L’AVOCAT CAMÉ
par H.H. Hollis
L’inconscient est le théâtre des véritables luttes que se livrent les êtres humains. Comment parvenir à la révélation la plus complète de la sincérité que demande la Justice, sinon en pénétrant dans le territoire de l’inconscient où le mensonge n’est pas possible, grâce à l’usage de drogues.
CORKY CRAVEN eut son sifflement joyeux coupé net en plein glissando quand il franchit l’entrée du rez-de-chaussée du vieux tribunal du comté de harris. Une porte de verre se referma sur lui dans une aspiration pneumatique et l’air trop utilisé de l’intérieur le prit à la gorge. Quand la puanteur des drogues, des sueurs d’angoisse et de la misère humaine l’enveloppait, le premier réflexe de Craven était toujours la nausée. Son costume fraîchement repassé se mettait à fondre. Sa peau bien astiquée le démangeait de saleté. La magnifique matinée de printemps qu’il venait de quitter aurait tout aussi bien pu ne pas être.
Ce n’était pas la première fois que l’homme de loi marmonnait pour lui seul : « Il y a sûrement des façons plus faciles de gagner sa vie. » Avec une grimace, il tâta dans sa poche intérieure son étui de secours, puis, par excès de précaution, le tira et l’ouvrit pour s’assurer qu’il était bien bourré d’hallucinogènes. Deux semaines avant, il s’était trouvé à court de scopolamine et avait dû recourir à l’étui de son adversaire, pour une dose. Ce souvenir lui ébranlait encore la tête. « Le salaud avait dû truquer sa scopo avec du L.S.D., j’en suis certain. » Craven resta parfaitement immobile dans la minuscule antichambre du tribunal, le temps de respirer profondément à six reprises. Mieux valait s’immerger tout de suite dans l’atmosphère de ce vieux mausolée de brique et de granit. Sinon, les relents de drogue et de déchets corporels pouvaient amener de vraies nausées et rien ne manquait autant de dignité qu’un avocat en train de vomir.
Dans un étroit corridor du premier étage, Corky trouva un vieil huissier, dans une cabine d’écoute et de vision, la tête penchée, comme un chat dans une jatte de crème. Il secoua l’homme par le coude. « Allons, voyeur, cette boîte n’est pas destinée aux audiences publiques. »
D’une voix de pie, le curieux répondit : « Ils n’en ont pas terminé avec le divorce Dingle, hier. Jetez un coup d’œil. Cette Judy Halfchick, elle fait passer des rêves dans les couilles des deux avocats du vieux Dingle ! »
En secouant le bras du délinquant sénile, Craven referma la porte, mais pas avant d’avoir aperçu les trois corps frissonnants et traversés de spasmes, et d’avoir reniflé brièvement le mélange du jugement. Son nez lui disait que l’on avait recouru au penthotal de sodium pour prise rapide, à un des champignons pour l’exposé des faits, et… quelque chose – il renifla de nouveau, son intérêt professionnel éveillé –, à l’un des excitants pour les maintenir alertes.
« Hlavcek, rectifia-t-il. Elle s’appelle Judith Hlavcek. Maître Hlavcek. Et sortez d’ici ! Trop d’air et de bruit, et ils reprennent conscience, et alors le cinquième étage leur accordera le vice de forme et vous en prendrez vous-même pour votre grade ! » Souriant, il reprit sa marche dans l’étroit couloir. Il entendit une porte s’ouvrir derrière lui, puis le claquement rapide des talons de Judith Hlavcek. Sans cesser de sourire, il songeait au procès. Comme il savait bien ce qu’ils faisaient ! Avec trois points de jonction dans l’appareil fixé à chaque poignet gauche – c’était l’insigne de l’avocat au barreau, aussi clairement que la perruque l’avait été dans le passé – ils échangeaient entre eux assez de sang pour garantir la simultanéité et l’homogénéité de leurs perceptions modifiées, tandis que par le triple projecteur sensoriel ils étudiaient les versions différentes de la même histoire que chacun avait puisée dans le cerveau de son client.
Corky secoua la tête au bruit des talons de maître Hlavcek. Vice de forme, certainement. Elle aurait de la veine de s’en tirer avec une simple réprimande du Comité des Torts, pour avoir interrompu l’audience ! Toutes les complications d’une nouvelle entrevue avec le client. Les profanes ne tenaient pas le coup sous les drogues comme savait le faire un avocat endurci, et si le client perdait le fil de son récit ou l’embellissait de trop d’émotion, la dernière ressource était l’ingestion directe des faits. On avait vu des clients refuser d’abandonner les quelques cellules corticales qui, une fois centrifugées et cultivées, seraient avalées par l’avocat ; alors intervenait l’Article 212b. Le client qui refusait à son avocat la préparation physique au témoignage tombait sous le coup de tous les commandements de rigueur du Tribunal, jusqu’à l’interdiction de présenter simplement sa propre cause. Craven avait de la peine pour maître Hlavcek. Rien de pire que d’être lié par fil avec un avocat dans le cortex auquel tous les faits se gravaient alors que l’on n’avait plus d’autre ressource que de le combattre sur des points de forme.
