Chapitre 13
Un cauchemar réveilla Abaddon en sursaut. Ses draps de soie noire trempés de sueur, il roula sur le côté et s’assit. Il se sentait si bien, trois heures plus tôt, quand Donna Taybard était arrivée à Babylone ! Ce soir, le règne absolu des Enfants de l’Enfer commencerait. Tous les diagrammes stellaires l’avaient prédit. Donna était le sacrifice que son maître attendait. Tous les pouvoirs de l’Enfer seraient en possession d’Abaddon quand le Diable absorberait Donna.
Pourtant, le roi du mal tremblait sur son lit, hanté par les angoisses indéfinissables qui peuplaient ses nuits. Il avait vu Jon Shannow en Enfer. Il luttait contre Belzébuth, épée et revolver à la main. Puis il avait tourné les yeux vers Abaddon, qui avait lu la mort dans son regard.
La peur ne le lâchait pas ! Abaddon approcha du cabinet à liqueurs, près de la fenêtre, et se versa un gobelet de vin pour se calmer les nerfs. Il envisagea d’appeler Achnazzar, mais renonça. Depuis quelques jours, le grand prêtre était de plus en plus nerveux en sa présence.
— Papa !
La voix enfantine tira Abaddon de ses méditations. Il se retourna, mais la pièce était vide. Apercevant son reflet dans le grand miroir rectangulaire, il se leva et rentra le ventre pour avoir un profil plus avantageux.
Abaddon, le Seigneur de l’Abîme !
— Papa !
Cette fois, le cri venait du salon, devant sa chambre. Abaddon passa la porte en courant, mais trouva seulement une pièce vide à la fenêtre ouverte. Il essuya la sueur qui coulait sur son visage.
Dans les rues, de l’autre côté des murs du palais, il entendit la foule scander : « Satan, Satan, Satan ! »
La Nuit des Sorcières était un moment de beauté où les gens voyaient leur dieu déambuler parmi eux. Ils sentaient sa présence et voyaient son image dans les reflets de leur Pierre de Sang.
Cette nuit-là était encore plus spéciale, car elle verrait la naissance de l’ère des Enfants de l’Enfer. Quand les pouvoirs de Donna Taybard couleraient dans les couteaux sacrés, son corps consumé par le Maître, la magie de l’Enfer serait lâchée sur le monde.
Le Seigneur de l’Abîme deviendrait le Roi du Monde !
— J’ai peur, papa.
Abaddon se retourna et vit une enfant de sept ans qui serrait contre elle une poupée de chiffon usée.
— Sarah ?
L’enfant entra dans la chambre. Abaddon la suivit, mais la pièce était vide. Il comprit que c’était une hallucination. Sarah était morte depuis des siècles. Le vin devait être trop fort…
Les souvenirs aussi. Il se versa un autre gobelet, retourna devant le miroir et regarda ses yeux gris injectés de sang et ses cheveux longs grisonnant aux tempes. Son visage était le même depuis des dizaines d’années : celui d’un homme d’âge moyen, mais encore plein de sève.
Non, ça ne pouvait pas être Lawrence Welby qui le regardait dans le miroir ! Welby était aussi mort que sa femme et sa fille.
— Je suis le roi, murmura-t-il. Le Seigneur Satanique. Pars, Welby ! Cesse de me regarder ! Qui es-tu, pour t’ériger en juge ?
— Lis-moi une histoire, papa.
— Va-t’en ! cria Abaddon.
Il ferma les yeux pour ne pas voir l’apparition, qui, il le savait, était couchée sur son lit.
— Lis-lui une histoire, Lawrence. Sinon, tu sais quelle ne s’endormira pas.
Welby ouvrit les yeux et dévora du regard la femme aux cheveux dorés debout dans l’entrée.
— Ruth ?
— As-tu oublié comment lire une histoire à une enfant ?
— C’est un rêve.
— Ne nous oublie pas aussi, Lawrence…
— Es-tu vraiment là ?
Il avança maladroitement, mais la femme aux cheveux dorés disparut.
Welby tomba à genoux.
La porte s’ouvrit.
— Ruth ?
— Non, mon seigneur. Êtes-vous malade ?
Abaddon se releva péniblement.
— Comment oses-tu entrer ici sans te faire annoncer, Achnazzar !
— Les gardes sont venus me chercher, sire. Ils m’ont dit que vous étiez… perturbé.
— Je vais bien ! Qu’annoncent les diagrammes stellaires ?
— Magelin dit que de grands changements s’annoncent, comme on peut l’attendre à l’aube d’un empire.
— Et Cade ?
— Il est coincé dans un col, où il ne peut ni s’échapper ni vaincre.
— Tout ça est très encourageant, prêtre ! Maintenant, raconte-moi encore comment Shannow est mort en tombant dans un précipice…
Achnazzar fit une révérence.
— C’était une erreur, sire. Mais il est prisonnier des Gardiens, qui ont l’intention de le tuer. L’Homme de Jérusalem n’est plus un danger. Après cette nuit, il sera comme le puceron dans l’oreille du dragon.
— Après cette nuit ? Elle n’est pas encore finie, prêtre.
Le matin se leva, clair et brillant. Batik se réveilla, nerveux comme jamais. Sa peau était hypersensible et son corps tremblait d’émotion contenue.
Même l’air de la chambre semblait crépiter comme si un orage approchait de la cité.
Batik se leva et inspira à fond.
Il se sentait submergé par l’euphorie de la Nuit des Sorcières. Des images de fêtes passées lui revinrent à l’esprit. Une nuit, insensible à la fatigue, il s’était accouplé avec une douzaine de femmes consentantes.
Il se souvint de Madden et de Griffin, et la colère s’empara de lui.
Quels liens avait-il avec ces paysans ? Pourquoi avait-il pris fait et cause pour leurs soucis minables ?
Il les tuerait, décida-t-il, puis il profiterait de la journée.
Il prit son revolver. Le poids de l’arme dans sa main était agréable, et il brûlait du désir de détruire.
L’image de Jon Shannow se forma dans son esprit.
Son ami.
— Je n’ai pas d’ami. Je n’en ai pas besoin !
Mais l’image refusa de disparaître. Il revit Shannow, dans l’obscurité du couloir du donjon.
Son ami.
— Maudit sois-tu, Shannow !
Batik tomba à genoux, le revolver lui échappa et sa joie se volatilisa.
Dans la pièce de dessous, Jacob Madden luttait contre ses propres démons. C’était presque pire pour lui que pour Batik, car il n’avait jamais connu les émotions provoquées par la Nuit des Sorcières. Il n’éprouvait aucune joie, seulement la douleur consécutive à ses échecs. Il eut envie de sortir du bâtiment et de tuer tous les Enfants de l’Enfer. Pour qu’ils souffrent comme il avait souffert.
Mais Griffin avait besoin de lui. Donna Taybard aussi. Le devoir était comme une chaîne d’acier qui entravait ses émotions. Elle ne céderait pas pour un motif égoïste.
Misérable, il attendit Batik.
L’Enfant de l’Enfer s’habilla et nettoya ses armes. Puis il descendit dans le salon et vérifia l’état de Griffin, qui dormait paisiblement.
