on est douillet. Je ne peux rien faire d’autre, poursuivit-il en s’adressant à Olivier. Avec un peu de chance et des prières, il se remettra dans quelques jours. S’il a mal, vous pouvez lui préparer des gargarismes de vin dans lequel vous aurez fait macérer des graines de pavot…
Brusquement il s’arrêta pour demander :
— Je ne vous ai jamais arraché une dent? Votre visage m’est familier…
Quand il tenait Cubsac pour éviter qu’il ne se débatte, Olivier s’était souvenu que le barbier connaissait le capitaine Clément. Son compagnon, à la Croix-de-Lorraine, avait même affirmé lui avoir arraché des dents. Peut-être savait-il où il était… mais l’interroger serait se découvrir, puisqu’il avait fait croire au barbier qu’il était chirurgien à Toulouse. Comment lui expliquer qu’il était maintenant valet?
Il lui revint brusquement à l’esprit ce que Caudebec avait remarqué. Le recteur de l’école de chirurgie manipulait un méreau, un de ces jetons que les protestants utilisaient pour participer à la Cène. Il avait aussi défendu le fait que Paré était protestant. Et si c’était un ancien protestant qui dissimulait sa foi?
Mais s’il se trompait?
— Monsieur le recteur, fit-il, puis-je vous dire un mot en bas, et vous payer votre visite?
— Pour arracher une dent malcommode comme celle-ci, je prends trois écus, plaisanta le barbier. Les dents faciles sont moins chères…
Ils descendirent dans la cuisine et Olivier ferma la porte, puis il sortit trois écus en déclarant :
— Monsieur le recteur, je vous ai effectivement déjà vu…
L’autre fronça le front. Que signifiait l’étrange attitude de ce domestique?
— Qui êtes-vous? Que voulez-vous? répliqua le recteur en haussant le ton. Moi, un hérétique? Vous êtes fou, mon ami!
Olivier savait qu’il devait se découvrir. Mais si le barbier était vraiment catholique et menaçait de les dénoncer, il n’aurait d’autre choix que de le saisir, de le garrotter et de s’enfuir, ce qui compliquerait sa situation, et celle de Cubsac.
— Je vous ai vu avec un méreau, monsieur, c’était avant les barricades, j’étais à la Croix-de-Lorraine avec un ami, en robe de chirurgien. Je vous ai dit venir de Toulouse.
Le barbier le regarda avec plus d’attention.
— Peut-être. Mais je ne comprends pas ce que vous voulez…
— Parlons rond, monsieur, je suis un espion qui me suis introduit par ruse dans cette maison. Je suis au service de Mgr le roi de Navarre.
L’autre écarquilla les yeux.
— Vous voulez me faire croire ça?
Il haussa les épaules.
— C’est un piège stupide! Je ne m’y laisserai pas prendre.
— Si vous êtes huguenot, vous devez m’aider!
— Je ne sais pas ce que vous voulez faire, vous êtes à la solde de mes ennemis!
Mais malgré sa colère apparente, le chirurgien ne chercha pas à s’en aller.
— Que vous dire pour vous convaincre? s’exclama Olivier. Je suis gentilhomme et recherché par la Ligue. Henri de Navarre m’a fait chevalier à Coutras. Je suis venu à Paris pour découvrir un assassin…
— Vous êtes protestant? demanda le chirurgien en se frottant le menton.
— Non, mais mon épouse l’est. C’est la fille adoptive de M. de Mornay. Elle appartient aussi à la famille de Mgr de Condé.
— J’étais son écuyer, j’ai vécu chez lui. Je suis aussi l’ami de M. de Rosny, de M. de La Rochefoucauld, de M. de Turenne, de M. de Châtillon et de bien d’autres seigneurs protestants.
— Décrivez-moi Mornay et son épouse, ainsi que Rosny.
Les descriptions durent satisfaire le chirurgien qui, sans rien reconnaître, demanda :
— Qui cherchez-vous?
— Quand je vous ai rencontré à la Croix-de-Lorraine, il y avait dans la salle un jeune homme surnommé le capitaine Clément. C’est lui que je cherche.
— Je me souviens de lui. Que lui voulez-vous?
— Il veut tuer le roi.
