XI

 

Ce qui peut se passer sous un lit

 

En entrant dans la salle des Métamorphoses, le prince de Condé avait donné à Dandelot rendez-vous chez son frère l’amiral, pour le lendemain, à midi.

Le prince était si impatient de raconter les événements de la veille à Coligny et surtout à Dandelot, plus jeune et moins grave que son frère, qu’il était rue Béthisy avant l’heure indiquée.

Dandelot avait, de son côté, devancé le prince. Depuis une heure, il était avec Coligny, et la fantaisie amoureuse de Mlle de Saint-André avait été traitée d’une façon plus sérieuse entre ces deux graves esprits qu’elle ne l’avait été entre le prince et Dandelot.

L’alliance du maréchal de Saint-André avec les Guises était non seulement une alliance de famille à famille, mais encore une ligue religieuse et politique faite contre le parti calviniste ; et la façon dont on procédait à l’endroit du conseiller Anne Dubourg indiquait que l’on n’était point disposé à user de ménagements à l’endroit des religionnaires.

Les deux frères avaient pâli sur le billet de Mlle de Saint-André ; ils avaient eu beau chercher dans leurs souvenirs, ni l’un ni l’autre n’avaient reconnu les caractères dont il était écrit, et on l’avait envoyé à madame l’amirale, enfermée dans sa chambre, où elle faisait ses dévotions, pour savoir si ses souvenirs la serviraient mieux que ceux de son mari et ceux de son beau-frère.

Dans toute autre circonstance, Dandelot, et surtout Coligny, se fussent opposés à ce que leur cousin, le prince de Condé, donnât suite à cette aventureuse folie ; mais les cœurs les plus honnêtes ont certaines capitulations de conscience auxquelles ils se croient obligés de céder dans les circonstances extrêmes.

Or, il était très important pour le parti calviniste que M. de Joinville n’épousât point Mlle de Saint-André, et, à moins que le rendez-vous de Mlle de Saint-André ne fût avec monsieur le prince de Joinville, ce qui n’était pas probable, il était plus que certain que M. de Condé, en supposant qu’il vît quelque chose, ferait si grand bruit de ce qu’il aurait vu, que ce bruit arriverait aux oreilles des Guises et que quelque rupture s’ensuivrait.

Il y avait plus : de cette indiscrétion du prince surgirait, selon toute probabilité, quelque déboire pour lui ; or, le prince, flottant entre la religion catholique et la religion calviniste, attiré par Coligny et Dandelot, se ferait peut-être protestant.

Souvent un homme, pour un parti, vaut mieux qu’une victoire.

Or, c’était non seulement un homme, mais encore un victorieux, que ce beau, jeune et brave prince.

On l’attendait donc à l’hôtel Coligny avec une impatience dont il ne se doutait pas lui-même.

Il arriva, comme nous l’avons dit, avant l’heure indiquée, et, sur l’invitation des deux frères de faire une confession générale, il commença un récit dans lequel, disons-le à l’honneur de sa véracité, il ne cacha à ses auditeurs rien de ce qui lui était arrivé.

Il raconta tout ce qu’il avait vu et entendu, sans omettre un seul détail, disant même dans quelle position il avait vu et entendu ce qu’il racontait.

Le prince, en homme d’esprit, avait commencé par se moquer de lui-même, afin de prendre les devants sur les autres, et que ceux-ci, voyant que la chose était faite, n’eussent pas l’idée de se moquer.

– Et, maintenant, demanda l’amiral lorsque le prince eut fini sa narration, que comptez-vous faire ?

– Pardieu ! dit Condé, une chose bien simple et pour laquelle je compte plus que jamais sur vous, mon cher Dandelot : renouveler mon expédition.

Les deux frères se regardèrent.

Le prince abondait dans leurs pensées ; cependant Coligny crut de son honneur de faire quelques objections.

Mais, au premier mot qu’il hasarda pour dissuader le prince, celui-ci lui mit la main sur le bras en disant :

– Mon cher amiral, si vous n’êtes pas de mon avis sur ce point, parlons d’autre chose, attendu que mon parti est pris et qu’il m’en coûterait trop de lutter de raisonnement et de volonté avec l’homme que j’aime le mieux et que je respecte le plus au monde ; c’est-à-dire avec vous.

L’amiral s’inclina en homme qui prend son parti d’une résolution qu’il se sent impuissant à combattre ; mais, au fond du cœur, enchanté de la persistance de son cousin.

Il fut donc convenu que ce soir-là, comme la veille, Dandelot faciliterait au prince les moyens de pénétrer dans la chambre des Métamorphoses.