— Comment allez-vous ? demanda-t-il à Madden, une main posée sur son épaule.
— Ne me touchez pas, salaud ! cria Madden.
Il repoussa le bras de Batik et se leva d’un bond.
— Calmez-vous, Jacob. C’est la Nuit des Sorcières. Une folie dans l’air… Inspirez à fond et calmez-vous.
— Me calmer ? Tout ce que j’aimais a disparu, et je ne suis plus qu’une coquille vide. Quand nous occuperons-nous de Donna ?
— Ce soir.
— Pourquoi pas tout de suite ?
— En plein jour ?
Madden se laissa tomber sur une chaise.
— Que m’arrive-t-il ?
— Je vous l’ai dit, c’est la Nuit des Sorcières… Ce soir, le Diable marchera parmi nous, et vous le verrez. Mais dès maintenant, et jusqu’à ce qu’il soit parti, vous sentirez sa présence autour de vous. Durant les vingt-quatre heures à venir, il y aura beaucoup de combats, de morts, de viols, et des milliers de nouvelles vies commenceront.
Madden approcha de la table et se versa un verre d’eau. Il tremblait et son front était couvert de sueur.
— Je ne pourrai pas en supporter beaucoup plus, murmura-t-il.
— Je vous aiderai, dit Batik.
Ils entendirent des incantations dans les allées, autour de la maison. Puis un cri perçant retentit.
— Quelqu’un est mort à l’instant, dit Madden.
— Oui. Et cette femme ne sera pas la dernière.
Le temps passa lentement. Griffin se réveilla, fou de douleur. Il hurla et jura, maudissant Madden d’une voix hargneuse, les yeux pleins de méchanceté.
— Ne faites pas attention, dit doucement Batik.
Vers le crépuscule, Griffin s’étant rendormi, Batik se prépara pour la nuit. Il se passa une teinture rouge sur le visage.
Madden refusa de se déguiser.
Batik haussa les épaules.
— Ce n’est que de la peinture, Jacob…
— Je ne veux pas ressembler à un démon. Si je dois mourir, je veux avoir l’air d’un être humain.
Vers minuit, les deux hommes vérifièrent de nouveau leurs armes puis sortirent.
Ils prirent la direction du centre de la ville. Dans la rue principale, la foule dansait et chantait. Des dizaines d’hommes et de femmes s’accouplaient sans pudeur dans les entrées et les allées. Madden détourna le regard.
Une jeune fille, sa robe écarlate trempée de sang, s’infligeait des blessures avec un couteau. Apercevant Madden, elle courut vers lui et se jeta à son cou.
Il la repoussa, mais une autre la remplaça, le caressant et lui promettant du plaisir. Il se dégagea et fendit dans la foule sur les traces de Batik.
La populace avançait vers la place du temple. Les incantations reprenaient un seul mot, sans cesse répété.
— Satan… Satan… Satan…
Quand ils approchèrent des marches du temple, le ciel nocturne flamboya et une silhouette apparut, haute de plusieurs centaines de pieds. Madden en resta bouche bée. Le colosse avait les pattes d’un bouc et le corps d’un homme. Sa tête bestiale était cornue.
Une main immense descendit vers la foule. La jeune femme à la robe couverte de sang, soulevée par les hommes qui l’entouraient, fut jetée dans la main griffue du monstre. Elle se referma autour de sa proie et la porta à une gueule gigantesque. Quand la jeune femme disparut, la foule poussa des cris d’allégresse.
— Par là ! cria Batik, en désignant une allée, sur le côté du temple. Nous n’avons pas beaucoup de temps. (Ils coururent à perdre haleine.)
» L’entrée des acolytes, dit Batik quand ils arrivèrent devant une porte ovale.
Elle était fermée, mais un coup de pied bien appliqué fit éclater le bois. Les deux hommes entrèrent. Madden dégaina son revolver.
— Entrons dans le temple. Ils en sortiront bientôt pour lui offrir Donna.
— Ce monstre a l’intention de la manger ? demanda Madden, incrédule.
Batik ne répondit pas et détala. Un garde déboucha d’un couloir. Il lui tira dessus et sauta par-dessus le corps.
Ils atteignirent un autre couloir, où deux gardes étaient postés. Une balle siffla près de l’oreille de Madden. Il plongea sur le sol, lâchant deux coups de feu. Un garde tomba, mais l’autre leva son fusil. Batik tira deux fois. L’homme s’écroula.
En haut d’un autre escalier en colimaçon, Batik s’arrêta devant une porte. Il rechargea son revolver et se tourna vers Madden.
— Nous y sommes, mon ami. Vous êtes prêt ?
— Je l’ai été toute ma vie…
— Je veux bien vous croire, répondit Batik en souriant.
Shannow poussa Sarento dans l’ascenseur et entra derrière lui. Les portes se fermèrent. Le géant sourit.
— Niveau G, dit-il. Beaucoup de surprises vous attendent, maître Shannow. J’espère que vous y êtes préparé.
— Plaquez-vous contre la porte, Sarento.
— Bien entendu… Mais vos craintes ne sont pas fondées. Il n’y a pas de gardes dans la caverne. Qu’espérez-vous obtenir ? Vous ne pouvez pas détruire la Pierre.
Les portes s’ouvrirent. Sarento pivota et se jeta dehors. Shannow le suivit et ouvrit le feu, mais les balles ricochèrent sur une stalactite.
L’Homme de Jérusalem regarda autour de lui. La voûte sphérique de l’immense caverne était zébrée de fils d’or et de pierres brillantes. Les stalactites en tombaient comme des piliers. Il avança dans la lumière, près du centre de la grotte, où un petit lac aux eaux ténébreuses entourait une île hérissée d’un cercle de pierres dressées noires et brillantes.
— C’est le cœur de l’empire, Shannow, dit la voix désincarnée de Sarento. Ici, tout rêve est une réalité. Ne sentez-vous pas le pouvoir de la Pierre de Sang ?
Jon sonda la caverne, mais ne vit pas trace du géant. Il avança jusqu’au bord du lac et découvrit un pont étroit. Il le traversa, approcha des pierres dressées et s’arrêta devant la première pour l’examiner. Découvrant une saillie, il appuya dessus et entendit un verrou claquer. Une partie de la pierre coulissa. Il plongea sa main dans le trou, mais il était vide.
— Me croyez-vous assez bête pour laisser de l’or là-dedans ?
Shannow se retourna. Debout devant l’autel, le géant portait maintenant l’armure d’Atlantis, ornée d’une Pierre dorée au niveau du cœur. Coiffé d’un casque emplumé, il brandissait une épée.
Shannow tira, mais ses balles furent déviées vers le plafond de la caverne. Il visa avec soin et tira de nouveau.
— L’armure d’invincibilité de Pendarric. Rien ne peut m’atteindre, alors que vous êtes sans défense. Il est normal que nous nous rencontrions ainsi : deux guerriers rolynds dans le grand cercle !
— Où est la Pierre-Mère ?
— Vous êtes debout dessus. Regardez !
Sous les pieds de Shannow, le sol se brouilla et devint transparent, puis rouge doré veiné de noir. Autour du cercle, le sol diffusait une lueur étrange.
