XIII
Mars et Vénus
À peine l’amirale était-elle sortie, que chacun, se doutant qu’il venait de se passer quelque chose d’extraordinaire, s’écria :
– Mais, qu’avait donc madame l’amirale ?
– Demandez à M. de Joinville, répondit la reine mère.
– Comment ! à vous ? demanda le cardinal de Lorraine.
– Parlez ! prince, parlez ! s’écrièrent toutes les femmes.
– Ma foi ! mesdames, répondit le prince, je ne sais encore que vous dire. Mais, ajouta-t-il en tirant le billet de sa poche, voici qui va parler pour moi.
– Un billet ! s’écria-t-on de tous côtés.
– Un billet ! tiède, parfumé, satiné, et tombé de quelle poche ?
– Oh ! prince...
– Devinez ?
– Non ; dites tout de suite.
– De la poche de notre sévère ennemie, madame l’amirale !
– Ah ! dit Catherine, voilà donc pourquoi vous me faisiez signe de la laisser aller ?
– Oui, j’avoue mon indiscrétion ; j’avais hâte de savoir ce qu’il y avait dans ce billet.
– Et il y a ? demanda Catherine.
– J’ai pensé que ce serait manquer de respect à Votre Majesté que de lire ce précieux billet avant elle.
– Alors, donnez, prince.
– Et, avec un respectueux salut, M. de Joinville donna la lettre à la reine mère.
On se pressa autour de Catherine, la curiosité l’emportait sur le respect.
– Mesdames, dit Catherine, il se peut que cette lettre renferme quelque secret de cette famille. Laissez-moi d’abord la lire seule, et je vous promets que, si elle peut être lue tout haut, c’est une joie dont je ne vous priverai point.
On s’écarta de Catherine : par cet isolement, un candélabre fut démasqué et la reine mère put lire le billet.
M. de Joinville suivait avec anxiété les mouvements de la physionomie de Catherine et, quand celle-ci eut achevé :
– Mesdames, dit-il, la reine va lire.
– En vérité, prince, je trouve que vous vous hâtez bien. Je ne sais si je peux vous livrer ainsi les secrets amoureux de ma bonne amie madame l’amirale.
– C’est donc véritablement un billet d’amour ? demanda le duc de Guise.
– Par ma foi ! dit la reine, vous allez en juger vous-mêmes ; car, pour mon compte, je crois avoir mal lu.
– Et c’est pour cela que vous allez relire, n’est-ce pas, madame ? dit le prince de Joinville impatient.
– Écoutez ! dit Catherine.
Il se fit un merveilleux silence, dans lequel on n’entendait pas une seule respiration, quoiqu’il y eût là une quinzaine de personnes.
La reine lut :
Ne manquez pas de vous rendre, à une heure après minuit, dans la chambre des Métamorphoses. La chambre où nous nous sommes vus la nuit dernière est trop près de l’appartement des deux reines. Notre confidente, dont vous connaissez la fidélité, aura soin de tenir la porte ouverte.
Il n’y eut qu’un cri d’étonnement.
C’était un rendez-vous, un rendez-vous bien formel ; un rendez-vous donné par l’amirale, puisque ce billet était tombé de la poche de l’amirale.
Ainsi la visite de l’amirale à la reine Catherine n’était qu’un prétexte pour entrer au Louvre, et, comme Dandelot était de garde, l’amirale, qui sans doute pouvait compter sur son beau-frère, en sortirait quand elle voudrait.
Seulement, quel pouvait être l’homme ?
On passa en revue tous les amis de l’amirale les uns après les autres ; mais Mme de Coligny vivait d’une vie si sévère, que l’on ne sut auquel s’arrêter.
On en vint à soupçonner Dandelot lui-même, tant le soupçon était facile dans cette Cour corrompue.
– Mais, dit le duc de Guise, il y a un moyen bien simple de connaître le galant.
– Lequel ? demanda-t-on de tous côtés.
– Le rendez-vous est pour cette nuit ?
– Oui, dit Catherine.
– Dans la chambre des Métamorphoses ?
– Oui.
– Eh bien, c’est de faire pour les amants ce que firent les dieux de l’Olympe pour Mars et Vénus.
– Les visiter pendant leur sommeil ? s’écria M. de Joinville.
Les dames se regardèrent.
Elles mouraient d’envie d’accueillir la proposition par d’unanimes applaudissements : mais elles n’osaient avouer cette envie.
Il était minuit et demi.
C’était une demi-heure à attendre, et, en médisant de son prochain, une demi-heure passe vite.
On médit de l’amirale, on se peignit d’avance sa confusion, et la demi-heure passa.
Mais nulle n’était plus ravie que Catherine à cette excellente idée de prendre sa chère amie l’amirale sur le fait.
Une heure sonna.
Tout le monde battit des mains, tant cette heure était impatiemment attendue.
– Allons, dit le prince de Joinville, en marche !
Mais le maréchal de Saint-André l’arrêta.
– Ô jeunesse imprudente ! dit-il.
– Avez-vous quelque observation à faire ? demanda M. de La Roche-sur-Yon.
– Oui, dit le maréchal.
