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Michael Halpert pianotait sur le clavier de l’ordinateur dans la bibliothèque de L’Oregon. Il avait adoré jouer un rôle dans la réception à Macao et ressentir l’excitation du danger. Toutefois, son fort, c’était davantage les arcanes de la comptabilité et des réseaux bancaires qu’il avait mis en œuvre pour les activités de la Corporation. Dans ce domaine, Michael Halpert était un maître. Les subtilités des législations et la complexité des montages financiers le passionnaient : il adorait cacher les possessions de la Corporation comme une aiguille dans une botte de foin et créer de complexes réseaux de sociétés-écrans qui nécessiteraient des années de travail de comptabilité pour tout mettre à plat.
Aujourd’hui, il aurait besoin de tout son talent.
Halpert construisait ce qu’il aimait appeler un squelette : une série d’entreprises constituant les os qui soutiendraient le crâne, contenant le nerf central d’une opération. Chacune de ces activités devrait être structurée, financée et reliée à d’autres jusqu’à ce que la source véritable qui possède et contrôle ces sociétés soit aussi brumeuse qu’une matinée londonienne.
Il passa en revue une base de données des sociétés existantes disponibles.
D’abord, il construirait la boîte crânienne, le propriétaire final des sociétés qu’il allait créer. Il choisit pour cela une entreprise basée à Andorre, Cataluna Esteme, fondée en 1972 pour l’extraction et le commerce du plomb.
Andorre, avec son territoire de 468 kilomètres carrés perché dans les Pyrénées, compte une population d’environ soixante-douze mille habitants et sa première industrie est le tourisme, principalement le ski. Ce pays moderne et progressiste qui existait depuis 1278 n’avait jamais été utilisé par Halpert.
L’entreprise Cataluna Esteme avait été active dans l’industrie du plomb jusqu’en 1998, lorsque le vieux propriétaire de la mine avait été terrassé par une crise cardiaque lors d’un voyage à Paris. L’année suivante, le capital avait été distribué aux héritiers et l’entreprise elle-même était restée en sommeil, n’existant plus qu’au fond du tiroir d’un notaire dans la capitale de la principauté, Andorre-la-Vieille.
Halpert étudia l’histoire de la société et la trouva parfaite : elle ne manquait pas de crédibilité, avait vu transiter par ses coffres de grosses sommes au cours de son existence et, de plus, la loi andorrane lui offrait un bouclier de secret. Le stock restant était disponible pour cinquante mille dollars, une somme qui leur donnerait le contrôle total d’une entreprise vieille de plus de trente ans, avec une charte semblable à l’originale et dont la trace serait complètement impossible à retrouver.
Halpert décida d’acheter Cataluna Esteme.
Pour les pieds du squelette, il utilisa deux sociétés que possédait la Corporation, Gizo Properties, basée dans les îles Salomon, en plein Pacifique Sud, et Paisen Industries, domiciliée à Saint-Marin, sur la côte Adriatique. Halpert accéda par ordinateur aux comptes des entreprises et il déposa 874 000 dollars sur celui de Gizo Properties et 418 000 dollars chez Paisen Industries. En un clin d’œil, il avait déplacé 1,292 million sur des comptes déjà existants, mais cet argent n’y resterait pas longtemps.
Ensuite, Gizo Properties et Paisen Industries, grâce à une décision spéciale des actionnaires, élaborée et adoptée par Halpert, acceptèrent toutes deux d’acheter des parts dans deux autres entreprises, Alcato à Lisbonne, et Tellemedics of Asunción au Paraguay. Alcato construisait des composants électroniques pour les bateaux et Tellemedics fabriquait des équipements de télémétrie utilisés dans les hôpitaux à travers toute l’Amérique du Sud. La société portugaise avait une valeur comptable de trois millions de dollars et la paraguayenne, de presque dix millions.
Toutes deux étaient secrètement détenues par la Corporation depuis près d’une décennie.
Halpert étudia les bilans comptables et trouva assez de liquidités nécessaires pour son plan.
À présent que les jambes étaient en place, il chercha le torse.
