Ils se trouvaient dans une partie de l’aéroport
que Harry ne connaissait pas et qui, à en juger par son aspect
négligé, n’était guère fréquentée.
En arrivant sur le site, Jude Tiernan avait suivi
le panneau Départs, mais à la dernière seconde il avait tourné à
gauche pour prendre une petite route latérale étroite qui
s’éloignait du terminal principal. Il avait roulé ainsi, sans
donner la moindre explication, sur trois ou quatre kilomètres,
avant d’emprunter un chemin cahoteux désert.
— Vous pouvez me dire où on va ? demanda
Harry.
Les bâtiments de l’aéroport étaient maintenant
loin derrière eux ; tout autour se déployait une étendue
d’herbes folles sillonnée par des rubans de bitume gris et vide.
Aucun touriste chargé de bagages n’était en vue.
— Vous le saurez bientôt, répondit Tiernan.
Il quitta la piste de terre battue pour s’engager
sur le terrain accidenté. Plus loin se dressait une structure de
tôle ondulée évoquant un grand hangar désaffecté. Jude la
contourna, ralentit et, enfin, coupa le moteur.
— Suivez-moi, dit-il en descendant de
voiture.
Au moment où Harry l’imitait, un homme vêtu d’une
salopette verte émergea de sous un hélicoptère. En apercevant les
nouveaux venus, il agita la main à leur adresse puis leva le pouce
à l’intention de Jude Tiernan. Celui-ci lui rendit son salut et
s’approcha de l’appareil. Sans un regard en arrière, il ouvrit la porte pour grimper à
l’intérieur.
Harry n’hésita qu’un instant avant de se hisser à
son tour dans le cockpit. Tiernan, assis à la place du pilote, se
penchait déjà pour examiner les instruments de bord comme s’il
savait ce qu’il avait à faire. Alors que Harry se dirigeait vers
les sièges à l’arrière, il l’invita à s’installer près de
lui.
— Vous profiterez mieux de la vue,
expliqua-t-il.
Cette précision arracha une petite grimace à
Harry, qui souffrait autant du vertige que d’un sens de
l’orientation éminemment défaillant. Elle s’assit néanmoins à la
place indiquée, d’où elle contempla le paysage de terrains herbeux
et de pistes désertes. Elle avait l’impression de se trouver au
bout du monde.
— Donc, on a voulu vous pousser sous un train, dit
soudain son voisin, toujours occupé à étudier les rangées d’écrans
et de cadrans devant lui. Pourquoi, d’après vous ?
— Pour me faire peur, répondit-elle en examinant
l’intérieur du cockpit.
Elle n’imaginait pas du tout, aux commandes de
cette cabine futuriste, digne d’un vaisseau intergalactique, un
banquier coincé qui n’appréciait pas la vitesse.
Les mains sur les genoux, elle se pencha vers
lui.
— Vous avez vraiment l’intention de piloter ce
truc ?
— Il faut bien que l’un de nous deux se dévoue,
non ? répliqua-t-il avec un large sourire. Ne vous inquiétez
pas, nous n’irons pas loin.
Il lui tendit un casque énorme, doté d’un micro,
qui rappela aussitôt à Harry celui des filles du service clients de
la Sheridan. Elle l’ajusta sur ses oreilles sans quitter des yeux
Jude Tiernan, qui manœuvrait divers interrupteurs. Il avait
déboutonné son col, desserré sa cravate et remonté un peu plus ses
manches, révélant la courbe de ses biceps à la lisière du tissu
blanc. Soudain, la turbine rugit, et Harry en ressentit les
vibrations dans tout son corps.
— Pourquoi
voudrait-on vous faire peur ? reprit Tiernan, dont la voix
transmise par radio rendait un son étrangement étouffé, comme
lointain.
— Apparemment, certaines personnes semblent
convaincues que je possède de l’argent qui leur appartient. Douze
millions d’euros, pour être précise.
— C’est vrai ? Vous les avez ?
— Peut-être.
Les pales du rotor se mirent à tourner, découpant
des ombres dans la lumière du soleil.
— Et en quoi suis-je concerné ? s’enquit Jude
Tiernan.