Jacques Lecœur, recteur de l’école de chirurgie, était en effet protestant, bien qu’il se soit converti sous la menace durant la Saint-Barthélemy. Il rencontrait toujours, secrètement, ses coreligionnaires pour pratiquer la Cène. L’affirmation d’Olivier ne le surprit guère. Depuis la mort de Guise, tant de gens voulaient la mort du roi.
— Je ne suis pas protestant, monsieur, dit-il pourtant, et si je pouvais vous aider, je le ferais volontiers, mais je n’ai plus vu Clément depuis plusieurs semaines. Je puis cependant vous dire qu’il est désormais prêtre. Je l’ai appris par un ami. Dans quelle église? Je l’ignore, je pourrais me renseigner… Si vous me laissez partir.
— Vous êtes libre, dit Olivier qui avait compris que l’homme craignait un piège. (Il montra la porte.) Mais ne me trahissez pas. D’ici un mois, le roi entrera au Louvre et les ligueurs seront sévèrement châtiés.
— Je suis un fidèle sujet de Sa Majesté, répondit simplement le recteur.
Olivier le laissa partir, mais dès qu’il fut dehors, il expliqua à Nicolas ce qui s’était passé et lui demanda de le suivre.
Il resta ensuite toute la journée avec Cubsac, lui faisant régulièrement absorber des graines de pavot. L’ancien quarante-cinq restait bouillant de fièvre et souffrait terriblement. Mais sans doute était-il douillet, comme l’avait fait remarquer le chirurgien.
Nicolas rentra le soir. Le recteur était allé chez lui, puis à l’école de chirurgie, et rien ne laissait paraître qu’il l’ait dénoncé. Seconde bonne nouvelle, Nicolas avait appris que, deux jours plus tôt, un régiment royaliste était arrivé jusqu’à Montfaucon1. Ils avaient brûlé un moulin et fait tirer trois couleuvrines. Un boulet de trente-deux livres avait même atteint le village de La Villette.
Depuis que la nouvelle était connue, les Parisiens étaient épouvantés et des patrouilles de bourgeois en armes circulaient partout.
Cubsac resta entre la vie et la mort durant deux semaines. Son valet et la servante le soignèrent pendant que Olivier et Nicolas poursuivaient leur quête. Sachant que Clément était désormais prêtre, ils avaient décidé d’assister à toutes les messes qu’ils pouvaient entendre, en commençant par l’Université. Mais durant ces deux semaines, ils ne virent jamais Clément et n’entendirent pas parler de lui.
Olivier prit aussi le temps de prévenir Perrine des malheurs de Cubsac. Elle vint plusieurs fois le voir avec sa tante et, peut-être grâce à elle, la plaie se cicatrisa et les deux jeunes gens commencèrent à parler mariage.
Durant tout le mois de juin, avec la proximité des troupes royales qui tiraient au canon sur les villages des faubourgs ou qui y faisaient des incursions, la peur gagna les Parisiens. Tous craignaient le pire si les troupes royales entraient dans la ville, aussi beaucoup de boutiquiers fermèrent leur échoppe et tentèrent de fuir, d’autres suggéraient de capituler pour éviter que la ville ne soit mise au pillage. Par réaction, les Seize installèrent un régime de terreur. Ceux dénoncés comme trop tièdes envers la Ligue étaient menacés, arrêtés, emprisonnés, et parfois pendus. Quant aux hérétiques, ou supposés tels, on en brûla quelques-uns pour occuper la populace. Plus que jamais, il fut interdit de rire.
Les processions reprirent, et ceux qui n’y participaient pas furent considérés comme suspects, mais ces cortèges obligés convenaient à Olivier et Nicolas qui n’en rataient jamais un, espérant toujours apercevoir Clément.
Les Parisiens ne souffraient pas seulement des troupes royalistes et des menaces ligueuses, ils devaient aussi subir les exactions des gentilshommes et des gens d’armes du duc d’Aumale, ou de son frère, qui logeaient chez eux, les pillaient et souvent forçaient leur femme et leurs filles.