Il lui faudrait une plate-forme capable de séduire les futurs partenaires de la Corporation, basée dans un pays ayant une stabilité politique solide comme un roc, une monnaie en béton et bénéficiant d’une reconnaissance mondiale dans l’univers financier. Pour cela, l’Europe centrale était tout indiquée : il trouva dans sa base de données trois sociétés qui pourraient convenir, l’une à Bâle, la deuxième au Luxembourg et la troisième, sa préférée, à Vaduz au Liechtenstein.
Va pour le Liechtenstein.
Albertinian Investments SA était une société de courtage en devises et or qui se portait comme un charme, surtout depuis la récente progression du prix des métaux précieux. Contrôlée secrètement par la Corporation, la société possédait un magnifique immeuble de cinq étages à Vaduz, dont elle occupait les deux derniers étages ; ses comptes présentaient un solde créditeur de plus de dix-huit millions de dollars et elle investissait fréquemment dans d’autres affaires prometteuses.
Ensuite, Alcato et Tellemedics prirent la décision, en conseil d’administration, de prêter chacune 1,25 million de dollars à Albertinian Investments. Cet argent provenait des fonds transférés par Gizo et Paisen ainsi que de leurs coffres. Albertinian Investments accepta de payer à chaque société des intérêts de sept pour cent sur le prêt, avec la possibilité de convertir les prêts en actions à un prix fixe sur une période de cinq ans. L’origine de l’argent devenait de plus en plus brumeuse à chaque minute.
Il y avait maintenant cinq millions de dollars de fonds blanchis chez Albertinian Investments.
Halpert sirota son thé glacé, puis il fit une offre d’Albertinian Investments pour racheter Cataluna Esteme au prix demandé, cinquante mille dollars. La transaction prendrait plusieurs heures au notaire d’Andorre-la-Vieille.
Ensuite, Halpert passa en revue une liste d’avocats espagnols avec qui la Corporation avait travaillé par le passé. Il en trouva un à Madrid, composa le numéro et attendit.
— Carlos le Second, s’il vous plaît, demanda-t-il en espagnol lorsque la standardiste répondit. Monsieur Halpert à l’appareil.
Quarante-deux secondes plus tard, l’avocat prit la ligne.
— Excusez-moi pour l’attente, monsieur Halpert, dit l’avocat. Que puis-je pour vous ?
— J’ai besoin que vous vous rendiez à Andorre immédiatement, dit Halpert. Nous achetons une nouvelle société.
— La procédure standard ? demanda l’avocat. Ouverture de comptes bancaires, locations de bureaux, etc. ?
— Tout à fait, répondit Halpert. Et c’est très urgent.
— Dans ce cas, je vais devoir affréter un avion, dit l’avocat. Je doute de trouver un vol commercial à cette heure-ci.
— Nous rembourserons vos frais, le rassura Halpert.
— Quelle est l’importance de la transaction, monsieur ?
— Le capital de départ sera de dix millions, répondit Halpert. Cinq seront prêtés par une de nos sociétés au Liechtenstein et cinq autres sous la forme d’une ligne de crédit, disponibles immédiatement.
— Je vois. Je pars sur-le-champ.
— Encore une chose, dit Halpert. Il faudrait que vous nous trouviez une agence de relations publiques à Andorre ; je sens que notre projet va attirer la presse.
— C’est tout ?
— S’il y a autre chose, dit Halpert, je vous contacterai lorsque vous arriverez à Andorre.
— Parfait, dit l’avocat avant de raccrocher.
Puis il se cala dans son fauteuil, le sourire aux lèvres. Il savait que ses honoraires déraisonnables lui seraient payés en espèces, et qu’ils ne figureraient pas sur sa feuille d’impôts. Attrapant son téléphone, il appela une compagnie aérienne pour affréter un avion privé.
— Comme un coup de pied au cul ! expliqua Cabrillo par-dessus le vrombissement du moteur.
Pilston referma la porte de l’Antonov, qu’elle maintint en place tandis que Michaels la verrouillait. Cabrillo posa la main sur le Bouddha pour reprendre son équilibre, puis il détacha son dossier de paperasses et le sachet de sandwiches, qu’il posa par terre afin d’ôter son harnais et de le ranger. Il promena son regard dans la cabine de l’Antonov, puis avança vers le cockpit.
— Alors Tiny, demanda-t-il en se glissant dans le siège du copilote, il vole comment, ce coucou ?
