CHAPITRE VIII

Il rêva.

Les portes d'argent martelé de la salle d'apparat d'Homana-Mujhar s'ouvrirent en grand. Sur l'estrade, le Lion le fixait de son regard mauvais.

Le Lion vivait. Aidan le voyait respirer !

La bête maléfique se leva. Elle n'était plus de bois, mais de chair et ouvrit une gueule immense...

— Aidan ! Ce bruit ? Que se passe-t-il ?

Il s'éveilla en sursaut, trempé de sueur.

Lir... lir... des Ihlinis... Partout...

Il se leva d'un bond.

— Teel ?

Les Ihlinis... Les Ihlinis...

— Dieux ! Des Ihlinis, à la Citadelle !

Ils entendirent des cris.

Si les Ihlinis avaient envahi la Citadelle, ils détruiraient tout.

Shona passa en hâte une paire de bottes tandis qu'Aidan entrouvrait le rabat. Il se tourna aussitôt vers son épouse.

— Il faut fuir. Tout de suite. Ils brûlent tout.

Lir... Lir... Les Ihlinis...

Dans toute la Citadelle, les lirs hurlaient leurs avertissements. Aidan entendit des cris de femmes et d'enfants.

— Ils tuent les enfants, meijhana.

Shona prit un manteau et le mit sur ses épaules. Elle ne perdit pas de temps à prendre autre chose. Aidan saisit son arc de guerre et son couteau.

Ils sortirent du pavillon, situé non loin du mur d'enceinte.

— Nous devons aller vers le portail et nous glisser dehors.

— Ou grimper au mur, dit Shona.

— Tu ne peux pas !

— Je me débrouillerai.

La nuit était éclairée par les flammes froides provenant du monde cauchemardesque du Seker.

— Vers le mur, dit Aidan.

— Les enfants..., gémit Shona.

Teel ?

Ils sont partout Au-dessus de toi, lir. Des Ihlinis partout..

Des arbres prirent feu autour d'eux.

Shona s'attaqua au mur. Il n'était pas difficile à escalader, car ses pierres sans mortier laissaient des prises aux mains et aux pieds.

Mais la jeune femme était alourdie et déséquilibrée par l'enfant qu'elle portait.

Aidan essaya de l'aider en la poussant.

— Grimpe, Shona !

Lir ! Un Ihlini !

— Shona ! Tiens bon !

Se retournant, Aidan vit un cavalier le charger, épée au clair.

Il ne prit pas le temps de réfléchir et encocha une flèche sur son arc.

Derrière lui, le pavillon au corbeau s'enflamma.

Les cris et les appels faisaient un contrepoint sinistre à la danse macabre qui se déroulait entre Aidan et le cavalier inconnu.

Shona était toujours accrochée au mur.

Aidan vit son visage livide à la lueur du pavillon en flammes.

La flèche transperça la gorge du cheval, qui tomba en hurlant.

Le cavalier se dégagea et avança vers Aidan, enveloppé du feu de dieu.

— Shona, vite ! cria Aidan.

— Je n'y arrive pas, dit-elle en redescendant sur le sol.

Aidan jura. Il ne pouvait pas se laisser distraire par Shona. Pourtant, il lui était impossible de se fermer à ses émotions : la peur, mais surtout la colère.

Une rage froide et mortelle, provoquée par les Ihlinis.

Qui tuaient des enfants.

Aidan encocha sa dernière flèche.

A ce moment, il reconnut le visage de son ennemi, éclairé par les flammes

— Tevis !

— Lochiel, corrigea l'homme avec un sourire glacial.

Aidan tira sa flèche. Lochiel la coupa en deux d'un coup d'épée.

Il ne peut pas être aussi rapide !

Jetant l'arc, Aidan sortit son couteau.

Il n'avait rien d'autre.

Shona courut vers le pavillon en flammes. Avant qu'il ait eu le temps de protester, elle en ressortit et lui mit dans la main l'épée de Keely.

Il la prit et lui donna son couteau.

— Passe par le portail, et cache-toi dans les bois...

Il n'eut pas le temps d'en dire plus. Lochiel se jeta sur lui.

Shona partit en courant, ralentie par le poids de l'enfant.

La lame était une arme de femme, fine comme une branche de saule. Mais c'était mieux que rien.

Lochiel se révéla rapide et infatigable.

Aidan parait de son mieux.

Du coin de l'œil, il vit Shona cesser de courir puis revenir vers lui.

Le kivarna lui apprit ce qu'elle ressentait : elle ne supportait pas de le laisser et de ne pas savoir s'il allait vivre ou mourir.

— Fuis ! cria-t-il.

La lame se brisa entre ses mains.

Lochiel éclata de rire. Il sortit son couteau et le lança.

La lame s'enfonça dans la poitrine de Shona.

Aidan hurla. Le kivarna qui les liait disparut d'un coup quand le couteau traversa le cœur de la jeune femme. Aidan se jeta sur Lochiel, mais l'Ihlini fit un pas de côté, leva son épée et la planta dans l'épaule d'Aidan.

La douleur l'envahit, amplifiée par le kivarna.

Par ce qui avait été fait à Shona !

Ses jambes refusèrent de le porter et ses bras ne voulurent plus bouger. Il sentit la lame grincer contre l'os quand Lochiel retira l'épée.

Puis le sang coula comme une fontaine chaude et gluante.

Shona.

Il tomba à genoux, le bras gauche inutilisable.

Lochiel passa à côté de lui, gracieux comme un danseur. Les cris s'étaient éteints, remplacés par un silence de mort.

Lochiel s'agenouilla près de Shona. Il retira le couteau de son dos, puis écarta la tunique du cadavre.

Aidan comprit ce qu'il allait faire.

Mobilisant toute son énergie, il se leva, tenta de courir et retomba sur le sol. Il n'avait rien. Ni épée, ni couteau. Seulement son désespoir et la rage mortelle qui l'animait.

— Ne pose pas tes mains sur elle !

Lochiel lui jeta un coup d'œil méprisant, puis se remit à l'œuvre.

Lochiel retira le bébé, coupa le cordon ombilical et enveloppa l'enfant dans le manteau de Shona. Il posa le petit paquet sur le sol à côté de la morte.

Puis il se leva, faisant face à Aidan.

— Je veux la lignée, dit-il. Je la ferai mienne.

Ses jambes cédant sous lui, Aidan retomba sur le sol.

— Shona !

— Il n'est plus temps, murmura Lochiel

De l'obscurité brûlante jaillit la lueur d'une lame.

Le crâne dans lequel elle avait pénétré se fendit.