SEPTEMBRE

ON ESSAIE DE NE PLUS PARLER DE DIEU

 

Entre Dieu et moi, c’est fini.

Je suis une élève moyenne de seize ans (du moins statistiquement moyenne – il doit y avoir environ soixante mille filles comme moi dans ce pays). Je ne sais toujours pas qui est Dieu.

En fait, notre histoire a marché tant que je Le prenais pour le Père Noël. Qui refuserait d’être chaleureusement pris dans ses bras et de se réfugier dans une auréole de barbe blanche ? J’avais même l’habitude de prier avant les interros de maths. Et je chantais Le matin dans les montagnes, le seul psaume que je comprenne vraiment.

À mesure que les cours de maths devenaient de plus en plus difficiles, je me suis mise à prier de plus en plus rarement. Je ne comptais plus sur Dieu pour résoudre les équations du second degré.

Quand est venu le moment de la confirmation, j’ai pensé que je devais Lui accorder une chance. Je Lui ai tenu mon cœur pleinement ouvert – attendant une émotion quelconque, un petit signe de Sa part qui me donne une raison de continuer à Le chercher. Mais Il n’a pas saisi cette chance. J’avais des ampoules à cause de mes nouvelles chaussures blanches et l’hostie m’est restée collée au palais.

Je m’y suis prise d’une autre manière. Je pensais que si, somme toute, il y avait une pensée derrière tout cela, s’il était prévu que je la découvre. Dieu saurait bien que c’était à l’aide du cerveau qu’il m’avait donné que je devais le faire. Mais en même temps, je me disais qu’être Dieu ce n’était vraiment pas grand-chose, s’il était possible de Le comprendre avec un pauvre petit cerveau humain.

Je n’arrivais pas à établir de lien entre ces deux idées, j’ai donc failli abandonner mes questions sur la vie après la mort et tout le reste. Mais cela me paraissait lâche, c’est pourquoi j’ai continué à me casser la tête. Le pire c’était quand je me réveillais vers quatre heures du matin, dans la nuit claire printanière, à cause du grand courlis. Le chant du grand courlis a quelque chose de mystique, il doit avoir une signification. J’ai remarqué que le printemps me rend toujours à moitié exaltée. (Et enrhumée aussi – ça vient toujours en même temps.)

Aujourd’hui, je considère la question « Est-ce que tu crois en Dieu ? » comme vide de sens, c’est comme si on me demandait : « Les livres sont-ils utiles ? » Ça dépend du livre et du dieu : le Père Noël, le grand Manitou, Kali la déesse de la mort ? Ou est-ce qu’on emploie le mot « dieu » pour désigner tout ce qui existe ? On ne « croit » pas en un tel Dieu, on cherche seulement une façon de se comporter vis-à-vis de lui.

C’est ce que je fais cette semaine !

En attendant, je crois que c’est moi qui suis Dieu et je me reporte sur le culte de ma propre personnalité.

 

 

Après nous être liées d’amitié, on s’est mises, Pia et moi, à prolonger les heures de sport, ce qui faisait qu’on ratait un bon bout du cours d’après, parce qu’on se lançait toujours dans des discussions sans fin aux vestiaires. « Dieu » a été l’un des premiers sujets à nous passionner, je ne sais pas pourquoi – je me souviens qu’on a commencé à parler des douleurs des règles et sans qu’on s’en aperçoive « Dieu » s’est mêlé à la discussion. Avec Pia, on sautait souvent du coq à l’âne, je ne connais personne aujourd’hui avec qui je puisse parler de Dieu avec une telle légèreté…

J’ai confié à Pia que croire en Dieu, pour moi, ça dépendait pas mal de la saison, je lui ai raconté que Dieu venait à moi en même temps que le grand courlis.

« Moi, cela m’arrive quand je me promène seule au bord de la mer, a dit Pia. Je crois que personne ne peut se promener seul au bord de la mer sans penser à Dieu. Une fois, je me suis sérieusement demandé si la mer était Dieu, cette mer primitive, source de toute vie… Mais tout ce que je voyais quand j’essayais de me l’imaginer n’était qu’un triste Dieu-Mer avec des algues fanées et des cartons de lait autour de la tête.

— Doit-on vraiment s’inventer son Dieu soi-même ? j’ai dit. Tous les jours des gens disent qu’ils sont délivrés, comme s’il suffisait d’un clic pour qu’ils soient heureux et beaux. Il y a une fille comme ça dans ma classe. Quand elle en parle, elle a l’air d’avoir pris du crack… Moi, je n’ai jamais rencontré de missionnaire suffisamment convaincant. Et je n’arrive pas à prendre au sérieux ces jeunes prêcheurs à la raie de côté qui ont une Bible dans une main et un tronc de quête dans l’autre.

— Nos voisins à la campagne sont missionnaires, a dit Pia. Ils passent tous leurs hivers en Afrique à répandre infatigablement la bonne parole. Une fois, j’ai demandé au voisin si les païens qui n’ont jamais rencontré de missionnaire avaient une seule petite chance d’aller au paradis. Il m’a répondu qu’il ne le croyait pas, mais que Dieu se montrerait très clément envers les païens qui n’ont jamais connu Le Seul Vrai Dieu dans leur vie. Je pense qu’il voulait dire qu’ils allaient pouvoir prendre place à bonne distance de l’enfer, juste ce qu’il faut pour griller des saucisses. Par contre, les païens qui se complaisent dans le péché, ceux qui ont refusé le christianisme quand il leur a été offert, iraient directement brûler en enfer.

— Je me méfierais vachement des missionnaires si j’étais païenne, répondis-je. Il vaut mieux éviter qu’ils s’approchent de trop près ! Tant qu’on est dans la jungle, païen bienheureux et ignorant, on ne risque finalement pas grand-chose. Par contre, dès qu’un missionnaire ouvre la bouche, on est contraint de faire son choix, avec toutes les conséquences que ça implique, et ça peut mal se terminer. »

Pia m’a regardée d’un air songeur.

« Je me demande à partir de quel moment on doit choisir d’être chrétien, dit-elle. Est-ce qu’il faut qu’il ait prêché tout le Nouveau Testament pour que le païen soit amené à se décider ? Ou est-ce qu’il suffit de voir seulement l’ombre d’un missionnaire à une distance de, disons, cinq kilomètres ? Ils devraient peut-être mettre une alarme. Attention ! Alerte aux missionnaires déclarée dans la jungle sud pour trois jours ! Calfeutrez-vous dans vos maisons ou fuyez dans les montagnes !

— Comment peut-on choisir quelque chose si on ne sait pas ce qu’on choisit ? ai-je demandé. Mais on n’a pas non plus envie de devenir musulman pendant six mois pour laisser tomber ensuite et risquer d’être condamné à brûler pour toujours dans leur enfer à eux ! J’aimerais avoir une religion qu’on puisse résilier au bout d’une semaine ! De quoi est-ce qu’on parle au fait ?

— Je crois qu’on essaie d’arrêter de parler de Dieu », a dit Pia. Et c’est ce qu’on a fait.

Entre Dieu et moi, c'est fini
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