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Langston Overholt IV était dans son bureau de Lan-gley, en Virginie, assis dans un fauteuil en cuir à haut dossier, installé de biais par rapport au bureau. Il tenait à la main une raquette de squash noire, dont la poignée était recouverte d’un adhésif blanc taché de sueur. Lentement, avec méthode, il lançait une balle noire en caoutchouc à une soixantaine de centimètres de hauteur et la rattrapait avec sa raquette. Tous les quatre coups, il retournait sa raquette. Ce mouvement rythmé l’aidait à réfléchir.
Overholt était mince, mais pas maigre, soixante-quatorze kilos pour un mètre quatre-vingt-cinq, plutôt longiligne et sec, sans être osseux. Sa peau était tirée sur des muscles longs et compacts. Son visage rectangulaire, aux traits saillants, avait une beauté rude. Il avait les cheveux blonds, à peine teintés de gris sur les tempes et il les faisait couper toutes les deux semaines par le coiffeur de la CIA à l’intérieur du complexe.
Overholt était un athlète.
Il avait commencé à courir en dernière année de lycée, lorsque cette mode s’était emparée du pays, nourrie par le livre de Jim Fixx, The Complété Runner. Une fois étudiant, puis diplômé, il avait continué à s’entraîner. Un mariage, son entrée à la CIA, un divorce et un remariage n’avaient pas entamé cette obsession. Courir était l’une des seules choses qui le soulageaient du stress de son métier.
Le stress était l’autre caractéristique d’Overholt.
Depuis qu’en 1981 il était sorti de l’université pour entrer directement à la CIA, il avait été sous les ordres de six directeurs différents. Maintenant, pour la première fois depuis des décennies, Langston Overholt IV avait une chance de concrétiser la promesse faite par son père au dalaï-lama, tout en s’acquittant de sa dette envers son vieil ami Juan Cabrillo. Il établit son plan sans perdre de temps. Soudain, une sonnerie retentit.
— Monsieur, lui dit son assistante, c’est le directeur adjoint, il voudrait vous rencontrer dès que possible.
Overholt tendit la main vers le téléphone.
L’air de Washington DC était aussi chaud que l’asphalte du Texas. À l’intérieur de la Maison-Blan-che, la climatisation était au maximum, mais cela ne suffisait pas à faire baisser la température au-dessous de 24 « C. La résidence du Président vieillissait et il était difficile de moderniser complètement le bâtiment sans en altérer l’histoire.
— Y a-t-il déjà eu des photographies officielles du Président assis dans le Bureau ovale en tee-shirt ? plaisanta le Président.
— Je vais vérifier, monsieur, répondit son assistant qui venait de faire entrer le directeur de la CIA.
— Merci John, répondit le Président pour lui donner congé.
Il se pencha au-dessus du bureau pour serrer la main du directeur tandis que l’assistant fermait la porte pour les laisser seuls. Le Président fit signe à son visiteur de s’asseoir.
— Ces assistants sont très brillants, fit remarquer le Président en s’asseyant, mais ils manquent un peu d’humour. A l’heure qu’il est, le gamin est sans doute en train de poser la question à l’historien de la Maison-Blanche.
— S’il y a eu de telles photos, dit le directeur en souriant, je parierais que c’était de Lyndon B. Johnson.
Quand on a dix-sept ans et que l’on connaît le directeur de la CIA, le jeu de l’espionnage paraît plutôt cool. Une fois devenu président, on détient la possibilité de découvrir ce qui se passe vraiment. Le temps n’avait pas entamé l’enthousiasme du Président, qui trouvait toujours fascinant ce jeu des services secrets.
— Qu’est-ce que vous avez pour moi ? demanda-t-il.
— Le Tibet, répondit le directeur sans préambule.
Le Président hocha la tête, puis ajusta un ventilateur sur son bureau pour qu’il souffle à égalité sur les deux hommes.
— Expliquez-moi ça.
Le directeur de la CIA ouvrit sa mallette pour en sortir des documents.
Puis il dévoila son plan.
À Pékin, le président Hu Jintao étudiait les documents qui révélaient l’état véritable de l’économie chinoise. Le tableau était plutôt sombre. La course à la modernisation avait nécessité de plus en plus de pétrole et les Chinois n’avaient pas encore localisé de réserves importantes à l’intérieur de leurs frontières. La situation n’avait pas été si problématique ces dernières années lorsque le prix du pétrole était à son plus bas niveau depuis vingt ans, mais avec la récente flambée du prix du baril, les coûts de plus en plus élevés mettaient en péril l’économie du pays. Pour corser la situation, la soif d’or noir des Japonais avait mené à une guerre des prix que la Chine ne pouvait espérer gagner.
Jintao regarda par la fenêtre. L’air était plus clair que d’habitude, une brise légère balayait loin du centre de Pékin la filmée des usines, mais le vent n’était pas assez fort pour emporter la suie qui s’était déposée sur le rebord de la fenêtre. Jintao observa un moineau qui atterrissait sur l’appui. Les minuscules pattes de l’oiseau laissaient des traces dans la suie. Il sautilla sur place quelques secondes, puis s’arrêta et regarda par la fenêtre, fixant Jintao dans les yeux.
— Comment ferais-tu pour réduire les coûts ? demanda le Président à l’oiseau. Et où trouver du pétrole ?