22
Ils se trouvaient dans une partie de l’aéroport que Harry ne connaissait pas et qui, à en juger par son aspect négligé, n’était guère fréquentée.
En arrivant sur le site, Jude Tiernan avait suivi le panneau Départs, mais à la dernière seconde il avait tourné à gauche pour prendre une petite route latérale étroite qui s’éloignait du terminal principal. Il avait roulé ainsi, sans donner la moindre explication, sur trois ou quatre kilomètres, avant d’emprunter un chemin cahoteux désert.
— Vous pouvez me dire où on va ? demanda Harry.
Les bâtiments de l’aéroport étaient maintenant loin derrière eux ; tout autour se déployait une étendue d’herbes folles sillonnée par des rubans de bitume gris et vide. Aucun touriste chargé de bagages n’était en vue.
— Vous le saurez bientôt, répondit Tiernan.
Il quitta la piste de terre battue pour s’engager sur le terrain accidenté. Plus loin se dressait une structure de tôle ondulée évoquant un grand hangar désaffecté. Jude la contourna, ralentit et, enfin, coupa le moteur.
— Suivez-moi, dit-il en descendant de voiture.
Au moment où Harry l’imitait, un homme vêtu d’une salopette verte émergea de sous un hélicoptère. En apercevant les nouveaux venus, il agita la main à leur adresse puis leva le pouce à l’intention de Jude Tiernan. Celui-ci lui rendit son salut et s’approcha de l’appareil. Sans un regard en arrière, il ouvrit la porte pour grimper à l’intérieur.
Harry n’hésita qu’un instant avant de se hisser à son tour dans le cockpit. Tiernan, assis à la place du pilote, se penchait déjà pour examiner les instruments de bord comme s’il savait ce qu’il avait à faire. Alors que Harry se dirigeait vers les sièges à l’arrière, il l’invita à s’installer près de lui.
— Vous profiterez mieux de la vue, expliqua-t-il.
Cette précision arracha une petite grimace à Harry, qui souffrait autant du vertige que d’un sens de l’orientation éminemment défaillant. Elle s’assit néanmoins à la place indiquée, d’où elle contempla le paysage de terrains herbeux et de pistes désertes. Elle avait l’impression de se trouver au bout du monde.
— Donc, on a voulu vous pousser sous un train, dit soudain son voisin, toujours occupé à étudier les rangées d’écrans et de cadrans devant lui. Pourquoi, d’après vous ?
— Pour me faire peur, répondit-elle en examinant l’intérieur du cockpit.
Elle n’imaginait pas du tout, aux commandes de cette cabine futuriste, digne d’un vaisseau intergalactique, un banquier coincé qui n’appréciait pas la vitesse.
Les mains sur les genoux, elle se pencha vers lui.
— Vous avez vraiment l’intention de piloter ce truc ?
— Il faut bien que l’un de nous deux se dévoue, non ? répliqua-t-il avec un large sourire. Ne vous inquiétez pas, nous n’irons pas loin.
Il lui tendit un casque énorme, doté d’un micro, qui rappela aussitôt à Harry celui des filles du service clients de la Sheridan. Elle l’ajusta sur ses oreilles sans quitter des yeux Jude Tiernan, qui manœuvrait divers interrupteurs. Il avait déboutonné son col, desserré sa cravate et remonté un peu plus ses manches, révélant la courbe de ses biceps à la lisière du tissu blanc. Soudain, la turbine rugit, et Harry en ressentit les vibrations dans tout son corps.
— Pourquoi voudrait-on vous faire peur ? reprit Tiernan, dont la voix transmise par radio rendait un son étrangement étouffé, comme lointain.
— Apparemment, certaines personnes semblent convaincues que je possède de l’argent qui leur appartient. Douze millions d’euros, pour être précise.
— C’est vrai ? Vous les avez ?
— Peut-être.
Les pales du rotor se mirent à tourner, découpant des ombres dans la lumière du soleil.
— Et en quoi suis-je concerné ? s’enquit Jude Tiernan.
