Chapitre 28

 

 

Lorsque le père Vincent vint ouvrir à la porte, je lui en balançai le panneau dans la tronche d’un coup de pied aussi violent que possible. Il tomba en arrière avec un grognement de surprise. J’entrai dans la pièce avec la batte modèle Louisville du père Forthill entre les mains et en enfonçai l’extrémité la plus large dans la gorge de Vincent.

Le vieux prêtre émit un croassement pathétique et agrippa son cou durant sa chute.

Je n’en restai pas là. Je lui donnai un coup de pied dans les côtes, deux fois, et lorsqu’il roula sur lui-même pour tenter de s’éloigner de moi, j’abattis mon pied sur sa nuque. Puis je sortis mon flingue et le lui appuyai sur le crâne.

— Dio, sanglota Vincent en haletant. Dio, attendez ! Je vous en prie, ne me faites pas de mal !

— Je n’ai pas le temps de jouer, répondis-je. Arrêtez la comédie.

— Je vous en supplie, monsieur Dresden. Je ne sais pas de quoi vous parlez.

Il toussa, hors d’haleine, et je vis des gouttelettes écarlates tomber sur la moquette. Je lui avais mis le nez en sang, peut-être la lèvre. Il tourna légèrement la tête, les yeux agrandis par la panique.

— Je vous en prie, ne me faites pas de mal. Je ne sais pas ce que vous voulez, mais je suis sûr que nous pouvons en discuter.

Je tirai le chien de mon revolver en annonçant :

— Je suis sûr du contraire.

Il devint livide.

— Non, attendez !

— Je suis fatigué de jouer à ce petit jeu. Trois.

— Mais je ne sais pas… (Il s’étouffa et je l’entendis faire de son mieux pour ne pas vomir.) Vous devez m’expliquer…

— Deux, dis-je. Je ne vais pas en dire beaucoup plus sur le chiffre qui vient ensuite.

— Vous ne pouvez pas ! Non !

— Un, dis-je.

Et je pressai la détente.

Dans l’instant entre le mot et l’action, Vincent changea. Un fourreau d’écailles vertes apparut sur sa peau et ses jambes se fondirent pour former le corps long et sinueux d’un serpent. Les yeux vinrent en dernier, se transformant en orbes fendus verticalement tandis qu’une deuxième paire d’yeux verts et brillants s’ouvrait au-dessus de la première.

La détente s’abattit sur une chambre vide. « Clic. »

Le serpent se retourna pour me mordre mais je m’étais déjà écarté. Michael surgit par la porte, une expression de détermination sur son visage mal rasé ; Amoracchius luisait de son éclat blanc si particulier. L’homme-serpent se tourna en sifflant pour faire face à Michael. Celui-ci tenta une attaque horizontale mais l’homme-serpent esquiva par en dessous et fila vers la porte dans un éclair d’écailles vertes et luisantes.

Lorsque l’homme-serpent passa la porte, Sanya lui abattit un bon mètre de poutre en bois sur la tête. Le coup aplatit contre le sol le menton de la créature, qui fut parcourue d’un bref tressaillement puis s’immobilisa.

— Tu avais raison, commenta Michael.

Il rangea son épée dans son fourreau.

— Mieux vaudrait le rentrer avant qu’une femme de ménage le voie, dis-je.

Michael acquiesça et saisit la queue de l’homme-serpent, puis le tira à l’intérieur de la chambre d’hôtel.

Sanya jeta un œil dans la pièce, opina brièvement du chef et posa sa lourde massue de bois sur le sol avec une certaine satisfaction. Je me rendis alors compte qu’il l’avait maniée d’une seule main. Bon sang. Il fallait que je me remette au sport.

— Bon, dit le grand Russe. Laissez-moi remettre ça dans la camionnette et puis je vous rejoins.

Quelques minutes plus tard, l’homme-serpent se réveilla dans un coin de la chambre d’hôtel avec Michael, Sanya et moi debout au-dessus de lui. Sa langue jaillit à plusieurs reprises hors de sa bouche et ses deux paires d’yeux scrutèrent rapidement la pièce.

