6

Toute la journée, après la visite de Galahad, Katy jeta de fréquents coups d'œil à la façade de la boutique de l'alchimiste, de biais avec sa boulangerie. Elle ne vit pas Medrawt y entrer, ni personne d'autre, en fait. Dès que son commerce eut fermé ses portes, elle se rendit chez elle, à quelques rues à peine de son travail, pour s'occuper de sa famille. Elle prépara le repas, laissa ses filles regarder leur émission de télévision préférée, puis les dirigea vers la salle de bain pour qu'elles se lavent les dents. Elle appela ensuite ses amis et les convoqua à une réunion urgente chez elle, dans la soirée.

Marco rentra juste à temps pour mettre Clara et Morgane au lit. Lorsqu'il revint finalement au salon, Katy lui fit part de ses plans. Puisqu'il avait déjà mangé à l'hôpital, il l'aida à préparer la maison pour recevoir les visiteurs. Les anciens copains d'école se fréquentaient régulièrement, mais la nervosité de son épouse fit tout de suite comprendre à Marco qu'ils ne joueraient pas à des jeux de société, ce soir-là.

Fred et Karen arrivèrent les premiers. Ils avaient à peine franchi le seuil de la maison qu'ils remirent leur plus récent CD à leurs hôtes.

— On vient juste d'accoucher ! s'exclama Fred.

— Nous avons découvert de nouvelles sonorités qui se rapprochent des instruments anciens, expliqua Karen.

— Que personne ne veut nous vendre, ajouta Fred.

— Je croyais que cet album ne serait en vente qu'à la fin de l'été, s'étonna Katy.

— C'est exact, confirma Karen. En ce moment, vous êtes les seuls à l'avoir.

Katy les invita à s'asseoir dans le salon, tandis que Marco faisait glisser le disque compact dans le système de son. Une douce mélodie médiévale les berça aussitôt.

— Il n'y a pas à dire, votre style a vraiment changé, les taquina Marco.

— Nous avons encore de petites crises de rock, assura Fred, mais elles ne durent pas longtemps.

Julie et Frank se présentèrent quelques minutes plus tard avec une bouteille de vin. Ils rejoignirent leurs camarades sur les moelleuses bergères du salon et Marco s'empressa de déboucher leur cadeau. Les anciennes terreurs de l'école secondaire de Little Rock levèrent leurs coupes.

— À nos succès et à notre prospérité ! s'exclama Fred.

— Et à la paix dans le monde, peut-être ? suggéra Frank.

— À cela aussi !

Après plusieurs toasts de plus en plus loufoques, Katy décida de passer aux choses sérieuses.

— Nous voilà une fois de plus réunis, commença-t-elle.

— Mais le groupe n'est pas complet, protesta Karen. Chance n'est pas là.

— Je l'ai invitée, mais elle ne pouvait pas se libérer, ce soir.

— Autrement dit, elle ne voulait pas être obligée d'en parler à Galahad, crut comprendre Julie.

— De quoi s'agit-il, enfin ? s'impatienta Frank.

— Je vous ai convoqués pour vous faire part de mes craintes, répondit Katy. Je crois qu'une nouvelle menace plane sur la ville.

Ils la fixèrent tous avec appréhension, n'osant pas demander de quoi il en retournait.

— Avant de paniquer, écoutez-moi, poursuivit Katy.

Elle leur raconta la visite de Galahad à sa boulangerie et leur répéta ses questions au sujet de l'alchimiste.

— Qu'est-ce qui te fait croire que cet homme est une menace ? la questionna Julie.

— On ne sait rien sur lui, et la couronne du roi a été volée à Galveston.

— Décidément, il aurait été plus utile que Chance soit ici, déplora Frank, car elle doit sûrement en savoir plus long que toi sur les inquiétudes du chevalier.

— Rien ne prouve qu'il les lui auraient confiées, nota Karen.

— Parle-nous plutôt des tiennes, Katy, exigea Marco.

— Eh bien, après le départ de Galahad, j'ai beaucoup repensé à la frayeur que j'ai aperçue au fond de ses yeux.

— Peux-tu être plus poétique ? railla Karen.

— Je ne le fais pas exprès !

— Continue, la pressa Marco.

— Je pense que le sorcier est de retour, laissa finalement tomber Katy.

— C'est impossible ! s'exclama son époux, toujours membre de la Table ronde. Galahad nous a clairement expliqué que le jeu ne se joue que tous les cent ans.

— Il y a peut-être des règles que nous ignorons, se risqua Frank.

— Si vous voulez mon avis, intervint Fred, nous n'en avons jamais su grand-chose.

— Si tu nous as réunis ici, ce soir, c'est pour que nous nous en mêlions ? voulut savoir Julie.

— En fait, je crois qu'il est de notre devoir de venir en aide à Galahad, expliqua Katy.

— Même s'il ne te l'a pas clairement demandé ? lança Marco.

— Ce n'est pas le genre d'homme qui demande de l'aide.

— Peut-être que ses soupçons ne sont pas fondés, rétorqua Julie.

— Rappelez-vous que nous nous sommes jurés de protéger cette ville et ses habitants contre le Mal.

— Personnellement je pense que même si Galahad n'avait manifesté aucune méfiance vis-à-vis de l'alchimiste, intervint Frank, nous nous serions quand même penchés sur son cas. Tout ce qui est étrange a le potentiel de devenir dangereux.

— On dirait que tu as oublié les leçons de Terra, toi, le piqua Fred.

— Au contraire. Habituellement, mon premier réflexe est de faire confiance aux gens, mais lorsqu'il est question de magie ou de sorcellerie, ces règles ne s'appliquent plus.

— Il n'y a pas de mal à nous assurer que cet alchimiste soit inoffensif, l'appuya Julie.

