CHAPITRE 28

Jour 20. Maladie

 

 

 

Bjørn Holm conduisit Harry depuis Aker Brygge jusqu’à l’hôtel de police. L’inspecteur principal avait remis ses propres vêtements mouillés, et le revêtement de skaï gargouillait quand il bougeait sur son siège.

« Delta a ravagé son appartement il y a vingt minutes, narra Bjørn. Il était vide. Ils ont laissé trois gardes.

– Elle ne refera pas surface », affirma Harry.

Dans son bureau du cinquième, Harry se changea pour l’uniforme de police suspendu au perroquet, et qui n’avait pas servi depuis les obsèques de Jack Halvorsen. Il regarda son reflet dans la fenêtre. La veste était devenue ample.

On avait réveillé Gunnar Hagen, et il était venu au bureau sans délai. Assis à sa table de travail, il écoutait le débriefing de Harry. Qui fut assez remarquable pour lui faire oublier de s’irriter de l’uniforme chiffonné du policier.

« Le Bonhomme de neige, c’est Katrine Bratt », répéta lentement Hagen, comme si le fait de le dire à voix haute le rendait plus compréhensible.

Harry hocha la tête.

« Et tu crois Støp ?

– Oui.

– Des gens qui puissent confirmer son histoire ?

– Ils sont tous morts. Birte, Sylvia, Idar Vetlesen. Il aurait donc pu être le Bonhomme de neige. C’est ce que Katrine Bratt voulait découvrir.

– Katrine ? Mais tu viens de dire que c’était elle, le Bonhomme de neige. Pourquoi irait-elle…

– J’ai dit qu’elle voulait découvrir s’il pouvait être le Bonhomme de neige. Elle voulait se trouver un bouc émissaire. Støp dit que quand il a prétendu ne pas avoir d’alibis pour les jours et heures de meurtres, elle a dit “Bien”, avant d’ajouter qu’il venait de prendre le titre de Bonhomme de neige. Et elle a commencé à l’étrangler. Jusqu’à ce qu’elle entende le barouf de la voiture contre la porte du bas, comprenne que nous arrivions et foute le camp. Le but, c’était que nous trouvions Støp mort chez lui et qu’il ait l’air de s’être pendu. Et que nous nous tranquillisions à l’idée que nous avions trouvé le coupable. Exactement comme lorsqu’elle a supprimé Idar Vetlesen. Et quand elle a essayé de descendre Filip Becker, pendant son arrestation.

– Quoi ? Elle a essayé de…

– Elle tenait son revolver braqué sur lui, le percuteur était déjà relevé. Je l’ai entendue le redescendre quand je me suis interposé dans la ligne de mire. »

Gunnar Hagen ferma les yeux et se massa les tempes avec le bout des doigts.

« Sans doute. Mais pour le moment, Harry, tout cela, ce sont des spéculations.

– Et il y a la lettre.

– La lettre ?

– Du Bonhomme de neige. J’en ai trouvé le texte sur son PC, chez elle, modifié à une date où aucun d’entre nous n’en connaissait encore le contenu. Et le papier spécial, à côté.

– Seigneur ! soupira Hagen en posant lourdement les coudes sur le bureau et en posant la tête dans ses mains. On a embauché cette nana ! Tu sais ce que ça signifie, Harry ?

– Eh bien… le scandale du siècle. Confiance toute relative à l’égard de la police dans son entier. Massacre dans les rangs des gradés. »

Hagen écarta ses doigts et lança un coup d’œil à Harry.

« Merci de ce résumé très précis.

– Je t’en prie.

– Je vais convoquer le chef de la Crim et le directeur de la police. En attendant, je veux que toi et Bjørn Holm restiez muets comme des carpes. Et Arve Støp, il a l’intention de le faire savoir ?

– Peu de chances, chef, répondit Harry avec un sourire en coin. Il est vide.

– Vide de quoi ?