— Qu’est-ce que j’ai manqué ? s’enquit la chose.

Sa voix avait quelque chose de sifflant.

— Un tatouage, dis-je. Le père Vincent avait un tatouage à l’intérieur du bras droit.

— Il n’y avait pas de tatouage, rétorqua l’homme-serpent.

— Peut-être qu’il était recouvert par tout le sang. Tu as fait une erreur. C’est compréhensible. La plupart des criminels ne sont pas très malins, tu étais mal barré dès le départ.

L’homme-serpent émit un sifflement en agitant nerveusement ses écailles et un capuchon semblable à celui d’un cobra se développa autour de son cou et de ses épaules.

Michael tira Amoracchius et Sanya fit de même avec Esperacchius. Les deux lames émirent leur lumière blanche sur la créature qui se calma avec un mouvement de recul.

— Qu’est-ce que vous voulez ?

— Parler, répondis-je. Voilà comment ça marche : c’est moi qui pose les questions. Toi, tu y réponds. Et tant que tu le feras, tout le monde sera content.

— Et sinon ? siffla l’homme-serpent.

— Je récupérerai une nouvelle paire de bottes.

Les anneaux écailleux du serpent s’enroulèrent les uns autour des autres avec un chuintement. Ses yeux restaient fixés sur les deux chevaliers.

— Allez-y.

— Voici ce qui est arrivé selon moi. D’une manière ou d’une autre, votre joyeux petit club a appris que les Rats d’église avaient été embauchés pour trouver et voler le suaire. Vous avez pensé le leur piquer lorsqu’ils quitteraient la ville, mais vous avez raté votre coup. Vous avez capturé Gaston LaRouche mais il n’avait pas le suaire. Alors vous l’avez torturé jusqu’à ce qu’il vous dise tout.

— Et même après qu’il nous eut tout dit, précisa l’homme-serpent. Nicodemus voulait faire plaisir à sa petite salope.

— Je trouve que c’est adorable de voir un père et sa fille faire des choses ensemble. Donc vous avez découvert ce que LaRouche savait, l’avez tué et avez laissé son corps là où il serait retrouvé, pointant dans la direction vers laquelle allait le suaire. Vous vous êtes dit que vous alliez laisser les autorités mortelles faire le boulot et retrouver les voleurs pour vous, après quoi vous prendriez le suaire.

— Un travail pénible. Indigne de nous.

— Tu vas me faire pleurer, mon p’tit serpent. Vous avez découvert qui l’Église envoyait. Et vous avez chopé le pauvre père Vincent à l’aéroport. Tu as pris sa place.

— N’importe quel enfant de trois ans aurait pu déduire tout ça, siffla le deniérien.

Je tirai une chaise et m’assis.

— Voilà où ça devient intéressant. Parce que vous avez décidé de m’engager. Pourquoi ?

— À votre avis, pourquoi ?

— Pour garder un œil sur les chevaliers, dis-je. Ou pour les distraire en les incitant à m’empêcher de continuer les recherches. Ou peut-être que vous pensiez que je pourrais réellement récupérer le suaire pour vous. Les trois à la fois, sans doute. Inutile de faire quelque chose pour une seule raison lorsqu’on peut en ajouter quelques autres gratuitement. Tu m’as même donné un échantillon du suaire pour augmenter mes chances de le retrouver. (Je m’appuyai contre le dossier de ma chaise.) C’est là que j’ai commencé à trouver la situation un peu bizarre. J’ai parlé à Marcone de son nouvel homme de main qui m’avait tiré dessus et il a eu l’air surpris.

— Je ne sais pas de quoi vous parlez, répondit l’homme-serpent.

— Marcone était l’acheteur.

Un rire froid s’échappa de la bouche de l’homme-serpent.

— Un mortel. Rien de plus.

— Ouais, eh bien, le mortel avait compris que le père Vincent avait été remplacé et il a envoyé un assassin pour te tuer. Ce type à l’extérieur du studio de Fowler n’en avait pas après moi. C’était toi qu’il voulait.

— Impossible, affirma l’homme-serpent.

— Ton orgueil te jouera des tours, l’ami. Marcone n’est pas né de la dernière pluie.