Le vrombissement des pales, qui tournaient de plus
en plus vite, venait s’ajouter au grondement de la turbine. Harry
dut prendre sur elle pour ne pas se recroqueviller sur son siège.
Malgré le casque, le vacarme était à la limite du
supportable.
— Vous êtes banquier, expliqua-t-elle en
s’efforçant de ne pas crier. Vous comprenez l’activité des marchés,
les flux monétaires…
Toujours ébranlée par les vibrations, elle agrippa
les accoudoirs pour tenter d’immobiliser ses mains.
— Avant de me pousser sur les rails, mon agresseur
a dit que l’argent appartenait au cercle d’initiés dont mon père
faisait partie.
A peine avait-elle prononcé ces mots que
l’appareil s’éleva droit vers le ciel. Tiernan jeta un coup d’œil à
sa passagère plaquée sur son siège.
— Vous étiez déjà montée dans un hélico ?
demanda-t-il.
Incapable de parler, Harry fit non de la tête. Ils
demeurèrent en vol stationnaire pendant quelques secondes puis
virèrent abruptement sur la gauche. Harry sentit sa gorge se nouer.
Le sol semblait se précipiter à leur rencontre et, durant un bref
instant, elle contempla le monde en plan incliné.
Lorsque l’hélicoptère se redressa, elle observa de
nouveau son compagnon. Il semblait parfaitement à l’aise dans le
rôle du pilote ; le regard vif et l’expression alerte, il scrutait l’horizon tout en
guidant l’appareil grâce aux consoles tactiles des
instruments.
Qu’était-il advenu de la tortue qui l’avait
conduite jusqu’à l’aéroport ? s’étonna-t-elle.
— Mais où les membres du cercle auraient-ils
trouvé ces douze millions ? demanda-t-il soudain.
— Eh bien, voilà ce que je pense. On leur a
communiqué des informations confidentielles, selon lesquelles la
société Sorohan allait être rachetée par Aventus. Ils ont acquis
des actions Sorohan à bas prix, sachant que le cours allait
s’envoler dès que l’offre d’achat serait rendue publique. Après,
une fois la nouvelle annoncée, ils ont revendu au plus haut et
gagné une fortune…
Elle fronça les sourcils. La suite relevait de la
simple conjecture, et pourtant elle était sûre d’avoir
raison.
— Je ne sais pas comment, mais mon père a réussi à
détourner une partie ou la totalité des profits générés par cette
transaction. Aujourd’hui, ses anciens associés veulent leur
dû.
— Donc, votre père leur aurait joué un sale
tour ?
— Bah, ça ne me surprendrait pas. Des sales tours,
il en a joué à tout le monde.
Tiernan la considéra durant quelques
instants.
— Pas à moi, en tout cas. C’était l’un des
investisseurs les plus doués que j’aie jamais rencontrés. Un homme
aussi malin que lui n’aurait jamais fait de conneries
pareilles.
Elle darda sur lui un regard noir.
— Pas si malin que ça, rétorqua-t-elle. Il a été
pris, ne l’oubliez pas ! Quoi qu’il en soit, nous ne sommes
pas là pour refaire son procès, murmura-t-elle en baissant les
yeux.
Brusquement, l’hélicoptère plongea vers la droite
et Harry se figea, le cœur au bord des lèvres. Elle était certaine
qu’ils allaient s’écraser quand l’appareil entama une ascension
vertigineuse.
Toujours crispée, elle marmonna :
La remarque parut le surprendre mais il stabilisa
néanmoins l’hélicoptère.
— C’est mieux comme ça ?
— Oui, nettement. Merci.
Harry relâcha son souffle et desserra les doigts.
Comme le silence se prolongeait, elle se demanda s’il était
possible d’engager une conversation avec cet homme sans se laisser
gagner par la mauvaise humeur.
Soudain, il s’éclaircit la gorge.
— Si c’est bien votre père qui avait l’argent,
peut-être est-ce lui qui l’a viré sur votre compte…
Harry changea de position sur son siège. Elle
avait déjà envisagé cette hypothèse. Qui sait si son père n’avait
pas trouvé le moyen d’accéder à ses fonds depuis la prison ?
