***

Langston Overholt était assis dans son bureau de Langley. Il poursuivait deux communications en même temps ; l’une sécurisée avec Cabrillo sur L’Oregon, et l’autre avec l’amiral commandant les forces armées du Pacifique.

— Directive présidentielle quatre cent vingt et un, déclara-t-il à l’amiral. Dites-moi ce que vous avez dans les environs.

— Nous sommes en train de faire le compte, dit l’amiral. Je le saurai d’ici quelques minutes.

— Est-il possible de frapper les Chinois sans que les États-Unis soient impliqués ?

— Compris, monsieur Overholt, répondit l’amiral. Des forces fantômes.

— C’est exactement ça, amiral.

— Faites confiance à la Navy. Nous allons trouver un moyen.

La communication fut coupée ; Overholt raccrocha et s’adressa à Cabrillo :

— Tiens bon, Juan, déclara-t-il sereinement. Les renforts arrivent.

— Il est temps, déclara Cabrillo avant de raccrocher.

Au cinéma, lorsqu’un sous-marin se prépare à la bataille, c’est à grand renfort de sirènes et de gongs. Les hommes courent à leurs postes en empruntant d’étroites coursives et une tension palpable envahit l’écran.

La réalité est légèrement différente.

Le bruit à l’intérieur ou à l’extérieur d’un sous-marin, c’est l’ennemi : être repéré, c’est risquer la mort. À bord du sous-marin d’attaque Santa Fe de l’US Navy, les préparatifs de bataille ressemblaient plus à ceux du personnel technique installant le matériel d’un concert de rock qu’au chaos provoqué par une alerte à l’incendie dans un théâtre bondé. Une lumière rouge se mit à clignoter dans toutes les pièces et les couloirs et les hommes s’activèrent avec efficacité, mais sans précipitation. Les gestes qu’ils devaient effectuer avaient été mille fois répétés et leur semblaient aussi naturels que de prendre une douche et de se raser. Le commandant du Santa Fe, le capitaine Steven Farragut, se tenait près du poste de commande où il écoutait avec une assurance née de l’expérience les différents rapports des officiers.

— Pression OK sur les tubes un et deux.

— Reçu.

— Nous avons atteint la profondeur de tir, déclara le pilote.

— Excellent, répondit Farragut.

— Les détecteurs et brouilleurs de positions sont à cent pour cent, rapporta un autre officier.

— Parfait.

— D’après les radars, la voie est libre, commandant, intervint le maître principal. On dirait que nous sommes les seuls sur la zone. Nous pouvons commencer les opérations dans huit, je répète huit minutes.

— Noté, dit Farragut.

La grande bête remontait du fond de l’eau, prête à mordre si nécessaire.

Adams arriva en trombe dans la salle de contrôle de L’Oregon. Il était vêtu d’une légère combinaison de pilote ocre dont il remontait la fermeture Éclair en marchant.

— Monsieur le président, déclara-t-il avec un sourire d’une blancheur aveuglante, que puis-je pour vous ?

Cabrillo indiqua l’un des écrans d’ordinateurs.

— George, nous avons un problème. Les deux Zodiac, qui transportent sept membres de notre équipe, essaient de sortir des eaux de Macao, mais nous ne pouvons pas retourner les prendre car nous sommes nous-mêmes poursuivis.

Cabrillo passa à un autre écran.

— Comme vous le voyez, ils sont suivis. Il faut que vous leur veniez en aide.

— Je vais installer les nacelles d’armes expérimentales que M. Hanley a conçues pour le Robinson. Cela me fera des mini-roquettes et une petite mitrailleuse, donc je pourrai couvrir leur fuite.

— Et quid du système d’extraction ? demanda Cabrillo.

— Je ne peux pas faire monter sept personnes à bord, dit Adams. Je n’ai pas la puissance nécessaire.

— Ce n’est pas à ça que je pensais, dit Cabrillo. Laissez-moi vous expliquer.

Le capitaine Ching regardait l’écran de son radar. On lui avait ordonné d’intercepter un vieux cargo nommé L’Oregon, qui d’après la description du pilote, n’était qu’un vieux rafiot rouillé. Pourtant, Ching commençait à en douter : le Tempête filait à cinquante nœuds, et si le radar ne se trompait pas, le cargo était à quarante-cinq nœuds. S’il gardait cette vitesse, il aurait atteint les eaux internationales dans moins de cinq minutes et un abordage dans ces conditions risquait de créer un incident diplomatique majeur.

— Vitesse maximum, ordonna Ching à la salle des machines.

— L’hydroptère accélère, remarqua Hanley. À cette vitesse, ils vont nous intercepter une ou deux minutes avant la ligne de démarcation.

Cabrillo vit sur l’écran qui montrait la mer devant eux que les nuages s’éclaircissaient et qu’ils seraient bientôt sortis de la nappe de brouillard.

— Contactons-les par radio, décida Cabrillo, et exposons-leur la situation.

Stone alluma la radio tandis que Cabrillo appelait la salle des machines.