— Je suis sûr que vous êtes très fier de vos déductions, magicien.

— Ce n’est pas fini, dis-je en souriant. Vois-tu, Nicodemus n’a pas lâché grand-chose, à part le fait qu’il devait agir en un temps limité et qu’il avait besoin de quelqu’un s’y connaissant en surnaturel. Mais sa fille, oui. Elle a demandé s’il ne voulait pas un bol en argent. C’est un bol cérémoniel. Et si je devais jouer aux devinettes, je dirais qu’il était conçu pour capturer l’énergie vitale. Pour alimenter un rituel.

La queue de l’homme-serpent s’agita nerveusement.

— Je pense que le père Vincent n’était qu’une sorte d’échauffement. Un test pour le rituel. Je pense qu’il est arrivé ici avec deux échantillons du suaire et que vous avez utilisé l’un d’eux comme support pour la malédiction épidémique qui l’a tué. Une fois assuré qu’elle fonctionnerait, vous vous êtes mis en quête du suaire lui-même.

— Vous ne savez rien, lança l’homme-serpent. (Le symbole lumineux sur son front scintillait en même temps que sa seconde paire d’yeux.) Vous êtes pathétique.

— Oh ! tu vas me vexer ! Ne m’oblige pas à aller chercher la batte, rétorquai-je. Nicodemus a effacé ses traces ce matin en faisant brûler le bâtiment dans lequel vous étiez. J’imagine qu’il t’a envoyé pour que tu t’assures que tout serait au poil avec les flics et moi. Je pense qu’il a quelque chose en tête et je pense que ç’aura lieu ce soir. Alors pourquoi ne pas cracher ta Valda, histoire de faire de ceci une discussion plutôt plaisante finalement ?

— Pensez-vous m’effrayer, magicien ? demanda le deniérien. Je détruisais déjà des hommes plus puissants que vous avant la naissance de cette pathétique nation.

— Où est Nicodemus et que va-t-il faire du suaire ? Je vais te donner un indice. Ç’a quelque chose à voir avec une malédiction épidémique.

— Je sers Nicodemus depuis…

— … depuis mon dernier rendez-vous chez le dentiste, j’ai bien compris, coupai-je. Mais laisse-moi te signaler quelque chose. Nicodemus n’est pas ici. (Je tendis les paumes de chaque côté, à la manière de Vanna White[6].) Ces deux messieurs sont bien là, eux. Et très en colère.

Son sabre entre les mains, oscillant légèrement d’avant en arrière, Sanya regardait fixement le deniérien. Il gronda. Personnellement, ç’aurait suffi pour m’inciter à m’écarter de lui.

— Écoute, dis-je. Nous allons trouver Nicodemus et lui démonter la tronche. Nous allons mettre un terme à ce qu’il prépare et nous allons récupérer Shiro. Et tu vas nous dire ce que nous voulons savoir.

— Ou bien ?

Michael répondit, d’une voix très douce :

— Je vous anéantis.

L’homme-serpent m’observa pendant un très long moment. Puis il se mit à trembler et à émettre des crissements. Il me fallut une minute pour comprendre qu’il riait de moi. Les serpents ne sont pas vraiment conçus pour le rire. Cela ne convenait guère à son corps reptilien.

— Vous ne pouvez pas me menacer, dit-il. Vous ne pouvez rien me faire.

— J’aperçois ici une ou deux lames saintes qui me font penser le contraire.

— Non, répondit le deniérien.

Il leva la main vers son front et griffa le symbole qui s’y trouvait, comme s’il tentait de l’arracher à sa propre chair. La rune scintilla puis s’évanouit, ainsi que la deuxième paire d’yeux. Tout son corps fut parcouru par une onde et les écailles fondirent brusquement. L’espace d’une seconde, les traits du père Vincent émergèrent. Puis eux aussi s’évanouirent pour laisser place au visage pincé et rugueux d’un autre homme. Il était brun de peau, peut-être maure, et n’était pas très grand. Un mètre cinquante et des poussières pour soixante-cinq kilos maxi. Une stature moyenne… plusieurs siècles auparavant.