– D’intégrité. »

Il était maintenant dix heures, et de la fenêtre de son bureau, Harry voyait la lumière du jour, pâle et presque hésitante, s’étendre sur les toits et un Grønland plongé dans le calme dominical. Six heures avaient passé depuis que Katrine Bratt avait disparu de l’appartement de Støp, et les recherches n’avaient encore donné aucun résultat. Bien sûr, elle pouvait toujours être à Oslo, mais si elle avait organisé une retraite, elle pouvait être loin. Et Harry ne doutait pas qu’elle ait préparé son plan.

Aussi peu qu’il doutait à présent que Katrine fut le Bonhomme de neige.

Pour commencer, il y avait les preuves, évidemment : la lettre et les tentatives de meurtre. Mais comme avec Katrine Bratt, tout trouvait sa confirmation : l’impression d’être observé de près, que quelqu’un était entré à l’intérieur de sa vie. Les coupures de journaux au mur, les rapports. Elle avait appris à le sentir assez bien pour pouvoir prédire son prochain coup, pour pouvoir le faire intervenir dans son jeu. À présent, elle était un virus dans son sang, un espion à l’intérieur de sa tête.

Il entendit quelqu’un passer la porte, mais ne se retourna pas.

« On a pisté son téléphone mobile, annonça la voix de Skarre. Elle est passée en Suède.

– Tiens donc…

– Le centre d’exploitation de Telenor précise que les signaux se dirigent vers le sud. La situation et la vitesse concordent avec le train pour Copenhague, parti d’Oslo S à sept heures cinq. J’ai eu la police de Helsingborg, ils ont besoin d’une demande formelle d’arrestation. Il reste une demi-heure avant que le train y arrive. Que fait-on ? »

Harry hocha lentement la tête, comme pour lui-même. Une mouette passa sur des ailes raides, avant de changer tout à coup de cap et de piquer vers les arbres du parc. Elle avait sans doute aperçu quelque chose. Ou bien changé d’avis. Comme le font les gens. Oslo S, sept heures du matin.

« Harry ? Elle peut réussir à passer au Danemark si nous ne…

– Demande à Hagen d’appeler Helsingborg », l’interrompit Harry avant de se tourner brusquement et de prendre sa veste au perroquet.

Étonné, Skarre resta planté à regarder l’inspecteur principal filer dans le couloir, à longs pas traînants.

 

L’officier Orø, du département des armes de l’hôtel de police, regarda avec une surprise non feinte l’inspecteur principal aux cheveux presque rasés, avant de répéter :

« CS ? Gaz, donc ?

– Deux boîtes, confirma Harry. Et une boîte de cartouches pour le revolver. »

L’officier partit en boitant et en jurant vers le stock. Ce Hole était cinglé, c’était de notoriété publique, mais des gaz lacrymogènes ? Si cela avait été quelqu’un d’autre à l’hôtel de police, il aurait parié pour une beuverie entre potes. Mais à ce qu’il en avait entendu Hole n’avait pas de potes, en tout cas pas parmi ses collègues dans la maison. L’inspecteur principal toussota quand Orø revint : « Est-ce que Katrine Bratt, de la Criminelle, a reçu des armes d’ici ?

– La fille du commissariat de Bergen ? Seulement ce qu’elle devait avoir conformément aux instructions.

– Et que disent les instructions ?

– Que vous remettez toutes les armes et munitions non utilisées au commissariat que vous quittez, et qu’on vous donne un autre revolver et deux boîtes de cartouches au commissariat où vous arrivez.

– Donc, elle n’a pas d’arme plus lourde qu’un revolver ? »

Orø secoua la tête, surpris.

« Merci. » Hole rangea les boîtes de cartouches dans le sac noir à côté des boîtes cylindriques vertes contenant le gaz lacrymogène empestant le poivre que Corso et Stoughton avaient cuisiné en 1928.

