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Harry contempla le luxueux complexe hôtelier qui se dressait devant elle. Inondé de lumière, l’Atlantis Resort de Paradise Island avait tout d’un palais de conte de fées avec ses arches, ses ponts et ses hautes tours de vingt étages.
Elle serra plus fortement son sac à main, faisant craquer les enveloppes rangées à l’intérieur. Cascades artificielles et fontaines ornées de chevaux ailés bordaient l’allée qui menait à l’hôtel. Quand elle les longea pour se diriger vers l’entrée principale, de minuscules gouttelettes se déposèrent sur sa peau. A mesure qu’elle approchait, Harry sentit s’accélérer les battements de son cœur.
Parvenue dans le hall, elle s’immobilisa un instant, frappée par la démesure d’une architecture qui s’inspirait de la légende de l’Atlantide. Elle se trouvait dans une gigantesque rotonde surmontée d’un dôme et soutenue par d’énormes piliers sur lesquels étaient sculptés des hippocampes. Au-dessus d’elle, le plafond voûté s’ornait d’une profusion de coquillages dorés.
C’était la « Grande Salle des eaux », lut-elle sur un panneau. Elle en faisait le tour quand elle passa devant un café aménagé au milieu d’immenses aquariums dans lesquels elle distingua la silhouette bleu sombre d’une raie manta géante. D’après son guide, ils constituaient une partie du Dig, un dédale de passages souterrains permettant d’observer la faune aquatique. Harry ne put réprimer un frisson à l’idée d’un labyrinthe cerné par des eaux infestées de requins.
Elle poursuivit la visite des lieux jusqu’à trouver ce qu’elle cherchait : l’entrée du casino.
Harry se sentit tout de suite plus à l’aise dans la salle bondée, résonnant du cliquetis des jetons. Il y avait des machines à sous et des tables de jeu partout : black jack, poker, roulette, craps… Des croupiers en uniforme et nœud papillon se tenaient derrière les tables, agitant une cloche d’argent quand les joueurs leur laissaient un pourboire sur leurs gains.
Un sourire vint aux lèvres de Harry. Grâce à son père, cet univers-là lui était familier. Si tout pouvait paraître démesuré par rapport aux casinos de Soho, les règles et la clientèle restaient néanmoins toujours les mêmes.
Elle effleura les enveloppes à l’intérieur de son sac puis se dirigea vers les tables de black jack au milieu de la pièce. Les jeux à limites basses ne l’intéressaient pas ; ils ne servaient pas ses desseins et, de plus, ils attiraient une foule de joueurs. Elle préféra jeter son dévolu sur une table à mise minimum de deux cents dollars. Un seul autre joueur s’y trouvait déjà, un homme âgé qui avait fiché entre ses lèvres une cigarette non allumée. Harry se jucha sur un tabouret, retira deux mille dollars de la plus grosse enveloppe dans son sac et plaça les billets sur le tapis en attendant que le croupier les échange contre des jetons. Son père lui avait appris très tôt à ne jamais tendre directement des espèces au croupier. Pour des raisons de sécurité, celui-ci ne pouvait rien accepter des mains d’un client. Alors qu’il rassemblait sa mise de départ, elle remarqua soudain la chaude couleur ambrée de ses yeux. C’était Ethan, le chauffeur de taxi.
Elle lui sourit.
— Alors, comme ça, vous avez deux métiers ?
Il lui jeta un regard perplexe avant de lui rendre son sourire.
— Ah, la dame venue pour affaires… Pour tout vous dire, j’en ai même trois ! Je fais aussi des visites guidées du Dig le matin. Vous y êtes déjà allée ?
Il poussa vers elle une pile de jetons et glissa les billets à l’intérieur d’une fente spécifique dans la table.
— Non, je n’ai pas d’affection particulière pour les requins, répondit-elle.
— Vous n’êtes pas au bon endroit, alors…
Harry sourit de nouveau puis saisit dans la pile un jeton violet. Elle le plaça sur le box devant elle : 500 $. Ethan distribua les cartes, qu’il sortait du sabot sur la table. Harry reçut un six et un quatre, et le vieil homme à côté d’elle, une paire de huit.
— Pourquoi tous ces jobs ? s’enquit-elle, consciente que la vue d’un visage familier lui avait donné envie de bavarder.