L’homme abaissa la main et laissa une petite pièce d’argent terne rouler au sol jusqu’aux pieds de Michael.

— Mon nom est Quintus Cassius et j’ai longtemps été l’esclave de la volonté du démon Saluriel.

Ses yeux noirs brillaient d’un éclat malveillant et sa voix était suintante de sarcasme.

— Je vous supplie de m’épargner et de me donner une chance de m’amender. Je ferai n’importe quoi pour vous remercier, noble chevalier, de m’avoir sauvé de ce tourment.

Merde ! Il jouait la carte du repentir. Je décochai un coup d’œil vers Michael.

Le grand gaillard regardait Cassius le Reptile d’un air perplexe, mais il ne perdit pas une seconde avant de sortir un mouchoir blanc brodé d’une croix d’argent dans lequel il enroula la pièce. Michael et Sanya échangèrent un long regard, puis tous deux rangèrent leurs armes.

— Euh, les gars… Qu’est-ce que vous me faites, là ? C’est un dangereux meurtrier démoniaque, vous vous en souvenez ?

— Harry, dit Michael, nous ne pouvons rien faire. Pas s’il a rendu la pièce et imploré notre miséricorde.

— Quoi ? demandai-je. C’est stupide !

— Bien sûr, intervint Cassius. (Sa voix résonnait d’une joie malsaine.) Ils savent que je ne suis pas sincère. Ils savent que je me retournerai contre eux à la première occasion. Que j’obtiendrai l’une des autres pièces et que je retournerai à ce que j’ai fait pendant des siècles.

Je me levai, suffisamment en colère pour faire tomber la chaise derrière moi.

— Michael, si tu tends l’autre joue à ce salopard, il va t’arracher le visage. Tu es censé être un putain de poing de Dieu !

— Non, Harry, répondit Michael. Le but des chevaliers n’est pas de détruire ceux qui servent le mal.

— En effet, dit Cassius. (Étrangement, sa voix semblait plus sifflante à présent que lorsqu’il était transformé en serpent.) Ils sont là pour nous sauver.

— Pour les sauver ? (Je regardai fixement Michael.) Il plaisante ?

Michael secoua la tête.

— Personne d’autre ne peut affronter les deniériens, Harry. Personne d’autre ne peut défier les Déchus. Cet instant pourrait être l’unique chance pour Cassius de se détourner de ce qu’il a choisi. De changer de voie.

— Super ! Je suis totalement pour l’idée qu’il change de voie. Changeons-la pour un aller simple vers le fond du lac Michigan.

Michael prit une expression peinée.

— Les chevaliers sont ici pour protéger la liberté. Pour donner à ceux qui sont opprimés par des forces obscures une chance de s’en libérer. Je ne saurais juger l’âme de cet homme, Harry Dresden. Ni pour toi ni pour quiconque. Tout ce que je peux faire, c’est rester fidèle à ma vocation. Lui donner une chance de voir un espoir pour son avenir. Lui témoigner l’amour et la compassion que tout être humain devrait avoir pour son semblable. Le reste ne dépend pas de nous.

J’observai le visage de Cassius tandis que Michael parlait. Son expression changea. Elle devint plus dure. Plus crispée. Et amère. Ce que Michael avait dit le touchait. Je ne croyais pas une seconde qu’il soit suffisamment ému pour changer d’orientation. Mais cela l’atteignait suffisamment pour le mettre en colère.

Je me tournai vers Michael.

— Tu crois vraiment que cette chose va se mettre à boire le lait de la bonté humaine ?

— Non, répondit Michael. Mais cela ne change pas mon but. Il nous a livré sa pièce et l’influence qu’elle exerçait. Le reste ne dépend pas de Sanya et moi. Le reste revient à Cassius.

— Tu as vu ces monstres, grondai-je en m’avançant pour faire face à Michael. J’ai vu les cadavres qu’ils laissent derrière eux. Ils m’auraient tué moi, Susan, toi – nous tous, bon sang ! – sans hésiter une seconde. Dieu seul sait ce qu’ils ont prévu de faire avec la malédiction qu’ils sont en train de préparer.