Les bras de Judith Hlavcek l’enlacèrent par-derrière. Il s’immobilisa. Elle pressait son doux visage contre le dos du veston de Craven. Il fit un pas, elle enroula la jambe autour de la sienne. Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et comprit en voyant son visage baigné de larmes qu’il ne pouvait pas l’abandonner. Au diable la probation de l’affaire Hazlitt ! songea-t-il. Il tendit la main pour ouvrir la porte d’une des cabines d’écoute et pressa le bouton du battant qui éclairerait sur le panneau l’indication Conférence en cours. Elle lui serra l’épaule. « Pas dans cette pièce », fit-elle d’une voix de gorge.
Hansl Pahlevski, son adversaire dans l’affaire Hazlitt, lui pinça à son tour l’épaule. Judith Hlavcek disparut en secouant la tête par la porte sombre de la cabine qu’il avait mise en service. Craven déglutit. « C’est vrai. Notre affaire passe à trois heures aujourd’hui, hein ? J’avais oublié.
— Pas la peine de me jouer le cinéma du « j’avais oublié ». Vous n’avez même pas encore oublié votre premier « cafard » à l’école de droit. »
Craven rit. « C’est vrai… nous fumions en effet cette saloperie d’excitant pendant les études de bibliographie juridique. N’était le temps qui s’étirait ainsi, croyez-vous que nous serions allés jusqu’au bout de l’index tri-dimensionnel du Corpus Juris Tertium ?
— Foutre non, et je n’y suis jamais arrivé. Je me suis fait coller tout ça dans le crâne par Pi-Ching le Suédois à l’aide d’un paquet de graines de gloire du matin. »
Ils entrèrent dans la cabine qui leur était affectée pour l’affaire Hazlitt. « Pourquoi l’appelait-on le Suédois ? Je n’ai jamais réussi à piger.
— Il prétendait avoir ingurgité tout le cours de Droit de Propriété I et II en fumant une pipe d’épluchures de pommes de terre irlandaises. Une sacrée pipe, hein ?
— Ouais. Et qu’est devenu le Suédois ?
— Il est avec notre ambassade à Pékin… pour s’efforcer de lancer les néo-maoïstes sur l’opium rectifié. Mais jusqu’à présent, pas de fumée ! De toute façon, les gens qu’on lui permet de rencontrer sont très conservateurs. Ils se donnent leurs sensations avec le tabac et le thé. »
Craven tira de sa poche son étui et l’ouvrit sur la petite table fournie aux avocats. « Prêt ? »
Pahlevski mit sa chaise en équilibre sur les deux pieds de derrière. « Il doit bien exister un moyen plus satisfaisant que ça pour concilier les points de vue.
— Oui, on pourrait convenir d’essayer avec des témoins vivants, comme on le faisait aux âges d’obscurantisme. »
Pahlevski éclata de rire avec lui. « Bien sûr. Ou en combat singulier. Je vous prendrais bien… au sabre de cavalerie.
— Oui, probablement ; mais que penseriez-vous de se mettre au démérol ?
— Oh ! Non, protesta l’autre. On s’endort trop vite.
— Très bien. Nous devons nous procurer quelques faits par hallucination. Allons-y. Quel est votre poison préféré ?
— Laissons la Cour en décider. »
Ils manipulèrent le petit pupitre de commande de la table et obtinrent le coup de marteau d’un juge de service. En prenant grand soin d’agir simultanément, chacun d’eux pressa le bouton de la drogue procédurale de son choix, et aussitôt l’ordre écrit leur parvint : L.S.D. 3.
— Merde ! fit Craven. La deuxième fois de la semaine. Je vais bientôt devenir un mordu psychologique de cette eau de vaisselle. On échange les aiguilles, Polly ?
— Foutre pas ! répondit Pahlevski. Les flacons, oui ! »
Ils échangèrent en silence leurs fioles et chacun d’eux emplit une petite seringue. Ils se piquèrent au même instant, puis s’occupèrent de leurs capuchons à l’intérieur desquels seraient projetés leurs rêves. Quand les parois de la pièce commencèrent à onduler, chacun d’eux ouvrit l’appareil de son poignet pour y fixer le tube du mélangeur de sang. En poussant un soupir, Craven s’étendit sur la couchette pour être plus à l’aise.
