CHAPITRE 4

Jour 2. La disparition

 

 

 

À la mi-journée, la neige avait fondu dans le centre d’Oslo. Mais à Hoff, elle demeurait en taches dans les jardins de part et d’autre de la rue que remontaient en voiture Harry Hole et Katrine Bratt. À la radio, Michael Stipe chantait son pressentiment de ce qui allait arriver, sa certitude que quelque chose allait de travers, et à propos du garçon dans le puits. Au beau milieu d’un quartier paisible de villas, dans une rue encore plus paisible, Harry montra du doigt une Toyota Corolla argentée garée tout contre une clôture.

« La voiture de Skarre. Range-toi derrière. »

La villa était grande, jaune. Trop grande pour une famille de trois personnes, songea Harry tandis qu’ils remontaient l’allée de graviers. Autour d’eux, ils entendaient des gouttes qui tombaient et des soupirs. Un bonhomme de neige occupait le jardin, avec une légère gîte et des perspectives d’avenir incertaines.

Skarre ouvrit. Harry se pencha et jeta un coup d’œil à la serrure.

« Il n’y a nulle part de signe d’effraction », l’informa Skarre.

Il le conduisit dans le salon, où un gamin était assis à même le sol, dos à eux, et regardait une chaîne de dessins animés à la télévision. Une femme se leva du canapé, tendit la main à Harry et se présenta comme Ebba Bendiksen, voisine.

« Birte n’a jamais rien fait de tel par le passé, déclara-t-elle. Pas depuis que je la connais, en tout cas.

– Et ça fait combien de temps ? » voulut savoir Harry en regardant autour de lui. Devant la télé, il vit de gros et lourds sièges en cuir, et une table basse octogonale à plateau de verre fumé. Les chaises à montants d’acier entourant la table de la salle à manger étaient légères et élégantes, du type de celles que n’aimait pas Rakel, il le savait. Deux tableaux ornaient les murs, représentant l’un comme l’autre des hommes aux allures de directeurs de banque qui le dévisageaient avec une autorité lourde de gravité. Encore à côté, de l’art moderne et abstrait du genre qui avait eu le temps de ne plus être moderne, et de nouveau très moderne.

« Dix ans, répondit Ebba Bendiksen. Nous avons emménagé dans la maison de l’autre côté de la rue juste à la naissance de Jonas. »

Elle fit un mouvement de tête en direction du gosse, toujours immobile et absorbé par des faucheux qui galopaient et des loups qui explosaient.

« Et c’est donc vous qui avez téléphoné à la police, cette nuit ?

– Oui.

– Le môme a sonné à environ une heure et quart du matin, intervint Skarre en regardant ses notes. Police Secours a reçu l’appel à une heure trente.

– Mon mari, moi et Jonas sommes retournés chercher dans la maison, d’abord, expliqua Ebba Bendiksen.

– Où avez-vous cherché ? demanda Harry.

– À la cave. Dans les salles de bains. Au garage. Partout. C’est très étonnant que quelqu’un se taille comme ça.

– Se taille ?

– Disparaisse. Qu’il ne soit plus là. Le policier avec qui j’ai discuté au téléphone m’a demandé si nous pouvions nous occuper de Jonas, et il a dit que nous devions appeler tous ceux que Birte connaissait, et chez qui elle pouvait être. Et en dehors de ça, attendre jusqu’à demain pour savoir si Birte était allée travailler. Il m’a expliqué que dans huit cas sur dix, la personne réapparaît en l’espace de quelques heures. On a essayé de trouver Filip…

– Le mari, intervint Skarre. Il était à Bergen pour des cours. Il est prof de je ne sais trop quoi.

– Physique, précisa Ebba Bendiksen avec un sourire. Quoi qu’il en soit, son téléphone mobile était éteint. Et nous ne savions pas dans quel hôtel il était descendu.

– On a pu le joindre à Bergen ce matin, reprit Skarre. Il ne devrait pas tarder.

– Oui, Dieu merci ! s’exclama Ebba. Alors après avoir appelé au boulot de Birte, ce matin, et appris qu’elle ne s’était pas présentée à l’heure habituelle, on vous a appelés vous. »

Skarre confirma d’un signe de tête. Harry lui fit comprendre qu’il pouvait poursuivre l’entretien avec Ebba Bendiksen, alla à la télévision et s’assit par terre à côté du petit garçon. Sur l’écran, le loup allumait la mèche d’un bâton de dynamite.

