30

Pour ne pas être repéré par la flotte ennemie, aucune lampe ne fut allumée sur le vaisseau des croisés. Les rameurs se relayaient toutes les deux heures dans la noirceur la plus totale, mais ils ne s'en plaignaient pas. Ils savaient que leur survie dépendait du respect de cette consigne.

Terra s'était assis près du timonier et observait les étoiles. Leur position était différente de celle qu'il avait étudiée pendant une bonne partie de sa vie. La fraîcheur de la nuit lui apportait un grand réconfort. Sous son costume de templier, il n'avait pas froid. À son grand étonnement, il se sentait dans son élément sur l'eau, lui qui n'y avait jamais passé beaucoup de temps au cours de sa présente incarnation. « Moi, pirate ? » se demanda-t-il. Ce n'était pourtant pas dans son tempérament de vouloir s'approprier les biens des autres. Il se promit d'avoir une discussion sérieuse avec le magicien à son retour, car ce dernier semblait avoir accès à des informations cachées.

L'odeur de la nourriture parvint à ses narines avant même que Galahad ne se soit assis près de lui. Le chevalier lui tendit un morceau de pain au miel et une coupe de vin.

— Sommes-nous tombés sur un vaisseau de ravitaillement ? l'interrogea Terra.

— Non. Les aliments sont apparus au milieu du pont tout à l'heure, gracieuseté d'Alissandre.

— Es-tu bien certain qu'il s'agit de son œuvre et non de celle du sorcier ?

— Pour dissiper notre méfiance, il a placé sa bague sur le tout.

— Es-tu sûr que c'est la sienne ?

— Absolument sûr. Et puisque je savais que tu serais difficile à convaincre, j'ai déjà fait manger l'équipage, et personne n'est tombé raide mort.

— C'est rassurant, j'imagine.

— Je me suis rassasié, moi aussi.

Cela acheva de convaincre Terra, qui mordit volontiers dans le pain chaud.

— Je ne sais pas d'où vient le vin, mais il est vraiment excellent, ajouta Galahad.

Terra le huma et le goûta.

— D'Espagne, affirma-t-il.

— Voilà un domaine où tu continueras toujours de me surpasser.

— C'est bien le seul, répliqua Terra, amusé.

Il avala tout le contenu de la coupe, une gorgée à la fois.

— Lorsque nous atteindrons l'île, qu'as-tu l'intention de faire ? demanda Galahad.

— Trouver la forteresse du sorcier, ce qui ne devrait pas être trop compliqué, vu ses goûts flamboyants. Je suis sûr qu'on pourra l'apercevoir du rivage.

— Il nous verra sans doute arriver.

— C'est ce que j'espère.

— Ni toi ni moi ne pouvons détruire un immortel, Terra.

— Je suis parfaitement conscient que cette partie de notre mission revient à Alissandre. Notre travail consistera à nous débarrasser de tous les pions du sorcier qui tenteront de nous barrer la route. Rien ne doit nous empêcher de nous rendre jusqu'à Aymeric.

Galahad garda un silence angoissé.

— Si nous devions tomber sur un dragon, ce sera moi qui le tuerai, le rassura son ami.

— Non, Terra. Ce sera mon combat.

— Alors, disons que je ne serai pas très loin derrière toi.

— As-tu encore faim ?

— Je prendrais bien un autre morceau de ce pain, s'il en reste.

— Je vais aller t'en chercher.

— Avant, dis-moi comment Marco tient le coup.

— Il est très brave, mais je sais que sa famille lui manque, surtout ce soir. Tout comme toi et moi, il a hâte que nous mettions un terme à la partie.

— Encore quelques jours, et ce sera de l’histoire ancienne.

* *

*

Tandis que le vaisseau voguait dans la nuit, Ratislav Mathrotus se tenait sur le plus haut balcon de sa forteresse. Il ne ressentait pas la présence de son rival, mais quelque chose d'à peine perceptible menaçait la quiétude de son domaine. Ce n'était pas non plus les deux gamins toujours manquants. Il s'agissait d'une énergie qui ne lui était pourtant pas inconnue…

« Oseraient-ils se rendre jusqu'ici ? » se demanda-t-il en plissant les yeux. L'île était impossible d'accès, alors il n'avait jamais cru utile d'y installer des dispositifs de défense. Il appela ses fidèles serviteurs. Les loups se mirent à apparaître autour de lui.

— Il y a quelque part sur l'océan un bateau qui tente de trouver l'île, leur dit le sorcier. Tuez tous ceux qui se trouvent à son bord.

