***

À l’arrière de la maison, la scène était moins violente. L’unique garde posté à la porte de la cuisine avait été surpris dans son sommeil et cette négligence professionnelle lui sauva la vie. Reyes avança silencieusement jusqu’à lui et lui décocha une balle de son fusil paralysant, puis il demanda à un Tibétain de le bâillonner et de le ligoter avant qu’il ait rien pu faire. Ensuite, Reyes crocheta la serrure et entra. Il avait gravi la moitié de l’escalier, les deux Tibétains sur ses talons, lorsque le cor sonna.

C’est alors que Reyes les vit.

Trois hommes désarmés en haut de l’escalier. Il voulut attraper son pistolet calibre. 40 dans son holster, mais avant qu’il ait pu tirer, un domestique tibétain surgit derrière eux et lança un garrot en cuir au-dessus de leurs têtes et le resserra. Leurs têtes se cognèrent et leurs jambes commencèrent à s’emmêler lorsque le gamin resserra la corde. Reyes fit signe à un Dungkar d’aller lui prêter main-forte, et se dirigea quant à lui vers la porte de la chambre de Zhuren. Il s’arrêta une seconde pour prendre le temps de bien viser et lança sa botte noire bien cirée juste au-dessus du bouton de la porte. Celle-ci s’ouvrit en grand et il entra. L’homme, qui était couché, voulut se lever et se frotta les yeux, puis il se précipita vers sa table de nuit. Reyes tira dans le bois de lit au-dessus de la tête de l’homme et la pièce se remplit de l’odeur de la poudre.

— Si j’étais vous, dit Reyes, je ne ferais pas ça.

— Je n’ai pas une très bonne visibilité, admit Gurt.

Les nuages étaient devenus plus nombreux à l’approche de la passe. La neige et la pluie cinglaient le pare-brise du Bell, qui montait toujours, mais sans presque progresser vers l’avant. Ils volaient à l’aveuglette, à la limite des capacités de l’appareil.

— Je vois une route, cria soudain Murphy, à bâbord !

Gurt repéra la bande noire sur le fond blanc. Le passage des véhicules sur le terrain avait déplacé presque toute la neige, ne laissant plus que la terre et la roche.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Gurt en plissant les yeux.

— Je crois que c’est une colonne de chars, répondit Murphy.

— Je vais prendre par le côté, dit Gurt, à l’abri des nuages.

Sur le bord de la route, un officier chinois regardait plusieurs soldats réparer une chenille qui avait déraillé. Il entendit l’hélicoptère au loin et monta à bord pour en informer sa hiérarchie par radio.

— Je ne sais pas ce que c’est, répliqua son supérieur, mais vous feriez bien de le découvrir.

Sortant la tête par l’ouverture, l’officier cria des ordres à ses hommes et leur tendit des fusils. Deux minutes plus tard, les soldats gravissaient la pente, laissant derrière eux leur char accidenté.

— Voilà la crête, cria Murphy. Trouve un endroit pour te poser.

Gurt manipula la commande de pas, mais à cette altitude, il avait un faible contrôle.

— Cramponne-toi ! hurla-t-il.

L’atterrissage ressembla plutôt à un crash maîtrisé : les patins cognèrent contre le sol, mais ils tinrent bon. Murphy détachait déjà son harnais de sécurité.

— Chauffeur, dit-il avec un sourire, laissez tourner le compteur ; j’en ai pour une minute.

Il ouvrit la porte, descendit et se dirigea vers le compartiment cargo. Il en sortit des bottes de neige qu’il enfila, puis il mit un autre manteau par-dessus le sien avant de fouiller dans une caisse, d’où il sortit plusieurs éléments et les mit dans un sac à dos.

— Toi tu gardes le fort ! cria-t-il devant l’hélicoptère. Je vais installer les charges.

Gurt hocha la tête et regarda Murphy disparaître dans les rafales de neige. Puis il tripota le bouton de la radio. Comme il ne trouvait rien d’intéressant à écouter, il revint sur la fréquence normale.

— Sherpa, Sherpa, Sherpa, ici L’Oregon, terminé.

Dans la salle de contrôle, Éric Stone posa sur Hanley un regard inquiet.

— C’est la cinquième fois et toujours rien.

— Sherpa, Sherpa, Sherpa, ici L’Oregon, terminé.

— Oregon, ici Sherpa, répondit Gurt. Je vous reçois cinq sur cinq.

Il y eut un délai de deux secondes tandis que le signal rebondissait sur l’ionosphère et revenait vers le bateau.

— Où êtes-vous ? demanda Hanley en s’emparant du micro.

— Nous sommes sur le site, déclara Gurt. Votre homme vient de sortir pour se rendre à son rendez-vous.

— Nous venons d’intercepter une communication ennemie, le prévint Hanley. Quelqu’un vous a entendus et on lui a demandé de partir à votre recherche.

— C’est une mauvaise nouvelle, Oregon, répliqua vivement Gurt. Je n’ai aucun moyen de rejoindre Murphy ni de le prévenir. En plus, il va nous falloir un petit moment pour décoller.

— OK, déclara Hanley, nous allons envoyer un signal à Murph sur son biper ; nous lui dirons de retourner vers votre position. En attendant, ouvrez l’œil, et si vous voyez quelqu’un approcher, vous décollez. Envoyez un ordre de repli à Murphy, ordonna-t-il à Stone qui se mit à taper sur son clavier.