Aussitôt, une procession de beautés voluptueuses commença à défiler à l’avant-scène de son cerveau. « Comment Hansl peut-il bien s’y prendre ? songeait-il. Il doit bien y avoir autre chose dans sa vie hors le tribunal que ces filles. Toujours des filles, avec lui. » Comme sa légère désapprobation donnait un aspect boueux aux couleurs des filles, la réaction de Pahlevski les fit plus douces, plus rondes, plus tentantes. Craven entreprit de projeter à son adversaire des filles maigres, et en un instant les filles de Pahlevski étaient devenues si grasses et celles de Craven si maigres qu’elles se transformèrent en rangées de chiffres binaires. Puis Corky se rendit compte qu’elles répétaient en morse : « Tapettetapettetapettetapettetapette…»
Il renifla. Cette contraction musculaire en profondeur se traduisit par la fragmentation des silhouettes de chiffres, et l’hémisphère de projection devint sombre. Il le resta longtemps, en pulsations de noir sur noir, sans connaissance, sans réaction.
Craven sommeillait tout en retournant au fond de sa tête la matrice industrielle du litige. L’effluent empoisonné d’une usine automatisée s’infiltrait dans un cours d’eau. Le cours d’eau était vaseux, rempli d’algues. Une contraction de son cortex, et l’eau devint claire et étincelante. Des poissons sautaient au-dessus de la surface et le courant était plus rapide sur les pierres propres du fond.
Au moment où l’image se fixait à la surface interne du projecteur, un gros nuage bouillonnant d’eau sale le recouvrit et il comprit avec un choc violent qu’il était maintenant entouré par la vision qu’avait Hansl Pahlevski du même cours d’eau. Puant, foutu, mort, l’eau stagnante épaisse comme de l’huile lui pénétrait dans les oreilles et la bouche. De même qu’elle lui montait aux narines. Craven rechercha clans son esprit la jolie petite rivière qu’il avait rêvée ; mais elle refusait de reprendre vie. Dans un haussement mental d’épaules il abandonna le domaine idyllique pour modifier l’image conformément à la réalité. Au moins le soleil pourrait briller. Au moins l’eau ne serait pas forcément puante. Elle faisait vivre quelques carpes et des tortues, et là ! Oui, un poisson-chat. Une tortue plus âgée apparut, se chauffant au soleil sur une roche. Bon, pas une roche. Un baril à pétrole ; mais la tortue avait au minimum vingt ans. L’eau n’était pas morte.
Un poisson aiguille enflé descendait le courant, le ventre en l’air, avec une pénible lenteur. Corky accéléra le courant et par un terrible effort de volonté, le tout simultanément, retourna l’aiguille qui repartit en nageant vivement, et suscita un jeune garçon souriant en jean déchiqueté, qui lança des pierres à l’aiguille tant qu’elle resta en vue.
L’instant suivant, l’enfant était devenu le crétin-type. Plus de mâchoire inférieure. La salive lui dégoulinait de la lèvre supérieure. Il ouvrit sa braguette et urina maladroitement dans l’eau malodorante.
Craven laissa l’enfant qui ressemblait de plus en plus à un singe à chaque fraction de seconde et élargit le champ de son rêve. Quand tout le paysage fut en place, l’origine de la pourriture de l’eau apparut au premier plan. Un flot bondissant et exubérant de phénol coupé d’un ruban d’acide sulfurique usé s’échappait d’une buse qui sortait tout droit d’une boîte sinistre en béton. Pas de raison sociale sur la façade, mais juste au-dessus de la buse, une enseigne au néon annonçait : « Fairlawn Chemicals, Inc. »
Craven sentait que Pahlevski frémissait physiquement tant il objectait à cette image. Les pierres se mirent à fondre et la buse rapetissa. En se servant d’un judo mental qui lui acquérait rapidement une solide réputation dans la communauté juridique, Corky laissa la buse tomber aux dimensions d’un tuyau d’arrosage de jardin, qu’il multiplia dans le temps de décharge d’un neurone. Il y eut dix tuyaux à déverser du phénol dans le cours d’eau ; puis il y en eut vingt. Quand ils furent cent à vider des souillures dans l’eau désespérée, il cligna les paupières et s’adressa à Judith Hlavcek. « Plus qu’une minute. Maintenant, je l’ai mis en fuite. »
Par malheur, elle apparut presque immédiatement à l’avant-plan du projecteur, jetant dans le cours d’eau des boîtes à bière et les reliefs d’un pique-nique.
Craven se sentit sursauter et faire des bonds de carpe sur sa couchette. « Bon Dieu de bon Dieu, songeait-il, on ne peut pas se détendre un seul instant. » Il s’assit à demi, sentit les doigts frais de Judith qui le repoussaient à plat, la vit lui envoyer un baiser dans le projecteur et disparaître à l’angle de l’usine, talons claquant et cheveux au vent. Il se concentra sur des tronçons du ruisseau tel qu’il avait été, avec des oiseaux voletant, des abeilles bourdonnant, pour revenir à l’immense buse bouillonnante de phénol rouge raisin et au cours d’eau tel que l’avaient fait les clients de Pahlevski, une laide et purulente maladie qui se répandait dans le sol, où les seuls bourdonnements n’étaient plus que ceux des mouches et de quelques moustiques téméraires.