Ethan retourna l’une de ses propres cartes.
— Je vous l’ai dit, ce pays de lambins, c’est bon pour les oiseaux. Moi, j’ai bien l’intention de partir dès que j’aurai mis suffisamment de côté.
Il la regarda, attendant manifestement qu’elle joue. Quand Harry effleura le tapis du bout de l’index, Ethan lui donna une carte – un dix, ce qui faisait un total de vingt. Elle passa une main au-dessus des cartes pour montrer qu’elle avait fini.
— Où comptez-vous aller ? demanda-t-elle. A New York ?
— Peut-être. Ou à Las Vegas.
Il rassembla les cartes et les jetons du vieil homme après que ce dernier eut dépassé vingt et un.
— Y a plein de casinos, là-bas, expliqua-t-il.
Un instant plus tard, il retournait sa propre carte cachée. Il avait à présent un cinq en plus de son neuf. Il se distribua ensuite un huit et dépassa également vingt et un. Il paya ses gains à Harry, sous la forme d’un jeton violet, puis enleva les cartes.
Harry poussa tous ses jetons vers un autre box : 2 500 $.
— Vous allez peut-être pouvoir m’aider, Ethan, commença-t-elle. Voilà, je cherche un certain Philippe Rousseau. On m’a dit qu’il venait souvent ici.
Ethan jeta un coup d’œil à sa mise.
— Je le connais, oui. Il joue au poker dans un des salons privés, précisa-t-il avant d’étaler les cartes sur le tapis vert. Mais vous feriez mieux de l’éviter. Ces gars-là, ce sont de gros joueurs.
Il lui donna une reine et l’as de pique. Black Jack.
Elle sourit.
— Qui sait, peut-être que j’en suis une, moi aussi…
La carte ouverte d’Ethan ne faisait pas le poids. Il compta trois mille sept cent cinquante dollars en jetons dont il fit deux piles avant de les pousser vers elle. Son expression était solennelle.
— Il est là, ce soir ? reprit Harry.
— M. Rousseau vient ici tous les soirs.
— Vous pourriez me conduire jusqu’à lui ?
Au lieu de répondre, il distribua deux autres cartes à l’homme à la cigarette. Après avoir une nouvelle fois dépassé vingt et un, celui-ci descendit de son tabouret en jetant sur la table un jeton vert à l’intention d’Ethan. Sans quitter Harry des yeux, le croupier tapa deux fois sur sa cloche en argent.
— On ne peut jouer avec M. Rousseau que sur invitation spéciale, ajouta-t-il après le départ du vieil homme. Il n’accepte pas tout le monde à sa table.
— Il m’acceptera si vous lui dites que je m’appelle Sal Martinez.
Ethan l’étudia un petit moment en entrechoquant quelques jetons dans sa paume. Puis, de la tête, il fit signe à quelqu’un derrière elle. Harry se retourna, craignant qu’il n’ait appelé un videur pour la jeter dehors. Au lieu de quoi, une jeune Noire en uniforme de croupier vint le remplacer derrière la table.
— Suivez-moi, lança-t-il.
Elle fourra les jetons dans son sac avant de lui emboîter le pas. Il la conduisit jusqu’à une porte marquée « Privé », qu’il ouvrit avec une clé attachée à une chaîne passée autour de sa taille. De l’autre côté se trouvait un ascenseur en acier poli. Ethan en déverrouilla les portes à l’aide de la même clé, et Harry le rejoignit à l’intérieur. Quand il pressa le bouton du troisième, elle pensa que la cabine allait s’élever, mais, à sa grande surprise, elle descendit. Un instant plus tard, ils débouchaient dans un petit vestibule orné de miroirs et de tapis dorés.
— Attendez-moi ici, dit Ethan sans la regarder.
Il disparut derrière une porte. Pour patienter, Harry s’installa sur une chaise à l’assise dorée et croisa les jambes. Nerveuse, elle passa en revue le contenu de son sac à main, sachant déjà que tout ce dont elle avait besoin se trouvait à l’intérieur ; et pour cause, elle avait vérifié une bonne dizaine de fois avant de quitter l’hôtel. Quelques instants plus tard, Ethan reparut, et elle se redressa.
— Il vous attend, annonça-t-il en levant enfin vers elle ses yeux couleur d’ambre. Un bon conseil : méfiez-vous des requins.