L’officier ne répondit pas avant d’avoir obtenu la signature de Hole sur le registre des remises ; il grommela un « Bon dimanche ».

 

Harry avait pris place dans la salle d’attente de l’hôpital d’Ullevål, à côté du sac noir. Une odeur douce d’alcool, de vieillards et de mort lente flottait dans l’air. Une patiente s’était assise dans le fauteuil en face de lui, et le regardait comme pour essayer de trouver quelque chose qui n’y était pas : quelqu’un qu’elle avait connu, un amour qui n’était jamais venu, un fils qu’elle pensait reconnaître.

Harry poussa un soupir, regarda l’heure et imagina l’assaut du train à Helsingborg. Le conducteur recevant de la gare la consigne de s’arrêter un kilomètre avant la gare. Les policiers en armes prêts avec leurs chiens, répartis le long des deux côtés des rails. La fouille efficace des voitures, compartiments, toilettes. Les passagers effrayés se recroquevillant à la vue des policiers armés, spectacle encore si inhabituel dans les pays heureux de la Scandinavie. Les mains tremblantes, tâtonnantes, des femmes priées de présenter une pièce d’identité. Les épaules hautes des policiers, la nervosité, mais aussi l’espoir. Leur impatience, doute, agacement, puis la déception résignée en ne trouvant pas ce qu’ils cherchaient. Et pour finir, s’ils avaient de la chance et du talent, les jurons criés à la découverte de la source des signaux que les stations de base avaient captés : le téléphone mobile de Katrine Bratt, dans une poubelle des toilettes.

Un visage souriant apparut devant lui :

« Vous pouvez le voir, à présent. »

Harry suivit des sabots bruyants et de larges hanches énergiques dans un pantalon blanc. Elle lui ouvrit la porte.

« Mais ne restez pas trop longtemps, il a besoin de repos. »

Ståle Aune occupait une chambre simple. Son visage rond et rougeaud était diminué et si pâle qu’il ne faisait presque plus qu’un avec la taie d’oreiller. Des cheveux fins, comme ceux d’un enfant, étaient collés au front du sexagénaire dodu. S’il n’y avait pas eu ce même regard perçant, dansant, Harry aurait cru voir le cadavre du psychologue attitré de la Brigade criminelle et directeur de conscience personnel de Harry

« Doux Jésus, Harry, murmura Ståle Aune. Tu ressembles à un squelette. Tu es malade ? »

Harry ne put s’empêcher de sourire. Aune s’assit en faisant la grimace.

« Désolé de ne pas être venu te voir plus tôt commença Harry en tirant une chaise près du lit. C’est juste que les hôpitaux… ça… je ne sais pas.

– Les hôpitaux te rappellent ta mère quand tu étais petit. Pas de problème. »

Harry acquiesça et baissa les yeux sur ses mains.

« On te traite bien ?

– C’est ce que l’on demande quand on va voir quelqu’un en prison, Harry, pas à l’hôpital. »

Harry hocha de nouveau la tête.

Ståle Aune poussa un soupir. « Je te connais trop bien, Harry, alors je vois que ceci n’est pas une visite de courtoisie. Et je sais que malgré tout, tu te préoccupes. Alors accouche, va.

– Ça peut attendre. On m’a dit que tu n’étais pas en forme.

– La forme, c’est relatif. Et relativement parlant, je tiens une forme olympique. Tu aurais dû me voir hier. C’est-à-dire, il aurait mieux valu que tu ne me voies pas hier. »

Harry sourit à ses mains.

« C’est le Bonhomme de neige ? » s’enquit Aune.

Harry acquiesça.

« Enfin, soupira Aune. Je suis en train de mourir d’ennui, ici. Dis voir. »

Harry prit une inspiration. Puis fit un résumé de ce qui était arrivé, sans s’appesantir sur les détails inutiles. Aune ne l’interrompit qu’à deux ou trois reprises par de courtes questions, écoutant en silence, avec une expression de concentration, sinon de ravissement. Quand Harry eut terminé, le malade semblait presque s’être remis. La couleur était revenue sur ses joues, et il s’était redressé encore dans son lit.