— On affirme que tuer un Rolynd apporte un grand pouvoir, dit Sarento en avançant, l’épée levée. Nous verrons… Que pensez-vous de mon arme ? Elle est belle, n’est-ce pas ? C’est une épée de puissance, composée de Sipstrassi. Dans l’ancienne langue, on les appelait des Pynral-ponas : les épées de la Pierre. Tout ce qu’elles frappent meurt. Venez, maître Shannow. Laissez-moi vous tuer ! (Shannow recula vers le pont.) Où vous cacherez-vous ? Voulez-vous retourner sur le Titanic et combattre mes gardes ? Faites-moi face, Rolynd ! Affrontez courageusement votre mort. Dépêchez-vous, je n’ai pas de temps à perdre !
— Je ne suis pas pressé…
Sarento attaqua, son épée décrivant un cercle dans l’air. Shannow plongea sous la lame, roula et se releva.
— Jolie manœuvre ! Il est toujours intéressant de voir un animal lutter pour sa vie, mais qu’y gagnerez-vous ? Quelques secondes de plus, c’est tout !
Sarento bondit sur Shannow, qui sauta par-dessus l’autel et atterrit de l’autre côté.
— Terean-Bezek ! cria Sarento.
Deux mains de pierre saisirent les chevilles de Shannow. Il baissa les yeux : des doigts minéraux l’emprisonnaient.
Sarento éclata de rire et contourna lentement l’autel.
— Quel effet cela fait-il de perdre, Homme de Jérusalem ? Votre âme hurlera-t-elle de douleur ?
— Vous ne le saurez jamais ! cracha Shannow.
Quand la lame du géant se leva, ses yeux se posèrent sur la surface de l’autel. Il y vit la gravure d’une épée à la garde incurvée.
L’arme de son rêve !
Shannow tendit la main. Ses doigts se refermèrent autour de la garde, soudain réelle. Quand il brandit l’épée, le bruit de l’acier frappant l’acier emplit la caverne.
Sarento recula. Il ne souriait plus. Shannow effleura du bout de la lame les mains de pierre qui emprisonnaient ses chevilles.
Elles disparurent.
— Vous aviez raison, Sarento. Cette caverne réserve de nombreuses surprises.
— C’est l’épée de Pendarric ! Je n’ai jamais pu la trouver, ni comprendre pourquoi j’en étais incapable, car on disait qu’elle attendait un Rolynd.
— Vous n’êtes plus un Rolynd, Sarento. Votre réserve de chance est épuisée !
Le sourire reparut sur les lèvres du géant.
— Nous verrons… À moins que vous trouviez une armure ?
Sarento avança. Son épée vola vers la tête de Shannow, qui para et frappa son adversaire au cou. Sa peau ne fut même pas entamée.
Le géant prit son épée à deux mains et attaqua. Jon recula, déviant ou parant les coups. Trois fois, son épée toucha sa cible.
Sans effet notable.
— Elle est aussi inutile que votre revolver.
La sueur ruisselait sur le visage de Jon. Sarento, lui, ne montrait aucun signe de fatigue.
— Je regretterai presque de devoir vous tuer, Shannow !
Jon inspira à fond et souleva l’épée sans quitter des yeux le plastron de l’armure du géant. La pierre dorée incrustée dedans était presque noire. L’épée de Sarento siffla. Shannow esquiva et frappa à la tête. La lame rebondit, mais Sarento tituba. Il porta la main à son front et la retira rouge de sang.
— C’est impossible, murmura-t-il.
Il regarda sa Pierre, cria de fureur et se lança de nouveau à l’attaque. Shannow recula jusqu’au centre du cercle de pierres. L’épée de Sarento coupa sa chemise et entailla la peau.
Jon tomba.
Le géant abattit sa lame, mais Shannow se mit à genoux, bloqua le coup et se releva.
Les deux hommes commencèrent à tourner l’un autour de l’autre.
— Vous mourrez quand même, Shannow.
Jon sourit.
— Vous avez peur, Sarento. Je le sens. Vous n’êtes pas un Rolynd. Vous ne l’avez jamais été ! Un Brigand aux rêves démesurés ! Et ils se termineront ici !
Sarento recula contre l’autel.
— Des rêves démesurés ? Qu’en savez-vous ? Vous cherchez une cité mythique. Moi, je souhaite que le monde redevienne ce qu’il était. Comprenez-vous ? Des parcs, des jardins, et les joies de la civilisation. Vous avez vu le Titanic. N’importe qui apprécierait son luxe. Plus de pauvreté, Shannow. Plus de famines. Le jardin d’Eden !
— Avec vous dans le rôle du serpent ? Merci bien !
Quand l’épée du géant s’abattit de nouveau, Shannow fit un pas de côté et plongea sa lame sous le plastron, dans le ventre de Sarento, qui cria et tomba sur l’autel. Shannow dégagea sa lame et faillit perdre pied quand la caverne frémit. Une stalactite se détacha du plafond et tomba dans le lac.
— Oh mon Dieu, murmura Sarento en tentant de saisir quelque chose sur l’autel. Le Titanic !
Lorsque la lame de Shannow se posa sur son cou, le chef des Gardiens roula sur le dos.
— Écoutez-moi ! Vous devez neutraliser le pouvoir. Le Titanic…
— Que voulez-vous dire ?
— Il suit le même cap que celui qui l’a détruit, quand il a sombré avec mille cinq cents personnes à bord. L’or…
— Le vaisseau est sur une montagne. Il ne peut pas couler.
— L’iceberg percera son flanc. La Pierre… créera l’océan…
Les yeux de Sarento se voilèrent et il glissa sur le sol. Quand son sang toucha la Pierre, il grésilla, et la roche absorba la grande tache rouge.
Shannow lâcha son épée et avança vers l’autel, à l’endroit où Sarento avait essayé d’attraper quelque chose. Il remarqua une protubérance. Quand il tira dessus, elle bougea, révélant une ouverture qui contenait quatre rouleaux de fils d’or.
Jon les dégagea, examina le cercle et compta treize Pierres dressées. Il approcha de la première et enroula l’or autour de la base.
Loin au-dessus de lui, le vaisseau fantôme naviguait sur la mer enchantée. Ses passagers dansaient et chantaient dans les immenses salles de bal. Un jeune couple sortit sur le pont. L’iceberg dominait la nuit, évoquant une pierre tombale géante.
— C’est incroyable, n’est-ce pas ? dit l’homme.
— Oui.
D’autres fêtards les rejoignirent. Ils se penchèrent par-dessus la rambarde et regardèrent la montagne de glace approcher.
Le vaisseau continua sa route, frôlant le flanc de l’iceberg. Les passagers hurlèrent de rire et reculèrent quand des morceaux de glace tombèrent sur le pont.
— Sarento est-il allé trop loin avec la Renaissance ? demanda la jeune fille.
— Il n’y a aucun danger, assura l’homme.
Et le vaisseau bascula.
Shannow avait fixé les fils d’or autour de six monolithes quand le sol vibra. La voûte frémit et une faille de un pied de large s’ouvrit. Les stalactites tombèrent comme des épées géantes et de l’eau coula de la fissure. Shannow saisit le fil pour le serrer. Sous ses pieds, le sol brillait de plus en plus. Il venait de connecter deux monolithes de plus quand la paroi de la caverne explosa. Des millions de tonnes d’eau glacée se déversèrent dans le lac.