Dans les campagnes, les pauvres gens pris entre les troupes royalistes et celles de la Ligue se réfugiaient dans la capitale avec leurs biens et leurs animaux pour éviter assassinats et brigandages des bandes armées. Les soudards, dont on ne savait plus dans quel camp ils étaient, violaient les moniales et s’amusaient à contraindre les prêtres des paroisses à baptiser veaux ou cochons avant de mettre à sac les habitations. Le vendredi 7 juillet, les troupes de la Ligue entrèrent dans Villeneuve-Saint-Georges où ils tuèrent, pillèrent et ravagèrent plus qu’ils ne l’auraient fait en pays ennemi. Devant les plaintes qu’il reçut, le duc de Mayenne répondit que c’était le prix à payer pour ruiner le tyran.
Olivier était chaque jour plus impatient d’avoir des nouvelles de Cassandre qui devait accoucher en septembre et Nicolas s’inquiétait pour sa famille, aussi, au début du mois de juillet, découragés par leur vaine recherche, ils décidèrent de rejoindre l’armée royale dont l’avant-garde n’était qu’à quelques lieues de la capitale. Cubsac choisit de partir avec eux. Seulement la proximité d’Henri III et du roi de Navarre avait contraint Mayenne à mettre la ville en état de se défendre d’un siège. L’une des premières mesures que décida le lieutenant général de l’État royal, comme il se nommait, fut d’obliger les Parisiens à creuser des tranchées pour fortifier des faubourgs.
Comme la plupart des domestiques et des bourgeois, Olivier et Nicolas furent réquisitionnés par le dizainier de leur rue. Seul Cubsac y échappa puisqu’il était noble, mais il dut intégrer la milice. La garde des portes étant renforcée, il devint impossible d’entrer ou de sortir sans un billet du conseil des Seize.
Dans l’impossibilité de quitter la ville, Olivier et Nicolas n’eurent d’autre choix que de poursuivre leur quête de Clément dans les églises, les jours où ils n’avaient pas à se rendre sur les chantiers de tranchées.
Dans le camp des rois, les succès militaires avaient fortifié les troupes et les capitaines. Pourtant, nombreux étaient ceux qui conseillaient d’attendre de nouveaux renforts avant d’attaquer Paris. Si l’armée royale comptait trente mille soldats, la ville alignait plus de quarante-cinq mille hommes en armes, en comptant les troupes lorraines, les alliés espagnols, et la milice bourgeoise. Au surplus, ceux qui avaient connu les barricades craignaient qu’une grande partie de la population ne se range du côté de la Ligue tant elle haïssait les deux rois. Enfin, ceux qui avaient combattu Mayenne savaient qu’il ne devait pas être sous-estimé.
Le roi de Navarre balaya ces arguments et décida de commencer le siège. Henri III l’approuva et dès le 26 juillet, Pontoise fut investi par Henri de Bourbon qui accorda à ses habitants une capitulation honorable : gentilshommes et soldats furent autorisés à quitter la ville avec leurs armes et la ville ne fut pas pillée. Cette mansuétude impressionna favorablement les villages environnants qui reçurent les troupes royales sans combattre.
Le lendemain, Henri III envoya un message à Mme de Montpensier pour lui dire qu’il savait à quel point elle entretenait le peuple de Paris en sa rébellion; mais que dès qu’il entrerait dans la ville, il la ferait brûler toute vive.
Elle lui fit répondre avec insolence que le feu était pour les sodomites, et que c’était à lui de s’en garder. Le soir pourtant, fort inquiète, elle réunit son frère, le curé Boucher, Le Clerc et le prieur Bourgoing.
Le dimanche de Pentecôte, la duchesse avait attendu des heures le retour de Lacroix, avant d’envoyer finalement des domestiques au Petit-Bourbon où ils avaient découvert le carnage. Il n’y avait que trois survivants, dont Lacroix qui depuis avait perdu son bras. L’un d’eux expliqua que ceux qu’ils étaient venus capturer étaient des espions et avaient quitté Paris. Catherine de Lorraine resta prostrée plusieurs jours après ce nouvel échec, puis elle comprit que tout était dans l’ordre des choses. Elle ne pourrait vaincre Hauteville, protégé par des puissances démoniaques.