Le vrombissement des pales, qui tournaient de plus en plus vite, venait s’ajouter au grondement de la turbine. Harry dut prendre sur elle pour ne pas se recroqueviller sur son siège. Malgré le casque, le vacarme était à la limite du supportable.
— Vous êtes banquier, expliqua-t-elle en s’efforçant de ne pas crier. Vous comprenez l’activité des marchés, les flux monétaires…
Toujours ébranlée par les vibrations, elle agrippa les accoudoirs pour tenter d’immobiliser ses mains.
— Avant de me pousser sur les rails, mon agresseur a dit que l’argent appartenait au cercle d’initiés dont mon père faisait partie.
A peine avait-elle prononcé ces mots que l’appareil s’éleva droit vers le ciel. Tiernan jeta un coup d’œil à sa passagère plaquée sur son siège.
— Vous étiez déjà montée dans un hélico ? demanda-t-il.
Incapable de parler, Harry fit non de la tête. Ils demeurèrent en vol stationnaire pendant quelques secondes puis virèrent abruptement sur la gauche. Harry sentit sa gorge se nouer. Le sol semblait se précipiter à leur rencontre et, durant un bref instant, elle contempla le monde en plan incliné.
Lorsque l’hélicoptère se redressa, elle observa de nouveau son compagnon. Il semblait parfaitement à l’aise dans le rôle du pilote ; le regard vif et l’expression alerte, il scrutait l’horizon tout en guidant l’appareil grâce aux consoles tactiles des instruments.
Qu’était-il advenu de la tortue qui l’avait conduite jusqu’à l’aéroport ? s’étonna-t-elle.
— Mais où les membres du cercle auraient-ils trouvé ces douze millions ? demanda-t-il soudain.
— Eh bien, voilà ce que je pense. On leur a communiqué des informations confidentielles, selon lesquelles la société Sorohan allait être rachetée par Aventus. Ils ont acquis des actions Sorohan à bas prix, sachant que le cours allait s’envoler dès que l’offre d’achat serait rendue publique. Après, une fois la nouvelle annoncée, ils ont revendu au plus haut et gagné une fortune…
Elle fronça les sourcils. La suite relevait de la simple conjecture, et pourtant elle était sûre d’avoir raison.
— Je ne sais pas comment, mais mon père a réussi à détourner une partie ou la totalité des profits générés par cette transaction. Aujourd’hui, ses anciens associés veulent leur dû.
— Donc, votre père leur aurait joué un sale tour ?
— Bah, ça ne me surprendrait pas. Des sales tours, il en a joué à tout le monde.
Tiernan la considéra durant quelques instants.
— Pas à moi, en tout cas. C’était l’un des investisseurs les plus doués que j’aie jamais rencontrés. Un homme aussi malin que lui n’aurait jamais fait de conneries pareilles.
Elle darda sur lui un regard noir.
— Pas si malin que ça, rétorqua-t-elle. Il a été pris, ne l’oubliez pas ! Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas là pour refaire son procès, murmura-t-elle en baissant les yeux.
Brusquement, l’hélicoptère plongea vers la droite et Harry se figea, le cœur au bord des lèvres. Elle était certaine qu’ils allaient s’écraser quand l’appareil entama une ascension vertigineuse.
Toujours crispée, elle marmonna :
— Vous pourriez arrêter toutes ces manœuvres de macho et vous contenter de voler en ligne droite ?
La remarque parut le surprendre mais il stabilisa néanmoins l’hélicoptère.
— C’est mieux comme ça ?
— Oui, nettement. Merci.
Harry relâcha son souffle et desserra les doigts. Comme le silence se prolongeait, elle se demanda s’il était possible d’engager une conversation avec cet homme sans se laisser gagner par la mauvaise humeur.
Soudain, il s’éclaircit la gorge.
— Si c’est bien votre père qui avait l’argent, peut-être est-ce lui qui l’a viré sur votre compte…
Harry changea de position sur son siège. Elle avait déjà envisagé cette hypothèse. Qui sait si son père n’avait pas trouvé le moyen d’accéder à ses fonds depuis la prison ? Il était possible qu’il ait eu besoin de les déplacer, de les dissimuler. Ce n’était pas inconcevable. C’était même probable. Auquel cas, il n’avait pas hésité à risquer la vie de sa propre fille.
