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La place Barkhor s’emplissait rapidement de Tibétains. Le système de bouche à oreille qui fonctionne en temps de crise faisait des merveilles. À quatre pâtés de maisons, un détachement de soldats chinois tentait de se frayer un passage en cars blindés jusqu’à la place, après avoir reçu un appel indiquant qu’il y avait eu des événements chez le Président.
Les Tibétains encombraient les rues et la progression était lente.
— Piper, Piper, ici Mascarade.
— Mascarade, ici Piper, nous vous recevons.
— Demandons exfiltration immédiate, dit Reyes. Nous avons la cible.
— Annoncez point d’exfiltration, Mascarade.
— Emplacement un, un, premièrement, Piper. Emplacement un, trois, deuxièmement HH.
— Coordonnées de l’exfiltration bien reçues, Mascarade ; ils arrivent dans trois minutes.
L’hélicoptère qui les avait déposés au fleuve, et qui attendait à un endroit situé à mi-chemin entre Lhassa et l’aéroport, reçut l’ordre de décoller. Une fois que l’hélicoptère fut en route, le pilote regarda la carte des points d’exfiltration qui avaient été prévus et les compara avec la note qu’il venait de gribouiller sur le bloc attaché à son genou. Il vola rapidement et à basse altitude en direction de la place Barkhor.
À Little Lhassa, le dalaï-lama attendait dans la salle des communications près d’un poste radio. Au cours des dernières minutes, son réseau d’informateurs au Tibet avait commencé à lui rapporter les événements qui se déroulaient. Jusqu’ici au moins, l’opération semblait se dérouler sans heurt.
Il se tourna vers un aide de camp.
— Les préparatifs pour notre voyage sont-ils achevés ? demanda-t-il.
— Dès que nous aurons reçu le signal de M. Cabrillo, Votre Sainteté, répondit-il. En deux heures de vol, vous serez sur place.
Le dalaï-lama réfléchit un instant.
— Après le décollage, reprit-il, au bout de combien de temps survolerons-nous le Tibet ?
— Environ une demi-heure, Votre Sainteté.
— À présent, je vais aller au temple pour prier, dit le dalaï-lama en se relevant. Continuez à surveiller la situation.
— Oui, Votre Sainteté.
Chuck Gunderson aidait George Adams à se sangler dans l’hélicoptère d’attaque. Aucun des casques chinois du hangar n’était assez grand pour lui et il utilisait donc son casque habituel équipé de micros et relié à la radio. Il était engoncé dans son siège comme une fille un peu grosse moulée dans du Lycra.
— C’est pas vraiment fait pour des grands costauds comme nous, lança Adams.
— Tu devrais voir le mien, rétorqua Gunderson. Les Chinois continuent à privilégier la quantité sur la qualité. Dans mon cockpit, je me croirais en pleine Seconde Guerre mondiale. J’ai tout le temps l’impression que la radio va passer des morceaux de Glenn Miller.
— Regarde-moi ce tableau de bord, fit Adams tandis que Gunderson terminait et se remettait d’aplomb sur le marchepied. Il y a plus de métal là-dedans que sur une Chevrolet 57.
À ce moment-là, Eddie Seng arriva à grandes enjambées.
— Il faut décoller et dégager la piste. Cabrillo vient d’appeler, il est à cinq minutes.
Gunderson rabattit le bouclier de Plexiglas au-dessus de la tête d’Adams et le verrouilla. Puis il tapota sur le dessus et indiqua à Adams qu’il était prêt. Il descendit de l’échelle et fit signe aux Tibétains de s’éloigner. Tandis qu’il se rendait avec Seng vers l’avion-cargo, il entendit les turbines de l’hélicoptère d’attaque qui commençaient à tourner.
— Monsieur Seng, demanda-t-il. Quelles sont les dernières nouvelles ?
— J’ai interrogé le lieutenant chinois qui était le plus gradé ici, dit Seng ; il n’a pas eu le temps de joindre Pékin avant d’être capturé.
— Donc pour l’instant, résuma Gunderson en arrivant à la porte de l’avion-cargo, on n’a pas à redouter une attaque aérienne chinoise qui viendrait d’ailleurs que du Tibet ?
— Si les Russes font leur boulot et continuent à occuper les Chinois, dit Seng, votre rôle sera d’assurer un soutien aérien rapproché à l’armée des Dungkar.
— Je ferai de mon mieux, dit Gunderson en grimpant dans l’avion.
— Parfait, dit Seng en donnant une claque sur le flanc de l’avion. Allez, au boulot, le chef arrive !
À cet instant, Adams tira sur la commande de pas et l’hélicoptère chinois décolla. Il tangua un peu le temps qu’Adams prenne ses marques, puis il avança, se libéra de l’effet de sol et s’élança en direction de Lhassa.
Gunderson remonta jusqu’au cockpit, s’installa dans son siège et commença à faire tourner les moteurs. Lorsque les deux émirent un vrombissement régulier, il se retourna vers les quatre soldats qui s’occupaient de la mitrailleuse à l’arriéré.
— Bon, les gars ! cria-t-il pour couvrir le bruit des moteurs. Je vous dirai à quel moment et dans quelle direction faire feu. Pour le moment, on se fait juste une petite balade.
Ça ne semblait pas trop compliqué, sauf qu’aucun des Tibétains n’avait jamais pris l’avion.
À bord de L’Oregon, Hanley articulait d’une voix claire devant son micro :
— Je viens de prévenir votre contact, dit-il. Le signal, ce sera des flashes lumineux rouges.
— Nous allons au lieu prévu ? demanda Murphy.
— Oui, répondit Hanley. En ce qui concerne Gurt, je viens d’avoir Huxley : il faut appliquer une pression directe sur la blessure dès que possible.
— Est-ce que vous nous voyez sur les images de surveillance satellite ? demanda Murphy.
— Oui, répondit Hanley en regardant son écran. Vous êtes environ à cinq minutes du point de rendez-vous.
— On vous rappelle après atterrissage, dit Murphy.
La communication fut coupée et Hanley appela Seng.
Briktin Gampo s’assura que les signaux lumineux rouges fonctionnaient bien, puis il regarda le ciel. Les nuages étaient bas, presque brumeux, mais d’une seconde à l’autre, ils se déplaçaient, révélant des coins de ciel. Il entendit au loin un hélicoptère approcher. Il rentra sous la tente, fit infuser du thé et ressortit pour attendre son arrivée.
— J’en vois un ! dit Murphy avec un geste de la main.
Au cours des dernières minutes, le visage de Gurt avait viré au gris. Murphy voyait les gouttes de sueur perler sur son front et la main qui contrôlait l’hélicoptère tremblait.
— Je commence à voir des taches noires, dit Gurt. Il va falloir que tu me guides pour l’atterrissage.
Le décollage de l’avion-cargo se fit dans un bruit assourdissant. Eddie Seng était obligé de hurler au téléphone.
— C’est grave ? demanda-t-il à Hanley.
— On ne sait pas, répondit-il, mais il faudrait envoyer quelqu’un tout de suite. Le trajet vers le nord prend deux heures. S’ils n’ont pas besoin d’aide, on pourra toujours rappeler l’hélico.
— Compris, dit Seng.
Puis il se dirigea vers la clinique improvisée pour voir si Huxley avait trouvé quelqu’un ayant des compétences médicales. Cinq minutes plus tard, l’hélicoptère, réservoir plein, décollait, avec à bord un soldat tibétain ayant une petite expérience d’infirmier et du matériel de soin.