Shannow ignora le chaos autour de lui et continua son labeur. Le rouleau qu’il utilisait était fini. Il en prit un autre. L’eau tourbillonnait autour de ses jambes, rendant la Pierre glissante. Il raccorda quatre monolithes de plus. Mais le lac avait tout submergé, et il dut lutter contre le courant. Une stalactite s’écrasa dans l’eau à côté de lui, lui heurtant le bras et lui arrachant le rouleau de fil d’or. Shannow plongea et tâtonna pour le récupérer.
Il fut obligé de nager jusqu’au dernier monolithe qu’il avait connecté et de suivre le fil à partir de là.
Le rouleau récupéré, il refit surface. Le niveau de l’eau augmentait rapidement, mais il ignora le danger jusqu’à ce qu’il ait bouclé le cercle d’or.
Il ne sentait plus la Pierre, sous ses pieds, mais voyait toujours sa lueur faiblissante. L’eau avait envahi la caverne. Shannow regarda la voûte se rapprocher rapidement de lui.
Il chercha une fissure par où se faufiler, mais ne trouva aucun moyen de sortir.
Le corps de Sarento flottait à côté de lui, le visage sous l’eau. Il le repoussa. Arrivé tout près de la voûte, il fut obligé de se tourner sur le dos pour garder sa bouche hors de l’eau.
Quand Batik ouvrit la porte, des balles s’écrasèrent sur le chambranle. Il plongea et roula sur le sol. Quatre gardes le visèrent. Madden arriva une fraction de seconde plus tard, son revolver crachant le feu. Un garde tomba, un deuxième eut le bras fracassé par une balle.
Les deux autres ouvrirent le feu sur Batik. Une balle lui traversa le flanc, et une autre ricocha sur le sol et lui déchira le dessous de la cuisse. Malgré ses blessures, il continua à tirer sur les gardes. Son premier projectile frappa un homme sous le menton et le projeta en arrière. Le deuxième fit exploser l’épaule du dernier garde. Madden l’acheva d’un coup à la tête.
Autour d’eux, des prêtres vêtus de rouge se précipitèrent à l’abri. Batik saisit la main tendue de Madden et se releva.
De l’autre côté des doubles portes, Achnazzar leva sa dague au-dessus du corps inconscient de Donna.
— Non ! cria Batik.
Madden et lui tirèrent en même temps. Ébranlé par l’impact, Achnazzar s’écroula sur les marches et sentit le sang emplir ses poumons. Serrant son couteau contre lui, il rampa vers la victime.
Mais quand il leva son arme, une ombre noire apparut au-dessus de lui.
Des griffes longues comme des sabres lui déchirèrent le dos. Le couteau tomba de ses doigts. Achnazzar n’eut pas la force de crier quand la main griffue le souleva et le fourra dans une horrible gueule béante.
Batik boitilla jusqu’à Donna et essaya de la détacher.
— Par le Christ ! cria Madden.
Batik leva la tête. En ayant terminé avec Achnazzar, le démon tendait une fois de plus la main.
Batik arma son revolver et se campa au-dessus de Donna.
Les doigts griffus s’ouvrirent…
Batik tira. La main frémit mais ne cessa pas son mouvement.
Il jeta son arme vide et sortit celle de Griffin de sa ceinture. Quand les doigts arrivèrent à sa portée, il sauta dans la paume de la main. Ses vêtements s’enflammèrent. Ignorant la douleur, il leva son arme à deux mains et visa l’immense gueule.
À quatre cents lieues de là, les eaux recréées de l’océan Atlantique coulèrent sur la Pierre de Sang, absorbant son pouvoir.
Batik passa à travers les doigts devenus transparents et atterrit dans la foule. Madden courut vers lui, éteignant à mains nues les flammes qui léchaient ses vêtements. Quand il eut terminé, il s’aperçut que Batik était toujours conscient. Il l’aida à se relever et ils retournèrent vers les marches du temple.
Au-dessus d’eux, l’image du démon s’effaçait rapidement. Un calme étrange descendit sur Madden.
— C’est terminé, dit-il à Batik.
— Pas encore, répondit l’Enfant de l’Enfer.
La foule en colère fondait sur eux.
Griffin se réveilla peu après minuit. La maison était vide. Il comprit que Madden et Batik étaient partis sauver sa femme. La honte l’empêcha de sentir la douleur de ses blessures. Il aurait dû être avec eux !
Il s’assit péniblement et tenta d’ignorer la souffrance due aux sutures qui fermaient ses plaies. Il regarda le jardin revenu à l’état sauvage. Jamais il ne s’était senti aussi seul. Il étudia son corps amaigri par les épreuves. Sa chemise était devenue trop grande pour lui, et sa ceinture avait un trou supplémentaire, percé par Madden avec son couteau de chasse.
Sa colère monta, nourrie par la frustration et un accablant sentiment d’impuissance. Mais il n’avait aucun exutoire à ses émotions. Ses pensées revinrent au jeune Éric, tué sur le pas de la porte de leur maison. Des larmes emplirent ses yeux. Il contempla le jardin. Les arbres auraient dû être taillés, car leurs branches couvraient les rosiers, arrêtant la lumière dont ils avaient besoin pour produire de belles fleurs.
Une ombre attira son regard. Quelque chose avait bougé près du portail, visible sous le clair de lune. Il n’y avait pas de lumière dans la maison. Griffin savait que personne ne pouvait le voir. Il attendit, les yeux rivés sur le portail, se fiant à sa vision périphérique pour repérer tout mouvement suspect. Un vieux truc de chasseur que Jimmy Burke lui avait appris des années auparavant.
Là ! Près du bouleau argenté ! Un homme avançait dans la végétation. Et encore un autre, accroupi près d’un arbuste de houx !
Griffin repéra deux autres silhouettes. Fouillant la pièce du regard, il constata que son revolver avait disparu. Madden avait dû l’emporter. Il se rallongea sur le canapé, se laissa glisser sur le sol et dégaina son couteau de chasse. Il n’était pas en état de se battre contre un seul homme, sans parler de quatre !
Réfléchis ! s’ordonna-t-il.
Il regarda autour de lui. Par où les intrus entreraient-ils ?
La fenêtre ouverte semblait le chemin le plus évident. Il avança lentement, à quatre pattes, et s’assit sous le rebord. Épuisé, il sentait sa tête tourner. Inspirant à fond, il s’appuya contre le mur de pierre. Quelques minutes passèrent. Son esprit battait la campagne. Un jour, il s’était caché comme ça alors que son père le cherchait pour lui administrer une correction. Il ne se rappelait pas ce qu’il avait fait pour la mériter. Mais il se souvenait du sentiment de défaite, à l’idée qu’il reculait seulement le moment de la punition.
La fenêtre grinça. Griffin leva la tête et vit une main sur le rebord.
Il s’accroupit. Une jambe apparut, le pied botté touchant presque son épaule. L’homme entra. Griffin se leva, saisit à pleine main la longue chevelure noire du type et lui coupa la gorge avant qu’il ait le temps de crier.
L’homme ne mourut pas sur-le-champ et se débattit. Puis il tomba à genoux et lâcha son arme. Griffin la récupéra et rampa vers le mur.
