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– Pourquoi tu t’es arrêté là ? demanda Elinborg d’un ton cassant, une fois qu’ils eurent quitté la maison et furent sortis dans la rue.
Elle avait eu le plus grand mal à cacher sa surprise quand Erlendur avait tout à coup remercié Katrin de s’être montrée si coopérative. Il avait affirmé savoir combien il était éprouvant pour elle d’aborder cette question et promis qu’il s’arrangerait pour que ce qu’ils s’étaient dit reste entre eux. Elinborg était bouche bée. Leur conversation venait à peine de débuter.
– Elle avait commencé à mentir, répondit Erlendur. C’est une épreuve trop dure pour elle. Nous la reverrons plus tard. Il faut mettre son téléphone sur écoute et nous avons besoin d’une voiture devant la maison pour surveiller ses allées et venues ainsi que les visites qu’elle reçoit. Il faut qu’on fasse croire qu’on est à la poursuite de dealers. Nous devons nous débrouiller pour savoir ce que font ses fils, obtenir des photos récentes d’eux si possible, mais sans que cela éveille la curiosité, il faut aussi que nous retrouvions des gens qui connaissaient Katrin quand elle vivait à Husavik et qui se souviennent de cette soirée, même si ça revient peut-être à couper les cheveux en quatre. J’ai déjà demandé à Sigurdur Oli de contacter le Service des phares et des affaires portuaires et de voir s’ils peuvent nous dire à quelle époque Holberg travaillait à Husavik. Il s’en est peut-être déjà occupé. Quant à toi, procure-toi un acte de naissance de Katrin et d’Albert et vérifie en quelle année ils se sont mis en ménage.
Erlendur s’était installé dans la voiture.
– Au fait, Elinborg, tu pourras revenir la prochaine fois que nous l’interrogerons.
– Est-il possible de faire des choses telles que celles qu’elle a décrites ? demanda Elinborg dont l’esprit était encore fixé sur le récit de Katrin.
– Je suppose que tout est possible quand Holberg est dans le coup, répondit Erlendur.
Il redescendit à Nordurmyri. Sigurdur Oli s’y trouvait encore. Il avait appelé les télécoms pour se renseigner sur les appels reçus par Holberg le week-end où il avait été assassiné. Deux d’entre eux émanaient de son employeur et les trois autres de téléphones publics : deux d’une cabine de la rue Laekjargata, et un autre d’un appareil à pièces de la place Hlemmur.
– Autre chose ?
– Oui, les fichiers pornos dans son ordinateur. Les services de la police scientifique en ont épluché une bonne partie et c’est terrifiant. Absolument terrifiant. Il y a là-dedans les pires choses qu’on puisse trouver sur le Net, ce qui inclut les animaux et les enfants. Ce gars-là était un véritable détraqué sexuel. Je crois qu’ils ont abandonné l’idée de visionner tout ça.
– C’est peut-être inutile de leur infliger toutes ces souffrances, répondit Erlendur.
– Je ne sais pas, dit Sigurdur Oli, mais cela nous brosse quand même un petit portrait du monstre répugnant et abject qu’était cet individu.
– Tu suggères qu’il méritait bien d’être assommé et éliminé ? remarqua Erlendur.
– Et toi, qu’en penses-tu ?
– Tu as contacté le Service des phares et des affaires portuaires au sujet de Holberg ?
– Non.
– Il faut s’y mettre.
– Est-ce que c’est à nous qu’il fait signe ? demanda Sigurdur Oli. La voiture était garée devant chez Holberg. L’un des techniciens était sorti de l’appartement et, debout dans sa combinaison blanche, leur faisait signe de venir. Il paraissait considérablement ébranlé. Ils descendirent de voiture, entrèrent dans l’appartement et le technicien leur fit signe de s’approcher de l’un des deux écrans de télévision. Il tenait une petite télécommande et leur expliqua qu’il dirigeait une caméra introduite dans l’un des trous percés dans le coin du salon.
Ils regardaient l’écran mais n’y voyaient rien qui éveillât leur intérêt. L’image était grossière, l’éclairage insuffisant ; elle manquait de netteté et de couleur. Ils voyaient des graviers ainsi que la dalle mais, à part ça, il n’y avait rien d’inhabituel. Il s’écoula ainsi un bon moment jusqu’à ce que le technicien n’y tienne plus.
– Il s’agit de cette chose, à cet endroit, dit-il en montrant le haut de l’écran. Juste en dessous de la dalle.
– Quoi donc ? demanda Erlendur qui ne voyait rien.
– Vous ne le voyez pas ? demanda le technicien.
– Mais, quoi ? dit Sigurdur Oli.
– L’anneau, précisa le technicien.