— J’ai une visibilité de dix à douze mètres, annonça Gurt, et je n’abandonnerai pas Murph ; ça, pas question.

— Non, ce n’est pas ce qu’on vous…, commença Hanley.

— Oregon ! l’interrompit Gurt. Des soldats chinois arrivent vers moi.

Murphy, courbé en deux, plaçait les explosifs dans la neige lorsque son biper sonna. Il finit d’attacher le cordon du détonateur, puis se leva et sortit le biper de sa poche.

— Merde ! s’exclama-t-il en ouvrant l’interrupteur qui lui permettrait de déclencher l’explosion à distance.

Puis il attrapa son M-16 qu’il portait en bandoulière dans le dos et se remit en marche vers l’hélicoptère.

Gurt attrapa derrière lui un revolver accroché sur un râtelier. Les soldats chinois progressaient tant bien que mal dans la neige épaisse, mais ils avançaient sûrement en direction du Bell. Bien qu’armés de fusils, ils n’avaient pas encore tiré.

Murphy courait tant bien que mal, avançant aussi vite que possible avec ses bottes de neige. Tout en courant, il déplia un lance-grenades. Attrapant une grenade dans son sac à dos, il l’inséra dans le lance-roquettes. Il était sur la crête lorsqu’il aperçut les soldats chinois, à moins de quatre-vingts mètres du Bell. Murphy évalua son angle de tir et lança une grenade. Elle passa au-dessus de la tête des soldats et explosa. Ils tombèrent à plat ventre dans la poudreuse.

— Mais qu’est-ce que… ? commença Gurt lorsqu’il aperçut Murphy au loin.

Après avoir modifié le mélange du carburant, Gurt essaya de décoller. Rien. Murphy n’était plus qu’à six mètres et il courait vers l’hélicoptère. Les premiers soldats chinois se relevèrent et épaulèrent leurs fusils. Gurt se mit à tirer par la fenêtre avec son revolver. Puis Murphy se joignit à la bagarre avec son M-16. Plus que trois mètres. Gurt tendit la main et ouvrit la portière du copilote. Murphy arrêta de tirer, enleva son sac qu’il posa délicatement derrière son siège et monta à l’intérieur en gardant son M-16 sur les genoux. Gurt tirait au revolver tout en triturant la commande de pas.

— Salut, fit Murphy à la faveur d’un instant de calme. Quoi de neuf depuis mon départ ?

— Nous ne pouvons pas décoller, dit Gurt avant de tirer quelques coups de feu. Il va falloir traire le manche cyclique pour nous faire décoller.

Les soldats n’avançaient plus. Maintenant, ils creusaient une tranchée afin de s’abriter pour tirer. Murphy passa entre les sièges pour se glisser à l’arrière et ouvrit les portes du compartiment cargo.

— Arrête de tirer et fais-nous décoller, Gurt. Moi je m’occupe d’eux.

Traire le manche cyclique est mauvais pour les hélicoptères : cela consiste à remuer le manche cyclique d’un côté puis de l’autre tout en pompant sur la commande de pas. Cela peut créer une portance quand on n’en a pas, mais cela peut aussi provoquer des heurts entre le mât qui soutient les rotors et les autres parties de l’appareil. On court ainsi le risque d’entailler ou de briser le mât.

Sans mât, il n’y a plus d’hélicoptère.

La fusillade avait débuté si rapidement que le commandant du char chinois n’avait pas eu le temps de préparer ses hommes. Mais maintenant qu’il avait eu quelques minutes et que ses soldats s’étaient abrités derrière des murs de neige, il commença à lancer des ordres pour concentrer les tirs sur la bonne cible.

Gurt remua le manche cyclique dans les deux sens et le 212 se souleva légèrement.

À ce moment-là, l’officier chinois cria à ses hommes d’avancer et le premier rang se leva. Au même instant, Murphy lança la grenade, qui quitta le lanceur avec un sifflement et une odeur de brûlé qui emplit la cabine. Elle atterrit à deux mètres du premier soldat et explosa. Murphy vida un chargeur de fusil-mitrailleur. Il le remplaça et s’apprêta à tirer de nouveau.

Soudain, Gurt arracha le Bell du sol et essaya de s’éloigner des tirs ennemis.

Ils étaient à une trentaine de mètres des Chinois lorsque Murphy eut vidé son deuxième chargeur et la neige ensanglantée où étaient tombés les soldats commençait à devenir floue. Il rechargea son M-16, passa le fusil dans une seule main, et de l’autre, appuya sur le détonateur.

Le C-6 explosa avec une force équivalente à cinq tonnes de TNT. Un bloc de neige se détacha de la montagne et recouvrit les soldats chinois. Puis l’avalanche déferla sur la route, véritable mur de glace et de neige haut de six mètres. Solidaires, de plus petites chutes de neige se produisirent sur les flancs opposés, à cause de l’onde de choc qui avait secoué les rochers et la terre. Ces avalanches ajoutèrent encore deux à trois mètres de neige aux chutes précédentes. Les quelques soldats qui avaient survécu à la fusillade furent enterrés sous le mur de neige.

Bouddha d'or
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