Bien que l’image eût des ondulations et des secousses, elle tenait bon, elle tenait, elle tenait.
Craven se mit à exulter et, en cet instant de décontraction, une vilaine horde de petits êtres apparut, qui jetaient des excréments et des ordures dans l’eau. Il resta un moment médusé, mais ne put réprimer un rire. Intéressantes, diaboliquement drôles, les attitudes et les petites manières des clients de Craven, mais Pahlevski les avait réduits à une taille qui exprimait son opinion de leurs dimensions morales et les avait multipliés en une folle bande de souriceaux qui déchiquetaient des journaux et les jetaient dans l’eau, si bien que la mare au bord de laquelle ils couraient s’était transformée en un marécage vaseux, pulpeux. Plus haut, la buse déversait une eau aussi claire que du gin, étincelante, qui rejaillissait sur la fosse d’impuretés créée par les clients de Craven.
Toutefois l’image avait toute la fragilité de la satire. Elle se mit à onduler de plus belle et se fracassa tandis que les deux avocats s’esclaffaient. Les gloussements de Craven continuèrent même à déformer la projection alors qu’il la replaçait selon sa position déclarée. Il posa rêveusement la couleur de l’effluent tout en solidifiant l’usine de Pahlevski et sa buse fétide. Un instant, il élargit le champ pour montrer le cours d’eau sur quinze cents à deux mille mètres, parce qu’il éprouvait un indéfinissable sentiment d’erreur, juste au-delà de son champ visuel.
Et bien sûr, quand Craven revint à un foyer normal, il fut évident que Pahlevski avait travaillé sur les aspects périphériques du paysage. L’eau n’était plus en mouvement et, d’après la pente du sol, il était évident qu’il ne s’était jamais agi d’un ruisseau en course libre. L’eau stagnait et l’effluent de l’usine disparaissait en silence dans un cours déjà mort, qui ne bougeait pour ainsi dire pas. Plus bas, la nature réellement nocive de cet égout à ciel ouvert se renforçait encore d’une rangée de cabinets d’aisance suspendus de façon insensée au-dessus de l’eau. Le client principal de Craven, le visage visiblement satisfait, sortait d’une de ces cabanes en remontant la fermeture de son pantalon.
Corky passa à la vue de la pente de la colline qui montrait bien que la perspective plate sous laquelle Pahlevski bouclait le ruisseau n’était qu’une illusion et qu’il y avait une dénivellation suffisante pour que le cours d’eau coule lentement. Quand la crête de la hauteur apparut, le domicile du client de Craven devint visible. C’était une villa magnifique dans le style château de béton, préféré des architectes de Houston ; elle avait de toute évidence coûté dans les cent cinquante mille dollars. Comme cette projection était la reproduction par Craven d’une photo parue dans un journal, la maison présentait la trame de la photogravure ; toutefois, ses dimensions et son luxe ostentatoire démentaient les cabinets d’aisance rustiques, en faisant une tromperie, qui disparut avec les autres.
Tout cela fut remplacé par un plan souillé de réseau d’égouts. Pahlevski fit apparaître le numéro d’identité de l’ingénieur dans le coin inférieur droit et Corky comprit qu’ils regardaient vraiment le relevé des égouts au voisinage du ruisseau pollué. Des flèches lumineuses se mirent en mouvement sur le diagramme, signalant les fuites, les trous en surface, l’insuffisance des installations d’évacuation, et d’autres points d’où les produits polluants s’écoulaient dans le ruisseau.
Malgré tous les efforts de Craven, sa propre carte du même secteur des égouts de la ville s’imposa immédiatement sur celle de Pahlevski. Les deux coïncidaient à quatre-vingt-dix pour cent et l’écran prit une teinte dorée quand un transparent émanant de l’ordinateur qui dirigeait le débat se superposa avec l’inscription : « Stipulé ». C’était la première interruption de l’assaut de prétentions et d’affirmations, et ce serait dorénavant une ferme bouée autour de laquelle les rêves des avocats, malgré leurs tourbillons, devraient obligatoirement couler.
Le dos de Craven s’arqua en un réflexe incontrôlable quand il lutta pour revenir à la projection de l’usine de produits chimiques. Il se mit sur le flanc, ramena les genoux au ventre et les entoura de ses bras, prenant la position qui, depuis l’enfance, lui avait donné dans la vie réelle les rêves les plus précis. Dégoulinant de sueur, il sentait ses yeux rouler d’un angle à l’autre et comprenait que son cerveau se préparait à une puissante poussée dans le conflit juridique.
Une minute encore s’écoula avant que son coup d’œil rapide ait pu produire son effet, et alors il arracha irrésistiblement le mur de pierre de l’usine, réalisant par la force de son imagination ce qui lui avait été refusé lors de l’enquête préliminaire, avoir une vue réelle des installations intérieures. La décision du juge auxiliaire en service avant que la motion ait été entendue avait considéré que l’usine renfermait des secrets commerciaux, non soumis à brevets, mais de haute valeur, et qu’il n’était pas possible de les révéler au cours d’une inspection des lieux sans causer à la société de chimie un tort bien supérieur à la gêne ressentie par Craven pendant la préparation du procès.