Rendez-vous fut pris à minuit moins un quart dans le même corridor que la veille.

Le mot d’ordre fut confié au prince, afin qu’il pût entrer sans difficulté. Puis il réclama son billet.

Alors, l’amiral avoua au prince que, n’ayant pu, ni lui ni son frère, reconnaître l’écriture, il avait envoyé le billet à madame l’amirale, chez laquelle on n’osait pénétrer à cette heure, attendu qu’elle faisait ses dévotions.

Dandelot se chargea de le demander à sa belle-sœur le soir même, au cercle de la reine Catherine, et l’amiral, lui, prit l’engagement de faire souvenir à sa femme qu’elle devait emporter le billet au Louvre.

Ces divers points arrêtés, Dandelot et le prince prirent congé de l’amiral, Dandelot pour retourner à son poste, le prince pour rentrer chez lui.

Le reste de la journée s’écoula aussi lentement et aussi fiévreusement pour celui-ci que s’était écoulée la journée précédente.

Enfin, les heures passèrent les unes après les autres, et la demie avant minuit arriva à son tour.

On sait, par ce qui était arrivé à Robert Stuart trois heures avant l’entrée du prince au palais, quelles étaient les préoccupations de la soirée.

On ne parlait au Louvre que de l’exécution du conseiller Dubourg, fixée par le roi lui-même au surlendemain.

Le prince trouva Dandelot profondément affligé ; mais, comme cette exécution établissait en somme, et d’une façon incontestable, le crédit dont M. de Guise, le persécuteur avoué du conseiller Dubourg, jouissait près du roi, Dandelot n’en eut qu’un plus ardent désir de voir s’accomplir la mystification dont était menacé M. de Joinville et de jeter au moins le rire du ridicule au milieu du sanglant triomphe de ses ennemis.

Comme la veille, le corridor était plongé dans l’obscurité ; comme la veille, la chambre des Métamorphoses n’était éclairée que par la lampe d’argent ; comme la veille, la toilette était préparée ; comme la veille, les candélabres n’attendaient qu’un ordre pour illuminer de nouveau les charmantes beautés qu’ils avaient éclairées la veille.

Seulement, cette fois, le balustre de l’alcôve était ouvert.

C’était une indication de plus, confirmant que le rendez-vous n’avait point été contremandé.

Et, comme il crut entendre des pas dans le corridor, le prince se glissa rapidement sous le lit, sans prendre la peine defaire, ce soir-là, les mêmes réflexions que la veille ; ce qui prouve que l’on s’habitue à tout, même à se cacher sous les lits.

Le prince ne s’était pas trompé : c’étaient bien des pas qu’il avait entendus dans le corridor, et ces pas cherchaient bien la chambre des Métamorphoses ; car ils s’arrêtèrent devant l’entrée, et le prince entendit le léger cri d’une porte qui tourne sur ses gonds.

– Bon ! dit-il, nos amoureux sont plus pressés aujourd’hui qu’hier : c’est tout simple, il y a vingt-quatre heures qu’ils ne se sont vus.

Les pas s’approchaient, légers comme ceux d’une personne qui entre furtivement.

Le prince allongea la tête et vit les jambes nues d’un archer de la garde écossaise.

– Oh ! oh ! fit le prince, que veut dire cela ?

Et il allongea un peu plus la tête, de sorte qu’après les jambes il vit le corps.

Il ne s’était pas trompé, car c’était bien un archer de la garde écossaise qui venait d’entrer.

Seulement, le nouveau venu semblait tout aussi dépaysé qu’il l’avait été lui-même la veille ; comme avait fait le prince, il souleva les rideaux et les tapis des tables ; mais rien de tout cela ne lui présentant, selon toute probabilité, un assez sûr asile, il s’approcha du lit, et jugeant, comme le prince, que la cachette était bonne, il s’y glissa du côté opposé à celui où M. de Condé venait de s’y glisser lui-même.

Seulement, avant que l’Écossais eût eu le temps de s’accommoder sous le lit, il sentait la pointe d’un poignard s’appuyer sur son cœur, tandis qu’une voix lui disait à l’oreille :

– Je ne sais qui vous êtes ni quel dessein vous amène ici, mais pas un mot, pas un mouvement, ou vous êtes mort !

– Je ne sais ni qui vous êtes ni quel dessein vous amène ici, répondit de la même voix le nouveau venu, mais je n’accepte de conditions de personne : enfoncez donc votre poignard, si cela vous convient ; il est à la bonne place, je ne crains pas de mourir.

