29

– Un à la fois, enjoignit l’inspecteur Po à son subordonné.

Se servant du tournevis attaché à sa ceinture, le policier ouvrit le premier pot de peinture et versa le contenu dans l’eau par la bouche d’égout ouverte. À la lumière de sa torche, Po vit la peinture violette se mélanger à l’eau et s’étaler. Écartant le pot vide, le policier procéda de même avec le deuxième. À ce moment, son téléphone sonna.

— Ling, lui dit Sung Rhee. Je veux que vous veniez au quartier général. Nous avons appréhendé un suspect.

— Tout de suite, chef.

— Les forces de l’ordre ont décidé de retrouver la sortie de l’eau dans la baie en utilisant de la peinture, expliqua Hanley à Cabrillo.

Cabrillo essuyait son visage et ses mains humides avec une serviette. Lorsqu’il eut terminé, il la jeta sur une table et passa rapidement un peigne dans ses cheveux.

— J’espérais que le vol des photocalques suffirait à ralentir la poursuite dans le cas où ils se rendraient compte que nos hommes s’étaient échappés par les égouts, dit Cabrillo, mais on dirait qu’il va nous falloir un plan de secours.

Hanley montra du doigt un écran.

— Comme tu le sais, la canalisation que nous avons choisie est la seule située au sud-ouest de la péninsule. Elle serpente sous le Nam van Lake et pénètre dans la baie au nord de l’île de Taipa.

Cabrillo scruta l’écran : le plan de l’égout ressemblait à un arbre rabougri aux branches affaissées. Les canalisations empruntées par son équipe se trouvaient au niveau des racines.

— Est-ce que nous avons pu établir le contact avec eux ? demanda Cabrillo.

— Pas avec Hornsby, Meadows et Jones, admit Hanley. Leurs radios portables n’ont pas l’air assez puissantes pour traverser le sol au-dessus de leur tête.

— Et Murph et Kasim ?

— On essaie, dit Hanley, mais la transmission vocale est irrégulière. On dirait que les données arrivent quand même à passer ; nous sommes en contact par pager alphanumérique.

— Donc nous pouvons envoyer des ordres aux Zodiac et ils peuvent nous répondre ? demanda Cabrillo.

— Jusqu’ici, oui.

Éric Stone interrompit la conversation.

— Messieurs, dit-il en indiquant un écran, la caméra que Halpert a laissée près de la bouche d’égout montre quelque chose d’intéressant.

Cabrillo et Hanley regardèrent le policier verser de la peinture dans le trou.

— Faites-moi une simulation du temps de parcours de la peinture jusqu’à nos hommes.

Les mains de Stone voltigèrent sur le clavier et quelques secondes plus tard, le plan de l’égout se colora en rouge. Les hommes observèrent la couleur progresser dans le réseau pluvial. Un sablier dans le coin de l’écran chronométrait le déplacement.

— Dix-sept minutes jusqu’à ce que la peinture atteigne l’endroit où nous supposons que se trouvent les hommes, dit lentement Stone. Vingt-deux avant qu’elle ressorte dans la baie au-dessus de Taipa.

À ce moment-là, un télécopieur cracha une feuille dont Hanley s’empara.

— L’ordre vient d’être donné à tous les bateaux de la police et à deux bateaux de la marine chinoise à Macao de commencer à patrouiller à la recherche de l’eau colorée, et lorsqu’ils l’auront trouvée, de rester postés à cet endroit.

— Lancez le chronomètre, ordonna vivement Cabrillo. Nous sommes au moment décisif. Assurez-vous que tout le monde est à bord et préparez L’Oregon à partir. Je veux que cette équipe soit sortie de l’égout avec le Bouddha et en sécurité à bord, afin que nous quittions Macao aux premières lueurs du jour. Avec la marine chinoise qui patrouille par ici, le bateau est en danger.

— Niveau d’alerte maximum ? demanda Hanley.

— Je confirme, alerte maximum, dit Cabrillo.

— Transmettez, monsieur Stone, fit Hanley.

Stone sonna l’alarme. En quelques minutes, L’Oregon était en effervescence.