— Peut-être, oui, murmura-t-elle.
— J’imagine que vous y avez déjà pensé, mais pourquoi n’allez-vous pas lui poser la question, tout simplement ?
Tout simplement. Facile à dire ! Bien sûr, elle aurait pu aller le voir pour lui raconter tout ce qui s’était passé et se laisser envelopper par ses bras rassurants, telle une petite fille…
Harry croisa puis décroisa les jambes. Elle n’imaginait que trop bien la façon dont se déroulerait la scène : elle assise d’un côté d’une table, son père de l’autre. « Je ne sais rien de tout ça, Harry, lui affirmerait-il. Je te le jure ! » Il ponctuerait ces mots d’un petit haussement d’épaules, paumes tournées vers le haut, comme si ce seul geste suffisait à prouver son innocence.
— Croyez-moi, ça ne servirait à rien, répliqua-t-elle, un sourire désabusé aux lèvres.
Tiernan soupira.
— Alors, qu’est-ce que vous attendez de moi ?
— J’ai besoin de savoir comment mon père et les autres membres du cercle organisaient leurs opérations illégales. Comment l’argent circulait, quoi.
— Vous m’en parlez comme si j’étais au courant…
— Ecoutez, tout ce que je vous demande, c’est de faire fonctionner votre imagination. Vous n’êtes plus un banquier éminemment respectable qui n’enfreint jamais la loi, d’accord ? Essayez de vous mettre dans la peau d’un escroc, d’un arnaqueur.
Harry fixa du regard un point droit devant elle.
— Essayez de vous mettre dans la peau de mon père.
Il resta silencieux pendant un moment.
— D’accord, déclara-t-il enfin. Supposons que je détienne des informations privilégiées dont je souhaite tirer profit. Le problème, c’est que je ne peux utiliser aucun de mes comptes titres habituels.
— Pourquoi ?
— Parce qu’ils sont surveillés. Toutes les banques d’affaires gardent un œil sur les comptes titres de leurs employés. La moindre opération un tant soit peu douteuse déclenche forcément une alarme.
— Dans ce cas, que feriez-vous ?
Tiernan haussa les épaules.
— Si c’était moi, j’ouvrirais un compte secret, probablement en Suisse, d’où je gérerais mes transactions.
— En Suisse ? répéta Harry en arquant un sourcil. Comme dans les histoires d’espionnage et de blanchiment d’argent ?
— Il n’y a pas que les criminels qui ouvrent des comptes là-bas, vous savez ! Le système intéresse tous ceux qui ne veulent pas révéler l’état de leurs finances.
— Parce qu’il leur offre une garantie d’anonymat ?
— Non, ça, c’est un mythe. Il n’existe pas de compte bancaire totalement anonyme. Tous les établissements financiers suisses connaissent l’identité de leurs clients.
— Et les comptes numérotés, alors ? Je croyais qu’ils avaient été créés justement pour éviter d’avoir à faire apparaître le nom du détenteur.
— C’est vrai. Sauf que la banque conserve forcément dans ses archives un dossier comportant son nom et son adresse. Même si seuls quelques seniors managers y ont accès, les renseignements sont bel et bien là…
— Mais ils sont confidentiels, c’est bien ça ?
— Tout à fait.
Une fois lancé, Jude Tiernan semblait intarissable sur le sujet.
— En Suisse, si une banque divulgue des informations sur sa clientèle, c’est considéré comme un délit. Les employés doivent signer la clause de confidentialité qui figure dans leur contrat. S’ils se risquent ne serait-ce qu’à admettre l’existence d’un compte, ils encourent la prison.
Comme incitation à garder le silence, c’était sûrement efficace, reconnut Harry.
— Et si un gouvernement étranger apporte à une banque suisse la preuve d’une activité délictuelle sur un de ses comptes, qu’est-ce qui se passe ?