Il était possible qu’il ait eu besoin de les déplacer, de les
dissimuler. Ce n’était pas inconcevable. C’était même probable.
Auquel cas, il n’avait pas hésité à risquer la vie de sa propre
fille.
— Peut-être, oui, murmura-t-elle.
— J’imagine que vous y avez déjà pensé, mais
pourquoi n’allez-vous pas lui poser la question, tout
simplement ?
Tout simplement. Facile à dire ! Bien sûr,
elle aurait pu aller le voir pour lui raconter tout ce qui s’était
passé et se laisser envelopper par ses bras rassurants, telle une
petite fille…
Harry croisa puis décroisa les jambes. Elle
n’imaginait que trop bien la façon dont se déroulerait la
scène : elle assise d’un côté d’une table, son père de
l’autre. « Je ne sais rien de tout ça, Harry, lui
affirmerait-il. Je te le jure ! » Il ponctuerait ces mots
d’un petit haussement d’épaules, paumes tournées vers le haut,
comme si ce seul geste suffisait à prouver son innocence.
— Croyez-moi, ça ne servirait à rien,
répliqua-t-elle, un sourire désabusé aux lèvres.
Tiernan soupira.
— Alors, qu’est-ce que vous attendez de
moi ?
— J’ai
besoin de savoir comment mon père et les autres membres du cercle
organisaient leurs opérations illégales. Comment l’argent
circulait, quoi.
— Vous m’en parlez comme si j’étais au
courant…
— Ecoutez, tout ce que je vous demande, c’est de
faire fonctionner votre imagination. Vous n’êtes plus un banquier
éminemment respectable qui n’enfreint jamais la loi,
d’accord ? Essayez de vous mettre dans la peau d’un escroc,
d’un arnaqueur.
Harry fixa du regard un point droit devant
elle.
— Essayez de vous mettre dans la peau de mon
père.
Il resta silencieux pendant un moment.
— D’accord, déclara-t-il enfin. Supposons que je
détienne des informations privilégiées dont je souhaite tirer
profit. Le problème, c’est que je ne peux utiliser aucun de mes
comptes titres habituels.
— Pourquoi ?
— Parce qu’ils sont surveillés. Toutes les banques
d’affaires gardent un œil sur les comptes titres de leurs employés.
La moindre opération un tant soit peu douteuse déclenche forcément
une alarme.
— Dans ce cas, que feriez-vous ?
Tiernan haussa les épaules.
— Si c’était moi, j’ouvrirais un compte secret,
probablement en Suisse, d’où je gérerais mes transactions.
— En Suisse ? répéta Harry en arquant un
sourcil. Comme dans les histoires d’espionnage et de blanchiment
d’argent ?
— Il n’y a pas que les criminels qui ouvrent des
comptes là-bas, vous savez ! Le système intéresse tous ceux
qui ne veulent pas révéler l’état de leurs finances.
— Parce qu’il leur offre une garantie
d’anonymat ?
— Non, ça, c’est un mythe. Il n’existe pas de
compte bancaire totalement anonyme. Tous les établissements
financiers suisses connaissent l’identité de leurs clients.
— Et les comptes numérotés, alors ? Je
croyais qu’ils avaient été créés justement pour éviter d’avoir à
faire apparaître le nom du détenteur.
— C’est
vrai. Sauf que la banque conserve forcément dans ses archives un
dossier comportant son nom et son adresse. Même si seuls quelques
seniors managers y ont accès, les renseignements sont bel et bien
là…
— Mais ils sont confidentiels, c’est bien
ça ?
— Tout à fait.
Une fois lancé, Jude Tiernan semblait intarissable
sur le sujet.
— En Suisse, si une banque divulgue des
informations sur sa clientèle, c’est considéré comme un délit. Les
employés doivent signer la clause de confidentialité qui figure
dans leur contrat. S’ils se risquent ne serait-ce qu’à admettre
l’existence d’un compte, ils encourent la prison.
Comme incitation à garder le silence, c’était
sûrement efficace, reconnut Harry.
— Et si un gouvernement étranger apporte à une
banque suisse la preuve d’une activité délictuelle sur un de ses
comptes, qu’est-ce qui se passe ?