Le premier intrus avait cessé de bouger. Griffin arma le revolver et ferma les yeux pour mieux entendre.
Il se réveilla en sursaut. Combien de temps avait-il somnolé ? quelques secondes ? plusieurs minutes ?
Et pourquoi s’était-il réveillé ?
La crosse du revolver était chaude et gluante de sueur. Il s’essuya la main sur sa chemise et reprit l’arme. Dehors, il entendait des bruits de voix, et une lueur rouge emplissait la salle.
Un homme entra par la porte, du côté opposé de la pièce. Griffin lui tira deux fois dessus. Le tueur tituba et tomba, mais il leva son revolver. Une balle s’écrasa dans le mur, au-dessus de la tête de Cornélius. Tenant son revolver à deux mains, Griffin tira une troisième fois, et l’homme s’écroula. La pièce puait la poudre et de la fumée tourbillonnait dans l’air. Les oreilles de Griffin résonnaient des détonations. Il n’entendait rien d’autre.
Il se leva et jeta un coup d’œil par la fenêtre. Un homme courait vers la maison. Le premier coup de Griffin le rata, mais le deuxième lui transperça la poitrine. Le maître de convoi essuya la sueur qui coulait dans ses yeux et regarda le ciel nocturne.
… Il vit le Diable planer au-dessus des toits des maisons.
— Mon Dieu ! murmura-t-il.
— Non. C’est le mien ! dit une voix.
Griffin ne se retourna pas.
— Je me demandais ce qui vous était arrivé, Zedeki.
— Vous êtes difficile à tuer, maître Griffin !
— Je m’étonne que vous ne m’ayez pas encore descendu.
— J’ai pensé que vous aimeriez voir le dernier acte de la pièce. Regardez sa main, maître Griffin ! La prochaine personne que vous le verrez soulever sera votre épouse, qu’il portera à sa bouche pour la dévorer. Ensuite, je vous tuerai.
Le Diable disparut et Zedeki cria. Griffin se tourna et tira. La balle plaqua l’officier contre le mur. Ses genoux se dérobèrent sous lui. Il tomba, fixant toujours le ciel constellé d’étoiles.
Griffin s’assit et le regarda mourir.
Sur le balcon de marbre noir du temple, Abaddon se réjouissait de l’apparition de son dieu. Ses doutes le quittaient comme une brume qui se dissipe au matin. Des coups de feu retentirent dans le temple, et les prêtres s’éparpillèrent. Le roi vit Achnazzar soulevé du sol et dévoré par le Diable. Puis une silhouette vêtue de noir courut vers lui. La main immense s’abaissa et Abaddon cria de triomphe quand la paume gigantesque emporta le guerrier.
Mais le Diable disparut. Une atroce douleur poignarda le cœur d’Abaddon, comme si des doigts de feu s’étaient refermés dessus. Il hurla, bascula à l’intérieur de la chambre puis rampa vers le lit et le coffret d’ébène incrusté d’ivoire placé à côté. Il murmura les mots de pouvoir, mais le coffret ne s’ouvrit pas. Se relevant, il lutta pour se calmer, et appuya sur le bouton secret dissimulé sous le coffret. Le couvercle s’ouvrit et il saisit la grande Pierre de Sang ovale.
Il la regarda. Le rouge disparaissait, des stries noires se développant sous ses yeux.
— Non ! murmura-t-il.
Des taches de vieillesse apparurent sur ses mains, dont la peau se rida. Il se tourna et sortit un revolver de l’étui de cuir pendu à son lit.
— Garde ! cria-t-il.
Un jeune homme entra en courant.
— Qu’y a-t-il, sire ?
Abaddon lui tira une balle dans la tête, puis approcha la Pierre du cadavre. Il la tint sous le jet de sang qui coulait de la blessure, mais le pouvoir diminua encore.
Les stries noires s’étendaient toujours.
— Tu ne peux rien faire, Lawrence, dit Ruth.
Abaddon lâcha la Pierre et se laissa tomber près du garde mort.
— Aide-moi, Ruthie !
— Je ne peux pas. Tu aurais dû mourir il y a longtemps.
Les cheveux d’Abaddon blanchirent et son visage prit l’aspect du vieux cuir. Il n’avait plus la force de s’asseoir et retomba sur le sol.
Ruth s’assit près de lui et l’enlaça.
— Pourquoi es-tu partie ? murmura-t-il. Tout aurait pu être si différent…
La chair de son visage fondait. Ses lèvres remuèrent une dernière fois.
— Je t’aimais vraiment.
— Je sais.
Le corps d’Abaddon se raidit. Ruth sentit les os sous la peau, cassants et pointus.
Puis la peau se rétracta, et les os tombèrent en poussière.
Sur les marches du temple, Batik rechargea rapidement son revolver et s’assit face à la foule. Les grondements de rage moururent. La populace recula.
Les Enfants de l’Enfer regardèrent leurs mains peintes en rouge, et se dévisagèrent, perturbés. Au premier rang, un homme gémit et s’écroula.
Un autre s’agenouilla près de lui.
— Il est mort, dit-il.
Un troisième homme sortit sa Pierre de Sang de sa bourse. Elle était plus noire que le péché. Un autre Enfant mourut et la foule recula, s’éloignant du corps. D’autres personnes vérifièrent leur Pierre.
La panique se répandit dans les rangs.
Madden aida Batik à se lever et ils approchèrent de Donna. Quand ils enlevèrent les bandeaux d’argent de son corps, elle gémit et ouvrit les yeux.
— Jacob ?
— Tout va bien. Vous êtes en sécurité…
— Où est Cornélius ?
— Il nous attend. Nous vous emmenons près de lui.
— Et Éric ?
— Nous en parlerons plus tard. Prenez ma main.
Devant le temple, la foule s’éparpillait. Madden soutenait Donna. Un jeune homme aux cheveux noirs approcha.
— Je vous salue en Dieu, dit-il.
— Qui êtes-vous ? demanda Batik.
— Clophas. Vous ne me connaissez pas, mais j’étais au Sanctuaire en même temps que vous.
— Cela paraît si loin !
— Oui. Une vie entière ! Puis-je vous aider à secourir la dame ?
Sur le Titanic, les passagers se battaient dans les escaliers bondés, avides d’échapper aux eaux. La Pierre-Mère, déchaînant son pouvoir, joua son rôle à la perfection. Elle fit pencher le vaisseau pour imiter le désastre originel.
Des dizaines de Gardiens, de femmes et d’enfants basculèrent dans le vide en appelant au secours.
En vain.
Lors du naufrage de 1912, quelques hommes courageux avaient actionné les pompes jusqu’à la dernière minute. Mais aucun des Gardiens n’avait les connaissances nécessaires pour les imiter. Alors que la tragédie originelle avait duré trois heures, ce Titanic-là sombra en quelques minutes. Des cloisons s’effondrèrent, et des centaines de passagers moururent, emportés par l’océan.
Il n’y avait aucun moyen de fuir. Beaucoup de désespérés se jetèrent par-dessus bord. Ils s’écrasèrent dans l’eau, dépassèrent les limites du champ d’énergie de la Pierre et se fracassèrent sur les ruines déchiquetées d’Atlantis.