D’ailleurs tout allait mal pour la Ligue dont les armées se débandaient. La progression d’Henri III et de Navarre était si rapide qu’elle avait quelque chose de surnaturel, et Mme de Montpensier devinait que les rois seraient bientôt à Paris. Elle n’aurait aucune mansuétude à attendre d’eux et s’attendait à être traitée comme sa tante Marie Stuart.
C’est Le Clerc qui lui apporta la première bonne nouvelle. Jacques Clément avait si bien gagné la confiance de M. de Harlay que celui-ci lui avait remis une lettre pour des amis membres du guet bourgeois dans laquelle il leur demandait de livrer la porte Saint-Jacques une nuit, sitôt que l’armée royale s’y présenterait.
Cette proposition était inespérée. Puisque Hauteville et Poulain n’étaient plus là pour les gêner, Le Clerc, Mme de Montpensier et le curé Boucher décidèrent d’agir au plus vite. Plutôt que de libérer Harlay, en espérant qu’il se fasse accompagner par Clément le jour où il rencontrerait le roi, ils décidèrent d’envoyer Clément à Henri III, chargé d’un message du premier président.
Ils demandèrent donc au jacobin de dire à Harlay que ses amis étaient d’accord pour livrer une porte de la ville, mais qu’il fallait prévenir le roi de ce bénéfice. Clément devrait lui proposer de se rendre à la cour pour le faire, mais il aurait besoin d’une lettre pour être cru par Henri III. Harlay, convaincu de la loyauté de son chapelain, tomba dans le piège. Il écrivit la lettre que le gouverneur de la Bastille eut dans les mains le jour même où Henri III menaçait la duchesse du bûcher.
Avec cette missive, il était certain que Clément serait reçu par le roi, encore fallait-il qu’il arrive jusqu’à la cour. Pour cela, il aurait besoin d’un passeport délivré par un officier royal, sinon il risquait fort d’être pendu par une patrouille.
C’était l’objet de la réunion chez la duchesse de Montpensier.
Après avoir réfléchi à cette ultime difficulté, Mayenne proposa tout simplement de faire un faux. Il avait la garde du comte de Brienne, détenu au Louvre depuis sa capture près d’Amboise. Plusieurs fois Brienne avait essayé de communiquer avec son beau-frère le duc d’Épernon et ses lettres avaient été saisies. Le secrétaire de Mayenne étant capable d’imiter toutes les écritures, il écrirait sans peine un passeport comme si c’était Brienne qui l’avait fait.
Cette difficulté levée, la duchesse interrogea le prieur des jacobins et le curé Boucher sur l’état d’esprit de Jacques Clément qu’elle n’avait plus vu depuis des mois. Pouvait-on toujours lui faire confiance? Était-il toujours prêt à tuer le roi, au risque d’une mort horrible?
— Jacques Clément est un esprit faible et sujet aux hallucinations, madame, expliqua Bourgoing. Il a en outre une imagination déréglée, surtout après les périodes de jeûne que je lui impose. Il y a quelques jours, il m’a encore demandé comment il pourrait connaître la volonté de Dieu. Je lui ai conseillé de prier, et dans la nuit, par un trou dans un mur de sa chambre et une sarbacane, j’ai parlé dans son oreille et lui ai promis que s’il tuait le tyran, il serait canonisé.
Malgré la situation tragique qu’ils vivaient, chacun se retint de rire tandis que Boucher intervenait à son tour.
— Je lui ai aussi rappelé que saint Thomas d’Aquin avait écrit qu’il est permis de tuer un tyran… Il m’a écouté. Si nous l’envoyons à la cour, je suis convaincu que son bras ne faiblira pas.
— Le temps nous presse, dit la duchesse qui songeait surtout à son sort. Quand pourrions-nous avoir ce passeport de Mme de Brienne?
— Demain, promit son frère.
Le lendemain, ils se retrouvèrent à l’hôtel de Guise. Mayenne leur fit passer la fausse lettre2 :
Le comte de Brienne et de Ligny, Gouverneur & lieutenant général pour le roi à Metz et pays Messin.
