18

Ross contrôlait les fumigènes lorsque Ho s’avança sur la pelouse.

— Mademoiselle Iselda, dit-il en s’approchant, j’ai une nouvelle œuvre d’art que je souhaite exposer ici sur la pelouse.

Ross observa attentivement Ho qui faisait de grands gestes en direction du chapiteau. Il la regarda avec espoir, sans avoir l’air de se douter de rien.

— Il s’agit d’un tableau ? demanda Ross.

— Non, d’une statue, dit Ho.

Deux employés attendaient près des lumières colorées des fumigènes.

— Faites une pause, leur dit Ross.

Les hommes entrèrent sous le chapiteau.

— Décrivez-la-moi, dit Ross.

— Elle est en or et mesure un mètre quatre-vingt, dit Ho.

Ross réfléchit à toute allure.

— Peut-être pourrions-nous placer l’objet ici, dit-elle en montrant un emplacement à quelques pas, à la fin du tapis rouge qui mène sous le chapiteau. Comme une sentinelle.

Ho et Ross avancèrent vers l’emplacement.

— Je pourrais l’illuminer avec des spots bleus et rouges, dit-elle.

— Quoi d’autre ? demanda Ho.

Ross se creusait la tête pour trouver ce qui pourrait bien aider la Corporation à la voler.

— Que penseriez-vous de quelques nuages de fumée, articula-t-elle lentement, qui feraient apparaître et disparaître l’objet comme un mirage ?

— Excellent ! approuva Ho avec enthousiasme.

Ross sourit en apercevant du coin de l’œil un trio d’hommes de L’Oregon vêtus d’uniformes de vigiles. Son équipe s’était débrouillée pour envoyer des renforts. Barrett, faisant office de porte-parole des vigiles, s’avança vers Ross et Ho.

— Vous êtes monsieur Ho ? demanda-t-il.

— En effet.

— Nous sommes envoyés par la compagnie d’assurances.

Barrett, en dissimulant son visage, adressa un clin d’œil à Linda alors que Ho ne regardait pas.

— Très bien, dit Ho. Je suis ravi que vous soyez arrivés si vite. Voici Iselda ; c’est elle qui s’occupe de l’organisation. Nous étions justement en train de réfléchir au meilleur emplacement pour l’objet que vous devrez surveiller.

Barrett opina.

— Nous pensions à cet endroit, dit Ho, non loin de l’entrée du chapiteau.

Barrett jeta un coup d’œil aux environs, comme pour étudier la sécurisation des lieux, puis il se retourna vers Ho.

— On m’a dit qu’il s’agissait d’une statue.

— Exact, confirma Ho. Un bouddha d’un mètre quatre-vingt.

Barrett hocha la tête d’un air pensif.

— Est-il lourd ? demanda-t-il.

— Il pèse dans les trois cents kilos, dit Ho. Pourquoi ?

— Eh bien, monsieur, répondit Barrett, je pensais que vous souhaiteriez peut-être le voir s’intégrer aux festivités, vous voyez, en le déplaçant d’un endroit à l’autre au cours de la soirée. Mais trois cents kilos, c’est trop lourd pour nous trois.

Ross renchérit.

— Vous voulez dire que la statue pourrait elle aussi faire partie des invités, dit-elle avec enthousiasme.

— Quelque chose comme ça, répondit le vigile. D’ailleurs plus il y aura de monde autour de lui, plus l’objet sera en sécurité.

— Intéressant, déclara Ho.

— La soirée va bientôt commencer, dit Ross, mais je peux essayer de me procurer d’autres statues de Bouddha pour créer tout un motif sur ce thème.

— Que voulez-vous dire ? demanda Ho.

— Je pourrais peut-être trouver des bouddhas en plâtre que nous disposerions dans le jardin, expliqua Ross.

— Ce serait un atout pour la sécurité, renchérit Barrett, de mélanger des faux au vrai.

— Pensez-vous que ce soit possible ? demanda Ho.

— Ne vous inquiétez pas, monsieur Ho, ma société peut faire des miracles.

Le groupe de musiciens était rassemblé dans la salle de conférences de L’Oregon pour recevoir les instructions de dernière minute de Hanley et Cabrillo.

— Comme vous le savez, nous avons trois hommes de plus à l’intérieur, dit Cabrillo, qui se font passer pour des vigiles, donc nous n’avons plus besoin de nous inquiéter de descendre la statue, elle sera déjà dans le jardin.

— C’est pas mal, admit Franklin.

— Donc l’enlèvement du site est devenu plus simple, poursuivit Hanley, mais nous avons le problème d’un plus grand nombre de témoins.

— Ce qui signifie que nous allons sans doute devoir droguer les invités, supposa Kasim.

— On dirait bien que ça va se passer comme ça, admit Cabrillo.

— L’organisation prévoit trois plages de musique, dit Hanley, ce qui nous donne deux pauses au cours desquelles vous, musiciens, pourrez aller et venir librement. Vous vous calerez sur Juan et resterez flexibles car toute cette partie est encore floue.

— Est-ce que nous avons un avion prêt à réceptionner la statue juste après le vol ?

