23

Aymeric travaillait depuis un petit moment à dévisser les énormes pentures qui retenaient les portes massives de sa prison lorsqu'il crut entendre un murmure en provenance de l'extérieur. Armé de son tisonnier, il s'avança prudemment vers le balcon en tendant davantage l'oreille. « Ce sont des sanglots ! » découvrit-il, étonné. En s'étirant le cou au-dessus du vide, il vit que la façade du château juché au bord d'une falaise était parsemée de balcons semblables au sien. Pris de vertige, il retomba en position assise derrière la balustrade.

Il n'était pas impossible que le sorcier détienne plusieurs prisonniers dans son antre, mais étaient-ils humains ?

— Y a-t-il quelqu'un ? appela Aymeric à tout hasard.

— Laissez-moi tranquille ! Vous ne m'aurez plus avec vos sales trucs ! rétorqua une voix qui n'était pas celle d'un adulte.

— Mais je ne suis pas le sorcier.

— Je n'en crois pas un mot.

— Je m'appelle Aymeric et j'ai été enlevé il y a quelques heures à peine. Je ne sais même pas comment je suis arrivé jusqu'ici.

Le détenu de la chambre voisine garda le silence.

— C'est peut-être toi, l'illusion, pensa Aymeric, tout haut.

— Moi ? s'exclama l'inconnu, insulté. Certainement pas !

— Si tu es réel, dis-moi ton nom.

— Je m'appelle Jacob.

— Quel âge as-tu ?

— J'ai quatorze ans.

— Pourquoi es-tu emprisonné chez le sorcier ?

— Je n'en sais rien. Je ne savais même pas qu'il existait avant qu'on m'emmène chez lui.

C'était en raison de la position qu'occupait son père qu'Aymeric s'était retrouvé dans une aussi fâcheuse position. Peut-être que le garçon avait lui aussi un lien quelconque avec le jeu.

— Je ne veux surtout pas t'effrayer, Jacob, mais pour comprendre ce que tu fais ici, il faudrait que je te pose des questions qui pourraient te paraître étranges.

— Je suis déjà mort de peur.

— Sache tout de suite qu'à moins que tu ne sois déjà un pion du grand échiquier invisible sur lequel le sorcier dispute une sorte de match d'échecs avec un magicien, il y a fort à parier que tu es relié à quelqu'un qui y est impliqué.

— L'homme qui dit s'appeler le sorcier m'a parlé d'un jeu, mais je n'ai rien compris. Il a dit que j'étais ici pour servir de stimulant à mon père, qui ne voulait plus jouer.

— Toi aussi ?

— Sauf que je ne vois pas ce que je pourrais faire pour le motiver, puisque je ne l'ai jamais connu. Il a quitté ma mère avant ma naissance parce qu'il avait déjà une autre famille ailleurs.

— Je suis vraiment désolé, Jacob.

— Tu n'as pas besoin de l'être. Je me suis habitué à vivre sans père, et ce n'est pas si mal que cela.

— Ta mère t'a-t-elle au moins parlé de lui ?

— Un peu quand j'étais très jeune, ensuite plus du tout. Je pense qu'elle a eu peur que je parte à sa recherche.

— Est-ce que c'est un homme bien ?

— C'est un savant qui ne veut plus travailler pour le gouvernement. Je ne sais pas comment il gagne sa vie, maintenant. Apparemment, je lui ressemble beaucoup, mais je n'ai pas hérité de ses pouvoirs surnaturels.

— C'est un magicien ?

— Ma mère dit que non, mais son ami Max prétend que c'est un esprit de la forêt.

— Mon père aussi possède des facultés étranges, avoua Aymeric. Il guérit les gens avec ses mains et il influence les arbres.

— Ma mère m'a raconté que les arbres cueillaient mon père dans leurs bras pour le bercer.

La scène dont Aymeric avait été témoin, des années auparavant, rejoua dans sa tête. C'était justement en voyant de grands chênes s'emparer de son père et le soulever de terre qu'il avait fait sa première crise d'hystérie.

— Connais-tu le nom de ton père, Jacob ? demanda-t-il en retenant son souffle.

— Il s'appelle Terra Wilder.

L'adolescent fut frappé de stupeur. En fait, un coup de poignard en plein cœur ne lui aurait pas fait plus mal.

— Aymeric ? s'inquiéta Jacob.

— Je suis là…

— Es-tu souffrant ?

— J'ai un peu de mal à respirer en ce moment, mais ça va passer. Ce n'est pas la première fois.

— Puis-je faire quelque chose ?

— Je crois que oui. J'ai besoin de savoir comment ta mère a rencontré ton père.

— Pourquoi ?

— Parce que mon père s'appelle aussi Terra Wilder.

— C'est un nom bien trop rare pour qu'il y en ait deux, raisonna Jacob.

— C'est exactement ce que je pense aussi.

— Alors, la famille qui l’a empêché de rester avec ma mère, tu en fais partie ?

— Oui, avec ma mère et ma sœur jumelle.

Aymeric lui raconta comment son père avait été emmené au Texas puis en Californie par l’armée et retenu contre son gré en échange de ses formules mathématiques avancées. Des amis l’avaient aidé à s'enfuir, mais il était tombé dans une rivière, où il s'était frappé la tête. Le choc avait engendré une amnésie partielle. Ne sachant plus qui il était, Terra avait vécu dans une réserve pendant un long moment.