À tous gouverneurs, leurs lieutenants, capitaines chefs et conducteurs des gens de guerre, tant de cheval que de pied … Nous vous prions et requérons vouloir sûrement et librement laisser passer et repasser, aller venir et séjourner frère Jacques Clément, jacobin, natif de la ville de Sens en Bourgogne s’en allant en la ville d’Orléans…
— Par précaution, précisa-t-il, je ferai arrêter demain une centaine de bourgeois partisans du roi. Ils serviront d’otages dans le cas où les choses se passeraient mal pour nous.
— Quand Clément pourrait-il partir?
— Lundi, décida Bourgoing.
Meudon, Issy, Vaugirard, Vanves et les villages attenants tombèrent à la fin juillet et les escarmouches se déplacèrent jusqu’aux tranchées creusées dans les faubourgs. Le lundi 31 juillet au matin, Henri III s’empara du pont de Saint-Cloud.
Catherine de Médicis avait offert à Jérôme de Gondi une maison dans le village de Saint-Cloud. Le financier l’avait agrandie autour d’une terrasse avec deux façades en angle et avait planté un parc et des jardins autour. Henri III aimait cet endroit magnifique surplombant Paris aussi avait-il choisi d’y établir son quartier général tandis que Navarre, qui s’était approché de l’église de Saint-Germain-des-Prés, s’installait à Meudon.
Après avoir passé le pont de Saint-Cloud avec son avant-garde, Henri III avait fait monter son cheval sur une petite éminence et, de là, voyant à ses pieds la ville qui, une année auparavant, l’avait ignominieusement chassé, il s’était écrié dans un délire de joie :
— Paris, chef du royaume, mais chef trop capricieux, tu as besoin d’une saignée pour te guérir… Encore quelques jours et on ne verra ni tes maisons ni tes murailles, mais seulement le lieu où tu auras été.
Pour le prince, l’heure de la revanche était arrivée.
Le lundi 31 juillet, Clément avait passé la matinée en jeûne et en prière avant d’aller se confesser. Il n’aurait pas le temps de dire la messe, mais Dieu lui pardonnerait avec ce qu’il allait faire pour lui, se dit-il. Il termina une courte lettre qu’il laissa sur sa table, prit le grand couteau acheté la veille et l’attacha sous sa robe.
On frappa à la porte de sa cellule. C’était son supérieur, le prieur Bourgoing, avec le père Boucher et Jean Bussy Le Clerc.
— Nous venons vous accompagner à la porte, dit le prieur.
— J’attendais votre bénédiction, mon père.
— Cette nuit, j’ai entendu un ange me parler, expliqua Clément en se relevant avec un sourire béat. Il m’a montré un glaive et m’a dit : « Je viens t’annoncer que par toi le tyran doit être mis à mort. » Il m’assurait que je monterai au ciel avec les bienheureux ce soir, que je rencontrerai Notre Père et que je resterai près de lui.
Les deux prêtres hochèrent la tête, lui confirmant qu’il était élu de Dieu. Un peu plus tard, le jeune dominicain, dans son habit blanc avec scapulaire sur les épaules et bâton de pèlerin à la main, passait le pont-levis de la porte Saint-Jacques. Le Clerc était resté avec lui jusqu’au dernier moment et avait lui-même donné ordre à la garde de le laisser passer.
Le dominicain prit la direction de Vaugirard.
Au bout d’une heure de marche, il emprunta un chemin qu’on lui avait indiqué vers la Seine. Un passeur le fit traverser en barque et, de l’autre côté, il tomba sur une patrouille de gardes françaises venant du camp royal. On l’arrêta et il aurait été pendu s’il n’avait montré la lettre de M. de Brienne l’autorisant à aller à Orléans. Rasséréné, l’officier des gardes l’écouta quand il expliqua avoir une lettre que M. de Harlay, premier président du parlement, lui avait confiée à la Bastille et qu’il devait remettre au roi.
On le conduisit jusqu’à Saint-Cloud où il arriva après sept heures du soir. Là, les gardes l’ayant laissé libre, il s’approcha du château et entra même dans les jardins où, rencontrant un gentilhomme – c’était Charles d’Angoulême, le fils naturel de Charles IX – il lui demanda de le conduire près du roi pour lui remettre une lettre. Angoulême lui trouva un « visage de démon » et refusa. Comme Clément se mettait en colère et le menaçait, le fils de Charles IX le fit arrêter et conduire par deux soldats au procureur général au parlement, Jacques de La Guesle qui habitait près du pont de Saint-Cloud.