« Salut, Jonas. Je m’appelle Harry. Est-ce que l’autre policier t’a dit que les affaires de ce genre se terminent presque toujours bien ? Que ceux qui disparaissent reviennent tout seuls ? »

Le gamin secoua la tête.

« Eh bien c’est ce qu’ils font, poursuivit Harry. Si tu devais le deviner, où crois-tu que ta mère est, en ce moment ? »

Le gosse haussa les épaules. « Je ne sais pas où elle est.

– Je sais que tu ne le sais pas, Jonas, personne de nous ne le sait, à l’heure actuelle. Mais quel est le premier endroit qui te vient à l’esprit si elle n’est pas ici ou au boulot ? N’essaie pas de savoir si c’est vraisemblable ou non. »

Le gamin ne répondit pas, il regardait toujours fixement le loup qui tentait en vain de se débarrasser du bâton de dynamite collé à sa main.

« Est-ce qu’il y a un chalet, ou quelque chose comme ça, où vous avez l’habitude de vous rendre ? »

Jonas secoua la tête.

« Un endroit particulier où elle irait si elle voulait être seule ?

– Elle ne voudrait pas être seule. Elle voudrait être avec moi.

– Rien qu’avec toi ? »

Le petit garçon se tourna et regarda Harry. Jonas avait les yeux marron, exactement comme Oleg. Et dans ce marron, Harry voyait à la fois de la peur, à laquelle il s’était attendu, et de la colère, à laquelle il ne s’était pas attendu.

« Pourquoi est-ce qu’ils disparaissent ? demanda-t-il. Ceux qui reviennent ? »

Les mêmes yeux, songea Harry. Les mêmes questions. Les questions importantes.

« Toutes les raisons possibles et imaginables. Certains se sont perdus. Parce qu’il y a différentes façons de se perdre. Et certains ont juste eu besoin d’une pause, et se sont cachés pour être un peu au calme. »

La porte d’entrée s’ouvrit et se referma, et Harry vit le gamin se faire tout petit.

Au même instant, la dynamite explosa dans la main du loup, et la porte du salon s’ouvrit derrière eux.

« Bonjour », fit une voix. Tranchante et maîtrisée en même temps. « Quelle est la situation ? »

Harry se retourna juste à temps pour voir un homme d’environ cinquante ans, vêtu d’un veston, filer vers la table basse, attraper la télécommande et éteindre la télévision en un point blanc, au sifflement de protestation de l’appareil.

« Tu sais ce que j’ai dit concernant la télévision dans la journée, Jonas », soupira-t-il d’une voix résignée, comme pour expliquer en même temps aux autres occupants de la pièce quel travail c’était d’éduquer, de nos jours.

Harry se leva et se présenta, avant de faire de même pour Magnus Skarre et Katrine Bratt, qui jusqu’à présent s’était contentée d’observer depuis la porte.

« Filip Becker », se présenta l’homme en repoussant ses lunettes bien que celles-ci soient déjà tout en haut de son nez. Harry essaya de capter son regard, de se constituer la première impression importante d’un suspect potentiel si on devait en arriver là. Mais ses yeux étaient dissimulés par le reflet dans ses verres.

« J’ai passé du temps à appeler tous ceux qu’elle aurait pu contacter, mais personne ne sait rien, expliqua Filip Becker. Et vous, que savez-vous ?

– Rien, répondit Harry. Mais la première chose que vous pouvez faire pour nous aider, c’est de chercher si des valises, des sacs à dos ou des vêtements ont disparu, pour que nous puissions en savoir plus. » Harry étudia Becker avant de poursuivre : « Si la disparition est spontanée, ou si elle a été planifiée. »

Becker renvoya à Harry son regard scrutateur avant de hocher la tête et de grimper au premier.

Harry s’accroupit à côté de Jonas, qui n’avait pas quitté des yeux l’écran noir du téléviseur. « Tu aimes bien les faucheux, alors ? » Le gamin secoua la tête, sans rien dire. « Pourquoi ? »

Le murmure de Jonas était à peine perceptible : « Je plains Pierre le loup. »

Cinq minutes plus tard, Becker redescendit : rien n’avait disparu, ni sacs de voyage, ni vêtements, hormis ce qu’elle avait porté quand il était parti, plus son manteau, ses bottes et son écharpe.