Une fois la motion acquise, Craven avait réussi à découvrir un opérateur d’alambic congédié depuis deux ans par la corporation, de Pahlevski, qui lui avait fourni volontiers une quantité de renseignements. Toutefois, comme l’homme n’était pas partie au jugement, Corky avait dû tout apprendre verbalement. Aucun témoin ne pouvait être placé sous l’influence des drogues sans son consentement, et, de plus, l’opérateur était Témoin de Jéhovah, avec tous les préjugés indéracinables de cette secte contre les drogues et les modifications de l’esprit.
En conséquence la projection donnée par Craven de la structure intérieure de l’usine était grise, noire sur les points pour lesquels il manquait d’informations, déformée, et traversée par les lueurs incertaines de l’inachevé. Il était cependant en mesure de se fixer sur l’échangeur massif qui procédait à la fonction principale de l’usine en relâchant du phénol comme sous-produit. De l’endroit où cela se passait, Corky projeta une simple buse démunie même d’un regard pour les travaux éventuels et d’un coffre de recueil des déchets solides. En outre, la buse débouchait droit au-dessus de la surface du ruisseau. A ce moment, les renseignements sûrs entrèrent en jeu et la netteté tranchante de l’image donna à penser à Craven qu’il pouvait tenter d’extraire des informations supplémentaires du cerveau de Pahlevski. Les yeux roulant sous ses paupières, Craven immobilisa l’image de la sortie de la buse et exerça la contraction corticale qui faisait sortir l’image correspondante du cerveau de Pahlevski. Alors même que la pellicule dorée disparaissait, laissant visible l’inscription « Stipulé », Craven se convulsait, sentant tout son système nerveux se contracter sur la succion mentale qui lui permettait d’atteindre l’image qu’avait Pahlevski de l’intérieur de l’usine. Avec une soudaineté brutale, elle se transmit à l’écran.
L’avocat se rendit compte que les proportions qu’il avait projetées étaient erronées, parce que son informateur avait omis de lui parler d’un grand et massif ensemble d’appareils et de tuyauteries qui occupait un bon tiers de l’espace au sol. Il se tordit en une onde sinueuse qui s’acheva par un craquement effrayant au joint lombo-sacré de sa colonne vertébrale, absorbant la multiplicité des serpentins et des tuyauteries pour donner toute sa signification à l’image, et en fut récompensé par un éclair doré et l’apparition des caractères de stipulation, ce qui l’autorisait maintenant à tenter d’arracher à Pahlevski des précisions sur la nature de l’opération.
Les tensions et les contusions cérébrales causées par la mise en conformité des trois images forcèrent les deux avocats à rester inertes sur leurs couchettes, en masses de chair flasque, pendant que leurs cerveaux puisaient dans le réseau nerveux et son enveloppe charnue l’énergie nécessaire pour continuer. Dans le projecteur, Pahlevski apparut à genoux, se cachant les yeux des deux mains. C’était la seule échappatoire aux rêves de la drogue : le refus de voir.
Pendant un court moment, le projecteur fit passer des teintes neutres, des nuages et des éclairs indéterminés émanant de l’énergie de hasard accumulée dans les deux systèmes nerveux. En une répétition lente et rythmée d’éclairs d’énergie, le visage de Judith Hlavcek prit forme, la bouche en cœur, les yeux grands ouverts, exactement son expression avant un baiser.
Craven sentit une de ses mains sur sa poitrine, tandis que de l’autre elle soulevait partiellement le capuchon. Elle se pencha doucement sur lui. « Polly est sur le cul. Laissez-le ronfler une minute. Vous avez besoin de souffler, vous aussi. »
Elle s’accroupit près de la couche, pour lui masser les joues. Elles étaient colorées de sang comme chaque fois que le cerveau absorbait toutes les ressources du corps pour le combat des rêves. « Écoutez, c’est dimanche que je déménage, vous vous rappelez ? Pouvez-vous emprunter cette camionnette et arriver à sept heures ? Je vous offrirai le petit déjeuner. »
Un œil toujours sous le capuchon, il s’imagina en train de se glisser d’un grand lit dans une chambre confortable où Judy, en déshabillé diaphane, debout sur le seuil, l’invitait du doigt en lui montrant une poêle contenant deux œufs frits à la perfection. « D’accord. Je ne peux pas parler en ce moment. Nous en sommes au nœud de l’audience.