« Intéressant, constata-t-il. Mais tu sais déjà qui est le coupable, alors pourquoi viens-tu me trouver ?

– Cette femme est folle, n’est-ce pas ?

– Les gens qui commettent ce genre de crime sont fous, sans exception. Mais pas nécessairement au sens pénal.

– Pourtant, il y a deux ou trois trucs que je ne comprends pas chez elle.

– Fichtre… Pour ma part, il n’y a que deux ou trois trucs que je comprends chez les gens, alors tu es meilleur psychologue que moi.

– Elle n’avait que dix-neuf ans quand elle a tué les deux femmes à Bergen, et Gert Rafto. Comment une personne qui est folle peut-elle passer les tests psychologiques de l’École supérieure de police, et s’en sortir dans son boulot pendant toutes ces années sans que personne découvre rien ?

– Bonne question. Elle est peut-être un cas composite.

– Composite ?

– Une personne qui présente un peu de tout. Assez schizophrène pour entendre des voix, mais qui arrive à dissimuler sa maladie à son entourage. Troubles obsessifs conjugués à une solide paranoïa, avec des fantasmes paranoïdes dans toutes les situations auxquelles elle est confrontée, mais que l’entourage interprète comme une tendance au renfermement sur soi. La fureur bestiale qui apparaît dans les meurtres que tu décris correspond aux personnalités borderline, c’est-à-dire à quelqu’un qui sait maîtriser sa fureur.

– Mmm. Aucune idée, donc ? »

Aune rit. Son rire se changea en quinte de toux.

« Je suis désolé, Harry, répliqua-t-il. La plupart des cas sont ainsi. Nous avons créé en psychologie toute une série de box dans lesquels nos vaches ne veulent pas entrer. En réalité, ce sont tout bonnement des ergoteurs ingrats et sans vergogne. Pense à toutes les recherches que nous avons faites sur eux !

– Il y a autre chose. Quand on a trouvé le cadavre de Gert Rafto, elle était sincèrement terrorisée. Je veux dire, elle ne simulait pas. J’ai pu voir le choc : ses pupilles sont restées dilatées et noires même quand je lui ai braqué ma torche dans la figure.

– Hé là ! C’est intéressant. » Aune se redressa derechef dans son lit. « Pourquoi lui as-tu envoyé le faisceau de ta lampe dans la figure ? Tu la soupçonnais déjà, à ce moment-là ? »

Harry ne répondit pas.

« Tu as peut-être raison, concéda Aune. Elle a pu refouler les meurtres, c’est tout sauf inhabituel. Tu racontes aussi qu’en réalité, elle a été d’une aide précieuse dans l’enquête, et ne l’a pas sabotée. Ça peut indiquer qu’elle a des soupçons sur elle-même et le réel désir d’avoir le fin mot. Que sais-tu du noctambulisme ?

– Je sais que les gens peuvent marcher dans leur sommeil. Parler en dormant. Manger, s’habiller et même sortir prendre leur voiture pendant leur sommeil.

– C’est juste. Le chef d’orchestre Harry Rosenthal a dirigé des symphonies entières dans son sommeil. Et il y a eu au moins cinq affaires de meurtre dans lesquelles le coupable a été relaxé parce que la justice estimait qu’il ou elle était parasomniaque, c’est-à-dire quelqu’un qui souffre de troubles du sommeil. Au Canada, il y a quelques années, un type s’est levé, a parcouru plus de vingt kilomètres au volant, s’est garé, a tué sa belle-mère avec qui il entretenait par ailleurs des rapports excellents, a manqué d’étrangler son beau-père, a fait le chemin en sens inverse et s’est recouché pour dormir. Il a été relaxé.

– Tu veux dire qu’elle a pu tuer dans son sommeil ? Que ce serait une de ces parasomniaques ?