— Nous sommes donc frères ? comprit finalement Jacob.

— C'est bien ce qu'il semble. Et puisque tu es plus jeune que moi, je vais être obligé de veiller sur toi. As-tu d'autres frères et sœurs ?

— Non, je suis enfant unique. Enfin, je l’étais.

— Ne te réjouis pas trop vite. Il nous faut commencer par sortir d'ici si nous voulons vivre comme de vrais frères.

— Et si nous étions retenus dans un rêve ?

Cela rappela à Aymeric un jeu auquel il avait joué deux ans plus tôt avec Mélissa. Celui-ci était tellement bizarre et tordu qu'ils l'avaient remis dans sa boîte après avoir franchi le premier niveau.

— Comment es-tu arrivé ici ? demanda-t-il à Jacob au lieu de lui répondre.

— Tu ne me croiras jamais.

— Oh, mais j'ai l'esprit de plus en plus ouvert.

— J'étais en train de jouer sur mon ordinateur, dans ma chambre, lorsqu'une main est sortie de l'écran et m'a saisi par mon chandail. Je ne sais pas comment c'est possible, mais j'ai été aspiré dans l'appareil !

— Moi, c'est dans une toile sur un mur… Ce sont sûrement des portails.

— Comme dans les films d'anticipation ?

— Parfois, la réalité est bien plus étrange que la fiction.

— Donc, pour sortir d'ici, il nous faut seulement retrouver ces portes virtuelles ?

— Plus facile à dire qu'à faire. J'ai ensuite été transporté physiquement jusqu'ici, ce qui signifie que la mienne se situe ailleurs. Et toi ?

— J'ai perdu conscience, se rappela Jacob. Lorsque j'ai ouvert les yeux, j'étais au bord de l'océan.

— On m'a jeté dans la cale d'un bateau…

— Moi aussi.

— Il nous faut donc commencer par sortir d'ici, franchir cet océan et retourner à l'endroit exact où on nous a fait monter dans ce navire.

— Le sorcier ne nous laissera jamais partir.

— Nous ne lui en demanderons pas la permission. Je suis en train de dévisser les ferrures de ma porte. Dès que je serai sorti d'ici, j'irai te secourir. En attendant, il faut que tu fasses un effort pour garder ton sang-froid et surtout que tu ne divulgues nos plans d'évasion à qui que ce soit.

— Il n'y a aucun danger. Personne ne me visite. Les repas apparaissent et disparaissent sans que je ne voie jamais qui les prépare.

— Tiens bon, Jacob.

— Maintenant que je sais que je ne suis plus seul, ce sera plus facile.

Aymeric retourna à l'intérieur. À sa grande surprise, les pentures avaient été revissées. Très contrarié, l’adolescent se remit au travail. Au moment où il allait retirer les vis, elles lui glissèrent des doigts et se remirent en place.

— Cet endroit est protégé par la magie du sorcier… comme dans le jeu de l’Escarpe.

Il se tortura les méninges pour se rappeler comment il avait réussi à déjouer le vilain seigneur qui empêchait son personnage de quitter ses fortifications.

— Il faut être deux ! se souvint-il.

Mélissa l'avait aidé à vaincre chacun des sortilèges en créant une diversion à laquelle le jeu n'était pas préparé… Aymeric fit un pas en direction du balcon pour aller partager cette idée avec son nouveau petit frère lorsque la porte s'ouvrit brusquement. Le premier réflexe de l'adolescent fut d'empoigner le tisonnier à deux mains et de se ruer sur son gardien. Heureusement, juste avant de laisser ses instincts de survie prendre le dessus, il se rappela que dans la pièce voisine, un jeune garçon lui faisait confiance.

— Cet instrument ne sert à rien sans feu, laissa tomber le sorcier, agacé.

Des flammes jaillirent dans l'âtre de la chambre.

— Mon château n'aime pas se faire brutaliser, jeune Thibaud. Si tu recommences, je serai forcé de te trouver d'autres quartiers moins confortables.

— Je n'aime pas être enfermé, rétorqua sèchement Aymeric.

— Je suis certain que tu n'aimeras pas non plus être mort.

Le mage regarda son prisonnier droit dans les yeux tandis qu'il fouillait dans son esprit. Aymeric sentit quelque chose de froid s'insinuer dans son crâne. Il voulut prendre la fuite, mais tous ses membres étaient paralysés.

— Les jeunes humains ne mangent-ils donc que de la nourriture qui leur est funeste ?

Aymeric comprit qu'il cherchait à connaître ses habitudes alimentaires. Il se mit alors à visualiser tout ce que sa mère servait à la maison pour ne pas donner à son ennemi l'occasion de découvrir ses plans d'évasion. Lorsque l'exploration céphalique prit fin, l'adolescent perdit l'équilibre.

— Je verrai ce que je peux faire, grommela le sorcier en tournant les talons.

Encore une fois, Aymeric ressentit l'envie de se précipiter sur lui et de s'enfuir dans le corridor. Il se fit violence pour ne pas songer à Jacob et chargea son esprit de décors de jeux vidéo. La porte se referma sèchement devant lui.

— Ce ne sera pas aussi facile que je le pensais, mais il n'est pas question que j'abandonne, décida-t-il.

Capitaine Wilder
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