Les loups se métamorphosèrent en créatures ailées aussi hideuses que les gargouilles ornant les toits des grandes cathédrales. Elles sautèrent sur la balustrade, ouvrirent leurs ailes de chauves-souris et prirent leur envol, disparaissant dans la nuit. Pendant qu'elles le débarrasseraient des humains téméraires, Mathrotus emploierait son temps à repérer les deux fils du roi blanc.

— Écoutez-moi, tous les deux, fit-il d'une voix qui retentit dans toute la forteresse. Je m'apprête à porter le coup de grâce aux joueurs du magicien. Lorsqu'ils seront tous morts, je m'attaquerai à vos familles et j'en ferai un exemple.

Sous la grande table en marbre, à l'autre bout du château, Jacob et Aymeric avaient clairement entendu ses paroles.

— Je ne veux pas que ma mère souffre à cause de moi, s'affligea le plus jeune.

— Bouche tes oreilles, Jacob, Il essaie seulement de nous affaiblir. Sans nous, il ne peut pas gagner le jeu.

Aymeric n'était pas certain de ce qu'il avançait. Son seul but était de redonner courage au Métis, Pour sortir de leur prison, ils avaient besoin l'un de l'autre.

— Il faut plutôt s'efforcer d'aider notre équipe, poursuivit-il.

— Est-ce une bonne idée de quitter cette pièce en pleine nuit ?

— As-tu peur du noir ?

— Un peu…

— Tu dois être brave, Jacob. Nous savons que le sorcier revient toujours ici, alors il nous faut trouver une cachette plus sûre jusqu'au matin.

— Mais les loups ?

— Nous leur échapperons.

Aymeric serra la main de son frère dans la sienne.

— Si nous restons ici, nous sommes perdus, Jacob.

Le Métis déglutit avec difficulté, mais ne protesta plus. Aymeric en profita pour le tirer hors de leur refuge. Les garçons marchèrent sans bruit et jetèrent un coup d'œil dans le couloir. Des bras en acier sortant des murs tenaient des flambeaux qui éclairaient une partie du corridor. « Le sorcier veut que nous allions par là », comprit l'aîné. Il choisit donc la direction opposée.

— Il fait sombre de l'autre côté, geignit Jacob.

— Je sais. Fais-moi confiance.

Ils retrouvèrent finalement l'escalier et commencèrent à le descendre en silence en se tenant fermement par la main.

— Celui qui dénoncera l'autre verra sa mère épargnée ! résonna la voix du sorcier.

— Ne l'écoute pas, fit aussitôt Aymeric. Il tuera tout le monde lorsqu'il aura obtenu ce qu'il veut, nous y compris. Notre seule façon de nous en sortir, c'est de survivre jusqu'à ce que les secours arrivent.

— Comment sais-tu qu'ils nous retrouveront ?

— C'est mon instinct qui me le dit, et il se trompe rarement. Tiens bon.

Heureusement, ils n'eurent pas à dévaler à toutes jambes cet escalier en colimaçon, car ils auraient succombé au vertige. Un étage à la fois, sans se presser, ils s'enfoncèrent dans les profondeurs de la forteresse.

— Aymeric, je n'en peux plus, murmura Jacob au bout d'une heure.

Il était tard, et Aymeric lui-même ressentait une grande fatigue. Il y avait si longtemps qu'il n'avait pas dormi.

— Nous allons nous arrêter au prochain palier et attendre l'aube, décida-t-il.

Puisqu'il était impossible de voir où se situait le rez-de-chaussée dans cette obscurité presque palpable, il importait peu que les garçons s'arrêtent à un étage plutôt qu'à un autre. Aymeric s'aventura dans le corridor, son frère sur les talons. Une faible lueur brillait dans une salle sur leur droite. Ils étirèrent le cou pour découvrir d'où provenait la source de la lumière.

— On dirait une chapelle ou un musée, fit Aymeric, impressionné.

De petites flammes s'élevaient sur une dizaine de petites soucoupes et éclairaient des centaines de statues de toutes les tailles. Certaines avaient des traits occidentaux, d'autres orientaux. Le sorcier les avait probablement volées aux quatre coins du monde.

Aymeric traîna Jacob jusqu'à une alcôve creusée dans le mur derrière un imposant Minotaure.

— Je crois que nous pourrons dormir en paix, ici.

Jacob s'allongea sur le plancher sans dire un mot. Aymeric savait qu'il était terrorisé, mais il ne pouvait rien faire de plus pour le rassurer. Il écouta les bruits du château pendant un long moment, puis se coucha contre son frère. « Papa, je sais que tu seras bientôt là », se dit-il avant de fermer les yeux.

Capitaine Wilder
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