— Eh bien, les Suisses n’ont pas forcément la même
définition que nous de ce qui constitue une activité délictuelle.
Pour eux, la fraude fiscale et les divorces litigieux n’entrent pas
dans cette catégorie. Cela dit, ils accepteraient vraisemblablement
de coopérer en cas de trafic de drogue ou de délit d’initié.
— Et comment fait-on pour ouvrir un de ces
comptes ?
Tout en parlant, Harry jeta un coup d’œil en
contrebas. Le paysage avait changé : les vastes friches
avaient désormais cédé la place à une succession de collines douces
qui se prolongeaient jusqu’aux pentes du Sugarloaf. Manifestement,
ils se dirigeaient vers les Dublin Mountains, au sud.
— Grosso modo, la procédure est la même que pour
n’importe quel autre compte, répondit Tiernan. Il faut remplir des
formulaires, apporter des preuves de son identité – en général
un passeport… Beaucoup de banques suisses tiennent aussi à
rencontrer personnellement le client potentiel. Mais, hormis
l’aspect confidentialité, tout est semblable. Vous pouvez disposer d’une carte de
crédit, d’un accès Internet…
— Donc, dans l’hypothèse où mon père serait
détenteur d’un de ces comptes, il aurait fallu qu’il se rende en
Suisse pour l’ouvrir ?
— Ou aux Caraïbes. Ou encore aux Bahamas, aux
Bermudes, dans les îles Caïmans… Les établissements suisses ont des
succursales là-bas régies par les mêmes lois sur le secret
bancaire.
En repensant à tous les voyages d’affaires
transatlantiques que son père avait faits au fil des années, Harry
conclut qu’il avait dû choisir les Caraïbes plutôt que
l’Europe.
— Mais comment a-t-il pu gérer son compte
d’ici ? demanda-t-elle. Et effectuer des transactions sans se
déplacer ?
Si Jude remarqua le changement entre un
raisonnement purement hypothétique et des questions plus directes
sur les opérations de Salvador Martinez, il n’en montra rien.
— S’il avait bien un compte numéroté, celui-ci
était vraisemblablement confié à un gestionnaire, expliqua-t-il. Un
chargé de clientèle, comme on dit dans notre jargon. Votre père
n’avait qu’à lui donner ses instructions par téléphone.
— C’est tout ? Ça me paraît un peu léger,
comme façon de procéder. N’importe qui pouvait appeler en se
faisant passer pour lui, non ?
— Sauf qu’en plus du numéro de compte, il faut
donner un code secret pour prouver son identité.
— Quel genre de code, au juste ?
— Oh, il n’y a pas de règle. Ça peut être un mot,
ou une formule comme, je ne sais pas…
Il haussa les paules.
— « Mickey Mouse »,
« Abracadabra »… Bref, n’importe quoi, du moment que
seuls le gestionnaire et son client le connaissent.
Harry plissa les yeux.
— Ça fait un peu film de James Bond,
non ?
Quel code son père avait-il pu utiliser ? se
demanda-t-elle, intriguée. Quelque chose de court, de facile à
mémoriser. Un terme certainement lié à un moment significatif de
son existence. Sauf que cette existence-là comportait tellement de
facettes : banquier, criminel, joueur de poker, père de
famille…
Tout en réfléchissant, elle se plongea dans la
contemplation du panorama en contrebas. Bientôt, une grande maison
en L apparut, qu’elle reconnut seulement en voyant le vaste
entrelacs de haies à proximité.
Au souvenir de la poursuite dans le labyrinthe,
elle sentit les battements de son cœur s’accélérer.
— Hé, ça va ? demanda Jude Tiernan.
Elle hocha la tête, incapable de détacher son
regard du dédale de verdure. Quand l’hélicoptère le survola, elle
tenta d’apercevoir ce qui se trouvait au centre mais elle ne
distingua qu’une grande forme sombre scintillant au soleil.
— C’est là qu’habite Dillon Fitzroy, déclara
Tiernan.
— Je sais.
Harry se rappela soudain que d’après Felix Roche,
Dillon et lui étaient des amis de longue date.
— Comment vous êtes-vous rencontrés, tous les
deux ?