— Je vais voir ce que je peux trouver sur l'ordinateur, décida Frank.

— J'irai à la boutique avec Karen pour voir si c'est un mage noir, ajouta Fred.

— Et tu le sauras comment ? s'étonna Marco.

— Karen s'y connaît en ésotérisme et elle a une intuition de sorcière.

Marco haussa les sourcils pour manifester sa désapprobation.

— Quant à moi, je continuerai à surveiller la boutique et je prendrai des photos des personnes suspectes qui la fréquentent, annonça Katy.

Marco se cacha le visage dans les mains, découragé.

— On dirait que tu n'es pas d'accord avec nos démarches, se désola Karen.

— Je fais partie du même ordre que sire Galahad, leur rappela le physiothérapeute en baissant les mains. S'il avait eu le moindre doute que le jeu était sur le point de recommencer, il m'en aurait tout de suite parlé. Étant donné que je n'ai eu aucune nouvelle de lui, force m'est de conclure que ce ne sont que des soupçons. Vous le connaissez pourtant aussi bien que moi. Il est méfiant de nature. Je suis persuadé qu'il enquête sur tous les nouveaux arrivants à Nouvelle-Camelot. Ce commerçant nous semble plus suspect uniquement parce qu'il est alchimiste. Évitons de faire de l'étiquetage trop rapidement.

— Je suis d'accord avec toi, Marco, affirma Fred, mais nous avons tout de même fait le serment de sauvegarder cette ville à notre façon. Il n'y a donc pas de mal à ce que nous fassions notre propre enquête sur ce commerçant.

— À condition de ne pas porter d'accusations hâtives.

— Cela va de soi, trancha finalement Julie.

— Maintenant, parlons d'autre chose, suggéra Karen.

Volubile comme toujours, Fred s'élança dans une description détaillée de l'enregistrement du dernier album d'ESTANDART. Julie se mit ensuite de la partie et leur raconta les cas les plus sanglants qu'elle avait eus à traiter à l'urgence de l'hôpital, jusqu'à ce que ses amis la supplient d'arrêter.

Les couples se séparèrent vers minuit et rentrèrent chez eux à pied, leurs maisons étant situées à quelques minutes à peine les unes des autres. Frank et Julie longèrent la rue principale, main dans la main, afin d'aller jeter un coup d'œil à la boutique du nouveau venu. Ils s'arrêtèrent quelques minutes devant la vitrine, où ils ne virent que les reflets des réverbères sur les figurines.

— Cet endroit ne me semble pas du tout menaçant, chuchota la jeune femme à son époux.

— Le Mal peut prendre bien des formes, lui rappela Frank. Ne te fie pas à tes yeux.

— Comment le reconnaît-on, alors ?

— À ses conséquences, malheureusement.

— Personnellement, je préférerais ne pas attendre jusque-là.

— Nous allons donc faire une petite recherche informatique ce soir.

— C'est mon seul jour de congé, et tu veux que nous le passions devant l'ordinateur.

— Ce ne sera pas long. Je te le promets.

Ils poursuivirent leur route jusqu'à l'église. Frank s'assura une dernière fois que ses portes étaient bien verrouillées et suivit Julie dans leur maison, adjacente à l'édifice. Ils prirent place côte à côte devant l'ordinateur. Même s'il passait le plus clair de son temps à prononcer des sermons pour les habitants de Nouvelle-Camelot qui pratiquaient toujours leur religion, la passion de Frank pour l'informatique ne s'était jamais éteinte.

Ayant retenu le nom de l'alchimiste, il fouilla toutes les bases de données qu'il connaissait, à la recherche de sa véritable identité. Il ne trouva finalement qu'un seul Timothée Medrawt, antiquaire et libraire à Londres, dans la nécrologie d'un journal daté de l'année précédente.

— Nous avons effectivement un problème, soupira-t-il en se tournant vers Julie.

— C'est peut-être un autre individu qui porte le même nom.

Frank fouilla encore et découvrit finalement le site Internet de l'ancienne boutique de Medrawt.

— Paracelsus ? lut Julie à haute voix. Qu'est-ce que cela signifie ?

— C'est le nom d'un alchimiste, astrologue et médecin suisse du XVe siècle. On disait de lui qu'il était rebelle et mystique. Déjà, à cette époque, il s'intéressait à la médecine du travail et à l'homéopathie.

— Comment sais-tu tout cela ?

— Je lis beaucoup.

Ils explorèrent ensemble le site de la petite librairie sise dans l'une des plus vieilles rues de Londres et découvrirent finalement une photographie de son propriétaire. Frank l'imprima en grand format.

— Finalement, l'idée de Katy de photographier tous ceux qui entrent chez l'alchimiste pourrait bien nous servir, concéda Frank. Nous pourrons comparer ce cliché avec ses photos.

— Il serait bien plus simple d'aller fureter dans la boutique pour voir à quoi il ressemble, non ?

— En tant que pasteur de cette communauté, j'ai peur que ce ne soit pas bien vu.

— Fred a déjà proposé d'y aller.

— J'irai lui porter cette photo demain matin, étant donné qu'il ne répond jamais à ses courriels. Mais admettons qu'il s'agisse du même homme, comment se fait-il qu'il soit ici, alors qu'il est mort en Angleterre l'an dernier ?

— Attendons de voir si l'alchimiste est vraiment ce type, d'accord ? Après, on s'énervera. En attendant, révérend Green, j'ai d'autres plans pour ce qui reste de cette soirée.

— Laisse-moi seulement ajouter ce site à mes favoris, car je suis certain que nous y reviendrons. En fait, je commence à penser que nous devrions mettre Galahad au courant de nos démarches.

— Pas cette nuit.

Julie le saisit par la manche et l'obligea à quitter sa chaise.

Capitaine Wilder
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