La Guesle était un homme considérable, quasiment aussi important que le premier président M. de Harlay. Nommé par le roi, il avait la haute main sur toutes les affaires judiciaires.
Clément lui expliqua avoir rencontré M. de Harlay à la Bastille à plusieurs reprises, car il en était un des chapelains. Le premier président lui avait confié une lettre en le suppliant de la remettre au roi, ainsi que des informations secrètes : des amis de M. de Harlay avaient les moyens de s’emparer d’une des portes de la ville et de l’ouvrir à l’armée royale. Il venait l’annoncer au roi et mettre sa vie entre les mains de Sa Majesté comme gage de sa fidélité.
C’était une information considérable qui pouvait permettre d’éviter un long siège et des centaines de morts. Agité, le procureur demanda à voir la lettre. Il était un ami de M. de Harlay et connaissait son écriture. Surtout, il savait que le Premier président, homme extrêmement méfiant, utilisait des signes dans ses courriers importants pour assurer à ses correspondants qu’ils venaient bien de lui.
Sans réticence, Clément lui donna le pli.
Sire, ce présent porteur vous fera entendre l’état de vos serviteurs et la façon de laquelle ils sont traités, qui ne leur ôtent néanmoins la volonté et le moyen de vous faire très humble service, et sont en plus grand nombre peut-être que Votre Majesté n’estime. Il se présente une belle occasion, sur laquelle il vous plaira de faire entendre votre volonté, suppliant Votre Majesté de croire ce présent porteur en tout ce qu’il désire.
Au bas de ce billet était une croix dans un cercle. C’était l’un des signes de reconnaissance qu’utilisait Harlay. La lettre était bien de lui!
Le magistrat était dans un état d’excitation extrême. Catholique fervent, durant les journées des barricades – comme beaucoup de bourgeois de Paris – il s’était rangé du côté des Parisiens insurgés. Ce n’est qu’après la fuite du roi qu’il avait compris n’avoir été qu’un instrument des Guise. Il avait alors décidé de rejoindre la cour mais avait été capturé à une porte de Paris et emprisonné à la Bastille. Il en avait été libéré depuis peu par le duc de Mayenne. C’est dire si beaucoup à la cour le jugeaient peu loyal. Donner au roi une telle information ferait oublier ses erreurs.
Malgré tout encore méfiant, il interrogea plus longuement Clément sur ce qu’il avait à confier à Sa Majesté, mais le jacobin lui répondit que M. de Harlay lui avait fait jurer de ne parler qu’au roi, tant ce qu’il allait dire devait rester secret. La Guesle lui demanda alors à nouveau comment il avait rencontré le premier président, et Clément répéta que c’était lors d’une visite faite auprès de M. Portail, le fils du chirurgien du roi, emprisonné avec d’autres conseillers au parlement. Le premier président étant en confiance avec lui, il lui avait fait des confidences, écrit la lettre pour le roi ainsi qu’un billet pour M. de Brienne, emprisonné au Louvre. Grâce à ce billet parvenu, avec des complicités, dans les mains du beau-frère du duc d’Épernon, celui-ci lui avait fait passer un sauf-conduit pour qu’il puisse gagner la cour.
Jacques Clément exhiba alors le passeport de Brienne.
Cette fois convaincu, le procureur lui offrit à dîner aux cuisines et, le laissant tout de même sous bonne garde, il se rendit à la maison de Gondi pour tout raconter au roi.
Durant le souper en compagnie des gens du magistrat, Clément utilisa son grand couteau. Un des convives lui fit observer qu’il avait oublié son bréviaire et le jacobin répondit tranquillement en montrant sa lame : « Voilà mon couteau et voici mon bréviaire. »
Cet étrange discours fut rapporté au procureur à son retour ce qui ne manqua pas de l’inquiéter. Il le fit pourtant coucher dans sa propre maison et ne songea pas à lui retirer le couteau.