« Mmm. » Harry gratta son menton pas rasé et regarda en direction d’Ebba Bendiksen. « Vous pouvez m’accompagner dans la cuisine, Becker ? »

Becker montra le chemin, et Harry fit signe à Katrine qu’elle pouvait venir. Dans la cuisine, le professeur s’employa immédiatement à verser du café dans un filtre en papier et de l’eau dans la cafetière. Katrine se posta à la porte tandis que Harry allait regarder à la fenêtre. La tête du bonhomme de neige s’était effondrée entre ses épaules.

« Quand êtes-vous parti d’ici hier au soir, et quel avion avez-vous pris pour Bergen ? voulut savoir Harry.

– Je suis parti d’ici vers neuf heures et demie, répondit Becker sans hésiter. L’avion a décollé à onze heures cinq.

– Vous avez eu Birte après votre départ ?

– Non.

– À votre avis, qu’est-ce qui a pu se passer ?

– Je n’en ai aucune idée, inspecteur principal. Je n’en ai vraiment aucune idée.

– Mmm. »

Harry regarda dans la rue. Depuis leur arrivée, il n’avait pas entendu passer la moindre voiture. Un voisinage des plus calmes. Le calme coûtait vraisemblablement quelques millions de couronnes dans cette partie de la ville.

« Quel genre de relation entretenez-vous avec votre femme ? »

Harry entendit Filip Becker suspendre ses activités, et ajouta :

« Je dois vous le demander parce qu’il arrive que des conjoints s’enfuient, tout simplement. »

Filip Becker s’éclaircit la voix. « Je peux vous assurer que ma femme et moi entretenons une relation tout à fait satisfaisante.

– Avez-vous malgré tout pensé qu’elle ait pu avoir une liaison dont vous n’aviez pas connaissance ?

– C’est exclu.

– Exclu, le terme est fort, Becker. Et les liaisons extraconjugales sont assez courantes.

– Je ne suis pas naïf, inspecteur principal, répondit Filip Becker avec un léger sourire. Birte est une femme attirante, et plus jeune que moi de pas mal d’années. Elle vient d’une famille aux mœurs relativement légères, soit dit en passant. Mais en ce qui la concerne, elle n’est pas comme ça. Et j’ai un assez bon aperçu de ses faits et gestes, si on peut dire. »

La cafetière glouglouta un avertissement au moment où Harry ouvrait la bouche pour rebondir. Il se ravisa.

« Avez-vous constaté des changements d’humeur chez votre épouse ?

– Birte n’est pas dépressive, inspecteur principal. Elle n’est pas allée se pendre dans les bois ou se jeter dans la mer. Elle est dehors, quelque part, et elle est vivante. J’ai lu que des gens disparaissent sans arrêt, et ils réapparaissent, ça a une explication naturelle et relativement banale. Ce n’est pas vrai ? »

Harry hocha lentement la tête. « Vous voyez un inconvénient à ce que je fasse un tour dans la maison ?

– Pourquoi ça ? »

En entendant la question de Filip Becker et ce qu’elle avait de tranchant, Harry songea que celui-ci était un homme habitué à avoir le contrôle. À être tenu informé. Et que cela allait à rencontre du fait que sa femme soit partie sans crier gare. Ce que Harry avait déjà exclu en son for intérieur, dans une certaine mesure. Des mères bien insérées, en bonne santé, n’abandonnent pas un fils de dix ans en pleine nuit. Et il y avait le reste. D’habitude, ils mettaient le minimum de moyens à un stade aussi peu avancé d’une affaire de disparition, à moins qu’il n’y ait des éléments tendant vers quelque chose de criminel ou de particulièrement dramatique. C’était cette autre chose qui l’avait fait venir à Hoff, en fin de compte.

« Parfois, on ne sait pas ce que l’on cherche avant de l’avoir trouvé, répondit Harry. C’est une méthode de travail. »

Il percevait les yeux de Becker derrière les verres de ses lunettes, à présent. Au contraire de ceux de son fils, les siens étaient bleu clair et empreints d’un éclat intense, bien net.