— Tout pouvoir a ses limites, Harry. (Il secoua la tête.) Le mien trouve ici la sienne.

Sans vraiment réfléchir, je repoussai son épaule en arrière.

— Ils ont peut-être déjà tué Shiro. Et tu vas laisser ce salopard se tirer ?

Michael m’agrippa le bras d’une main et le tordit. Michael est fort. Je dus me mettre sur la pointe des pieds pour relâcher la pression qu’il exerçait sur mon coude. Il me repoussa loin de lui ; ses yeux étaient durs, froids et furieux comme jamais.

— Je sais tout ça, dit-il de la même voix mortellement calme. Je sais qu’ils lui ont fait du mal. Qu’ils vont le tuer. Tout comme Shiro savait que Nicodemus trahirait sa promesse de te libérer. C’est l’une des choses qui nous différencient d’eux, Harry. Le fait qu’ils aient du sang sur les mains ne nous donne pas la permission de salir les nôtres de la même manière. Mes choix ne peuvent se mesurer qu’à la seule valeur de mon âme. Pas à celle des taches qui constellent la leur.

Il jeta un regard vers Cassius et le deniérien tressaillit devant la flamme silencieuse de l’expression de Michael.

— Il ne me revient pas de juger son âme. Quelle qu’en soit mon envie.

— Par les cloches de l’enfer ! soufflai-je. Pas étonnant que Nicodemus ait tué autant de chevaliers si vous agissez tous de façon aussi stupide.

— Harry…, commença Michael.

Je l’interrompis :

— Regarde-le, Michael. Ce n’est pas une victime. C’est un putain de collaborateur. Ce pauvre idiot de Rasmussen avait peut-être été piégé et forcé à travailler avec les deniériens, mais Cassius fait tout ceci parce qu’il le veut.

— Il n’y a aucun moyen pour vous d’en être sûr, Harry, intervint Sanya.

— Pourquoi est-ce que vous lui donnez une telle chance ? Est-ce que l’un d’eux s’est jamais détourné des pièces ?

Sanya posa sa main sombre sur mon épaule et dit :

— Oui, moi.

Je me tournai vers lui, perplexe.

— J’étais parmi eux, dit Sanya. J’étais moins expérimenté. Idiot. Orgueilleux. Je n’avais pas prévu de devenir un monstre mais autant de pouvoir vous corrompt. Shiro a fait face au Déchu que j’avais laissé entrer. Il a exposé ses mensonges. Et j’ai fait le bon choix.

— Traître, cracha Cassius d’une voix glaciale. Nous t’avons offert le monde. Le pouvoir. La gloire. Tout ce dont tu pouvais rêver.

Sanya lui fit face.

— Ce que je voulais, vous n’auriez jamais pu me le donner. J’ai dû le trouver tout seul. (Il tendit la main.) Cassius, vous pouvez les quitter tout comme je l’ai fait. Aidez-nous, je vous en prie. Et laissez-nous vous aider.

Cassius eut un mouvement de recul, comme si la main de Sanya pouvait le brûler, et siffla :

— Je te dévorerai les yeux.

— Nous ne pouvons pas le laisser ici, dis-je. Il nous tirera dans le dos. Il essaiera de nous tuer.

— Peut-être, dit doucement Michael.

Il ne bougea pas. J’aurais voulu être en colère contre Sanya et Michael. Mais j’en étais incapable. Je suis humain, moi aussi. J’avais flirté avec les pouvoirs obscurs, auparavant. Conclu des accords stupides. Fait de mauvais choix. On m’avait offert la chance de travailler pour m’en libérer, sans quoi je serais mort depuis bien longtemps.

Je comprenais ce que Michael et Sanya disaient et faisaient. Je comprenais pourquoi. Je n’aimais pas ça mais je ne pouvais pas vraiment les contredire sans me transformer en gros hypocrite. Voilà où j’en étais, à défaut de posséder une pièce hantée par un démon.

Cassius se mit à respirer de manière sifflante et à rire de son rire sec et méprisant.

— Filez, dit-il. Filez donc. Je réfléchirai à vos paroles. Réexaminerai ma vie. Choisirai la voie étroite de la droiture.