C’est au prochain rêve que je perds ou que je gagne. »
Souriant, il se remit en position sous le casque et entreprit de modifier les éclairs neuroniques en un « V » de l’alphabet morse… « Victoire, Victoire, Victoire », émettait-il, et soudain, il se projeta lui-même, la main droite levée, deux doigts écartés pour former le signe de la victoire. Il obtint pour réponse une représentation en couleurs vives de l’usine de produits chimiques qui avait en quelque sorte le visage et l’attitude corporelle de Hansl Pahlevski. De tous les orifices du Pahlevski-Usine émanait de l’encens et l’avocat ouvrit la fermeture de son blouson, révélant du même coup une tour de précipitation en acier inoxydable et un cercle de réservoirs inoxydables. Il devenait clair que la tour s’intégrait au processus de fabrication et que les réservoirs emmagasinaient un effluent qui avait permis des bénéfices marginaux en augmentant le volume des opérations. Un schéma se surimposa et il fut évident que l’eau utilisée dans le circuit était en majeure partie recyclée. Le peu de déchet restant s’évacuait par une petite buse qui fut agrandie pour que Craven puisse distinguer les jauges de surveillance de la teneur. L’eau n’avait certes pas la clarté du cristal, mais elle ne dégageait pas de fumée ni de vapeurs comme l’égout de Saruman.
Corky projeta une autre surimposition : « Quand ? »
Il entendit soudain la musique que Pahlevski flûtait tranquillement en arrière de cette vision idyllique. C’était la vieille chanson prophétique « En l’année 2525 ». La répugnance de Craven devant ce rejet aux calendes grecques de l’équipement antipollution était si profonde qu’il parla réellement, s’attirant ainsi une réprimande du juge de l’étage, dont le projecteur dessina progressivement la silhouette. « Merde alors ! ne constitue pas une objection recevable. Les objections doivent être projetées, non pas formulées en paroles. »
Il faillit s’asseoir, mais une nouvelle violation patente de l’étiquette du tribunal risquait de causer un tort irrémédiable à son client. Dans un effort, il s’allongea tout raide sur sa couche et projeta l’hymne de l’année en cours : « Maintenant ! Ohé ! Le Monde, c’est Maintenant même ! » Corky n’adoptait pas l’idée religieuse qu’impliquait la chanson, mais les paroles s’adaptaient bien à sa position juridique.
Il entendait Pahlevski s’agiter sur l’autre couche et sur la surface concave de l’écran jaillit soudain un montage insensé des grandes et des demi-grandes figures de l’histoire industrielle de l’Amérique. Leurs bottes écrasaient des forêts, leurs bouches avalaient des fleuves, leurs narines aspiraient l’air en tornades ; mais sur leurs dos et leurs épaules s’entassait une pyramide croissante à donner le vertige de consommateurs dont les gorges vomissaient un ample chœur de louanges. A toutes l§s secondes il y avait un vote sur la vie d’une vallée, la coloration d’une rivière ou l’odeur de l’air pour certains, et c’était toujours la production qui gagnait. Et d’une façon ou d’une autre, malgré les changements apportés à la face du monde, les hordes sans cesse accrues qui suivaient les pas des industriels trouvaient à se loger. L’éclat dont tout cela s’entourait s’intensifiait, et à l’avant marchait l’Oncle Sam, barbe blanche au vent, une expression de bon sens et de charité chrétienne illuminant ses joues en pomme et ses yeux pétillants.
Craven se contenta d’un unique commentaire. Dans le coin supérieur gauche de l’image, il fit apparaître le président Pao, qui ne parvenait pas à dissimuler entièrement son sourire en contemplant l’Amérique qui s’ensevelissait elle-même dans ses propres ordures. D’une convulsion de son réseau nerveux, Corky effaça l’image de l’écran auquel il conféra un ton gris neutre. Avec soin mais aussi avec puissance, il rappela les conformités déjà enregistrées. Il dut bien reconnaître l’existence de fuites du réseau public d’égouts, mais c’était minime en regard de la buse sans filtres ni systèmes de dépôt qui emportait l’effluent de l’ensemble des serpentins et tours de raffinage dont Craven avait dû arracher l’image du cerveau de Pahlevski. Il insistait impitoyablement sur cette vue d’ensemble, en évoquant des parties différentes pour souligner son point de vue, et finalement Pahlevski, résigné, se mit à surimposer : « Et alors ? Et alors ? Et alors ? Et alors ? »
Craven laissa dégouliner le phénol sur l’écran et commença à rassembler les éléments d’une image montrant un ruisseau non pollué, ni empoisonné ni échauffé au-delà du point de tolérance du poisson, mais il vit alors que Pahlevski projetait de son côté une usine améliorée par l’adjonction d’une mare de dépôt juxtaposée. L’effluent se perdait dans la fosse de décantation et l’eau qui se répandait ensuite dans le cours d’eau par un petit déversoir était presque claire. Des points d’interrogation défilèrent alors en ruban par-dessus l’image.