— Eh bien, les Suisses n’ont pas forcément la même définition que nous de ce qui constitue une activité délictuelle. Pour eux, la fraude fiscale et les divorces litigieux n’entrent pas dans cette catégorie. Cela dit, ils accepteraient vraisemblablement de coopérer en cas de trafic de drogue ou de délit d’initié.
— Et comment fait-on pour ouvrir un de ces comptes ?
Tout en parlant, Harry jeta un coup d’œil en contrebas. Le paysage avait changé : les vastes friches avaient désormais cédé la place à une succession de collines douces qui se prolongeaient jusqu’aux pentes du Sugarloaf. Manifestement, ils se dirigeaient vers les Dublin Mountains, au sud.
— Grosso modo, la procédure est la même que pour n’importe quel autre compte, répondit Tiernan. Il faut remplir des formulaires, apporter des preuves de son identité – en général un passeport… Beaucoup de banques suisses tiennent aussi à rencontrer personnellement le client potentiel. Mais, hormis l’aspect confidentialité, tout est semblable. Vous pouvez disposer d’une carte de crédit, d’un accès Internet…
— Donc, dans l’hypothèse où mon père serait détenteur d’un de ces comptes, il aurait fallu qu’il se rende en Suisse pour l’ouvrir ?
— Ou aux Caraïbes. Ou encore aux Bahamas, aux Bermudes, dans les îles Caïmans… Les établissements suisses ont des succursales là-bas régies par les mêmes lois sur le secret bancaire.
En repensant à tous les voyages d’affaires transatlantiques que son père avait faits au fil des années, Harry conclut qu’il avait dû choisir les Caraïbes plutôt que l’Europe.
— Mais comment a-t-il pu gérer son compte d’ici ? demanda-t-elle. Et effectuer des transactions sans se déplacer ?
Si Jude remarqua le changement entre un raisonnement purement hypothétique et des questions plus directes sur les opérations de Salvador Martinez, il n’en montra rien.
— S’il avait bien un compte numéroté, celui-ci était vraisemblablement confié à un gestionnaire, expliqua-t-il. Un chargé de clientèle, comme on dit dans notre jargon. Votre père n’avait qu’à lui donner ses instructions par téléphone.
— C’est tout ? Ça me paraît un peu léger, comme façon de procéder. N’importe qui pouvait appeler en se faisant passer pour lui, non ?
— Sauf qu’en plus du numéro de compte, il faut donner un code secret pour prouver son identité.
— Quel genre de code, au juste ?
— Oh, il n’y a pas de règle. Ça peut être un mot, ou une formule comme, je ne sais pas…
Il haussa les paules.
— « Mickey Mouse », « Abracadabra »… Bref, n’importe quoi, du moment que seuls le gestionnaire et son client le connaissent.
Harry plissa les yeux.
— Ça fait un peu film de James Bond, non ?
— Peut-être, mais c’est efficace.
Quel code son père avait-il pu utiliser ? se demanda-t-elle, intriguée. Quelque chose de court, de facile à mémoriser. Un terme certainement lié à un moment significatif de son existence. Sauf que cette existence-là comportait tellement de facettes : banquier, criminel, joueur de poker, père de famille…
Tout en réfléchissant, elle se plongea dans la contemplation du panorama en contrebas. Bientôt, une grande maison en L apparut, qu’elle reconnut seulement en voyant le vaste entrelacs de haies à proximité.
Au souvenir de la poursuite dans le labyrinthe, elle sentit les battements de son cœur s’accélérer.
— Hé, ça va ? demanda Jude Tiernan.
Elle hocha la tête, incapable de détacher son regard du dédale de verdure. Quand l’hélicoptère le survola, elle tenta d’apercevoir ce qui se trouvait au centre mais elle ne distingua qu’une grande forme sombre scintillant au soleil.
— C’est là qu’habite Dillon Fitzroy, déclara Tiernan.
— Je sais.
Harry se rappela soudain que d’après Felix Roche, Dillon et lui étaient des amis de longue date.
— Comment vous êtes-vous rencontrés, tous les deux ?
— Nous étions à la fac ensemble. A l’époque, il disait souvent qu’il se paierait un jour une grande propriété à la campagne… Histoire d’en foutre plein la vue à tout le monde, pour reprendre son expression.