— Ici Reinholt, lui répondit une voix.

Cabrillo ne demanda pas à l’ingénieur blessé pourquoi il ne se trouvait pas à l’infirmerie. À l’évidence, il s’était senti assez en forme pour proposer son aide.

— Reinholt, dit-il vivement, y aurait-il un moyen de gagner encore quelques nœuds ?

— On y travaille, chef, répondit Reinholt.

Sous le pont, les nacelles d’armement avaient été attachées aux deux flancs du R-44. Tandis que le monte-charge soulevait l’hélicoptère jusqu’à son aire de décollage, Adams enfila une paire de gants de pilote Nomex et des lunettes de soleil teintées en jaune. D’excitation, il dansait d’un pied sur l’autre. Dès que le monte-charge fut arrêté et stabilisé, il courut vers l’appareil, fit une rapide vérification, jeta un coup d’œil au harnais puis se dirigea vers la portière du pilote. Il se glissait sur son siège lorsqu’un homme d’équipage accourut.

— Voulez-vous que je dégoupille ? demanda-t-il.

— Armez-moi, dit Adams, puis dégagez le pont. Je décolle dès que j’ai les bonnes températures.

L’homme se baissa, retira les goupilles des roquettes et vérifia la batterie de la mitrailleuse. Lorsqu’il eut terminé, il repassa la tête par la fenêtre.

— Vérifiez les voyants des armes.

Adams jeta un regard au petit écran attaché au tableau de bord.

— Je suis tout bon.

Le matelot ferma la porte et s’éloigna à toutes jambes. Adams lui donna quelques secondes puis il enclencha le starter. Quatre minutes et vingt-huit secondes plus tard, à l’aide du vent de surface créé par le navire, Adams décolla du pont, puis fit pivoter le R-44 en l’air, cap sur Macao.

Les Zodiac fendaient les flots à trente nœuds ; d’après leurs radars rudimentaires, ils se maintenaient tout juste hors de portée de leurs poursuivants. Le bateau de Seng, alourdi par le Bouddha, peinait à maintenir sa vitesse. Il avait poussé la manette à fond, mais il ne pourrait rien tirer de plus du moteur. Le brouillard et la pluie étaient encore épais et protégeaient les Zodiac mais Seng sentait qu’ils étaient tout juste à la limite de détection visuelle et sonore. À la moindre défaillance – un raté ou une surchauffe de moteur, une fuite dans les boudins gonflables qui les ralentirait -ils étaient cuits.

Alors que Seng ressassait ses idées noires, Huxley entendit l’appel radio de L’Oregon. Elle protégea son oreille avec sa main pour pouvoir saisir le message, bref et direct pour limiter les risques d’interception.

Les secours arrivent, dit Stone.

— Compris, répondit Huxley.

Elle se tourna vers Seng et Hornsby.

— L’Oregon envoie la cavalerie.

— Ce n’est pas trop tôt, dit Seng en regardant la jauge de température de son moteur, qui avançait insidieusement vers le rouge.

Non loin d’eux, le second Zodiac avait entendu le message. Kasim barrait, Meadows était à côté de lui et Jones allongé sur le ventre à l’avant. Lorsque Meadows eut entendu la nouvelle, il se retourna et s’accroupit pour en faire part à Jones, malgré le hurlement du vent et des vagues.

— Dommage qu’on ne l’ait pas su, souffla Jones. Je leur aurais demandé d’apporter de l’aspirine.

— Tu veux une autre bouteille d’eau ? demanda Meadows.

— Non, sauf s’il y a des toilettes à bord, grimaça Jones.

— Tiens bon, mon vieux, dit Meadows, on sera bientôt chez nous.

Comme un voleur à l’étalage aperçu de loin dans un magasin bondé, la silhouette de L’Oregon se précisait dans les jumelles de Ching à mesure que le brouillard se dissipait. Se concentrant sur la coque, Ching observa le sillage écumant tracé par le cargo ; il n’avait jamais vu ce genre de bateau laisser un tel sillage. La plupart des cargos qu’il avait interceptés – et ils étaient légion – avançaient aussi lentement que de lourds lamantins, tandis que ce navire iranien filait aussi vite qu’un étalon en chaleur.

L’eau autour de la poupe ne bouillonnait pas comme d’habitude ; elle semblait former des tourbillons concentriques qui aplatissaient l’eau comme si on avait versé un conteneur de glycérine par-dessus bord. Ching observa les ponts, mais il n’aperçut aucun membre d’équipage. Il n’y avait que des câbles rouillés et des tas de débris.

Si les ponts étaient déserts, L’Oregon n’avait pas pour autant l’apparence d’un vaisseau fantôme. Non, pensa Ching, sous sa coque métallique, il se passait un tas de choses. À ce moment précis, un hélicoptère de taille moyenne survola le Tempête à une centaine de mètres à bâbord, juste au-dessus de la crête des vagues.

— D’où venait-il ? demanda Ching au responsable de l’électronique.