Craven fit brusquement basculer un enfant dans la mare de décantation. Alors même que le petit finissait son hurlement de terreur dans un gargouillis, une haute palissade de planches s’éleva, peinte de façon à en faire une œuvre d’art. Sans hésiter, Craven expédia des gosses résolus du voisinage qui escaladèrent en essaim la clôture pour se précipiter dans la fosse. Certains en ressortirent en titubant, aveugles, d’autres flottaient en silence à la surface, d’autres encore n’étaient que blessés et effrayés, mais aucun ne put franchir de nouveau la palissade sans laisser derrière lui une partie de son être. Avec une rapidité à soulever le cœur, l’avocat fit alors passer l’enregistrement d’un fait divers réel de l’année antérieure où un enfant avait glissé dans l’eau à quelques mètres en aval de la buse meurtrière. Le visage accusateur de la fillette emplit l’écran, les ordures dégoulinant de ses cheveux, un œil tout blanc, privé de vue à jamais.
Pahlevski ne parvint pas à effacer cette image malgré les piles de dollars qu’il amassa pour montrer combien la société avait payé, car Craven élargit le champ assez rapidement pour démontrer qu’il n’avait été ordonné de payer cette somme qu’après un âpre procès… et une demande adressée à l’ordinateur d’en haut signala que l’affaire de l’enfant borgne était toujours en appel.
Maintenant l’avocat rassemblait ses forces pour un heurt important. Au fond de son système nerveux central, des réactions primitives commençaient à bouillonner. A titre de diversion, il projeta sur l’écran la dernière réunion annuelle du Sierra Club à Houston, auquel un conservateur vénérable aux cheveux blancs parlait avec affection de la partie du Grand Fourré que l’on avait sauvée de la destruction. A ce point de son discours, le vieil homme abaissa un écran et, se retournant vers la salle, demanda : « Première diapositive, s’il vous plaît. »
En pleine concentration, Craven projeta un rapport dont il connaissait l’existence, mais auquel il n’avait pu obtenir accès. C’était l’exposé sur une page d’un plan de commercialisation à faible bénéfice de l’effluent liquide de l’usine. Le nœud de l’affaire, il savait que c’était une usine de matières plastiques sise à quelques pâtés de maisons de distance, en mesure d’utiliser presque sans manipulation les déchets et réjections des clients de Pahlevski. Pour transporter le plus économiquement ces matières, il faudrait construire un pipeline et installer un système de filtrage avant que l’effluent passe dans la conduite. Les lignes dactylographiées coulaient et sautaient dans cette projection faite de devinettes pour une moitié.
Pahlevski résistait avec une obstination désespérée. Sans cesse un grand manteau gris venait brouiller le rapport, y inscrivant en caractères maigres les mots cabalistiques : « Décision de la Direction. » Parfois remplacés par : « Responsabilité de la Direction. »
Craven saisissait bien la manœuvre. Ajouter un cycle automatique de déversement à un plan de production ne signifie nullement que ce soit à la fois économique et profitable. Il faut quelqu’un qui s’en occupe, quelqu’un qui mette le produit sur le marché, quelqu’un pour recueillir le prix des ventes, et quelqu’un pour expliquer aux actionnaires pourquoi cela ne s’inscrit pas dans le graphique d’ensemble des bénéfices de leur société. Toutefois, les frais d’une œuvre utilitaire ne constituent jamais une défense juridique en fonction de sa nécessité, à moins que lesdits frais soient destructeurs sur le plan économique… et même pas alors, si la société veut que ce soit fait. Craven maintint fermement sa prise et en fut récompensé par l’image du rapport authentique qu’il extrayait molécule après molécule des réserves d’acide désoxyribonucléique du cerveau de Pahlevski.
Il y eut un éclair blanc, aveuglant, et quand Craven fut en mesure de voir de nouveau, Pahlevski gisait devant lui, nu, jambes écartées, testicules offerts à un coup de pied. L’avocat chancela ; il se trouvait face à la position classique de l’adversaire sans défense. Tout comme le loup vaincu tend la gorge au loup plus fort pour le coup de grâce, Pahlevski s’exposait au choc le plus douloureux que l’homme puisse subir. Il avait ainsi dépouillé du procès la dernière trace de réalité purement objective pour projeter sur l’écran le point crucial psychologique où étaient parvenus les deux avocats. Craven, en sa qualité d’homme, ne pouvait pas décocher le coup de pied… en toute connaissance de cause ; mais un professionnel doit faire de ces choses qui sont interdites aux profanes. Il cligna les paupières et donna une secousse à ses deux hémisphères cérébraux. Quand il regarda de nouveau, au lieu de Pahlevski, c’était Judith Hlavcek qu’il voyait dans la même posture. Mais de sa part à elle, ce n’était pas une invite au coup de pied.