— Il est aussi lent et aussi stable qu’un chalutier, répondit Gunderson.
— Tu as pu dormir un peu ?
— Ouais, fit Gunderson. Tracy avait besoin de faire des heures de pilotage, donc c’est Judy et elle qui nous ont amenés du Viêt Nam jusqu’ici.
Cabrillo hocha la tête et se retourna vers le compartiment cargo.
— Comment ça s’est passé avec Mr. Silicon Valley ? demanda-t-il.
— On n’en est pas mortes, répondit Michaels.
— Je voudrais vous présenter mes excuses à toutes les deux, déclara Cabrillo. S’il y avait eu un autre moyen…
— Nous le savons, chef, dit Pilston. C’était juste un boulot et nous l’avons traité comme tel.
— Tout de même, dit Cabrillo, c’était au-delà de ce que nous avons le droit de vous demander. Il y a un petit bonus pour vous deux et Hanley vous a prévu un mois de repos payé.
— Merci, monsieur, dit Michaels. Il faut dire que ça aussi ça a amorti le choc.
Elle brandit le paquet de bons au porteur.
— J’espère, fit Gunderson, que tu parles au figuré.
L’ambassadeur des États-Unis en Russie prit une gorgée de vodka et sourit au président Poutine. Les deux hommes étaient assis devant un feu ronronnant dans les bureaux de la présidence à Moscou. Dehors, une intempérie de printemps touchait à sa fin après avoir précipité près de trois centimètres de neige humide sur le sol de la capitale. Bientôt, les premières fleurs sortiraient le bout de leur nez, puis tout reverdirait.
— De quel ordre de grandeur parlons-nous ? demanda Poutine.
— Des milliards, dit l’ambassadeur.
— Et la structure ?
— Comme vous le savez, dit l’ambassadeur en reprenant une gorgée, il ne s’agit pas d’une opération du gouvernement américain. Vous serez mis en relation avec une société à qui nous avons délégué un certain nombre de choses.
— Mais ces gens-là travaillent pour vous ?
— Pas sur le papier, dit l’ambassadeur, mais nous les avons déjà utilisés dans le passé.
— Donnez-moi des détails, dit Poutine en se levant pour ranimer le feu avec un tisonnier. J’aimerais savoir avec qui je vais m’acoquiner.
— Ils se nomment eux-mêmes la Corporation, exposa l’ambassadeur. Ils s’occupent de certaines affaires délicates pour nous ou pour d’autres gouvernements. Cette entreprise a de grands domaines de compétences, des fonds extrêmement importants et une parfaite réputation d’intégrité.
— On peut leur faire confiance ?
— Ils n’ont qu’une parole, confirma l’ambassadeur.
— Et qui dirige cette Corporation ?
— Un dénommé Juan Cabrillo.
— Je le rencontre quand ? demanda Poutine en tournant le dos au feu et reposant le tisonnier à sa place, avant de se rasseoir.
— Il sera à Moscou en fin de soirée, dit l’ambassadeur.
— Parfait. Je suis ravi d’avoir l’opportunité de l’entendre.
L’ambassadeur termina son petit verre de vodka et refusa d’un geste que Poutine le resserve.
— Maintenant dites-moi, demanda-t-il, est-ce que les Chinois vous mettent la pression.
— Oui, admit le Président, mais pour le moment nous pouvons faire face.
— Si cela devient nécessaire, demanda l’ambassadeur, êtes-vous prêt à attaquer ?
Poutine indiqua un dossier sur la table.
— Le plan est là, dit-il. En moins de vingt-quatre heures, nous pouvons traverser le bassin de Tarim à la vitesse de l’éclair et atteindre la frontière du Tibet.
— Espérons que nous n’en arriverons pas là, dit l’ambassadeur.
— Si je devais ordonner ce mouvement, dit Poutine, je veux un soutien officiel de votre Président. C’est la seule possibilité.
— Nous ne pensons pas que vous y serez obligé, dit l’ambassadeur ; cela n’ira pas aussi loin.
— Sachez tout de même, dit Poutine, que si je suis en première ligne, lui aussi.
— Je lui transmettrai le message.
— Ils sont arrivés de nulle part, déclara le chef des services secrets chinois.
Le président Hu Jintao considéra l’homme avec un mépris à peine dissimulé.