– Ah ! ah ! dit le prince, vous m’avez l’air d’un brave, et les braves sont toujours bienvenus avec moi. Je suis le prince de Condé, monsieur, et je remets mon poignard au fourreau. J’espère que vous allez avoir même confiance pour moi et me dire qui vous êtes ?

– Je suis Écossais, monseigneur, et m’appelle Robert Stuart.

– Ce nom m’est inconnu, monsieur.

L’Écossais se tut.

– Vous plairait-il, continua le prince, de me dire dans quel dessein vous venez dans cette chambre, et à quelle intention vous vous êtes caché sous ce lit ?

– Vous m’avez donné l’exemple de la confiance, monseigneur, il serait digne de vous de continuer et de me dire dans quelle intention vous y êtes vous-même ?

– Ma foi, monsieur, c’est chose facile, dit le prince en se plaçant plus commodément qu’il n’était d’abord, je suis amoureux de Mlle de Saint-André.

– La fille du maréchal ? dit l’Écossais.

– Justement, monsieur, elle-même. Or, ayant, par voie indirecte, reçu l’avis qu’elle avait rendez-vous ici ce soir avec son amant, j’ai eu la coupable curiosité de vouloir connaître l’heureux mortel qui jouissait des bonnes grâces de l’honnête demoiselle, et je me suis fourré sous ce lit, où je me trouve assez mal à mon aise, je vous l’avoue. À votre tour, monsieur.

– Monseigneur, il ne sera pas dit qu’un inconnu aura moins de confiance dans un prince que ce prince n’en a eu dans un inconnu : c’est moi qui, avant-hier et hier, ai écrit au roi.

– Ah ! morbleu ! et qui avez mis vos lettres à la poste à travers les carreaux du maréchal de Saint-André ?

– Pardon ! dit le prince, mais alors...

– Quoi, monseigneur ?

– Si je me rappelle bien, dans cette lettre, dans la première du moins, vous menaciez le roi ?

– Oui, monseigneur, s’il ne rendait point la liberté au conseiller Anne Dubourg.

– Et, pour rendre votre menace plus sérieuse, vous disiez que c’était vous qui aviez tué le président Minard ? fit le prince, assez ébouriffé de se trouver côte à côte avec un homme qui avait écrit une pareille lettre.

– C’est moi, en effet, monseigneur, qui ai tué le président Minard, répondit l’Écossais, sans qu’on pût remarquer la moindre altération dans sa voix.

– Peut-être oseriez-vous faire violence au roi ?

– J’étais ici à cette intention.

– À cette intention ? s’écria le prince oubliant où il était et le danger qu’il y avait pour lui à être entendu.

– Oui, monseigneur ; mais je ferai remarquer à Votre Altesse qu’elle parle un peu haut, et que notre position réciproque nous impose l’obligation de parler bas.

– Vous avez raison, dit le prince. Oui, morbleu ! monsieur, parlons bas ; car nous parlons de choses qui sonnent mal dans un palais comme le Louvre.

Et baissant, en effet, la voix :

– Peste ! il est bien heureux pour Sa Majesté que je me sois trouvé là à point nommé, tout en venant pour autre chose.

– Alors, vous comptez vous opposer à mon projet ?

– Je le crois bien ! Comme vous y allez ! Vous en prendre à un roi pour empêcher un conseiller d’être brûlé !

– Ce conseiller, monseigneur, c’est le plus honnête homme de la terre.

– N’importe !

– Ce conseiller, monseigneur, c’est mon père !

– Ah ! c’est autre chose. Eh bien ! alors, c’est bien heureux, non plus pour le roi, mais pour vous, que je vous aie rencontré.

– Pourquoi cela ?

– Vous allez le voir... Pardon, mais n’ai-je pas entendu ?... Non, je me trompais... Vous me demandiez pourquoi il était bien heureux que je vous eusse rencontré ?

– Oui.

– Je vais vous le dire : avant tout, vous allez me jurer sur votre honneur de ne faire aucune tentative sur le roi.

– Jamais !

– Mais, si je vous engage ma foi de prince d’obtenir la grâce du conseiller, moi ?

– Si vous engagez votre foi, monseigneur ?

– Oui.

– Alors, je dirai comme vous, c’est autre chose.

– Eh bien, foi de gentilhomme ! je ferai mon possible pour sauver M. Dubourg.

– Eh bien, foi de Robert Stuart ! monseigneur, si le roi vous accorde cette grâce, le roi me sera sacré.

