31.

 

Après ma découverte de la veille, du simple dossier qu'elle était, l'affaire s'était emparée de mon imagination. Des visions de prétoire commençaient à me venir à l'esprit. Des scènes d'interrogatoire et de contre-interrogatoire de témoins. Je me représentai les costumes que j'allais porter aux audiences et les postures que j'allais adopter devant les jurés. L'affaire commençait à prendre vie en moi et ça, c'était toujours une bonne chose. Question d'élan.

Bien planifier les choses, c'est aller au procès avec l'inébranlable conviction qu'on ne perdra pas. Je ne savais pas ce qui était arrivé à Jerry Vincent, comment ses actes avaient peut-être conduit à sa perte, ni même si sa mort était vraiment liée à l'affaire Elliot, mais j'avais l'impression d'avoir quelque chose dans la ligne de mire.

J'avais la vitesse et me sentais prêt à engager la bataille.

J'avais décidé de m'installer dans un box de coin de Chez Dan Tana et de poser les grandes lignes de certains interrogatoires de témoins en dressant une liste de questions de base et de réponses probables à chacune. J'étais tout excité de m'y mettre et Lorna n'avait pas à s'inquiéter pour moi. Je ne serais pas seul : j'aurais mon affaire avec moi. Pas celle de Jerry Vincent, non : la mienne.

Après avoir remballé mes dossiers et préparé d'autres crayons et blocs-notes, j'éteignis les lumières et fermai la porte du bureau à clé. Puis je descendis le couloir et franchis la passerelle conduisant au parking.

Et juste au moment où j'entrais dans le garage, je vis un homme monter la rampe qui partait du premier étage. Il dut faire encore quelques pas pour qu'un instant plus tard je reconnaisse en lui le type de la photo que Bosch m'avait montrée ce matin-là.

Mon sang se figea dans mes veines. Fuir ou se battre, l'instinct prit le dessus. L'espace d'un instant, le reste du monde ne compta plus. Il n'y avait plus que le moment et je devais choisir. Mon cerveau évalua la situation plus vite que n'importe quel ordinateur IBM aurait jamais pu le faire. Et le résultat de cette analyse fut que l'homme qui s'avançait vers moi était bien l'assassin et qu'il était armé.

Je pivotai et commençai à courir.

– Hé ! lança une voix dans mon dos.

Je continuai à courir. Je repassai la passerelle en sens inverse pour gagner les portes en verre donnant dans le bâtiment. Une seule et unique pensée des plus claires fila dans toutes les synapses de mon cerveau : il fallait que j'entre dans l'immeuble et que j'arrive à l'arme de Cisco. Tuer ou me faire tuer.

Mais c'était après les heures de bureau et les portes s'étaient verrouillées derrière moi lorsque j'avais quitté le bâtiment. Je glissai vite la main dans ma poche pour y trouver mes clés et la ressortis vivement – billets, pièces et portefeuille, tout tomba par terre.

J'avais enfoncé la clé dans la serrure lorsque j'entendis des pas qui remontaient dans mon dos. Le flingue ! Récupère le flingue !

Enfin, j'ouvris la porte et me ruai dans le couloir jusqu'à mon bureau. Jetai un coup d'oeil derrière moi et vis le type attraper la porte juste avant qu'elle ne se referme à clé. Il ne m'avait pas lâché.

La clé toujours dans ma main, j'atteignis la porte du bureau et tâtonnai avant de réussir à l'insérer dans la serrure. Je sentais que le tueur se rapprochait. Je parvins enfin à ouvrir la porte, entrai, la refermai d'un coup sec et la verrouillai. Allumai la lumière, traversai la réception et fonçai dans le bureau de Vincent.

L'arme que m'avait laissée Cisco était toujours dans le tiroir. Je l'empoignai, la sortis de son holster et regagnai la réception.

À l'autre bout de la pièce, je vis la forme du tueur se dessiner sur le verre dépoli. Il essayait d'ouvrir la porte. Je levai mon arme et la pointai sur son image floue.

