CHAPITRE III
— Pour commencer, dit Aidan, je veux savoir comment et pourquoi je ne vous ai pas reconnus. J'aurais dû sentir une interférence dans le lien-lir. Et mon lir aurait dû me prévenir. Nous n'avons pas identifié Lochiel parce qu'il portait une bague ensorcelée ayant appartenu à mon père. Avez-vous quelque chose de similaire ?
— Vous n'avez jamais rencontré quelqu'un de notre race ?
— Aucun Ihlini n'est venu à Mujhara ni à la Citadelle depuis de nombreuses années.
— Et vous n'êtes jamais allé ailleurs ? s'étonna Ashra.
Tye sourit.
— Vous ne nous avez pas reconnus parce qu'il n'y avait rien à reconnaître. Nous sommes de la même race. Sans votre or et votre lir, un autre Cheysuli vous reconnaîtrait-il aussitôt ?
— Je n'ai peut-être pas le teint typique, mais...
— Réponds à la question, ordonna Siglyn.
— Il est possible que non, reconnut Aidan à regret.
— Aidan, vous ne nous avez pas identifiés parce que nos races sont parentes.
— Et surtout parce que nous n'avons pas bu à la coupe du Seker, intervint Siglyn d'une voix coupante. Asar-Suti n'est pas en nous. Tu sais parfaitement que les Ihlinis qui vous sont hostiles sont tous des serviteurs du Seker.
Aidan pensa aux récits qu'il avait entendus. C'était exact. Tous les Ihlinis qui leur avaient voulu du mal étaient voués à Asar-Suti. Et il avait entendu parler de...
— Taliesin, dit Aidan.
— Il avait renoncé au Seker. C'est pour cette raison que Tynstar l'a forcé à boire le sang du dieu. Pour qu'il vive éternellement en sachant ce qui avait été fait au nom de sa race. C'est aussi pour ça que Strahan avait détruit ses mains.
— Vous prétendez donc que les Ihlinis qui servent le Seker sont différents de vous ?
Ashra sourit.
— Ils l'ont toujours été.
— Et si tous ceux de ma race se trompaient depuis si longtemps ? On nous enseigne dès l'enfance à haïr les Ihlinis, à les craindre et à les tuer quand nous le pouvons. La prophétie dit que les deux races magiques doivent s'unir, alors que les shar tahls nous répètent que nous ne devons avoir aucun rapport avec les Ihlinis, qui souhaitent notre perte.
— Ceux qui servent le Seker la veulent, dit Ashra, mais pas les autres.
— Avons-nous tort ? Nos enseignements sont-ils erronés ?
— Pourquoi nous poser la question, à nous ? fit Tye. Demandez plutôt à votre lir.
Teel ? Est-ce vrai ? Ce qu'on nous a enseigné était-il un tissu de mensonges ?
Teel ne répondit pas, mais le lien-lir frémit.
— Dis-moi la vérité ! cria Aidan. J'ai parlé à des dieux ! Ne puis-je obtenir une réponse du lir qu'ils m'ont donné ?
Les temps changent. Parfois, il est nécessaire d'enseigner de dures vérités ; d'autres fois, des mensonges encore plus difficiles s'imposent.
Des mensonges ? Tout ce qu’on nous a appris était faux ?
Les hommes ignorants commettent parfois des erreurs.
Comme, par exemple, ne pas tenir compte de la prophétie ?
Oui, dit Teel après un temps de réflexion.
Et ignorer la prophétie peut empêcher les Premiers Nés de revenir. Mais pourquoi voulez-vous leur retour ?
Parce qu'ils étaient là jadis... et que les dieux souhaitent qu’ils existent de nouveau.
Parce qu'ils étaient mieux que nous ? Et maintenant, ils ont l'intention de les reconstituer à partir de pièces et de morceaux récupérés ici et là.
Pas ici et là, dit Teel. Quatre royaumes, deux races.
Pourquoi tant de complications ? Pourquoi ne pas les recréer, s'ils en ont tant envie ? C'est ce qu'ils ont fait au début.
Teel soupira.
Les dieux ont donné le libre arbitre à leurs enfants. Ils ne peuvent plus les forcer à faire quelque chose. Suggérer, guider, voilà ce qu'il leur reste...
Mais les dieux sont tout-puissants !
Ils ont même la possibilité de créer un être qui les dépasse, dit Teel. Ils t’ont tout donné : l'intellect, la liberté, des dons incroyables. A partir de tout cela, tu as fait celui que tu es aujourd'hui.
Je ne sais plus qui je suis ! s'écria Aidan.
Un enfant des dieux. Quoi d'autre ? fit Teel avec une pointe d'amusement.
— Les temps changent, murmura Aidan après un long silence. Les enseignements n'étaient qu'un moyen de communiquer. Si un homme dit quelque chose, les autres l'ignorent aisément. Mais si c'est un dieu qui parle... Nous servons des mots. Une suite de mots dont le sens s'est perverti au fil des ans.
— Redonnez-leur leur vraie signification, dit doucement Ashra. Vous avez cette possibilité en vous.
— Pour le moment je n'ai rien en moi, sauf un grand vide.
— A vous de le remplir, dit Tye, ses yeux verts scintillant.
Aidan soupira.
— J'ai besoin de sommeil. Un vrai sommeil, sans rêves pour le perturber.
— Tout le monde rêve, dit Tye.
— Pas comme moi. Pas de façon aussi réaliste et dérangeante.
— Siglyn interprète les rêves, souffla Ashra.
Aidan secoua la tête.
— Je vous remercie, mais je n'ai pas besoin des tours d'un magicien de foire...
— Ce ne sont pas des tours, fit Siglyn d'une voix coupante. Je dis la vérité, pas des mensonges.
Vérité et mensonge. Comme Teel l'avait suggéré.
— Interprétez mes rêves, dit Aidan. Voyons si vous saurez séparer le bon grain de l'ivraie.
— Avant, il y aura Tye. Puis Ashra. Ensuite, je m'occuperai de tes rêves.