– Le diagnostic fait l’objet de controverses. Mais imagine une personne qui entre régulièrement dans une espèce d’état de stand-by, et qui ne peut ensuite plus se rappeler clairement ce qu’elle a fait. Quelqu’un qui a une image floue, fragmentaire de ce qui s’est passé, comme un rêve.

– Mmm.

– Et suppose qu’au cours de l’enquête, cette femme ait commencé à comprendre ce qu’elle avait fait. »

Harry hocha lentement la tête : « Et comprenne que pour s’en tirer, elle doit se trouver un bouc émissaire.

– C’est concevable. » Ståle Aune fit la grimace. « Les capacités de l’esprit humain défient l’imagination. Le problème avec ce genre de maladies, c’est que nous ne pouvons pas les voir, il nous faut seulement supposer, au vu des symptômes, qu’elles sont là.

– Comme les moisissures.

– Quoi ?

– Qu’est-ce qui peut rendre une personne aussi mentalement malade que cette femme ? »

Aune gémit.

« Tout et n’importe quoi ! Rien ! Les gènes et le vécu jusqu’à l’âge adulte.

– Un père alcoolique et violent ?

– Oui, oui ! Quatre-vingt-dix points pour cette suggestion. Ajoute une mère avec un passé psychiatrique, une ou deux expériences traumatisantes pendant l’enfance ou l’adolescence, et tu fais carton plein.

– Serait-il vraisemblable que quand elle sera plus forte que son père alcoolique et violent, elle essaiera de lui nuire ? De le tuer ?

– Ce n’est absolument pas impossible. Je me rappelle un cas… » Ståle Aune se tut brutalement. Les yeux braqués sur Harry. Puis il se pencha en avant et chuchota, avec une lueur dansant sauvagement dans le regard :

« Me dis-tu ce que je crois que tu me dis, Harry ? »

Harry Hole examina ses ongles.

« J’ai reçu une photo d’un type du commissariat de Bergen. Je trouvais qu’il y avait quelque chose de familier chez lui, comme si je l’avais déjà rencontré. Je viens tout juste de comprendre pourquoi. C’était une ressemblance de famille. Avant son mariage, Katrine Bratt s’appelait Rafto. Gert Rafto était son père. »

 

Harry reçut l’appel de Skarre sur le chemin du flytog [25]. Il s’était trompé, ils n’avaient pas trouvé son téléphone dans les toilettes. Il était sur l’étagère à bagages dans l’un des compartiments.

Quatre-vingts minutes plus tard, il était enveloppé de gris. Le capitaine annonça une couche de nuages bas sur Bergen. Visibilité nulle, songea Harry. Ils ne volaient qu’aux instruments.

 

La porte de la villa s’ouvrit à la volée quelques secondes seulement après que Thomas Helle, officier au groupe des disparitions, eut appuyé sur le bouton de sonnerie au-dessus du panonceau marqué Andreas, Eli et Trygve Kvale.

« Loué soit le Seigneur pour votre diligence. » L’homme regarda par-dessus l’épaule de Helle. « Où sont les autres ?

– Il n’y a que moi. Vous n’avez toujours pas eu de nouvelles de votre femme ? »

L’homme, dont Helle supposait qu’il devait être Andreas Kvale, qui avait appelé Police Secours, le regarda avec incrédulité.

« Elle a disparu, je vous dis.

– On sait, mais elles reviennent souvent.

– Qui ça, elles ? »

Thomas Helle poussa un soupir. « Je peux entrer, Kvale ? Cette pluie…

– Oh, excusez-moi ! Je vous en prie. »

Le quinquagénaire fit un pas de côté, et dans la pénombre derrière lui, l’inspecteur Helle aperçut un jeune homme brun, dans la vingtaine.