« Pas de problème, accorda Becker. Je vous en prie. »

 

La chambre à coucher était fraîche, sans odeur et bien rangée. Un plaid au crochet recouvrait le lit double. La photo d’une femme d’un certain âge était posée sur l’une des tables de chevet. La ressemblance poussa Harry à supposer qu’il s’agissait du côté du lit de Filip Becker. Sur l’autre table de nuit, il y avait un portrait de Jonas. L’armoire à vêtements féminins sentait faiblement le parfum. Harry vérifia que les crochets des cintres étaient répartis régulièrement, tels qu’ils l’auraient été après avoir été laissés au repos un certain temps. Des robes noires fendues, des pulls courts ornés de motifs roses et de paillettes. Dans le bas de l’armoire, il vit quelques tiroirs. Il ouvrit celui du dessus. Des sous-vêtements. Noirs et rouges. Tiroir suivant : gaines et bas. Troisième tiroir : bijoux disposés dans des cavités de feutre rouge sang. Il remarqua un gros anneau tapageur dont les pierres scintillaient avec exubérance. Tout avait un petit côté Vegas, ici. Aucune cavité n’était vide.

La chambre à coucher avait un accès direct sur une salle de bains récemment refaite, disposant d’une douche à jets et de deux lavabos en inox.

Dans la chambre de Jonas, Harry s’assit sur une petite chaise à côté d’un petit pupitre. Sur ce dernier, il vit une calculatrice présentant toute une série de fonctions mathématiques avancées. Elle avait l’air neuve et semblait n’avoir jamais servi. Une affiche représentant sept dauphins à l’intérieur d’une vague était accrochée au-dessus du pupitre, à côté d’un calendrier. Une partie des dates avaient été entourées et annotées de mots clés. Harry lut que c’était l’anniversaire de maman et de papy, les vacances au Danemark, le dentiste à dix heures et deux dates en juillet avec « docteur » au-dessus. Mais Harry ne vit aucun match de football, ni cinéma ou fête d’anniversaire. Il vit une écharpe rose sur le lit. Une couleur dans laquelle aucun gamin de l’âge de Jonas n’aurait voulu être vu. Harry la ramassa. Elle était humide, mais il put néanmoins sentir l’odeur distincte de peau, de cheveux et de parfum féminin. Le même parfum que dans l’armoire.

Il redescendit. S’arrêta devant la cuisine et écouta Skarre faire son exposé sur la façon dont on avançait habituellement dans les affaires de disparition. Des tasses de café tintèrent à l’intérieur. Le canapé du salon paraissait énorme, sans doute à cause de la silhouette frêle assise dedans et qui lisait un livre. Harry s’approcha et vit une photo de Charlie Chaplin en grande tenue. Il s’assit à côté de l’enfant.

« Tu savais que Chaplin était un lord anglais ? demanda-t-il. Sir Charles. »

Jonas hocha la tête. « Mais aux États-Unis, ils l’ont jeté dehors. »

Il tourna quelques pages. « Tu as été malade, cet été, Jonas ?

– Non.

– Mais tu es allé chez le docteur. Deux fois.

– Maman voulait juste me faire examiner. Maman… » Sa voix le trahit soudain.

« Tu vas voir, elle va bientôt revenir, le rassura Harry en posant une main sur son épaule fluette. Elle n’a pas emporté son écharpe. La rose qui est dans ta chambre.

– Quelqu’un l’avait accrochée autour du cou du bonhomme de neige, expliqua Jonas. C’est moi qui l’ai rentrée.

– Ta mère devait vouloir que le bonhomme de neige n’ait pas froid, alors.

– Elle n’aurait jamais laissé son écharpe préférée au bonhomme de neige.

– Ç’a dû être papa, alors.

– Non, c’est quelqu’un qui l’a fait après le départ de papa. Cette nuit. Celui qui a pris maman. »

Harry hocha lentement la tête. « Qui a fait ce bonhomme de neige, Jonas ?

– Je ne sais pas. »

Harry regarda vers la fenêtre donnant sur le jardin. C’était cela, la raison de sa venue. Un courant d’air glacial sembla soudain traverser le mur et la pièce.

 

Harry et Katrine descendaient à toute vitesse Sørkedalsveien en direction de Majorstua.