— Cinq cents moines bouddhistes sont sortis des limbes, dans le parc du Peuple, en plein centre de Pékin ?
L’homme ne pipa mot. Il n’y avait rien à répondre.
— Ils chantent et ils lancent des appels pour la libération du Tibet ?
— Oui, monsieur.
— Quand avons-nous été confrontés pour la dernière fois à une protestation tibétaine ?
— À Pékin ? cela fait plus de dix ans, dit l’homme des services secrets. Et encore, la manifestation, peu importante, avait été facilement dispersée.
— Et qu’en est-il de celle-ci ?
— Elle grossit à chaque minute, avoua l’homme.
— Les Russes sont en train de faire de grandes manœuvres de guerre à la frontière avec la Mongolie, j’ai des séparatistes tibétains au centre de Pékin et je ne sais pas ce qui se passe à Macao. Décidément, ce printemps n’amène pas que le parfum des fleurs.
— Voulez-vous que j’ordonne à l’armée de disperser la foule ? demanda le chef de la sécurité intérieure.
— Absolument pas, répondit Jintao. Notre image est encore ternie depuis Tian An Men et c’était pourtant en 1989. Si nous utilisons la force contre des moines bouddhistes pacifiques, cela aura des répercussions pendant des décennies.
— Alors nous ne faisons rien ?
— Pour le moment, répondit Jintao. Jusqu’à ce que nous découvrions ce qui se trame.
— Où en est-on sur ce dossier ? demanda le président des États-Unis.
— Officieusement, monsieur ? fit le directeur des services de renseignement.
— Je ne vous ai pas fait entrer discrètement à la Maison-Blanche par le souterrain pour qu’on discute de ce que je vais dire ce soir chez Larry King. Oui, complètement officieusement.
— Tout cela progresse très bien, déclara le directeur du renseignement. Et nous sommes protégés par un blindage de démentis diplomatiques qui ne pourrait pas être percé avec une arme antichar.
— Dans combien de temps devrai-je intervenir ?
— Demain, si tout se déroule selon nos plans.
— Eh bien, assurez-vous qu’il en est ainsi.
— Oui monsieur le Président, répondit le chef du renseignement, tandis que le Président sortait et empruntait le couloir pour regagner la salle où se déroulait un dîner officiel.
L’Oregon fendait les flots. Il était prévu que le bateau fasse escale à Hô Chi Minh-Ville. Une fois sur place, les hommes et femmes de terrain dont on aurait besoin au Tibet seraient débarqués et s’envoleraient dans un C-130 vers le Bhoutan. Puis L’Oregon poursuivrait sa route ; après avoir doublé Singapour, il traverserait le détroit de Malacca vers le nord, jusqu’au golfe du Bengale, pour arriver au Bangladesh le jour de Pâques.
L’Oregon ne pouvait pas approcher davantage du Tibet.
Aucun membre de la Corporation n’aimait que le bateau, avec tous ses équipements électroniques et sa puissance de feu, soit si loin du théâtre des opérations.
L’Oregon était la ligne de vie de son équipage, leur maison loin de chez eux, leur ancrage dans la mer tourmentée où ils opéraient.
Ross et Kasim faisaient de leur mieux pour aplanir les difficultés.
— J’ai testé la liaison par satellite, dit Kasim. L’Oregon pourra jouer son rôle de poste de commande et de contrôle. Tout le monde sera joignable soit par radio, soit par ligne de téléphone cryptée.
Ross leva les yeux de son écran.
— Je programme les drones, dit-elle. Nous en avons deux ; c’est moins que ce que j’aurais voulu, mais ça coûte un fric fou.
— Qui les pilotera ? demanda Kasim.
— Il faudra être à moins de quatre cent cinquante kilomètres, dit-elle. À Thimbu ou bien carrément au Tibet.
Kasim hocha la tête.
Elle parcourut une liste des membres de l’équipage avec leurs qualifications.
— Nous sommes quatre à avoir cette qualification. Toi, moi, Lincoln et Jones.
— Lincoln serait aussi discret au Tibet qu’une débutante à un concours de tir à la corde. S’il téléguide le drone, au moins il sera caché dans une tente. À ta place, je recommanderais à Hanley de le mettre sur ce boulot.