Tiny Gunderson mangeait un sandwich au salami en sirotant un thé glacé tandis qu’il survolait la mer de Chine méridionale. L’hôtesse brune, Rhonda Rosselli, était assise dans le fauteuil du mécanicien. La porte du cockpit était ouverte et la copilote blonde, Judy Michaels, entra et se glissa dans son siège. Elle était vêtue d’une combinaison de pilote kaki et son visage était démaquillé.

— Tracy se change et vérifie les équipements, dit-elle.

— Est-ce que je t’ai dit que vous aviez fait du bon boulot ? demanda Gunderson. Vous avez été plus que convaincantes, toutes les deux !

— Un master de sciences politiques à Georgetown, quatre ans au Conseil national de sécurité et voilà où j’en suis, je couche avec l’ennemi.

Gunderson avala la dernière bouchée de son sandwich puis il essuya les miettes de ses doigts. Il prit une gorgée de thé glacé pour faire couler le tout avant de se remettre à parler.

— Tu oublies que j’ai moi-même séduit une comtesse roumaine il y a quelques années, dit Gunderson. Il faut ce qu’il faut pour parvenir à notre objectif.

— Je n’ai pas oublié, Chuck, dit Michaels. D’ailleurs, il me semble que tu n’avais pas détesté cette mission.

Gunderson sourit.

— Pourquoi, tu as détesté la tienne ?

Michaels effectua le relevé des instruments de navigation sur une tablette.

— Ce type était un malade, dit-elle. Un grand, grand malade.

— Dans ce cas, ça lui fera les pieds, dit Gunderson en défaisant sa ceinture et sortant de son siège, que nous lui ayons fauché son avion.

— Je suis aux commandes, dit Michaels.

— Je vais aux toilettes, fit Gunderson à Rosselli. Je reviens tout de suite.

Dans la salle à manger de L’Oregon, Winston Spenser sirotait un thé en remâchant ses inquiétudes. Assis à une table voisine, un garde le surveillait en silence. Juan Cabrillo entra dans la pièce et, s’avançant vers Spenser, il lui tendit un bout de papier.

— Voici votre numéro de compte au Paraguay, dit-il. Le virement a été effectué et les fonds sont disponibles dès maintenant. Si le compte n’a pas été touché dans un délai d’un an à dater d’aujourd’hui, l’argent sera automatiquement transféré vers une de nos banques. Toutefois, dans ce délai d’un an, dès que vous effectuerez un dépôt ou un retrait, l’ordinateur effacera toute trace de provenance ou de destination de l’argent.

— Pourquoi un an ? demanda Spenser.

— Parce que, répondit Cabrillo, étant donné votre situation financière, si vous ne touchez pas à cet argent d’ici un an, c’est que vous êtes mort.

Spenser hocha la tête.

Puis Cabrillo lui tendit un dossier contenant un billet d’avion.

— Hong Kong-Dubaï, puis Dubaï-Paraguay, en première. C’est le premier vol disponible demain matin.

Spenser prit le billet.

— Voici dix mille dollars américains, dit Cabrillo en lui remettant une enveloppe. Une somme plus importante éveillerait des soupçons.

Spenser prit l’enveloppe.

— Voilà qui conclut notre accord, monsieur Spenser, dit Cabrillo. Nous avons appelé un taxi qui vous emmènera où vous le souhaiterez. Il se garera le long du bateau d’ici quelques minutes.

Le garde se leva et attendit que Spenser en fasse autant. Cabrillo s’éloigna.

— Puis-je vous poser une question ? demanda Spenser.

Cabrillo, qui venait d’ouvrir la porte s’arrêta, pivota et hocha la tête.

— Tout cela semble tellement parfait, dit Spenser. Où est le piège ?

— Il faut encore que vous réussissiez à gagner Hong Kong, répondit Cabrillo en passant la porte.

Sur le pont arrière de L’Oregon, George Adams attendait que la plate-forme se mette en place. Une pluie battante balayait le pont, accompagnée d’un vent est-ouest de vingt nœuds.

— Une fois que l’équipage aura verrouillé la plateforme, il va falloir faire tourner les pales de l’hélico en plein vent, dit-il. Et le décollage va être plutôt sportif.

Reyes hocha la tête et regarda un matelot qui poussait vers le monte-charge un chariot métallique contenant plusieurs caisses. Le technicien signala que la plateforme était verrouillée et Adams et Reyes s’approchèrent.