« Quelle a été la première chose à t’avoir frappée quand nous sommes entrés ? voulut savoir Harry.

– Que ceux qui habitent ensemble là-bas ne sont pas exactement des âmes sœurs, répondit Katrine en traversant la barrière de péage sans freiner. Qu’il s’agit peut-être d’un ménage malheureux. Et que, dans ce cas, c’est elle qui souffre le plus.

– Mmm. Qu’est-ce qui te fait croire ça ?

– C’est évident, non ? sourit Katrine en jetant un œil dans son rétroviseur. Le choc des goûts.

– Explique.

– Tu n’as pas vu cet infâme canapé dans le salon ? Le style typique des années quatre-vingt acheté par les hommes dans les années quatre-vingt-dix. Alors que c’est elle qui a choisi la table de salle à manger en chêne huilé à châssis d’aluminium. Et du Vitra.

– Vitra ?

– Les chaises autour. Suisse. Cher. Tellement qu’en achetant seulement des répliques un peu moins coûteuses, elle aurait fait assez d’économies pour pouvoir renouveler tout ce salon dégueulasse. »

Harry remarqua que « dégueulasse » dans la bouche de Katrine Bratt ne sonnait pas comme un terme familier vulgaire, mais qu’il soulignait simplement à quelle classe elle appartenait.

« Si bien que ?

– Avec cette énorme maison à cette adresse d’Oslo, ce n’est pas l’argent, le problème. Elle n’a pas eu le droit de troquer son canapé et sa table. Et quand un homme sans goût et sans intérêt flagrant fait ce genre de chose, ça me renseigne sur qui domine qui. »

Harry hocha la tête, essentiellement pour lui-même.

Sa première impression n’avait pas été fausse. Katrine Bratt était bonne.

« Raconte-moi plutôt ce que toi, tu crois, poursuivit, elle. C’est moi qui dois apprendre des choses de toi ici. »

Harry regarda par la fenêtre le vieux débit de boissons Lepsvik, avec toutes ses traditions pas particulièrement honorables.

« Je ne crois pas que Birte Becker ait quitté la maison délibérément.

– Pourquoi ? Il n’y avait aucune trace de violence.

– Parce que c’était bien planifié.

– Et qui est le coupable ? Le mari ? C’est toujours le mari, n’est-ce pas ?

– Oui, répondit Harry en sentant ses idées dériver. C’est toujours le mari.

– À cela près que celui-là était parti à Bergen.

– C’est l’impression que cela donne, oui.

– Avec le dernier avion, alors il n’a pas pu revenir et arriver quand même à temps pour le premier cours. » Katrine accéléra et passa le carrefour de Majorstua en trombe, à l’orange. « Par ailleurs, si Filip Becker avait été coupable, il aurait mordu à l’hameçon que tu lui tendais.

– Quel hameçon ?

– Concernant ses changements d’humeur. Tu as laissé entendre à Becker que tu soupçonnais un suicide.

– Et donc ? » Elle éclata de rire.

« Allez, Harry. Tout le monde, Becker compris, sait que la police utilise des moyens limités sur une affaire qui ressemble à un suicide. En trois mots, tu lui as donné la possibilité d’étayer une théorie qui, dans le cas où il aurait été le coupable, aurait résolu la plupart de ses problèmes. Mais au contraire, il a répondu que sa femme était heureuse comme un poisson dans l’eau.

– Mmm. Alors tu veux dire que la question était un test ?

– Tu passes ton temps à tester les gens, Harry. Moi, entre autres. »

Harry ne répondit pas avant qu’ils aient parcouru un bon morceau de Bogstadveien.

« Les gens sont souvent plus futés que tu le penses », lâcha-t-il alors, et il ne dit plus rien avant d’être dans le parking de l’hôtel de police.

« Je dois travailler seul le restant de la journée. »

Il dit cela parce qu’il avait pensé à l’écharpe rose, et pris une décision. Il était urgent de revoir ce dont disposait Skarre sur les personnes portées disparues, urgent d’avoir la confirmation de ce soupçon qui le taraudait. Et si c’était comme il le redoutait, il devrait aller voir l’agent supérieur de police Gunnar Hagen avec la lettre. Cette satanée lettre.