– L’anneau ? demanda Erlendur.
– Nous avons probablement trouvé un anneau en dessous de la dalle, vous ne le voyez pas ?
Ils scrutèrent l’écran jusqu’à ce qu’ils voient apparaître une forme qui pouvait effectivement être celle d’un anneau. Il était très difficile à distinguer, comme si quelque chose lui faisait de l’ombre. Ils ne voyaient rien de plus.
– On dirait qu’il y a quelque chose devant, observa Sigurdur Oli.
– C’est peut-être du plastique utilisé lors des travaux, commenta le technicien. D’autres personnes les avaient rejoints autour de l’écran pour suivre le déroulement des événements. Regardez cette chose, là, dit le technicien. La ligne à côté de l’anneau, cela pourrait tout aussi bien être le doigt d’un homme. Il y a quelque chose, ici, dans le coin, et je crois que nous devrions l’examiner de plus près.
– Cassez-moi ça, ordonna Erlendur. Allons voir ce que c’est.
Les techniciens s’étaient déjà mis au travail. Ils avaient délimité l’emplacement dans le salon et s’étaient mis à casser le sol au gros marteau piqueur. La fine poussière envahit l’appartement, Erlendur et Sigurdur Oli mirent leurs masques. Ils surplombaient les techniciens et regardaient s’agrandir l’ouverture dans le sol. La dalle avait une épaisseur d’environ quinze à vingt centimètres et il fallut un certain temps au marteau piqueur pour la traverser.
Une fois que ce fut fait, l’ouverture s’agrandit rapidement. Les morceaux de ciment étaient balayés au fur et à mesure et le plastique que montrait la caméra apparut bientôt. Erlendur regardait Sigurdur Oli qui hochait la tête à son attention.
Le plastique était de plus en plus visible. Erlendur avait l’impression qu’il s’agissait d’une épaisse bâche de maçonnerie. Il était impossible de voir au travers. Il avait oublié le bruit dans l’appartement, l’odeur immonde et la poussière dégagée. Sigurdur Oli avait retiré son masque afin de mieux y voir. Il se penchait et allongeait la tête par-dessus l’épaule des techniciens, occupés à casser le sol.
– C’est comme ça qu’ils ouvrent les tombeaux des pharaons en Égypte ? demanda-t-il, ce qui détendit un peu l’atmosphère.
– Je crains que celui qui est enterré là-dessous n’ait rien d’un roi, répondit Erlendur.
– Est-il possible que nous soyons en train de retrouver Grétar dans la cave de Holberg ? dit Sigurdur Oli sans cacher son impatience. Au bout d’un foutu quart de siècle ! Nom de Dieu, mais c’est du pur génie !
– Sa mère avait donc raison, observa Erlendur.
– La mère de Grétar ?
– On aurait dit qu’il avait été subtilisé : voilà ce qu’elle m’a dit.
– Emballé dans du plastique et glissé sous le sol.
– Marion Briem, murmura Erlendur en lui-même en secouant la tête.
Les techniciens se démenaient sur les perceuses électriques, le sol se disloquait à leur contact et l’ouverture s’agrandissait jusqu’à ce que l’ensemble du paquet plastifié apparaisse. Il avait la longueur d’un homme de taille moyenne. Les techniciens discutèrent pour savoir comment ils allaient s’y prendre pour l’ouvrir. Mais ils décidèrent de le retirer du sol en un seul morceau et de n’y toucher qu’une fois qu’ils l’auraient amené à la morgue de Baronsstigur où il serait possible de l’examiner sans risquer de détruire d’éventuels indices ou pièces à conviction.
Ils allèrent chercher une civière qu’ils avaient apportée la veille et la déposèrent par terre. Deux d’entre eux essayèrent de soulever le paquet mais celui-ci s’avéra trop lourd et deux autres vinrent à leur rescousse. Le paquet ne tarda pas à bouger et à se libérer de l’endroit où il avait été conservé, ils le soulevèrent et le déposèrent sur la civière.
Erlendur s’en approcha, se pencha dessus, tenta de scruter à travers le plastique et crut distinguer la forme d’un visage, décomposé et moisi, quelques dents et un bout de nez. Il se releva.
– Il n’a pas l’air si mal en point que ça, dit-il.
– Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Sigurdur Oli en désignant l’intérieur du trou.
– Quoi ? demanda Erlendur.
– Ce ne serait pas des pellicules ? dit Sigurdur Oli.
Erlendur s’approcha, s’agenouilla et remarqua effectivement qu’à la place du paquet se trouvaient des pellicules à demi enfouies sous les graviers. Des mètres et des mètres de pellicules éparpillés un peu partout. Il espérait bien que certaines d’entre elles contenaient encore des photos.