Amaziga Archer et son fils, Luke, traversèrent le salon des fumeurs et débouchèrent dans la salle commune du pont A. L’eau leur arrivait déjà à hauteur de la taille et continuait à monter. Luke sur ses épaules, la femme passa par une fenêtre brisée et sortit sur le pont dangereusement incliné du vaisseau. Luke s’accrocha à elle tandis qu’elle se frayait un chemin vers la poupe, dressée au-dessus de l’eau comme une immense tour. Passant un bras autour d’un étançon de cuivre, elle écouta les cris des victimes prisonnières de ce qui serait leur tombeau.
Lentement, le vaisseau agonisant s’enfonçait sous les vagues. De l’eau glacée caressa les chevilles d’Amaziga… Puis elle frémit et disparut.
La Pierre-Mère était vide, étouffée par le fil d’or et épuisée par le désastre qu’elle venait de recréer. Le vaisseau trembla et la mer s’évanouit. Amaziga s’assit puis toucha ses vêtements : ils étaient secs. Regardant autour d’elle, elle vit qu’elle était couchée sur un pont rouillé. À vingt pas d’elle, un survivant se leva.
— Nous nous en sommes tirés ! cria-t-il.
Le pont pourrissant céda sous les pieds de l’homme, qui fut englouti par le vaisseau mort. Amaziga sentit le pont bouger et rampa avec précaution vers la poupe, où le vaisseau touchait la montagne. Le pont céda. Amaziga avança une main et saisit la rambarde, Luke pendu à son cou. Elle sentit les muscles de son bras se distendre et se déchirer, mais ne lâcha pas prise. Alors, elle jeta un coup d’œil dans les entrailles du vaisseau fantôme.
— Tiens bon, Luke ! cria-t-elle.
Elle inspira à fond, se hissa vers le haut puis passa l’autre bras sur la rambarde. Elle la sentit plier sous son poids, mais se jeta en avant, grimpa sur la coque et avança lentement vers la falaise. Le précipice était encore plus impressionnant vu d’ici. Les ruines de l’Atlantide brillaient comme des dents pointues. Amaziga retira sa ceinture de cuir et la passa autour de Luke, l’attachant à elle.
Enfin, elle se hissa sur la falaise et entreprit la longue et périlleuse descente.
Shannow trouva dans le plafond rocheux un endroit concave qui contenait une petite poche d’air. La mort était proche. Même s’il essayait de s’en persuader, il savait qu’il n’était pas prêt. La colère et le désespoir le torturaient. Pas de Jérusalem ! Pas de fin à la quête de toute une vie ! L’eau monta jusqu’à son menton et clapota dans sa bouche. Il toussa et cracha, ses doigts agrippant les rochers alors que le poids de son manteau et de ses armes le tirait vers le bas.
— Calmez-vous, Shannow ! lança une voix dans son esprit.
Une lueur apparut sur sa droite. Le visage de Pendarric se matérialisa, comme un reflet sur le plafond de pierre.
— Venez avec moi, si vous voulez vivre, dit l’Atlante.
Sous l’eau, la lueur disparut. Shannow jura, puis remplit ses poumons d’air et plongea. Loin au-dessous, il voyait la Pierre-Mère, dont la lueur diminuait rapidement. Le visage fantomatique flottait devant lui. Il nagea dans sa direction, de plus en plus profondément. Ses poumons commencèrent à brûler. Pendarric glissa devant lui et approcha d’une entrée de tunnel noire, près du sol de la caverne. Shannow sentit que le courant l’attirait dans le tunnel. Sa poitrine le faisait horriblement souffrir. Il exhala un peu d’air et faillit céder à la panique. Mais la voix de Pendarric le calma.
— Courage, Rolynd.
Ballotté de rocher en rocher dans le tunnel, il lui devint bientôt impossible de retenir son souffle. Ses poumons expulsèrent de l’air et s’emplirent d’eau salée. Pris de vertige, il perdit conscience au moment où son corps émergeait de la montagne. La forme translucide de Pendarric se matérialisa à côté de Jon, mais il était incapable d’aider le mourant.
— Ruth ! appela-t-il, son cri puissant comme le tonnerre dans le monde des esprits.
Jon était allongé, immobile. Pendarric appela de nouveau.
Ruth apparut et comprit aussitôt ce qui se passait. S’agenouillant, elle fit rouler Shannow sur le ventre et s’assit à califourchon sur son dos. Elle appuya de toutes ses forces afin de contraindre les poumons de l’homme à expulser le liquide mortel.
L’Homme de Jérusalem ne montrait toujours aucun signe de vie. Elle le retourna sur le dos et lui souleva la tête. Puis elle lui pinça les narines et, posant sa bouche sur la sienne, respira pour lui.
Après quelques minutes, Shannow gémit.
— Vivra-t-il ? demanda Pendarric.
— Oui.
— Vous êtes fatiguée, ma dame.
— Oui. Mais j’ai trouvé le moyen.
— J’espérais que vous le feriez. Souffrez-vous beaucoup ?
Les yeux de Ruth rencontrèrent ceux de Pendarric. Aucune réponse n’était nécessaire.
— Vous avez beaucoup de courage, Ruth. Accrochez-vous à lui. Ne laissez pas le pouvoir des Pierres de Sang vous engloutir. Elles feront de vos rêves des fantasmes absurdes et vous empliront le cœur du désir de gouverner.
— Ne craignez rien pour moi, Pendarric. Les rêves de conquête sont bons pour les hommes. Pourtant, à mesure que je draine le pouvoir des Pierres, je sens que le mal contamine mon âme. La haine et la luxure s’épanouissent en moi. Pour la première fois de ma vie, je comprends le désir de tuer.
— Le ferez-vous ?
— Non.
— Pouvez-vous arrêter les Enfants de l’Enfer sans cela ?
— J’essaierai…
— Vous êtes plus forte que moi, Ruth.
— Plus sage, peut-être, mais plus aussi humble que jadis. Enfin, vous aviez raison : je ne peux pas vivre avec cette force en moi.
— Faites le grand saut et connaissez la paix.
— Oui. La paix. Si je pouvais emporter dans la mort toute la haine du monde…
Pendarric haussa les épaules.
— Vous détruirez les Pierres. C’est suffisant. (Shannow gémit et roula sur le côté.) Je vous dis adieu maintenant, Ruth. C’est un honneur de vous avoir connue.
— Merci de vos leçons.
— L’élève est supérieure au maître, souffla Pendarric.
Puis il disparut.
Shannow se réveilla sur un sol rocheux, à une demi-lieue des ruines de marbre. Le Titanic était redevenu l’épave rongée par la rouille qu’il avait vue la première fois. Puis une déchirure immense apparut sur son flanc et un flot d’eau en sortit, se déversant sur la ville morte. De longues minutes durant, Shannow vit des corps minuscules être entraînés par les eaux.
Il s’assit et s’aperçut que Ruth, à côté de lui, assistait à la deuxième mort du vaisseau légendaire. Des larmes aux yeux, elle détourna le regard.
— Je vous remercie de m’avoir sauvé la vie, souffla Shannow.