Après la visite de La Guesle, le roi resta un long moment à méditer devant une fenêtre de sa chambre d’où il voyait la Seine et quelques lumières de Paris. Il était satisfait de savoir qu’il allait éviter un long siège. Il avait ordonné à Du Halde qu’il le réveille à sept heures du matin et fasse entrer le religieux que M. La Guesle conduirait.
Enfin, il se retourna et dit à Bellegarde qui dormait dans sa chambre, en tant que premier gentilhomme :
— Ce sera grand dommage de ruiner une si belle ville. Toutefois il faut que j’aie raison des mutins et rebelles qui sont là dedans et qui m’ont chassé ignominieusement soutenus par les guisards. Je suis résolu de me venger et entrer en leur ville plus tôt qu’ils ne pensent.
Ce même lundi 1er août, Olivier et Nicolas rentraient épuisés par une journée de terrassement sur le chantier des tranchées où ils devaient se rendre deux fois par semaine sous les ordres du cinquantenier du quartier.
La chaleur avait été infernale et ils se reposaient quand le recteur de l’école de chirurgie se présenta. Il était déjà venu une fois pour leur dire qu’un ami se souvenait avoir vu Clément célébrer la messe aux Mathurins en janvier. Ils s’y étaient rendus mais personne ne se rappelait de lui.
— Je l’ai trouvé! leur cria-t-il.
— Où est-il?
— En ce moment, je l’ignore, mais en parlant avec un de mes patients, il m’a dit que Clément était jacobin. Vous devriez le trouver dans le couvent à cette heure.
Sans perdre une seconde, glissant pistolet et dague sous leur livrée et accompagnés de Cubsac solidement armé, ils se précipitèrent au couvent. Il y avait deux façons d’y entrer. Par la rue Saint-Jacques en passant par une porte à guichet tenue par un frère tourier, ou par la rue Saint-Hyacinthe en venant de la rue des Cordiers. Poulain connaissait cette seconde entrée que les frères utilisaient pour se rendre rapidement à la Sorbonne, mais pour l’emprunter, il aurait fallu en avoir la clef ou forcer la porte. Quant à convaincre le frère tourier de la rue Saint-Jacques de les laisser passer, c’était impensable.
En chemin, Olivier expliqua qu’il connaissait un troisième passage. Une petite porte au fond du chœur de l’église du couvent dont l’entrée était rue Saint-Jacques. Quand il était élève au collège de Lisieux, combien de fois avait-il joué avec ses camarades à passer par là pour faire des farces aux jacobins!
Guidant ses compagnons, ils traversèrent l’église jusqu’à la porte, mais elle était fermée. Venetianelli l’aurait sans doute ouverte sans difficulté, mais eux ne savaient pas, aussi Cubsac utilisa-t-il la manière forte. Il mit la lame de sa miséricorde dans le dormant et força la serrure, heureusement sans faire plus de bruit qu’un craquement. De l’autre côté, il y avait une cour où quelques moines lisaient ou parlaient assis sur des bancs. Jouant d’audace, ils entrèrent. Olivier savait où se trouvait la cellule du prieur, car, collégien, il avait été pris une fois dans le couvent et y avait reçu le fouet.
Ils traversèrent la cour où personne ne les interpella, les moines ayant l’habitude de voir passer des gentilshommes avec leurs valets. Puis ils entrèrent dans le réfectoire, qui était vide, et enfin dans la basse cour qui longeait l’enceinte de la ville. C’était là que se situaient le corps de logis principal et les cellules des moines. Olivier leur désigna la porte du prieur.
Bourgoing venait de rentrer du réfectoire et priait quand ils pénétrèrent dans sa chambre. Devant cette soudaine intrusion, il resta un instant médusé, puis voulu appeler, mais il était déjà maîtrisé.
Ils le garrottèrent, sauf un bras, et le bâillonnèrent avant de l’interroger.
— Il y a un prêtre nommé Clément dans ce couvent, fit Poulain. Prenez la plume sur cette table et écrivez-nous où il est.
Fou de terreur, le prieur secoua pourtant négativement la tête.
— Vous allez le faire, gronda Cubsac en lui mettant sa miséricorde sous le menton, sinon je vous coupe le nez, puis ce sera les oreilles et ensuite la langue, après ce sera les doigts de pied. Et tout ça ne vous empêchera pas d’écrire.