– Deux hommes d’honneur n’ont besoin que d’échanger une parole ; notre parole est échangée, monsieur ; parlons d’autre chose.

– Je crois, monseigneur, qu’il vaudrait mieux que nous ne parlassions pas du tout.

– Avez-vous entendu du bruit ?

– Non ; mais, d’un moment à l’autre...

– Bah ! ils vous laisseront bien le temps de me dire comment vous êtes ici.

– C’est bien simple, monseigneur : j’ai pénétré dans le Louvre à l’aide de ce déguisement.

– Vous n’êtes donc pas archer ?

– Non, j’ai pris le costume d’un de mes amis.

– Vous lui avez fait là un joli tour, à votre ami.

– J’eusse déclaré que ce costume lui était soustrait.

– Et si vous aviez été tué sans avoir eu le temps de faire cette déclaration ?

– On eût trouvé dans ma poche un papier qui l’innocentait.

– Allons, je vois que vous êtes un homme d’ordre ; mais tout cela ne me dit pas comment vous avez pénétré jusqu’ici, ni comment vous êtes venu vous fourrer sous le lit de cette chambre, dans laquelle Sa Majesté ne met peut-être pas les pieds quatre fois par an.

– Parce que Sa Majesté y vient cette nuit, monseigneur.

– Vous en êtes sûr ?

– Oui, monseigneur.

– Et comment en êtes-vous sûr ? Voyons ! dites.

– Il n’y a qu’un instant, j’étais dans un corridor.

– Lequel ?

– Je ne le connais pas, je viens pour la première fois au Louvre.

– Eh bien ! mais vous ne vous en tirez pas mal pour la première ! Donc, vous étiez dans un corridor ?

– Caché derrière la portière d’une chambre sans lumière, quand j’entendis chuchoter à deux pas de moi. Je prêtai l’oreille et j’entendis ces mots prononcés par deux femmes :

« – C’est toujours pour ce soir, n’est-ce pas ?

« – Oui.

« – Dans la salle des Métamorphoses ?

« – Oui.

« – À une heure précise, le roi y sera. Je vais mettre la clef.

– Vous avez entendu cela ? s’écria le prince, oubliant encore dans quel lieu il se trouvait, et donnant à sa voix un formidable éclat.

– Oui, monseigneur, répondit l’Écossais ; autrement, que viendrais-je faire dans cette chambre ?

– C’est juste, dit le prince.

Et, à part lui :

– Oh ! murmura-t-il sourdement, c’était le roi !

– Vous dites, monseigneur ? reprit l’archer croyant que ces paroles s’adressaient à lui.

– Je vous demande, monsieur, comment vous avez fait pour trouver cette chambre, puisque vous avouez vous-même ne pas connaître le Louvre.

– Oh ! bien simplement, monseigneur. J’ai entrouvert la portière et suivi des yeux la personne qui venait mettre la clef. La clef mise, elle a continué son chemin et a disparu à l’extrémité du corridor. Alors, j’allais me hasarder à mon tour, quand j’ai entendu des pas qui s’approchaient : je me suis recaché derrière ma tapisserie, un homme a passé devant moi dans l’obscurité ; l’homme passé, je l’ai suivi des yeux à son tour et l’ai vu s’arrêter à la porte de cette chambre, la pousser, entrer. Alors, je me suis dit : « Cet homme, c’est le roi ! » Je n’ai pris que le temps de recommander mon âme à Dieu. J’ai fait le chemin que venaient de m’indiquer, chacun à son tour, la femme et l’homme. J’ai trouvé non seulement la clef à la porte, mais encore la porte entrouverte : je l’ai poussée, je suis entré ; ne voyant personne, j’ai cru que je m’étais trompé, que l’homme que j’avais vu familier du Louvre était entré dans quelque pièce voisine. J’ai cherché un endroit pour me cacher. J’ai vu un lit... Vous savez le reste, monseigneur.

– Oui, morbleu ! je le sais ; mais...

– Silence, monseigneur !

– Quoi ?

– Pour cette fois, on vient.

– J’ai votre parole, monsieur.

– Et moi la vôtre, monseigneur.

Les mains des deux hommes se touchèrent. Un pas léger, un pas de femme, se posa timidement sur le tapis.

– Mlle de Saint-André, dit tout bas le prince, là, à ma gauche.

En ce moment, une porte s’ouvrit à l’autre bout de l’appartement, un jeune homme, un enfant presque, entra.

– Le roi ! dit tout bas l’Écossais, là, à ma droite.

– Morbleu ! murmura le prince, en voilà un, je l’avoue, dont j’étais loin de me douter !