— Allons-y, dit calmement Michael.

— On ne peut pas le laisser ici, répétai-je, insistant.

— La police n’aura rien contre lui, Harry. Nous n’allons pas le tuer. Nous en avons fini ici. Garde la foi. Nous trouverons une réponse, d’une manière ou d’une autre.

Cassius se mit à rire dans le dos de Michael tandis que ce dernier sortait. Sanya le suivit, en se retournant un instant pour me regarder.

— Imbéciles, murmura Cassius en se redressant. Faibles et imbéciles.

Je repris ma batte et me tournai vers la porte.

— Tu as tort, dis-je à Cassius.

— Faible, répéta-t-il. Le vieil homme hurlait déjà au bout de une heure, vous savez. Nicodemus a commencé par son dos. L’a fouetté avec des chaînes. Puis Deirdre a joué avec lui.

Je balançai à Cassius un regard mauvais par-dessus mon épaule. Il souriait d’un air méprisant en dévoilant ses dents.

— Deirdre aime briser les doigts et les orteils. J’aurais aimé pouvoir rester plus longtemps. Je n’ai pu que lui arracher les ongles des pieds. (Son sourire s’élargit, ses yeux brillèrent.) La femme, celle de la Confrérie. Elle est à toi ?

Je sentis mes propres lèvres se retrousser sur mes dents.

Les yeux de Cassius scintillèrent.

— Elle a joliment saigné, n’est-ce pas ? La prochaine fois que je l’attraperai, tu ne seras plus là pour interrompre mon sortilège. Je laisserai les serpents la dévorer. Morceau par morceau.

Je le regardai fixement.

Cassius sourit de nouveau.

— Mais j’ai droit à la miséricorde, n’est-ce pas ? Le pardon. Vraiment, Dieu est grand.

Je me détournai une fois de plus et dit, très doucement :

— Les gens comme toi prennent toujours la compassion pour de la faiblesse. Michael et Sanya ne sont pas faibles. Par chance pour toi, ce sont des hommes bons.

Cassius se mit à rire. Il se foutait de moi.

— Malheureusement pour toi, ce n’est pas mon cas.

Je me retournai et abattis la batte de toutes mes forces, brisant le genou droit de Cassius.

Le choc et la surprise lui firent pousser un cri et il s’écroula. D’étranges craquements se firent entendre au niveau de son articulation.

Je frappai de nouveau et lui brisai la cheville droite.

Cassius hurla.

Je lui détruisis également le genou gauche. Et la cheville gauche. Comme il battait des bras et se roulait par terre, il me fallut une dizaine d’essais.

— Arrêtez ! réussit-il à articuler. Stop, stop, stop !

Je lui décochai un coup de pied dans la mâchoire pour le faire taire, coinçai son bras droit contre le sol et lui broyai la main d’une bonne dizaine de coups supplémentaires.

Je bloquai ensuite son bras gauche de la même façon et posai la batte sur mon épaule.

— Écoute-moi bien, espèce d’ordure merdeuse. Tu n’es pas une victime. Tu as choisi d’être l’un d’eux. Tu as servi les forces des ténèbres pendant toute ta vie. Freddie Mercury dirait que Belzébuth a mis un démon de côté rien que pour toi.

— Qu’est-ce que vous croyez faire ? (Il haletait.) Vous ne pouvez pas… Vous n’allez pas…

Je me penchai et tordis son faux col de prêtre en l’étranglant à moitié.

— Les chevaliers sont des hommes bons. Pas moi. Et te tuer ne m’empêchera pas de dormir.

Je le secouai pour accompagner chaque mot, suffisamment fort pour faire trembler ses dents ensanglantées.

— Où. Est. Nicodemus ?

Cassius flancha et se mit à sangloter. Sa vessie s’était relâchée à un moment et la pièce sentait l’urine. Il s’étrangla et recracha du sang et un morceau de dent.

— Je vais parler, dit-il. Je vous en prie… Non…

Je lâchai son col et me redressai.

— Où ?

— Je ne sais pas, dit-il en évitant mon regard. Il ne m’a rien dit. Le voir ce soir. Je devais le voir ce soir. Huit heures.