J'hésitai, puis je levai mon flingue plus haut encore et tirai deux coups de feu dans le plafond. Dans la pièce fermée le bruit fut assourdissant.

– Ben, c'est ça ! hurlai-je. Entre donc un peu voir !

De l'autre côté de la porte en verre, l'image disparut. J'entendis des pas qui filaient dans le couloir, puis la porte de la passerelle s'ouvrir et se refermer. Je restai absolument immobile et écoutai.

Rien, pas un bruit.

Sans lâcher la porte des yeux, je gagnai le bureau de la réception et décrochai le téléphone. J'appelai le 911, la réponse fut immédiate, mais je n'eus droit qu'à un enregistrement me disant que mon appel était important et que je devais attendre le prochain dispatcher disponible.

Je me rendis compte que je tremblais, pas de peur mais de trop-plein d'adrénaline. Je posai l'arme sur le bureau, tâtai ma poche et m'aperçus que je n'avais pas perdu mon portable. Le téléphone du bureau dans une main, j'ouvris mon portable avec l'autre et appelai Harry Bosch. Il décrocha à la première sonnerie.

– Bosch ! m'écriai-je. Le type que vous m'avez montré ce matin est venu ici !

– Haller ? Qu'est-ce que vous racontez ? Quel type ?

– Le type de la photo que vous m'avez montrée aujourd'hui !

Celui avec le flingue !

– Bon, bon, calmez-vous. Où est-il ? Et vous, où êtes-vous ?

Je compris que le stress avait tendu ma voix et que je criais.

Gêné, je respirai un grand coup et tentai de me calmer avant de répondre.

– Je suis au bureau, dis-je enfin. Celui de Vincent. Je m'en allais et je l'ai vu dans le garage. Je suis revenu au bureau en courant et il m'a couru après. Il a essayé d'entrer dans le bureau, je crois qu'il est parti, mais je n'en suis pas sûr. J'ai tiré quelques coups de feu et après...

– Vous avez une arme ?

– Et comment, nom de Dieu !

– Je vous suggère fermement de la ranger avant que quelqu'un ne soit blessé.

– Si ce mec est encore dehors, le blessé, ça va être lui ! Qui c'est, bordel ?

Il y eut une pause avant qu'il ne réponde.

– Je ne sais pas encore. Écoutez, je suis toujours en centre-ville et je commençais moi aussi à rentrer à la maison. Je suis dans ma voiture. Ne bougez pas et je vous rejoins dans cinq minutes.

Restez dans votre bureau et gardez la porte fermée à clé.

– Ne vous inquiétez pas, je ne bouge pas d'ici.

– Et ne tirez pas quand j'arrive.

– Promis.

Je tendis le bras et raccrochai le téléphone du bureau. Bosch arrivait, je n'avais plus besoin des flics. Je repris l'arme.

– Hé, Haller ?

– Quoi ?

– Qu'est-ce qu'il voulait ?

– Quoi ?

– Le type. Il venait pour quoi ?

– Alors là, c'est une bonne question ! Mais je n'ai pas la réponse.

– Écoutez, arrêtez de vous foutre de moi et dites-moi !

– Mais c'est ce que je fais ! Je ne sais pas ce qu'il cherche. Bon et maintenant, arrêtez de jacasser et ramenez-vous !

Sans même le vouloir j'avais serré les poings en criant et, pur accident, tirai un coup de feu dans le plancher. Je bondis comme si c'était quelqu'un d'autre qui m'avait tiré dessus.

– Haller ! hurla Bosch. C'était quoi, bordel ?

Je respirai un grand coup et pris le temps de me calmer avant de répondre.

– Haller, répéta-t-il, qu'est-ce qui se passe ?

– Ramenez-vous et vous le verrez.

– Vous l'avez touché ? Vous l'avez abattu ?

Je ne répondis même pas et refermai mon portable.

Le Verdict du Plomb
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