— Je porte la responsabilité de leur mort, dit Ruth, tandis que des corps continuaient à tomber sur Atlantis.
— Ils sont responsables de leur fin. Vous ne pouvez pas vous en blâmer.
Elle soupira et se détourna du vaisseau.
— Donna est saine et sauve. Elle a retrouvé Cornélius Griffin.
— Je leur souhaite beaucoup de bonheur.
— Je sais. Cela fait de vous un homme remarquable.
— Et Batik ?
— Il a été blessé, mais il survivra. C’est un homme fort. Il a affronté le Diable !
— Le Diable ?
— Non, dit Ruth en souriant, mais une bonne imitation.
— Et Abaddon ?
— Il est mort, Jon.
— Tué par Batik ?
— Non. Par vous. Ou peut-être les Gardiens l’ont-ils tué il y a bien longtemps…
— Je ne comprends pas.
— Vous vous rappelez, quand je vous ai parlé de Lawrence, de la paix et du bonheur qu’il avait trouvés après la Chute ? Quand je vous ai dit comment il avait contribué à rebâtir le monde ?
— Oui.
— Et aussi des visions du Diable lui parlant et le guidant ?
— Je m’en souviens.
— Le Diable se terrait ici, Jon, dans ce vaisseau maudit. Il était les Pierres et ceux qui les utilisaient. C’étaient eux, les loups de l’ombre qui poussaient Lawrence à leur procurer des âmes pour alimenter les Pierres. Ils ont trouvé la faille dans l’armure de Lawrence, et fait naître et grandir Abaddon. Ils lui ont donné du pouvoir et l’ont gardé en vie pendant des siècles. Quand vous avez court-circuité ce pouvoir, il est redevenu lui-même : un homme mort depuis longtemps.
— Sarento avait un rêve, dit Shannow. Il voulait rebâtir l’ancien monde, recréer les villes, restaurer la civilisation.
— Ce n’était pas un rêve, mais un cauchemar. Croyez-moi ! J’ai vécu dans l’ancien monde, et il y a peu de chose que je voudrais revoir. Pour chaque bénédiction, on trouvait une malédiction. Pour chaque joie, dix chagrins. Les neuf dixièmes des peuples manquaient de nourriture et il y avait partout des guerres, des famines et des épidémies. Ce monde était condamné avant la Chute, mais il a mis longtemps à mourir.
— Qu’allez-vous faire ?
— Retourner au Sanctuaire.
— Selah va bien ?
— Oui. Il est parti, maintenant… Je l’ai envoyé dans le monde, comme mes autres élèves. Il voyage avec Clophas et s’entend bien avec lui.
— Vous serez seule au Sanctuaire ?
— Pendant quelque temps.
— Vous reverrai-je ?
— Je ne crois pas.
Elle se tourna vers l’épave et aperçut une minuscule silhouette qui descendait le flanc de la montagne.
— Puis-je vous demander une dernière faveur, Jon ?
— Bien entendu.
— C’est Amaziga Archer et son fils. Emmenez-les en sécurité.
— Je le ferai. Adieu, Ruth.
— Adieu. Cherchez votre cité et trouvez votre dieu.
Shannow sourit.
— Je n’y manquerai pas.
De retour au Sanctuaire, Ruth s’allongea sur son canapé et invoqua toute la puissance qu’elle avait accumulée au fil des siècles. Son corps devint lumineux, grandit et absorba la totalité du Sanctuaire, plus le pouvoir de toutes les Pierres de Sang à sa portée. Tandis que sa force grandissait, sa douleur en fit autant. Un conflit intérieur la déchira quand la volonté des Pierres de Sang rencontra l’essence du Sanctuaire. La fureur se déchaîna dans son âme. Tous les moments oubliés de colère, de luxure et d’avidité lui revenaient en mémoire.
L’être qui était autrefois Ruth Welby sortit dans la nuit comme un nuage étincelant, se dispersa dans l’air et voyagea sur les courants des vents nocturnes.
Un moment, elle lutta pour garder conscience de son identité, résistant au pouvoir obscur des Pierres, qui rétablissait l’harmonie dans sa force.
Puis elle arriva au-dessus de l’armée des Enfants de l’Enfer qui se préparait à la charge finale contre les défenseurs de Sweetwater. À ce moment, elle s’abandonna à l’infini, et tomba sur la vallée comme une pluie de lumière dorée.
Pendant que son armée se rassemblait pour l’attaque, le général Abaal était assis sur la crête d’une colline et regardait le col de Sweetwater d’un air morose. Depuis deux jours, la défense faiblissait, car Cade et ses hommes étaient à court de munitions. La veille, les Enfants de l’Enfer avaient presque réussi à passer, mais Cade avait stimulé ses hommes et les guerriers d’Abaal avaient été repoussés après un terrible combat au corps à corps.
Abaal savait que la résistance prendrait fin aujourd’hui. Il inspecta l’entrée du col, où les cadavres boursouflés des hommes et des chevaux gisaient sous le soleil. Près de mille jeunes gens qui ne rentreraient jamais chez eux !
La chaleur du soleil l’obligea à retirer son épais manteau noir. Il se rallongea sur l’herbe, les yeux rivés sur les défenseurs. Les ennemis aussi avaient perdu beaucoup d’hommes. Normalement, ils auraient déjà dû abandonner. Ils étaient en infériorité numérique, sans espoir de gagner.
Pourtant, ils s’acharnaient.
Abaal chercha en lui le réconfort de sa haine, mais il ne le trouva pas.
Comment détester des hommes et des femmes prêts à mourir pour défendre leurs foyers ?
Son aide de camp, Doreval, déboula au sommet de la crête et descendit de sa monture.
— Les hommes sont prêts, général.
— Que pensent-ils de la perte de leur Pierre ?
— Ils connaissent la peur, mais ils sont disciplinés.
Abaal fit signe au jeune homme de s’asseoir à côté de lui.
— J’ai une curieuse sensation, aujourd’hui.
— Laquelle, général ?
— C’est difficile à expliquer. Les haïssez-vous, Doreval ? Les défenseurs ?
— Bien entendu. Ce sont nos ennemis.
— Mais votre haine est-elle aussi forte que d’habitude ?
Le jeune homme détourna le regard. Ses yeux se posèrent sur les cadavres étendus dans la plaine.
— Oui. dit-il enfin.
Abaal comprit que le jeune homme mentait, mais il ne dit rien.
— À quoi pensez-vous ?
— Je me souviens de la mort de mon père… Pendant qu’il agonisait, j’étais assis à côté de lui, pensant à la fortune dont j’hériterais et à ses concubines qui seraient bientôt à moi… Je ne l’ai jamais remercié. Un sentiment étrange.
— Dites-moi la vérité, Doreval. Avez-vous envie de vous battre aujourd’hui ?
— Oui, général. Ce sera un honneur de conduire les hommes à l’attaque.
Abaal regarda le jeune homme et comprit qu’il mentait encore. Il ne pouvait pas lui en vouloir. La veille, il l’aurait tué s’il avait avoué la vérité.
— Dites aux hommes que l’attaque est annulée.
— Oui, général, répondit Doreval en cachant mal son soulagement.
— Et apportez-moi un pichet de vin.
À l’entrée du col, Cade regarda l’armée ennemie mettre pied à terre.