— Où ça ?

— Aéroport, lâcha Cassius. (Il se mit à vomir. Je tenais toujours son bras immobilisé, donc il se vomit essentiellement dessus.) Je ne sais pas où exactement.

— Que fait-il ?

— La malédiction. Il va libérer la malédiction. Utiliser le suaire. Le sang du vieil homme. Il doit être en train de se préparer pour terminer le rituel.

— Pourquoi ?

— La malédiction est une contagion. Il doit la diffuser aussi loin que possible. Plus d’exposition. Cela le rendra plus fort. A… Apocalypse.

Je retirai mon pied de son bras et fis exploser le téléphone du motel d’un coup de batte. Je récupérai son téléphone portable et le mis également en morceaux. Puis je portai la main à ma poche et en tirai une pièce de vingt-cinq cents que je laissai tomber sur le sol près de lui.

— Il y a un téléphone public de l’autre côté du parking, derrière une petite étendue de verre pilé. Tu ferais bien de te dégotter une ambulance. (Je me détournai et me dirigeai vers la porte sans regarder en arrière.) Si jamais je te revois un jour, n’importe où, je te tue.

Michael et Sanya m’attendaient dehors. Le visage de Sanya exprimait une certaine satisfaction. L’expression de Michael était grave, inquiète. Ses yeux cherchèrent les miens.

— Il fallait le faire, dis-je à Michael. (Ma voix avait quelque chose de froid.) Il est vivant. C’est plus que ce qu’il mérite.

— Peut-être, dit Michael. Mais ce que tu as fait, Harry, ce n’était pas bien.

Une partie de moi se sentait mal. Une autre tout à fait satisfaite. Je n’étais pas sûr de savoir laquelle était prépondérante.

— Tu as entendu ce qu’il a dit sur Shiro. Sur Susan.

Les yeux de Michael s’assombrirent et il hocha la tête.

— Cela ne justifie rien.

— Non, dis-je. (Je soutins son regard.) Tu crois que Dieu me pardonnera ?

Michael resta silencieux quelques instants, puis son expression s’adoucit. Il me prit par l’épaule en me disant :

— Dieu est toujours miséricordieux.

— Ce que vous lui avez fait était plutôt généreux, affirma Sanya avec philosophie. Relativement parlant. Il est sans doute blessé mais il est, après tout, en vie. Cela va lui offrir un bon et long moment pour revoir ses choix.

— C’est ça, dis-je. Je suis un être généreux. J’ai fait ça pour son bien.

Sanya hocha la tête d’un air grave.

— De bonnes intentions.

Michael acquiesça.

— Qui sommes-nous pour te juger ? (Ses yeux brillèrent et il demanda à Sanya :) Tu as vu la tête du serpent quand Harry s’est retourné avec la batte ?

Sanya sourit et se mit à siffloter tandis que nous traversions le parking.

Nous nous entassâmes dans la camionnette.

— Larguez-moi chez moi, dis-je. Je dois récupérer quelques trucs. Et passer deux ou trois coups de fil.

— Le duel ? demanda Michael. Harry, tu es sûr que tu ne veux pas que je…

— Je m’en charge, dis-je. Tu as déjà du pain sur la planche. Je peux m’en occuper. Je te retrouverai à l’aéroport ensuite pour t’aider à trouver Shiro.

— Si vous survivez, intervint Sanya.

— Oui. Merci, camarade LaPalice.

Le Russe me fit un grand sourire.

— C’est une pièce de vingt-cinq cents que vous avez donnée à Cassius ?

— Ouais.

— Pour le téléphone ?

— Ouais.

— Les appels téléphoniques coûtent plus cher que ça de nos jours, fit remarquer Michael.

Je me laissai aller en arrière et m’autorisai un petit sourire.

— Ouais. Je sais.

Sanya et Michael éclatèrent de rire. Michael donna plusieurs coups de poing sur le volant.

Je ne me joignis pas à eux mais profitai de leurs rires pendant que je le pouvais encore. Le soleil de février était déjà en train de décliner rapidement à l’horizon.

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