FÉVRIER

SOAP OPERA DEUXIÈME PARTIE, AVEC CLUBS DE GOLF

 

Ç’aurait été très sympa de pouvoir dire que, une fois chez Ingo, je l’avais trouvé dans sa galerie plein de regrets et les yeux embués de larmes. Là, je lui aurais raconté que maman était terriblement fatiguée, et il aurait répondu qu’il venait de fêter un grand succès artistique et qu’il vendait maintenant ses sculptures à quatorze mille couronnes pièce, mais qu’on lui manquait et qu’il s’était inscrit à un cours de cuisine. Maman et lui se seraient tombés dans les bras sur le banc de la cuisine et auraient éclaté en sanglots, Knotte entre eux. Comme dans un roman à l’eau de rose.

Mais je dois vous l’annoncer : tout ça n’arrive que très rarement, au cas où vous ne vous en seriez pas encore rendu compte vous-mêmes.

Première chose, comment trouver Ingo ? Je ne savais pas où il avait l’habitude de traîner. Je ne me suis jamais intéressée à lui. On ne se disputait pas non plus. Chacun se fichait plus ou moins de l’autre, lui de moi, et moi de lui. Je ne pouvais pas non plus retourner chez ma mère pour qu’elle me dise où il pouvait être. Quand on vient de claquer la porte d’une maison, il est difficile de faire demi-tour pour demander un truc qu’on a oublié. On ne va pas non plus aux objets trouvés pour voir si quelqu’un a déposé un beau-père. (De toute façon, il devrait y avoir un autre mot que « beau-père » – on s’imagine quelqu’un avec un col amidonné et des lunettes en acier. Ingo est grand, il a les cheveux en bataille et on dirait que ses vêtements lui ont été jetés dessus.)

Comme je ne savais pas par où commencer mes recherches, je suis d’abord passée chez Pia. Je me suis rappelé qu’elle en savait long sur les crises familiales, ses parents ayant divorcé un an auparavant. Au début de notre amitié, elle ne parlait jamais de sa famille, mais au bout d’un moment elle a fini par aborder le sujet.

« Papa utilisait des clubs de golf pour frapper maman, mais à la fin c’est elle qui a remporté la victoire, a-t-elle dit. Il a dû déclarer forfait. »

Pia et sa mère habitaient dans un ancien centre commercial Domus. Sa mère y habite toujours, seule. Pia avait aussi un frère, un soldat courageux qui faisait ses classes quelque part en Suède. Pia était issue d’une famille de grands militaires, son père était commandant. « Ça pèse lourd sur les épaules, avait-elle l’habitude de dire, je finirai sans doute aide de camp. » Pia était chez elle. On s’est enfermées dans sa chambre, la chambre la plus étrange que j’aie jamais vue. Il n’y avait absolument rien à part un lit, une lampe et un tabouret à côté duquel traînaient quelques livres.

« Mon chaos intérieur m’oblige à ranger autour de moi », a-t-elle dit une fois.

J’étais la seule parmi ses camarades de classe qu’elle autorisait à venir chez elle. Elle ne tolérait aucune autre visite – depuis le jour où sa mère l’avait convaincue de faire une fête pour son anniversaire. Une bande de petits chieurs avait ramené un tas de photos de chevaux et de stars de la chanson avec lesquelles ils voulaient tapisser de haut en bas les murs de sa chambre.

L’un d’eux avait même essayé de mettre un coussin sur le lit de Pia, un coussin rose orné de dentelles, de rubans et portant l’inscription embrasse-moi.

Je lui ai parlé des turbulences chez moi et lui ai demandé ce que je devais faire.

« Fais gaffe ! a dit Pia. Tu vas te prendre pour une réalisatrice de soap opéra. Et puis tu vas croire que c’est de ta faute s’ils déconnent et ne suivent pas le scénario. Tu seras prête à te balader avec des couverts sur le bout du nez ou à te défoncer à l’héroïne pour faire diversion et les amener à parler d’autre chose qu’eux-mêmes. On ne les comprendra jamais. Il est clairement écrit dans les livres religieux qu’ils sont plus âgés que toi et que s’ils ne se comportent pas conformément à leur âge, tu ne peux rien y faire. Pourquoi tu veux à tout prix qu’Ingo revienne ? Il est peut-être plus agréable à vivre en tant que souvenir, non ?

— À cause de Knotte ! ai-je dit. Je ne veux pas qu’il soit obligé d’aller chez McDonald’s tous les samedis pour voir son père. Et si Ingo l’emmène avec lui, je meurs. Je deviendrai une de ces vieilles filles qui restent dans les jupes de leur mère jusqu’à la fin de leurs jours, qu’elle le veuille ou non.

— Jetez-le donc dans son atelier, exigez un loyer et dites-lui qu’à partir de maintenant il s’occupe lui-même de ses repas, même s’il doit poser des pièges à oiseaux, a dit Pia. Ce qui rend ta mère dingue, c’est qu’elle est seule à faire bouillir la marmite ! Vous devriez le lui faire comprendre !

— Bof, ma mère n’arrivera jamais à tenir une résolution pareille, ai-je dit. Elle commencera à se faufiler dans l’atelier la nuit, une bouteille de vin et de la charcuterie sous le bras, et puis je l’entendrai glousser, soupirer et les ressorts du lit grincer. Je les entends parfois. Dans ces moments-là, je me lève pour faire les cent pas devant la porte, juste pour les emmerder.

— Alors là, je ne peux plus t’aider, a dit Pia. Innocente que je suis. Ma mère n’a jamais fait grincer les ressorts, du moins pas avec papa. Les dernières années de leur mariage, elle devenait verte à chaque fois qu’il tentait seulement de l’effleurer. Quand mon frère a quitté la maison, elle a tout de suite emménagé dans sa chambre et s’est procuré une clé pour la serrure. Parfois, la nuit, j’entendais mon père pleurnicher devant sa porte, d’une horrible voix chuchotante, hypocrite, essayant de cacher sa fureur. Elle préférait accepter de recevoir un coup de club de golf le lendemain plutôt que de le laisser entrer. Ou un coup de tee. Je ne sais pas ce qu’elle aurait fait s’il lui en avait flanqué une avec le driver.

— Driver ? ai-je demandé.

— Un grand club en bois très lourd. Il l’utilisait souvent pour cogner contre la porte. »

J’ai bien remarqué qu’elle était triste, même si elle essayait de faire comme si tout allait bien. Elle avalait sa salive, comme Knotte. On en est resté là.

Je suis rentrée à la maison. Knotte était assis sur le banc de la cuisine. Il rayonnait. Il était en train de lire un nouveau Donald Duck et mangeait une énorme glace au chocolat. La porte de la chambre à coucher était fermée. On entendait les gloussements et les soupirs à travers le mur.

Fini la crise, pour cette fois.

Du moins dans ma famille. Je n’ai jamais demandé à Pia de me parler de ses crises familiales, cette idée ne m’a même pas traversé l’esprit. Quand je me concentre, je peux encore l’entendre avaler sa salive. Qu’est-ce que j’ai fait pour toi, Pia ? C’est bien fait pour moi que tu m’aies quittée. Oui, je te comprends très bien. Parfois.

Entre Dieu et moi, c'est fini
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