CHAPITRE X

Sa convalescence fut ralentie par des accès de fièvre et des crises de convulsions. Les blessures étaient guéries, mais Aidan restait conscient de la précarité de son équilibre.

Le temps passa. Les Cheysulis de la Citadelle travaillèrent à reconstruire ce qu'ils avaient perdu.

Aidan, prisonnier d'Homana-Mujhar, supportait mal l'hiver et la faiblesse qui le tenaient enfermé.

Des maux de têtes terribles le prenaient à l'improviste. De temps en temps, il se réveillait en parlant un langage qu'il ne connaissait pas. Il rêvait tout éveillé, se retrouvant dans les endroits les plus bizarres du palais sans savoir comment il y était arrivé.

Il parvint à persuader Ian de l'entraîner au maniement du couteau.

Aidan avait besoin de retrouver ses capacités pour le printemps, afin de partir arracher son enfant aux griffes de Lochiel.

Il découvrit rapidement que ses réflexes étaient lents et maladroits.

— Je ne serai jamais plus le même ! lança-t-il amèrement à la face de Ian.

— C'est vrai, répondit son oncle. Tu as été gravement blessé dans ta chair et dans ton esprit. N'espère pas redevenir celui que tu étais.

— Au moins, vous êtes honnête, fit Aidan d'une voix grinçante. Tout le monde me conseille d'attendre, de laisser le temps agir...

— Ils mentent pour te réconforter. Les pauvres ne connaissent pas d'autre moyen, harani. Tu veux partir à la recherche de Lochiel, et ils se demandent comment tu feras. Tu n'es plus l'homme que tu étais. Personne ne sait à quoi s'attendre désormais. Cela les rend nerveux. Il y a quelqu'un d'autre en toi, qui parle des langages étranges et énonce des prophéties. Tu as toujours été différent, mais c'est plus évident maintenant...

Aidan hocha la tête en silence.

— T'es-tu regardé dans un miroir depuis l'attaque ? demanda Ian.

— Non. Jehana craint que je ne me coupe en me rasant. Un serviteur le fait pour moi. Je n'ai pas eu besoin du miroir de cuivre poli.

— Tu devrais aller jeter un coup d'œil. (Il se hâta de rassurer son neveu.) A part un détail, tu es comme avant. Mais c'est un détail que les gens remarquent.

— D'accord, je vais aller voir, dit Aidan.

— Harani, je sais pourquoi tu veux t'entraîner au couteau. Tu entends récupérer ton enfant. Mais n'y va pas seul. Emmène quelqu'un.

— Vous?

— Je suis trop vieux pour ça. Choisis ton jehan.

— C'est le Mujhar. Il n'a pas de temps pour ce genre de choses !

— Un homme qui n'a pas le temps de sauver l'enfant de son fils n'est pas digne du royaume. Ne le juge pas si durement. Tu n'es pas le seul à avoir souffert.

La colère submergea Aidan.

— Vous n'étiez pas là ! Aucun de vous n'était là ! Vous ne savez pas ce que...

— Elle est morte, Aidan. Rien ne la ramènera. Crois-tu que j'ignore la douleur de perdre un être aimé ?

Le kivarna d'Aidan lui apprit que Ian ne mentait pas.

Le prince lâcha le couteau.

— Je suis l'épée, murmura-t-il, je suis l'arc et le couteau. Je suis Cynric...

— Arrête, Aidan ! Cesse ces folies ! Utilise la magie de la terre ! Bloque ce délire !

— Je suis Cynric. Huit deviennent quatre et quatre deviennent un. Je suis le Premier Né revenu à la vie, et les autres naîtront de moi...

— Arrête cette folie !

Les spasmes cessèrent.

D'une voix distante, Aidan demanda :

— Comment pourrais-je être fou alors que les dieux parlent par ma voix ?

Ian le lâcha, livide.

— Qu'es-tu devenu, Aidan ?

Toujours à genoux, le jeune homme comprit. Il avait survécu au premier sacrifice. La tâche était en cours d'exécution.

— Un serviteur des dieux choisi entre tous. Je n'ai aucun autre maître et pas de tahlmorra.

— Aidan !

— Ils ont besoin de moi. Ça ne laisse pas de place pour une épouse ou un enfant... Ni même pour le Lion.

Ian lui prit le bras.

— Viens. Je te ramène chez toi.

Il suivit son grand-oncle sans protester, plus faible qu'un nouveau-né. Comme toujours après une crise, il avait mal à la tête, mais il se sentait parfaitement lucide.

Il savait ce qu'il lui restait à faire.

Une fois dans sa chambre, Aidan vint se placer devant le miroir de cuivre poli pendu au mur.

Ian n'avait pas menti. Son visage était identique, à part sa pâleur inhabituelle. Mais là où l'Ihlini avait frappé, ses cheveux avaient repoussé... entièrement blancs !

Aidan sourit.

— Leijhana tu'sai, Ihlini. Ainsi, je ne risque pas d'oublier !

Frissonnant, il alla se coucher.

Et rêva d'une chaîne qui se brisait entre ses mains.