Cameron se tenait devant les grilles de fer forgé.
La fille se trouvait à l’intérieur de la maison depuis maintenant
près d’une heure. Il s’appuya contre les barreaux, tenaillé par le
désir brûlant de terminer ce qu’il avait commencé.
Au souvenir du fiasco à la gare, il enfonça ses
ongles dans ses paumes. Elle était si légère, pourtant, comme une
enfant… Mais à peine l’avait-il poussée que les banlieusards
s’étaient massés devant lui, l’empêchant de voir ce qui se passait.
Quand les rames s’étaient engouffrées dans la gare, il avait
entendu le crissement strident des freins. La foule l’avait
cependant privé du spectacle offert par la fille terrorisée.
D’où le sentiment d’avoir laissé son travail
inachevé.
Il jeta un coup d’œil à travers les grilles. Avec
toutes ces lumières, l’allée ressemblait à une piste
d’atterrissage. Tout au bout, Cameron distinguait les contours de
la demeure, dont deux fenêtres étaient éclairées. Il pressa son
visage contre le métal froid et, en imaginant la fille dans l’une
de ces pièces, il sentit une onde de chaleur se répandre dans son
bas-ventre.
Pourquoi avait-il fallu qu’on lui ordonne de
battre en retraite ?
Il secoua les barreaux pour évaluer leur
résistance. Hauts d’environ trois mètres cinquante, ils étaient
bordés de part et d’autre par un mur de béton qui longeait la route
enténébrée. Une caméra de surveillance fixée à un support pivota
vers lui, balayant l’allée jusqu’au portail. Cameron se coula dans l’ombre sur le côté pour
sortir du champ. Toutes les baraques de ce genre se ressemblaient.
Murs dignes d’une prison, détecteurs de mouvement, caméras à
infrarouges… Les propriétaires ne lésinaient pas pour délimiter un
périmètre de sécurité maximale. Bah, et après ? Il y avait
toujours moyen d’entrer.
Fort de cette certitude, il entreprit de faire le
tour du mur d’enceinte en laissant sa main courir sur le lierre qui
s’accrochait à la brique. Une odeur d’humus lui parvenait de la
forêt proche. Un bruissement s’éleva soudain d’un fourré
– sans doute un petit animal en fuite. Cameron atteignit une
grille latérale, d’où il contempla de nouveau la longue maison
en L. Comme il avait hâte de la voir en flammes !
Mais on lui avait interdit le feu. Pour le
moment.
Rares étaient ceux qui comprenaient le feu aussi
bien que lui. La plupart des gens en avaient peur, mais pas lui.
Parce qu’il avait passé du temps à l’apprivoiser, à observer ses
couleurs changeantes, ses formes tremblantes.
Cameron continua sa progression le long du mur
tout en caressant les feuilles de lierre. Piéger un homme au cœur
d’un brasier procurait une jouissance beaucoup plus intense que le
pousser devant un camion. Plus durable aussi, du moment qu’on
trouvait un abri sûr d’où observer la scène. C’était bien différent
des accidents de la route, où tout se jouait en quelques secondes,
le temps d’un cri ; avec les incendies, le sentiment
d’euphorie allait crescendo, jusqu’à atteindre une sorte de transe
à même de combler provisoirement le besoin de destruction.
Il avait entendu dire que beaucoup de tueurs en
série avaient été des pyromanes dans leur jeunesse. Le « Fils
de Sam », par exemple. Il était à l’origine de milliers
de sinistres… Cette pensée amena un sourire sur les lèvres de
Cameron. Bon, lui-même ne jouait pas encore dans cette
catégorie. Mais qui sait, ce serait peut-être un jour le
cas ?
Il revint
vers la grille latérale, essaya de l’ouvrir et la découvrit
verrouillée. Les barreaux, dont la peinture s’écaillait sous ses
doigts, lui parurent moins résistants qu’à l’entrée. En les
examinant, il s’aperçut qu’ils étaient manifestement plus anciens
que ceux de la grille principale, plus rouillés, plus fragiles au
niveau des soudures. Le rythme de sa respiration s’accéléra.
S’il avait reçu l’ordre de ne pas intervenir, rien
ne l’empêchait cependant de se rapprocher de la fille…