Surprise, Harry haussa les sourcils. Ces grossièretés paraissaient tellement déplacées dans la bouche de Jude Tiernan !
— Comment ça ?
— Il vous a dit qu’il avait été adopté ? répliqua-t-il.
— Et alors ?
— Eh bien, j’imagine qu’il se croit obligé de prouver quelque chose… Ne me demandez surtout pas quoi ni à qui.
— Vous ne l’aimez pas beaucoup, hein ?
En guise de réponse, il lui jeta un bref coup d’œil avant de faire brusquement demi-tour.
— Il est temps de rentrer, décréta-t-il.
Déconcertée, Harry s’adossa à son siège en gardant le silence.
— Vous n’avez pas cherché à savoir qui étaient les autres membres du cercle ? reprit-elle quelques instants plus tard. Vous n’êtes pas curieux ?
Il haussa les épaules.
— Si vous avez l’intention de me le dire, vous y viendrez. Dans le cas contraire, je ne vois pas l’intérêt de poser la question.
Harry l’observa un moment en se demandant si elle pouvait se confier à lui. Après tout, c’était un banquier, comme les autres membres du cercle. En même temps, elle avait besoin de son aide.
— Vous en connaissez certains, affirma-t-elle.
— Oh, c’est vrai ?
— Felix Roche, pour commencer.
L’hélicoptère vira sur la gauche.
— Quoi ? Roche appartenait à ce cercle ?
— Pas exactement, répondit Harry. En fait, le cercle n’était pas au courant de son existence. Roche espionnait les e-mails des membres et utilisait pour son compte certaines des informations privilégiées qu’ils échangeaient.
Les sourcils froncés, Tiernan se concentra sur les instruments de bord pour redresser l’appareil.
— Comment l’avez-vous su ? marmonna-t-il. Et si c’est vrai, comment se fait-il qu’il n’ait pas été arrêté ?
— Manque de preuves. Les policiers ne se sont pas vraiment intéressés à lui, sans doute parce qu’ils ne le jugeaient pas important. Mais moi, si.
Elle se pencha en avant.
— Je veux voir ses dossiers. Ses e-mails, ses archives…
— Pourquoi ?
— Parce que même s’il s’est contenté de profiter du système, il avait accès aux courriers électroniques des membres du cercle. Il devait connaître leur identité. Ou du moins, posséder des renseignements à leur sujet qui pourraient me permettre de remonter jusqu’à eux.
— Mais vous n’avez pas le droit de consulter sa messagerie ! C’est confidentiel.
Elle soupira. La tortue était de retour.
— Je sais. C’est bien pour ça que j’ai besoin de votre aide.
— Vous plaisantez ! Vous imaginez un seul instant que je vais accepter d’être votre complice ?
Harry suivit du regard l’ombre de l’hélicoptère qui balayait les collines ensoleillées.
— Vous avez déjà entendu parler d’un certain Spencer, qui travaillait chez KWC ? demanda-t-elle enfin.
— Jonathan Spencer, vous voulez dire ? Quel rapport avec toute cette histoire ?
— Vous le connaissiez ?
— Bien sûr. On se retrouvait pour jouer au squash deux ou trois fois par mois. C’était quelqu’un de bien. Il a été tué par un chauffard, il y a quelques années.
— Pas exactement.
Tiernan la dévisagea comme si elle avait perdu l’esprit, mais Harry ne se démonta pas pour autant.
— Il a été précipité sous un camion avant qu’il puisse nuire à l’opération Sorohan.
Sur le visage du banquier, la colère succéda à la stupeur.
— C’est… c’est du délire ! gronda-t-il. Et d’abord, qui est votre informateur ? Je ne crois pas un mot de tout ça.
— Et si je finissais sous un train, ce serait plus convaincant ?
Les lèvres pincées, les yeux fixés sur un point droit devant lui, il garda le silence.
— J’ai besoin de voir ces fichiers, répéta Harry d’une voix radoucie. Il faut que vous m’aidiez à m’introduire dans le réseau de KWC.