Tout en trébuchant de hâte, Craven se débarrassa de son caleçon et se jeta sur la femme. Il en fut récompensé par un cri d’agonie poussé par Pahlevski et par un grand éclair doré qui surimposa au rapport, en lettres d’or : « Le défendeur installera des filtres et organisera le transport de l’effluent, en passant le contrat le plus favorable possible avec es Nallard Plastics ou tout autre acheteur éventuel. A compter de ce jour, la buse ne pourra plus servir à l’évacuation de déchets quelconques dont la pollution serait supérieure à celle de l’eau de pluie. Les avocats présenteront l’injonction rédigée en conséquence. »
Craven arracha le capuchon de sa tête et s’assit. Les mains tremblantes, il détacha le tube d’amenée de sang de son bracelet. Encore chancelant de ses efforts, il s’approcha de la toilette et du lavabo dans le coin de la pièce. Après s’être soulagé, il s’aspergea d’eau le visage. Comme toujours, il avait expédié ses deux chaussures pendant l’audience. Ses vêtements étaient littéralement trempés d’une sueur acide. La dernière personne devant laquelle il eût voulu se trouver était bien Judith Hlavcek, quand elle franchit la porte. « Non, non, protesta-t-il quand elle lui glissa les bras autour au corps. Vous ne savez pas. » Il se souvint brusquement de son épouvantable manœuvre à la fin du procès, et il se raidit.
« Je sais, je sais. Quoi que ce soit, je le sais. Ne vous en faites pas, drôle de garçon. » Elle l’embrassa sur l’oreille et s’esquiva par la porte tandis que Pahlevski se relevait péniblement de sa couchette, la main sur la bouche.
Quand il eut vomi, Pahlevski accepta la serviette que lui tendait Craven et lui dit : « C’est vous qui avez gagné. C’est vous qui avez obtenu l’injonction. » Il se dressa difficilement et prit son porte-documents sur la petite table. « La semaine prochaine, nous nous retrouvons dans ce tournoi triangulaire avec Charley Kroger. On se tient les coudes ?
— Et comment ! Vous le tiendrez solidement pendant que je cognerai !
— On lui cassera les bras. Au revoir. » Pahlevski réussit à nouer à peu près sa cravate et sortit par la porte de la cabine d’audience.
L’avocat vainqueur s’attarda un moment, fouillant dans son esprit avec un mélange de honte et de plaisir, pour retrouver le souvenir de Judith Hlavcek offerte sur le sol. Il eut un sursaut en s’apercevant que c’était sur un lit d’écailles d’huîtres que Pahlevski s’était jeté. Il frissonna en songeant aux bords aigus qui auraient pu s’enfoncer dans le dos de Judith, mit son chapeau sur sa tête et se rendit dans le couloir.
Judith Hlavcek passait justement. Elle lui adressa un sourire dont elle réussissait à faire à la fois une invite et un défi. « Alors, comment va, maître ? Qui avez-vous déchiqueté ? demanda-t-il.
— Oh ! simplement le bassin de sang habituel, pour aujourd’hui. Et vous ? » Elle tripotait ses perles.
« On s’est battu, Hansl Pahlevski et moi. Un rude lutteur, dans ses rêves, celui-là.
— Vous avez gagné. Je le vois. Vous avez toujours des paroles aimables pour les avocats que vous mettez en déroute. »
Il resta parfaitement immobile. Elle l’avait observé assez attentivement pour déchiffrer la vérité absolue derrière l’écran de fumée des mots ! « Ah !… Ah ! oui. La Justice a triomphé. »
Ils sourirent tous les deux de l’expression plus que consacrée. Il fit une grimace d’effort, avala sa salive et déclara : « Vous me plaisez beaucoup, ainsi vêtue.
— Trop aimable. »
Elle le regardait fixement. De toute évidence, c’était à l’idée qu’elle réagissait, plutôt qu’aux paroles, car son vêtement n’était qu’un de ceux qu’elle portait tous les jours pour le travail. Le pratique plutôt que l’élégant, voilà ce qui convient aux avocats de la défense. « On se revoit demain, ou prenez-vous un jour de congé ?
— Oh ! pas de repos pour les épuisés. Je serai, ici… on s’y retrouvera.
— Au revoir. »
Il prit l’ascenseur jusqu’au bureau des greffiers pour dicter l’injonction dans l’affaire Hazlitt. Quand Craven sortit par la porte du vieux tribunal, après avoir passé devant la bible ouverte sur sa stèle à toit de verre, il la vit debout à l’angle du bâtiment, sous les grands chênes. Prudente, comme il sied à une femme de loi, elle tenait au-dessus de sa tête un journal replié pour éviter les présents des pigeons qui venaient percher sur les branches. Dans la tendre clarté de l’après-midi, sa croupe ondulait et saillait sous la colonne luisante de son dos.
Soudain décidé, Corky cria : « Hé ! Jude. Attendez ! » Le chapeau posé bien droit sur la tête, les chaussures à la main gauche, les vêtements drapés sur le bras droit, il se mit à courir pour la rejoindre.
Traduit par BRUNO MARTIN.
Stoned Counsel.
© H.H. Hollis, 1972.
© Librairie Générale Française, 1984, pour la traduction.