Thomas Helle décida de faire les choses ainsi, debout dans l’entrée. Ils avaient tout juste assez d’hommes pour répondre aux appels, aujourd’hui, c’était dimanche et ceux qui étaient de garde recherchaient Katrine Bratt. Quelqu’un de leurs propres rangs. Tout était secret, mais des rumeurs disaient qu’elle pouvait être impliquée dans l’affaire du Bonhomme de neige.

« Comment avez-vous découvert sa disparition ? demanda Helle en se préparant à noter.

– Trygve et moi sommes rentrés aujourd’hui de camping dans les Nordmarka. Nous avons été absents deux jours. Sans téléphone mobile, rien que des cannes à pêche. Elle n’était pas là, pas de message, et comme je l’ai dit au téléphone, la porte n’était pas verrouillée. Ce n’est jamais le cas, même quand elle est là. Mon épouse est une femme très anxieuse. Et aucun de ses vêtements d’extérieur n’a disparu. Pas de chaussures non plus. Seulement ses pantoufles. Par ce temps.

– Vous avez appelé tous ceux qu’elle connaît ? Y compris les voisins ?

– Évidemment. Personne n’a eu de ses nouvelles. »

Thomas Helle nota. Une sensation s’immisçait déjà sournoisement : une impression de déjà-vu. Une épouse et mère disparue.

« Vous avez dit que votre femme était craintive, reprit-il avec légèreté. Alors à qui aurait-elle éventuellement ouvert ? Ou qui aurait-elle laissé entrer ? »

Il vit le père et le fils échanger un regard.

« Peu de gens, affirma le père. Ce devait être quelqu’un qu’elle connaissait.

– Ou une personne par qui elle ne se sentait pas menacée, peut-être, suggéra Helle. Comme un enfant ou une femme ? »

Andreas Kvale hocha la tête.

« Ou quelqu’un qui avait une excuse plausible pour pouvoir entrer. Un employé de la compagnie d’électricité qui relevait le compteur, par exemple. »

L’époux hésita. « Peut-être.

– Avez-vous vu quelque chose d’inhabituel autour de la maison, ces derniers temps ?

– Inhabituel ? Que voulez-vous dire ? »

Helle se mordit la lèvre inférieure. S’élança. « Qui pouvait ressembler à un… bonhomme de neige ? »

Andreas Kvale regarda son fils, qui secoua énergiquement la tête, presque avec effroi.

« C’est juste pour que nous puissions l’exclure », expliqua Helle sur un ton badin.

Le fils prononça quelques mots. En un grommellement bas.

« Quoi ? demanda Helle.

– Il dit qu’il n’y a plus de neige, répondit le père.

– Non. » Helle fourra son bloc dans la poche de sa veste. « Nous allons envoyer un signalement aux voitures de patrouille. Si elle n’est pas réapparue ce soir, nous intensifierons les recherches. Dans quatre-vingt-dix pour cent des cas, la personne est déjà revenue à ce moment-là. Alors voici ma carte de visite, avec… »

Helle sentit la main d’Andreas Kvale atterrir sur son bras.

« Il faut que je vous montre quelque chose, inspecteur. »

Thomas Helle suivit Kvale par une porte à l’extrémité du couloir, puis descendit un escalier de cave. Il ouvrit une porte sur une pièce qui sentait le savon et les vêtements mis à sécher. Dans le coin, il vit une calandre à côté d’une machine à laver Electrolux d’un modèle assez ancien. Le sol de pierre s’inclinait vers un réservoir, au milieu de la pièce. Le sol était mouillé, et il y avait de l’eau près du mur, comme si le sol avait été récemment rincé grâce au tuyau d’arrosage vert qui était là-bas. Mais ce n’est pas cela qui attira de prime abord l’attention de Thomas Helle. C’était la robe suspendue à la corde à linge, tenue par une pince à linge sur chaque épaule. Ou plus exactement : ce qui restait de la robe. Elle était coupée juste sous la poitrine. La coupure partait de travers et était noire à cause des fils de coton frisés, brûlés.