— Nous étions à la fac ensemble. A l’époque,
il disait souvent qu’il se paierait un jour une grande propriété à
la campagne… Histoire d’en foutre plein la vue à tout le monde,
pour reprendre son expression.
Surprise, Harry haussa les sourcils. Ces
grossièretés paraissaient tellement déplacées dans la bouche de
Jude Tiernan !
— Comment ça ?
— Il vous a dit qu’il avait été adopté ?
répliqua-t-il.
— Et alors ?
— Eh bien, j’imagine qu’il se croit obligé de
prouver quelque chose… Ne me demandez surtout pas quoi ni à
qui.
— Vous ne l’aimez pas beaucoup, hein ?
— Il est temps de rentrer, décréta-t-il.
Déconcertée, Harry s’adossa à son siège en gardant
le silence.
— Vous n’avez pas cherché à savoir qui étaient les
autres membres du cercle ? reprit-elle quelques instants plus
tard. Vous n’êtes pas curieux ?
Il haussa les épaules.
— Si vous avez l’intention de me le dire, vous y
viendrez. Dans le cas contraire, je ne vois pas l’intérêt de poser
la question.
Harry l’observa un moment en se demandant si elle
pouvait se confier à lui. Après tout, c’était un banquier, comme
les autres membres du cercle. En même temps, elle avait besoin de
son aide.
— Vous en connaissez certains,
affirma-t-elle.
— Oh, c’est vrai ?
— Felix Roche, pour commencer.
L’hélicoptère vira sur la gauche.
— Quoi ? Roche appartenait à ce
cercle ?
— Pas exactement, répondit Harry. En fait, le
cercle n’était pas au courant de son existence. Roche espionnait
les e-mails des membres et utilisait pour son compte certaines des
informations privilégiées qu’ils échangeaient.
Les sourcils froncés, Tiernan se concentra sur les
instruments de bord pour redresser l’appareil.
— Comment l’avez-vous su ? marmonna-t-il. Et
si c’est vrai, comment se fait-il qu’il n’ait pas été
arrêté ?
— Manque de preuves. Les policiers ne se sont pas
vraiment intéressés à lui, sans doute parce qu’ils ne le jugeaient
pas important. Mais moi, si.
Elle se pencha en avant.
— Je veux voir ses dossiers. Ses e-mails, ses
archives…
— Pourquoi ?
— Parce que même s’il s’est contenté de profiter
du système, il avait accès aux courriers électroniques des membres
du cercle. Il devait connaître leur identité. Ou du moins, posséder des renseignements à leur
sujet qui pourraient me permettre de remonter jusqu’à eux.
— Mais vous n’avez pas le droit de consulter sa
messagerie ! C’est confidentiel.
Elle soupira. La tortue était de retour.
— Je sais. C’est bien pour ça que j’ai besoin de
votre aide.
— Vous plaisantez ! Vous imaginez un seul
instant que je vais accepter d’être votre complice ?
Harry suivit du regard l’ombre de l’hélicoptère
qui balayait les collines ensoleillées.
— Vous avez déjà entendu parler d’un certain
Spencer, qui travaillait chez KWC ? demanda-t-elle
enfin.
— Jonathan Spencer, vous voulez dire ? Quel
rapport avec toute cette histoire ?
— Vous le connaissiez ?
— Bien sûr. On se retrouvait pour jouer au squash
deux ou trois fois par mois. C’était quelqu’un de bien. Il a été
tué par un chauffard, il y a quelques années.
— Pas exactement.
Tiernan la dévisagea comme si elle avait perdu
l’esprit, mais Harry ne se démonta pas pour autant.
— Il a été précipité sous un camion avant qu’il
puisse nuire à l’opération Sorohan.
Sur le visage du banquier, la colère succéda à la
stupeur.
— C’est… c’est du délire ! gronda-t-il. Et
d’abord, qui est votre informateur ? Je ne crois pas un mot de
tout ça.
— Et si je finissais sous un train, ce serait plus
convaincant ?
Les lèvres pincées, les yeux fixés sur un point
droit devant lui, il garda le silence.
— J’ai besoin de voir ces fichiers, répéta Harry
d’une voix radoucie. Il faut que vous m’aidiez à m’introduire dans
le réseau de KWC.