— À quoi jouent-ils, Daniel ? demanda Gambion.
Cade haussa les épaules et observa son revolver. Il lui restait deux balles. Il ferma les yeux. Gambion pensa qu’il priait et recula de quelques pas. Mais Cade essayait seulement de réfléchir. Il ouvrit les yeux et regarda les défenseurs.
Ils s’étaient si bien battus !
Longtemps auparavant, ou ce qui lui paraissait longtemps, Lisa lui avait demandé s’il comptait lever une armée avec des agneaux. Il l’avait fait, et ces agneaux-là étaient sacrément courageux. Mais la bravoure avait ses limites. Maintenant, ils mourraient tous. Cade comprit qu’il n’avait pas le courage de regarder les choses en face. Il rengaina son arme et se leva.
— Donne-moi mon bâton, Ephram.
— Où vas-tu ?
— Parler à Dieu.
Gambion lui tendit le bâton sculpté. Daniel boitilla vers l’entrée du col et regarda les cadavres des Enfants de l’Enfer qui pourrissaient sur l’herbe. La puanteur lui retourna l’estomac. Il continua son chemin.
La journée était splendide. Son genou ne le faisait presque plus souffrir.
— Dieu, nous devrions avoir une petite conversation, avant la fin ! Soyons honnêtes : je ne crois pas vraiment en Vous, mais j’imagine que je n’ai rien à perdre à essayer de Vous parler. Si je me parle à moi-même, tant pis. Mais si Vous êtes là, quelque part, peut-être m’écouterez-Vous. Ces gens vont mourir. Je sais, ce n’est pas une grande affaire : les hommes crèvent depuis des milliers d’années. Mais ceux-là se préparent à périr pour Vous. Il faut bien que cela ait un sens ! Si je suis un faux prophète, ce sont de vrais croyants, et j’espère qu’ils ne seront pas damnés à cause de moi. Je n’ai jamais valu grand-chose. Trop paresseux pour devenir fermier, j’ai passé ma vie à piller et à voler. Je n’ai pas d’excuses. Mais regardez Ephram et les autres : ils valent mieux que ça ! Ils se sont vraiment repentis, quel que soit le nom que Vous donniez au phénomène. Je les ai conduits à la mort. Il ne faudrait pas qu’ils arrivent devant les portes du Paradis et qu’on leur dise qu’ils n’y entreront pas. Voilà. C’est tout ce que j’avais à dire, Dieu !
Cade avança vers l’armée des Enfants de l’Enfer. Il tira son revolver de sa ceinture et le jeta dans l’herbe.
Entendant du bruit derrière lui, il se retourna et vit Ephram Gambion avancer vers lui, son crâne chauve luisant de sueur.
— Qu’a-t-il dit, Daniel ?
Cade sourit et tapota l’épaule du géant.
— Il m’a laissé parler cette fois, Ephram. Tu veux faire une petite promenade ?
— Où allons-nous ?
— Voir les Enfants de l’Enfer.
— Pourquoi ?
Cade ignora la question et continua à avancer. Gambion le rattrapa.
— Tu es toujours avec moi, Ephram ?
— En douterais-tu ?
— Non… Regarde ce ciel. Lourd de nuages. Une bonne journée pour mourir…
— C’est cela que nous allons faire ? mourir ?
— Tu n’es pas obligé de me suivre. Je peux le faire seul.
— Je le sais, Daniel. Mais je t’ai suivi jusque-là. Je reste avec toi. Nous nous sommes sacrément bien débrouillés pour un groupe de Brigands et de fermiers !
— C’étaient les meilleurs moments de ma vie, avoua Cade. Mais j’aurais dû dire adieu à Lisa.
Les deux hommes avancèrent en silence sur la plaine, face à l’armée ennemie. Ils furent repérés par un éclaireur qui prévint Doreval. Le jeune homme alla voir Abaal, qui ordonna qu’on lui selle un cheval.
Gambion vit des dizaines de soldats chevaucher vers Cade et lui. Il tira son revolver.
— Jette-le !
— Je ne mourrai pas sans me battre !
— Jette-le !
Gambion jura, et lança l’arme dans l’herbe.
Les Enfants de l’Enfer ralentirent et se placèrent en cercle autour des deux hommes. Cade ignora les armes pointées sur eux et regarda le général aux cheveux gris descendre de cheval.
— Vous êtes Cade ?
— Oui.
— Je suis Abaal, le chef de la 6e division. Pourquoi êtes-vous là ?
— Il était temps que nous nous rencontrions…
— Dans quelle intention ?
— Je pensais que vous aimeriez enterrer vos morts.
— Cette journée est bizarre, dit Abaal. Comme un rêve… Est-ce de la magie ?
— Non. C’est peut-être ce qui arrive quand trop de gens sont tombés pour rien. Peut-être est-ce seulement de la fatigue.
— Que voulez-vous dire, Cade ? Parlez sans crainte.
Cade éclata de rire.
— Sans crainte ? Pourquoi pas ? Que faisons-nous ici à nous entre-tuer ? Pourquoi nous battons-nous ? pour un bout de terre ? quelques champs vides ? Pourquoi ne rentrez-vous pas chez vous, tout simplement ?
— Il se passe quelque chose d’étrange ici, dit Abaal. Je ne comprends pas, mais je sens une profonde vérité dans ce que vous dites. Vous nous autoriserez à donner une sépulture à nos camarades ?
— Oui.
— Alors, je suis d’accord avec vous. La guerre est terminée.
Abaal tendit la main. Cade la regarda, incapable de bouger. Cet homme avait ordonné un massacre, provoqué la mort et la douleur. Levant les yeux vers Abaal, Cade se força à serrer sa main tendue. Quand il le fit, ses derniers vestiges d’amertume le quittèrent et il dut refouler des larmes.
— Vous êtes un grand homme, Cade, dit Abaal. Et je serai exécuté pour vous avoir écouté. Peut-être nous rencontrerons-nous en Enfer.
— Je n’en doute pas…
Abaal sourit, remonta sur son cheval et ramena ses troupes au camp.
— Jésus-Christ ! dit Gambion. Avons-nous gagné, Daniel ?
— Ramène-moi à la maison, Ephram.
Quand ils approchèrent de Sweetwater, les défenseurs, leurs femmes et leurs enfants vinrent à leur rencontre. Cade était incapable de parler, mais Gambion raconta comment la paix avait été conclue. Des hommes hissèrent Cade sur leurs épaules et le ramenèrent dans le col.
Lisa attendait près d’un bosquet d’ormes, les larmes aux yeux. Daniel approcha d’elle. Des chants résonnaient dans la montagne.
— Est-ce vraiment terminé, Dan ?
— Oui.
— Et tu as gagné ! Maintenant, tu voudras devenir roi !
Il l’attira contre lui et l’embrassa.
— C’était un autre homme, à un autre endroit… Tout ce que je désire désormais, c’est fonder une famille avec toi. Je ne veux plus rien avoir à faire avec la guerre, les revolvers ou la mort. Je ferai pousser du blé, j’élèverai du bétail et je serai avec toi. Peu m’importe de devenir roi !
Lisa sourit.
— Maintenant que tu ne le veux plus, tu le deviendras certainement !