L’hélicoptère Robinson R-44 était un appareil de taille moyenne à moteur à pistons pouvant atteindre une vitesse de plus de deux cents kilomètres à l’heure. Il pesait sept cent dix kilos, avait un moteur de deux cent soixante chevaux et coûtait environ trois cent mille dollars.

Les deux hommes attachèrent des roues à l’appareil pour le faire pivoter, puis les enlevèrent et les tendirent au mécanicien.

— Nous avons réparti la teinture dans des sacs en plastique, comme vous l’aviez demandé, dit celui-ci.

Adams fit un signe d’approbation et se tourna vers Reyes.

— Garde la caisse à tes pieds, loin des pédales. Je descendrai aussi bas que possible, mais le vent va rendre le vol un peu mouvementé.

— Compris, fit Reyes.

Adams passa rapidement en revue l’hélicoptère, vérifia le niveau d’huile et l’état général de l’appareil, puis fit signe à Reyes.

— Grimpe, dit-il. On part en tournée.

Une fois les deux hommes installés à leur place, Adams se baissa et consulta la check-list de prédécollage. Puis il cria : « Paré » par la fenêtre et poussa le démarreur. Les pales se mirent alors à tourner lentement, puis elles prirent de la vitesse, faisant trembler et vibrer l’hélicoptère. Adams surveillait les jauges, et lorsque le moteur fut chaud et que tout se fut stabilisé, il parla dans le micro de son casque.

— Accroche-toi, Tom, ça va faire comme un saut de géant.

Neutralisant le manche cyclique, Adams leva rapidement la commande de pas et l’oiseau s’envola. Un instant après, Adams repoussa le manche cyclique vers l’avant et l’hélicoptère plongea dans le vent, en même temps qu’il s’élevait dans les airs.

Dégagé de L’Oregon, Adams se laissa porter par le vent ; il prit vers le large pendant un moment, puis commença à revenir vers Macao. Autour du genou de sa combinaison était attachée une sangle avec une pince métallique maintenant une feuille de papier indiquant les sorties des différents égouts.

— C’est parti, fit Adams, repérant l’arrivée des eaux usées dans la baie.

Reyes se baissa et sortit un sac de la caisse, l’ouvrit et le lança par la petite fenêtre côté passager. Le sac parcourut en tourbillonnant les trois mètres qui séparaient l’hélicoptère de la surface de l’eau, où il s’écoula comme le jus d’un steak saignant.

Au loin, un bateau de police entendit l’hélicoptère, sans pouvoir le localiser à cause de la pluie. Adams dirigea son appareil vers la côte, colorant toute l’eau sur la rive est de Macao. Puis il contourna l’extrémité de la presqu’île entre Macao et Taipa pour renouveler l’exercice.

L’inspecteur Po se gara devant le quartier général de la police de Macao, puis sortit sous la pluie. À l’est, le ciel s’éclaircissait un peu, mais la pluie ne diminuait pas.

Il entra dans le bâtiment et emprunta un ascenseur jusqu’au bureau de Rhee. Lorsqu’il atteignit la salle d’attente au bout du couloir, il sut instantanément que la situation était tendue. Le consul américain, le maire de Macao, un général chinois et quatre journalistes entouraient un homme tout de noir vêtu.

— On ne parle pas de vol à l’étalage ! s’exclama l’homme en noir d’une voix forte. Ils ont volé un Bœing 737, nom de Dieu !

Le milliardaire avait eu un coup de chance : alors qu’on lui avait refusé de passer un coup de téléphone, il avait été amené au quartier général pour y être interrogé. À peine entré dans le bureau de Rhee, il avait remarqué un exemplaire du magazine Fortune sur une table basse ; son visage s’étalait sur la couverture. À partir de là, tout était allé très vite.

En une seconde, le milliardaire était passé du statut de suspect à celui de victime.

Po s’approcha de Rhee, et l’entendit jurer en voyant la porte de l’ascenseur s’ouvrir, laissant apparaître Stanley Ho.

— Avez-vous retrouvé mon Bouddha ? demanda Ho dès qu’il fut à portée de voix.

— Qui est ce type ? demanda le milliardaire.

— Je suis Stanley Ho, répondit l’autre d’un ton excédé. Et vous, qui êtes-vous ?