— Tout à fait, dit Cabrillo. Il est en train d’atterrir en ce moment même.

— À quelle heure est prévue l’exfiltration ? demanda Monica.

— Ce soir, à minuit moins dix, dit Hanley.

— L’Oregon repartira d’ici demain, continua Cabrillo, quelle que soit l’issue de l’opération. Alors on fait notre boulot et on prend congé.

— Avec un peu plus d’argent en poche, souligna Murphy en souriant.

— C’est l’idée, opina Cabrillo.

De minces volutes d’encens richement parfumé s’élevaient en direction du plafond dans le temple A-Ma.

Quelques touristes s’égrenaient dans les zones ouvertes au public, laissant des offrandes aux pieds de plusieurs bouddhas. Ils marchaient sur des sentiers pavés, s’asseyaient sur les bancs en bois sculpté du jardin et méditaient face à la mer. C’était un havre de paix et de sérénité au milieu d’une tempête de confusion et de précipitation.

Winston Spenser ne se sentait pas serein.

La peur s’était emparée de lui : le Bouddha d’or se moquait de lui, il en était sûr. Son air calme et sa solidité immobile le rendaient mal à l’aise. Spenser rêvait du moment où il serait débarrassé de cette malédiction et obtiendrait son argent. Il visualisait ce moment en pensée : la voiture blindée qui transporterait de nouveau la statue pour la remettre à l’avion du milliardaire américain ; les tonnes d’argent qu’il recevrait…

Il se releva de son banc dans le bâtiment principal du temple, puis sortit et descendit la colline pour remonter dans la limousine qui l’attendait. Le parking était à moitié vide, la plupart des habitants de Macao se préparant pour le défilé et les fêtes du soir. Deux motos étaient stationnées sous un arbre. Spenser, trop préoccupé par la peur d’échouer, ne les remarqua pas. Quelques instants plus tard, la limousine sortait du parking.

— J’ai vu ce que je voulais voir, dit l’un des motards.

— Moi aussi, fit l’autre.

Six valets chinois attendaient les premiers invités, qui, après avoir montré leur invitation au gardien, franchi les grilles et parcouru l’allée en courbe, sortaient de leurs voitures non loin de la porte d’entrée.

Le soleil sombrait lentement à l’ouest et la mer, que l’on voyait depuis la maison, s’embrasait des teintes dorées du couchant. Spenser sortit de sa limousine et contempla la vue. Il était vêtu d’un smoking noir qui masquait les auréoles de sueur de ses aisselles. Redressant les épaules, il pénétra dans le hall.

Juan Cabrillo baissa la vitre de la camionnette et tendit une feuille de papier au vigile.

— Garez-vous près des garages, dit le gardien, déchargez votre équipement et transportez-le derrière.

Cabrillo acquiesça. Lorsque la grille s’ouvrit, il conduisit le véhicule jusqu’aux garages et stationna en bordure de la pelouse.

— Le spectacle va commencer, dit-il.

Le groupe descendit pour décharger l’équipement et le transporter derrière la maison.

Cabrillo partit sur les lieux de la réception à la recherche de Ross, qu’il aperçut à quelques mètres, en pleine conversation téléphonique. Plusieurs personnes se trouvaient à côté d’elle.

— Nous sommes les Minutemen, dit-il lorsqu’elle eut raccroché.

— Parfait, dit Ross. Votre estrade est par ici.

— Nous avons de grands haut-parleurs assez lourds à installer, dit-il.

— Je vous appelle quelqu’un.

— Nous préférons nous occuper nous-mêmes de notre équipement, déclara Cabrillo. Il nous faudrait seulement des chariots.

Ross hocha la tête et se tourna vers un des serveurs.

— C’est le leader du groupe, dit-elle. Il voudrait emprunter les chariots que vous utilisez pour installer les tables.

L’homme acquiesça et fit signe à Cabrillo de le suivre.

— Par ici.

Mark Murphy, debout sous le chapiteau réservé aux musiciens, contemplait les environs. Trois vastes tentes avaient été montées bout à bout, formant un Y au bout duquel se dressait leur chapiteau, situé légèrement en hauteur et muni de fentes à l’arrière, par lesquelles ils pouvaient entrer et sortir. Les câbles électriques pour brancher leurs enceintes et leurs lumières serpentaient sur le sol. Il posa sa guitare et passa la tête par l’ouverture à l’arrière. À une dizaine de mètres derrière la tente, un muret délimitait la séparation entre le jardin et la maison. À la droite de la tente, à une trentaine de mètres, s’élevait la façade arrière de la maison, avec les portes qui menaient aux cuisines et à l’intérieur. Il commença à parcourir les environs.

Sur l’avant ou le haut du Y, étaient ménagées deux entrées, par lesquelles se faisait l’accès des invités. Dans l’ouverture entre les jambes du Y, une petite terrasse en bois, actuellement vide, était agrémentée d’une fontaine portable. Murphy passa de l’autre côté, examinant la manière dont les tentes étaient fixées au sol : de larges poteaux métalliques soutenaient les bords, et des câbles métalliques tendus étaient enfoncés dans la terre plus loin sur la pelouse. Il leva les yeux : de longs piquets métalliques, deux pour chaque section des trois tentes, passaient à travers la toile. Il trouva une fente dans la tente et s’approcha d’un pilier dont la base était maintenue par un support en plastique.