Le prieur se savait bel homme. Que deviendrait-il sans nez? Un objet d’horreur pour ses paroissiennes!
Après tout Clément était parti depuis longtemps. Peut-être était-il déjà à Saint-Cloud. Peut-être même que le roi était déjà mort! En même temps, il se demandait qui étaient ces trois-là, comment ils avaient su pour Clément, et comment ils étaient entrés. Qui les avait trahis?
Cubsac appuya la miséricorde sur le nez du prêtre. Le sang coula et le prieur leva sa main pour montrer qu’il cédait.
Ils le bousculèrent jusqu’à sa table. Olivier retailla la plume, la trempa dans l’encre et la lui mit dans la main libre.
Bourgoing écrivit.
Clément loge dans la dernière cellule. Il n’est pas là, il est parti à Saint-Cloud cet après-midi.
Ils lisaient dans son dos. Trop tard! Clément était parti… sauf si le prieur mentait.
— Cubsac, garde-le, dit Olivier, je vais vérifier avec Nicolas.
Ils sortirent. La cour était toujours déserte. La porte de la cellule de Clément était fermée. Ils la poussèrent. La salle blanchie à la chaux était vide. Ils virent immédiatement la lettre sur la table. Olivier s’approcha :
Je laisse cette note de cinq écus pour qu’un ami la paye pour moi, car je vais dans un endroit d’où je ne pense pas revenir.
La porte grinça et un moine entra.
— Qui êtes-vous?
— Des amis du père Clément. Nous le cherchons.
— Il est parti, fit le moine en les dévisageant.
— Vous le connaissez? demanda Olivier.
— Oui, il a dû vous parler de moi. Nous partageons cette cellule… Je suis frère Michel3.
— Je n’ai pas dormi ici, mais hier nous sommes allés ensemble acheter un couteau.
— Un couteau? frémit Poulain.
— Oui, un grand couteau noir de un pied de long, dit frère Michel avec un air entendu tout en écartant les mains pour montrer sa taille. Il l’a payé deux sols six deniers.
— Que le Seigneur soit avec vous, fit Poulain, sèchement, en se dirigeant vers la porte.
Ils sortirent sans que l’autre ne les suive et revinrent à la cellule du prieur. Il y avait un minuscule placard dans lequel ils le serrèrent, puis ils quittèrent le couvent au plus vite. Il n’y avait plus aucun doute. Clément était parti pour tuer le roi. Ils devaient le rattraper.
Mais ils étaient à pied, la nuit était tombée et les portes de Paris allaient fermer. Ils revinrent en se pressant vers la maison de Cubsac, regrettant de ne pas avoir pris leurs chevaux.
En chemin, Cubsac leur montra un second papier que Bourgoing avait écrit sous la menace. Il lui avait demandé qui avait envoyé Clément à Saint-Cloud, et le prieur avait noté d’une écriture tremblante :
Madame la duchesse de Montpensier.
— Elle n’est que l’instrument, dit Nicolas Poulain, étreint par l’émotion. Si notre roi meurt, je sais bien qui seront les vrais assassins. Ce seront le pape, l’Espagne, les Lorrains, la Ligue et les Seize.
Olivier ne partageait pas ce jugement. La duchesse était un démon.
Ils devaient maintenant quitter Paris pour aller à Saint-Cloud, mais ils n’avaient ni lettre ni passeport à présenter aux portes. Malgré le danger qu’on leur tire dessus, ils décidèrent de forcer le passage, espérant qu’au moins un d’entre eux réussirait à sortir. Ayant pris les chevaux à l’écurie, ils filèrent vers la porte Montmartre. La porte Saint-Honoré était certes plus proche, mais trop bien gardée par les gens de Mayenne. Quant à utiliser une porte dans le quartier de l’Université, cela les aurait contraints à faire un long détour ou à traverser la Seine, or les ponts pouvaient être infranchissables.
Mais quand ils arrivèrent à la porte Montmartre, c’était trop tard, elle venait de fermer.
1 Situé approximativement aux Buttes-Chaumont.
2 Qui existe encore.
3 Michel Margey, jacobin, fut pendu à Châlons comme complice de Clément en juillet 1590.