Ross opina.
— Il est bon, dit-elle, et les drones ont une importance cruciale ; ils seront nos seuls yeux dans le ciel. Si Lincoln parvient à les maintenir au-dessus de l’aéroport de Lhassa, la salle de contrôle pourra suivre d’ici le déroulement des opérations.
— De quoi disposent les Chinois au Tibet pour éliminer les drones ?
Ross consulta la liste du matériel chinois qui avait récemment été dérobé au Tibet par le mouvement de libération clandestin.
— Quelques vieux canons de DCA et une batterie de missiles vieille de plus de dix ans. Autour de l’aéroport Gonggar, près de Lhassa, il n’y a pas grand-chose, dit-elle. Apparemment, quelques avions-cargos, des hélicos et les fusils que portent les troupes.
— Je te conseille de faire une note à Hanley pour désigner ces canons comme premières cibles, dit Kasim, et qu’ensuite Lincoln fasse voler seulement un drone à la fois.
— C’est ce que je pensais, dit Ross. S’il les fait voler suffisamment haut, il pourra avoir une vue de toute la ville, tout en maintenant l’oiseau hors d’atteinte des tirs.
— Logique, dit Kasim.
— Qu’est-ce que tu as trouvé comme émissions de télévision et de radio ?
— Il y a une chaîne de télévision et deux radios, dit Kasim. Il faudra que nous prenions rapidement le contrôle des trois pour maintenir le peuple tibétain informé.
— Que dit le rapport ? demanda Ross. Est-ce que les médias feront corps contre les Chinois au moment décisif ?
— C’est ce que nous pensons, et à ce moment-là, Dieu vienne en aide aux Chinois.
— Tu penses aux Dungkar ?
— C’est un mot tibétain qui désigne les merles au bec rouge, dit Kasim. La branche armée du mouvement de libération tibétain.
Ross jeta un coup d’œil à la feuille qui donnait des éléments sur ce mouvement.
Lorsque l’heure viendra, nous nous nourrirons des carcasses de l’oppresseur, les becs seront rouges et le jour sera noir comme la mort.
— Ça donne le frisson, dit Kasim.
— Ah, dit Ross, et moi qui croyais que c’était la clim.
Un étage en dessous de Ross et Kasim, Mark Murphy se trouvait dans l’armurerie. Munitions et caisses étaient empilées sur un côté, et Sam Pryor et Cliff Hornsby les emmenaient lentement vers l’ascenseur, qui les transporterait jusqu’à l’espace de stockage du niveau supérieur, prêtes à être déchargées à Da Nang. Sur chaque caisse, Murphy apposait un autocollant rouge, sur lequel il inscrivait le contenu de la caisse avec un feutre, tout en fredonnant une chansonnette.
— Moi, je vais faire péter plein de trucs demain. Demain, ça va péter, croyez-moi.
Pryor s’essuya le front avec un mouchoir avant de se pencher pour saisir une nouvelle caisse.
— Dis-moi, Murph, tu es sûr que tu as prévu assez de C-6 ?
— On n’en a jamais trop, fit Murphy en souriant, enfin à mon avis. Allez, ce n’est pas périssable, et tu ne sais jamais ce qui peut te tomber dessus.
— Tu en as assez pour faire sauter une pyramide égyptienne, dit Hornsby qui revenait dans l’armurerie après avoir déposé sa caisse dans le monte-charge, et assez de mines pour créer des ondes de choc détectables sur un sismographe.
— C’est pour l’aéroport, dit Murphy. Tu ne veux quand même pas que les Chinois puissent faire atterrir leurs troupes, si ?
— Atterrir ? s’exclama Pryor. Si tu utilises tout ça, il n’y aura même plus d’aéroport.
— J’ai un autre plan pour une partie des mines, dit Murphy.
— J’ai comme l’impression que tu as vraiment hâte d’y être, fit remarquer Hornsby.
Murphy se remit à chantonner en s’approchant des caisses de missiles Stinger pour y apposer les étiquettes rouges. Laissant échapper un long sifflement, il le ponctua en imitant le bruit d’une explosion.
Hornsby et Pryor continuèrent à charrier leurs caisses.
— Je n’aimerais pas me disputer avec ce gars-là, dit Pryor.