— Marcus Friday, clama-t-il. Vous avez peut-être entendu parler de moi ?

— Et vous de moi, rétorqua Ho. Je suis sur la liste des plus grandes fortunes de Forbes.

— Je connais tous ceux qui sont avant moi sur la liste et vous n’en faites pas partie, assena Friday.

L’inspecteur Po sourit intérieurement. Si tout cela était vrai, c’était l’affrontement le plus cocasse qu’il ait jamais vu. Deux hommes d’une richesse indécente, qui rivalisaient comme des gamins voulant être choisis dans une équipe de foot.

— Ouais, commença Ho, en tout cas, je suis ici chez moi et vous pouvez aller…

— Monsieur Ho, intervint vivement l’inspecteur Po, si vous descendiez dans mon bureau afin que nous tirions tout ça au clair ?

— Je n’irai nulle part, proclama Ho.

— Que tout le monde se calme, déclara Rhee.

Il fit un geste en direction d’une salle de réunion, fit signe aux journalistes de rester à la réception et invita les autres à le suivre. Une fois que tous furent assis, il prit son téléphone et commanda du thé avant de parler.

— Bien, messieurs, articula-t-il lentement. Qui veut commencer ?

Ho dévisagea l’inspecteur-chef.

— Une statue de Bouddha que j’ai achetée pour deux cents millions de dollars en Suisse m’a été volée ce soir lors d’une réception chez moi. Je veux savoir si vous l’avez retrouvée.

— Moi j’ai perdu cent millions de dollars en bons au porteur et mon 737, dérobés par une bande de criminels, dit Friday, et j’exige de savoir ce qui se passe dans ce foutu pays.

Po se leva et fit quelques pas.

— Votre avion était-il évalué à plus de cent millions de dollars ? demanda-t-il à Friday.

L’Américain secoua négativement la tête.

— Donc on dirait que la plus grosse enchère de ce soir est de deux cents millions, dit Po.

Bouddha d'or
titlepage.xhtml
boudha_split_000.htm
boudha_split_001.htm
boudha_split_002.htm
boudha_split_003.htm
boudha_split_004.htm
boudha_split_005.htm
boudha_split_006.htm
boudha_split_007.htm
boudha_split_008.htm
boudha_split_009.htm
boudha_split_010.htm
boudha_split_011.htm
boudha_split_012.htm
boudha_split_013.htm
boudha_split_014.htm
boudha_split_015.htm
boudha_split_016.htm
boudha_split_017.htm
boudha_split_018.htm
boudha_split_019.htm
boudha_split_020.htm
boudha_split_021.htm
boudha_split_022.htm
boudha_split_023.htm
boudha_split_024.htm
boudha_split_025.htm
boudha_split_026.htm
boudha_split_027.htm
boudha_split_028.htm
boudha_split_029.htm
boudha_split_030.htm
boudha_split_031.htm
boudha_split_032.htm
boudha_split_033.htm
boudha_split_034.htm
boudha_split_035.htm
boudha_split_036.htm
boudha_split_037.htm
boudha_split_038.htm
boudha_split_039.htm
boudha_split_040.htm
boudha_split_041.htm
boudha_split_042.htm
boudha_split_043.htm
boudha_split_044.htm
boudha_split_045.htm
boudha_split_046.htm
boudha_split_047.htm
boudha_split_048.htm
boudha_split_049.htm
boudha_split_050.htm
boudha_split_051.htm
boudha_split_052.htm
boudha_split_053.htm
boudha_split_054.htm
boudha_split_055.htm
boudha_split_056.htm
boudha_split_057.htm
boudha_split_058.htm
boudha_split_059.htm
boudha_split_060.htm
boudha_split_061.htm
boudha_split_062.htm
boudha_split_063.htm
boudha_split_064.htm
boudha_split_065.htm
boudha_split_066.htm
boudha_split_067.htm
boudha_split_068.htm
boudha_split_069.htm
boudha_split_070.htm
boudha_split_071.htm
boudha_split_072.htm
boudha_split_073.htm
boudha_split_074.htm
boudha_split_075.htm
boudha_split_076.htm
boudha_split_077.htm
boudha_split_078.htm
boudha_split_079.htm
boudha_split_080.htm