Murphy supposa qu’il ne serait pas difficile de faire s’effondrer le tout.

Ho regagnait la maison lorsqu’il se figea net. Plusieurs hommes aux cheveux longs s’approchaient de la tente, mais ce n’était pas ce qui l’avait frappé. Ce qui l’avait frappé, c’est la jeune femme qui les accompagnait. Il fit volte-face et s’avança vers eux.

— Je suis Stanley Ho, dit-il en souriant, votre hôte.

— Je suis Candace, dit Julia Huxley.

Les yeux de Ho étaient rivés sur les charmes généreux de Huxley.

— Si difficile à croire que ce soit, déclara Ho, je ne me rappelle pas vous avoir rencontrée.

— Je suis avec le groupe, dit Candace avec un sourire mutin. Enfin, je suis venue avec eux.

— Vous jouez ? demanda Ho.

— Oh, à toutes sortes de jeux, répondit Candace en souriant.

Ho commençait à se dire que s’il manœuvrait bien, il avait toutes ses chances.

— Il faut que j’aille à l’intérieur pour accueillir mes invités, dit-il rapidement en voyant du coin de l’œil Iselda s’approcher. Peut-être pourrons-nous discuter un peu plus tard ?

Il tourna les talons et se dirigea vers l’entrée arrière de la maison.

— Monsieur Ho, cria Linda Ross, je crois que nous avons résolu la question de l’emplacement !

— Je vous laisse vous en occuper, fit Ho par-dessus son épaule.

Ross passa à côté de Huxley.

— Espèce de garce, murmura-t-elle.

— Espèce de lesbienne, rétorqua Huxley.

Max Hanley était assis dans un fauteuil en cuir au poste de commande de L’Oregon.

— OK, tout le monde ! fit-il en s’adressant aux trois opérateurs qui restaient. C’est parti. Montrez-moi la vue depuis l’arbre.

L’image de la minuscule caméra dans l’arbre s’afficha sur un écran de la salle de contrôle. Hanley aperçut Cabrillo qui poussait un chariot contenant plusieurs caisses de haut-parleurs sur la pelouse. Ross venait de croiser Huxley et elle s’apprêtait à rentrer sous la tente. Murphy émergea d’une tente. Comme s’il avait reçu un signal, il se tourna vers l’arbre en souriant.

— Larry, fit Hanley, c’est tout bon.

Larry King était le membre de la Corporation caché dans l’arbre. Il ajusta son fusil de sniper puis appuya sur son petit micro-cravate pour répondre.

— Comment ça se passe, chef ?

— Bien, répondit Hanley. Vous tenez le coup ?

King avait été obligé de prendre place vers trois heures du matin. Il était sur son perchoir depuis plus de douze heures et il devrait sans doute y rester encore presque aussi longtemps.

— J’ai tenu six jours une fois en Indonésie, dit King. Alors là, c’est du gâteau.

— Avez-vous fait vos réglages ? demanda Hanley, qui connaissait d’avance la réponse.

— Des centaines de fois, chef, répondit King en chassant une mouche posée sur son bras.

King était un sniper entraîné de l’armée américaine. Si Hanley lui en donnait l’ordre, il pouvait tirer une douzaine de coups de feu en moins de temps qu’il n’en faut pour éternuer. Hanley espérait qu’on n’en arriverait pas là, mais si un membre de l’équipe était en danger et qu’il n’y avait pas d’autre choix, c’était King qui résoudrait le problème.

— Tenez-vous prêt, Larry, dit Hanley. On vous appellera si on a besoin de vous.

— Bien reçu, dit Larry en continuant à étudier le jardin à travers sa lunette.

— Essayez l’intérieur de la tente, ordonna Hanley.

L’image de la caméra installée dans le clavier de Juan Cabrillo s’afficha, légèrement excentrée.

— Juan, fit Hanley.

Cabrillo contournait la tente en poussant son chariot, mais il entendit Hanley dans son oreillette.

— Il faudrait que tu déplaces ton clavier légèrement sur la droite pour que nous ayons la partie gauche de la tente à l’image.

Cabrillo acquiesça d’un léger signe de tête.

— Allons à la fourgonnette, demanda Hanley.

Sur un dernier écran séparé en deux, s’affichèrent les deux images des caméras attachées aux rétroviseurs de la camionnette, qui donnaient une assez bonne vue du devant de la maison. Lincoln sortait un carton du coffre.

— Frankie, appela Hanley.

Franklin Lincoln s’approcha d’un rétroviseur comme s’il voulait se recoiffer.

— Essaie de laisser la camionnette ici, dit Hanley. Vous avez eu de la chance, elle est garée à un endroit qui nous donne une bonne vue d’ensemble.

Lincoln fit un signe d’assentiment en direction du rétro.

— OK les gars, dit Hanley aux opérateurs, nous sommes leurs yeux et leurs oreilles, alors restez sur vos gardes.

Bouddha d'or
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