— Quoi, monsieur ? demanda l’officier en relevant les yeux de son écran.

— Un hélicoptère, dit Ching, qui se dirigeait de la mer vers la terre.

— Je ne l’ai pas vu sur les radars, répondit l’officier. Êtes-vous certain de l’avoir vu à travers ce brouillard ?

— Oui, tonna Ching, je l’ai vu.

L’officier était petit et mince ; on aurait dit un jockey revêtu d’un uniforme. Ses, cheveux raides étaient d’un noir de jais et ses yeux marron injectés de sang à force de scruter le radar.

— Commandant, dit-il finalement, je ne comprends pas bien. Ce phénomène s’est répété plusieurs fois depuis le début de la poursuite. Tantôt le signal semble clair, tantôt il saute de l’autre côté de l’écran, comme un jeu vidéo de cache-cache.

— L’image n’a même pas une échelle correcte, dit le capitaine Ching.

— Elle grossit, puis elle diminue et atteint la taille d’une tête d’épingle, dit l’officier. Ensuite, elle saute à l’autre bout de l’écran.

Ching regarda par la fenêtre ; ils se rapprochaient de L’Oregon.

— Ils brouillent nos radars.

— Effectivement, je l’ai détecté.

— Alors, que se passe-t-il ?

L’officier prit le temps de réfléchir.

— J’ai lu un article scientifique traduit de l’anglais au sujet d’un système expérimenta] conçu par un ingénieur américain. Au lieu de faire disparaître les objets, comme avec la furtivité, ou d’utiliser des leurres ainsi que le font la plupart des systèmes de brouillage, celui-ci possède un ordinateur qui intercepte tous nos signaux radar et les reconstruit dans des formes et à des intensités différentes.

— Donc ce système peut les faire apparaître ou disparaître à leur guise ? demanda Ching, incrédule.

— C’est à peu près cela, capitaine.

— De toute façon, déclara Ching, un vieux rafiot comme ça ne peut pas posséder un tel équipement !

— Espérons que non, capitaine.

— Pourquoi cela ?

— Parce que cet article expliquait également qu’en changeant les dimensions de l’objet, on pouvait augmenter la force de frappe.

— Ce qui signifie ?

— Que si la frégate derrière nous ou la corvette d’attaque rapide qui sera bientôt à notre hauteur tirent des roquettes ou des missiles, avec ce système, ils pourraient les rediriger vers nous.

— Des missiles chinois qui couleraient un bateau chinois ?

— Exactement.

— À l’abordage ! cria Éric Stone.

Lincoln était à l’autre bout de la salle de contrôle, où il se livrait à un rapide contrôle de la batterie de missiles. Il étudia attentivement les graphiques qui s’affichaient sur son écran.

— Monsieur le président, je suis prêt, indiqua-t-il à Cabrillo quelques secondes plus tard.

Cabrillo se tourna vers Hanley.

— Voici comment je vois les choses. Le but de l’opération était de récupérer le Bouddha. Nous l’avons, mais il est encore dans une zone d’influence chinoise ; notre priorité doit être de hisser à bord nos équipes et la statue, tout en réussissant à prendre la fuite.

— Désolé de te le dire, Juan, mais j’aurais souhaité que le temps ne se dégage pas.

— Un vain souhait, mais je suis d’accord.

— Nous ne savons pas ce que l’US Navy nous envoie, fit remarquer Hanley, mais nous pouvons légitimement penser qu’il ne s’agira pas d’un bateau de surface ; nos radars ne détectent rien à cent milles à la ronde.

— Ils ont lancé des missiles de croisière depuis le golfe Persique jusqu’au centre-ville de Bagdad, déclara Cabrillo, donc nous pouvons espérer un soutien par missiles ou par avion.

— L’ennemi a des roquettes sur sa corvette, et des canons qui peuvent tirer des projectiles hautement explosifs ; la frégate devrait contenir des missiles de croisière chinois.

— Ils sont de bonne qualité ?

— Pas aussi précis que les nôtres, concéda Hanley, mais ils peuvent couler un navire.

— Et l’hydroptère ?

— Seulement des mitrailleuses sur le pont, dit Hanley.

— Les Zodiac, ils sont poursuivis par des vedettes du port ?

— En effet, dit Hanley. Deux vedettes en aluminium de quinze mètres avec un moteur diesel. Ils ont chacun une mitrailleuse à la proue.

— Les radios ?

— Rien de spécial, dit Hanley.

— Donc même si nous éliminons les vedettes du port, les Zodiac auraient quand même à passer à travers les griffes des trois navires qui nous poursuivent ?

— J’en ai bien peur.

Cabrillo se mit à griffonner sur un bloc-notes avec un marqueur noir. Lorsqu’il eut terminé, il le tendit à Hanley.

— Tu crois que ça peut marcher ?

— Ouais.

— OK, alors, déclara Cabrillo avec force, à tribord toutes ! Nous retournons vers les terres.

Bouddha d'or
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