CHAPITRE XIII
Elle vint à lui dans la nuit. Il était couché mais éveillé et plein de mépris pour lui-même.
Qui était-il pour se croire choisi par les dieux ?
Mais comment nier ce qui était incarné par une lourde chaîne d'or aux maillons épais et sans défaut ?
Il entendit la robe de chambre glisser de ses épaules.
Pas besoin de lumière pour savoir qui elle était.
Le kivarna s'éveilla.
Nue, elle monta dans le lit et posa une main sur sa poitrine.
— Ne laisse pas la peur l'emporter, mais la joie, dit-elle.
— Tu connais la vérité, meijhana...
— Qui la connaît ? Si c'est un mythe, nous aurons partagé une nuit de plaisir. Si c'est vrai, nous partagerons beaucoup plus qu'une seule nuit !
Malgré lui, il sourit.
Puis il la prit dans ses bras.
Deux mois plus tard, sur le quai, Keely donna à Aidan une épée glissée dans son fourreau.
— Tiens. Tu n'as aucune raison de la refuser, maintenant !
— C'est vrai, su'fala. Et je veillerai à ce que votre petite-fille apprenne à s'en servir !
— Où est Shona ? demanda soudain Keely.
— Elle est allée chercher les chiens.
— Tous ?
— Le grand mâle, cinq chiennes dont deux grosses, et les chiots de la dernière portée. Dix ou douze, au minimum. De quoi repeupler Homana-Mujhar !
— Ça te dérange ? Elle a du caractère. J'y ai veillé. Mais elle sait ce qu'elle fait. Elle adore ses chiens. Peut-être pour se consoler de n'avoir pas de dons-lir.
— A moins qu'elle n'aime les chiens pour eux-mêmes, dit Aidan, souriant. La voilà. Avec Sean, et Biais.
— Et les chiens ! Il n'y aura pas beaucoup de place sur ce bateau.
— Sans compter que les chiennes n'ont pas encore mis bas... Riordan est là aussi.
Biais arriva le premier, sa louve rousse sur les talons. Elle avançait sans crainte devant la meute de chiens-loups, normalement élevés pour chasser les membres de sa race. Mais comme tous les lirs, elle avait fait la paix avec les animaux non élus par les dieux.
Sean supervisa le chargement des bagages de Shona. Les chiens ne restaient pas en place, toujours dans le chemin de quelqu'un.
Shona eut quelque peine à convaincre ses bêtes de gravir la passerelle de bois, mais quand le grand mâle l'eut suivie à contrecœur, le reste de la meute lui emboîta le pas.
Shona revint sur le quai pour serrer ses parents dans ses bras. En les regardant, Aidan craignit d'avoir moins à offrir à sa future femme que ce qu'il lui prenait. Il l'emmenait loin d'une famille aimante qui lui avait appris le courage, la détermination et la fierté. Trouverait-elle la même chose à Homana ? Il l'ignorait.
— Tu t'en sortiras bien, petit, dit Sean. Et Shona aussi.
Aidan comprit que le kivarna de Sean l'avait averti de ses angoisses.
Biais sortit sur le pont et s'accouda à la rambarde.
— Nous partons aujourd'hui ou demain ?
— Skilfin, murmura Shona.
Aidan monta à bord.
— Elle sera là dans un instant.
— Ou dans deux jours, grogna Biais, sarcastique.
— Elle a le droit de faire ses adieux. Erinn est son pays. Et le tien ! ajouta-t-il.
— Non. Elle quitte son pays. Moi, je rentre vers le mien.
— Tu as l'intention de rester à Homana ?
— Ça dépend de beaucoup de choses.
— Ton père, par exemple ?
Les yeux jaunes du guerrier étincelèrent.
— Un homme a le droit de chercher à connaître son jehan.
— Tu te considères comme un Cheysuli, n'est-ce pas ?
— Je le suis. J'en ai le teint, les cheveux, les yeux, le lir.. Tout sauf l'or. Mais personne à Erinn ne comprend ce que c'est.
— Keely comprendrait.
— C'est elle qui m'a suggéré de partir.
— Même en sachant qui est ton père ?
— Bien qu'elle n'ait aucune affection pour Tiernan ou les a'saii, elle ne blâme pas un fils de vouloir connaître son jehan.
— Tu n'apprécieras peut-être pas ce que tu trouveras.
— Ma mère ne m'a jamais menti. Je sais ce qu'il est et ce qu'il veut faire. J'aimerais seulement entendre sa version des faits.
Shona serra Riordan une dernière fois dans ses bras, et monta à bord. Aidan savait ce qu'elle ressentait en dépit de son visage impassible. Malgré les promesses échangées, ses chances de revoir vite ses parents étaient négligeables. Keely n'était retournée que deux fois à Homana en vingt-deux ans, la dernière remontant à quinze ans.
Biais regarda vers le quai tandis que le bateau se préparait à partir.
— Maeve ne voulait pas que je m'en aille, dit-il.
— Aucun d'eux n'avait envie de se séparer de nous, fit remarquer Shona.
— Maeve moins que les autres. Elle pense que je vais me joindre à mon père.
— A toi de choisir, dit Shona. Tu peux te comporter comme un imbécile... ou pas !
— Il ne t'a pas adouci le caractère, je vois, dit Biais, en jetant un coup d'oeil à Aidan.
Shona eut un sourire sauvage.
— Il ne se risquerait pas à essayer !
Aidan agita la main en signe d'adieu.
Le vaisseau commença à s'éloigner. Sur le quai, les aigles d'Erinn regardèrent partir leur enfant.