– En ce cas, écoutez-la, reprit Catherine, et religieusement, messieurs. Notre ami le maréchal a une grande expérience en toute chose et particulièrement sur ces sortes de matières.
– Eh bien ! dit le maréchal, voici ce que je voulais dire pour maîtriser l’impatience de mon gendre, M. de Joinville : c’est qu’il arrive parfois qu’on ne se trouve pas à un rendez-vous à l’heure précise, et que, si nous allions arriver trop tôt, notre dessein courrait risque d’avorter.
On se rendit à ce prudent conseil du maréchal de Saint-André, et chacun convint, avec la reine Catherine, qu’il était passé maître en ces sortes de choses.
Il fut donc convenu qu’on attendrait une demi-heure encore.
La demi-heure s’écoula.
Mais alors l’impatience était devenue telle que, quelles que fussent les observations qu’eût pu faire le maréchal de Saint-André, elles n’eussent pas été écoutées.
Aussi n’en risqua-t-il aucune, soit qu’il comprît leur parfaite inutilité, soit qu’il pensât que l’heure de tenter l’expédition fût effectivement venue.
Il promit néanmoins à la joyeuse troupe de l’accompagner jusqu’à la porte, et, une fois arrivé là, d’y attendre le résultat.
Il fut convenu que la reine mère se retirerait dans sa chambre à coucher, où le prince de Joinville viendrait lui rendre compte de tout ce qui se serait passé.
Toutes les formalités étant ainsi réglées, chacun prit une bougie à la main.
Le jeune duc de Montpensier et le prince de La Roche-sur-Yon en prirent deux, et le cortège, M. de Guise en tête, se dirigea solennellement vers la salle des Métamorphoses.
Arrivé à la porte, on s’arrêta, et chacun colla son oreille à la serrure.
Pas le moindre bruit ne se faisait entendre.
On se rappela que, de ce côté, on était encore séparé de la salle des Métamorphoses par une antichambre.
Le maréchal de Saint-André poussa doucement la porte de cette antichambre, mais la porte résista.
– Diable ! fit-il, nous n’avions pas pensé à cela : la porte est fermée en dedans.
– Enfonçons-la ! dirent les jeunes princes.
– Doucement, messieurs ! dit M. de Guise, nous sommes au Louvre.
– Soit ! répondit le prince de La Roche-sur-Yon ; mais nous sommes du Louvre.
– Messieurs ! messieurs ! insista le duc, nous venons constater un scandale, ne le justifions point par un autre.
– C’est vrai ! dit Brantôme, et le conseil est bon. J’ai connu une belle et honnête dame...
– Monsieur de Brantôme, dit en riant le prince de Joinville, nous faisons dans ce moment-ci de l’histoire et n’en racontons pas. Trouvez-nous un moyen d’entrer, et ce sera un chapitre de plus à ajouter à vos Dames galantes.
– Eh bien ! dit M. de Brantôme, faites comme on fait chez le roi : grattez doucement à la porte, et peut-être que l’on vous ouvrira.
– M. de Brantôme a raison, dit le prince de Joinville. Grattez, beau-père, grattez !
Le maréchal de Saint-André gratta.
Un valet qui veillait ou plutôt qui dormait dans l’antichambre, et qui n’avait rien entendu de tout le dialogue que nous venons de rapporter, ce dialogue ayant eu lieu à voix basse, se réveilla, et, croyant que c’était la Lanoue qui venait reprendre Mlle de Saint-André, comme c’était son habitude, entrouvrit la porte et demanda en se frottant les yeux :
– Qu’y a-t-il ?
Le maréchal de Saint-André s’effaça d’un côté de la porte, et le valet de chambre se trouva en face de M. de Guise.
Le valet, en voyant toutes ces bougies, tous ces seigneurs, toutes ces dames, tous ces yeux qui riaient, toutes ces bouches qui raillaient, commença de croire à une surprise et essaya de refermer la porte.
Mais le duc de Guise avait déjà mis un pied dans l’antichambre en véritable preneur de villes qu’il était, et la porte, en se refermant, alla battre contre le cuir de sa botte.
Le valet continuait de pousser de toutes ses forces.
– Holà ! drôle ! dit le duc, ouvre-nous cette porte !
– Mais, monseigneur, dit le pauvre diable tout tremblant en reconnaissant le duc, j’ai des ordres formels...
– Je connais tes ordres ; mais je connais aussi le secret de la chose qui se passe là-dedans, et c’est pour le service du roi, et avec son assentiment, que nous voulons entrer ici, ces messieurs et moi.
Il eût pu ajouter ces dames, car cinq ou six femmes curieuses et riant sous cape suivaient la bande.
Le valet de chambre, qui, ainsi que tout le monde, savait l’empire que M. de Guise exerçait à la Cour, s’imagina, en effet, qu’il s’agissait de chose convenue entre le duc et le roi. Il ouvrit d’abord la porte de l’antichambre, puis celle de la salle des Métamorphoses, se levant sur la pointe des pieds pour attraper quelque chose de la scène qui allait se passer.
Ce ne fut point une entrée, ce fut une irruption. Le flot se précipita dans la chambre comme une marée qui monte, et ...