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Le bruit de la traque
Quatorze heures vingt-six à Munich correspondait à huit heures vingt-six du matin, fuseau de la côte Est au Campus. Sam Granger était arrivé en avance au bureau, en se demandant s’il y trouverait un mail. Les jumeaux bossaient vite. Sans imprudence, certes, mais ils savaient mettre à profit la technologie qu’on leur avait fournie, et cela sans gaspiller le temps ou l’argent du Campus. Granger avait déjà choisi la cible numéro trois, bien sûr, dans un message crypté, prêt à être balancé sur le Net. Contrairement au cas de Sali à Londres, il n’escomptait pas de message « officiel » signalant la mort émanant du βundesnachrichtendienst, le renseignement allemand, qui n’avait guère manifesté d’intérêt pour Anas Ali Atef. Ce serait tout au plus l’affaire de la police municipale de Munich, mais plus probablement de la police judiciaire chargée d’enquêter sur les décès, qui conclurait à un nouvel infarctus fatal dans un pays où trop de citoyens fumaient et mangeaient de la nourriture riche en graisses.
Le message électronique expédié de l’ordinateur de Dominic arriva à huit heures quarante-trois, signalant avec force détails le plein succès de l’opération – on aurait presque dit un rapport d’enquête du FBI. Le fait qu’Atef ait eu un ami auprès de lui était sans doute un bonus. Qu’un ennemi ait été témoin du meurtre signifiait probablement qu’on n’émettrait aucun soupçon sur le décès de l’individu. Le Campus allait toutefois s’employer à obtenir le rapport officiel sur la disparition d’Atef, par précaution, même si la tâche ne serait pas non plus sans difficulté.
En bas, Ryan et Wills n’étaient pas encore au courant, bien sûr. Jack se livrait à ses tâches de routine : l’examen du trafic de messagerie entre les services de renseignements américains – ce qui lui prit un peu plus d’une heure -, puis une inspection du trafic internet de et vers les adresses de terroristes connus ou suspectés. L’immense majorité était si banale qu’elle ressemblait aux échanges entre un mari et sa femme sur les courses à faire au Prisu au retour du bureau. Certains de ces courriels auraient pu évidemment être des messages codés de grande importance, mais impossible de le savoir sans un programme ou une grille de filtrage.
Au moins un des terroristes avait utilisé l’expression « le temps se gâte » pour signaler un renforcement de la sécurité sur un site intéressant pour ses collègues, mais le message avait été envoyé en juillet et le temps, de fait, était orageux. Et ce message avait également été recopié par le FBI qui n’avait pas pris de mesures particulières. Mais un nouveau message lui sauta positivement aux yeux lorsqu’il l’ouvrit ce matin-là.
« Hé, Tony, faut que tu voies celui-ci, vieux. »
Le destinataire était leur vieil ami 56MoHa@euro-com. net et le contenu confirma de nouveau son identité et son rôle de plaque tournante :
atef n’est plus. il est mort sous mes yeux ici même à Munich. les pompiers ont été appelés et ils l’ont soigné sur le trottoir mais il est mort d’un infarctus à l’hôpital. demande instructions. fa’ad.
Et l’expéditeur était Honeybear@ostercom. net, une adresse encore inédite dans l’index informatique de Jack.
« Honeybear ? observa Wills en étouffant un rire. "Ours bien léché"… Ce gars doit chercher à lever des filles sur le Net.
– Donc, il fait dans le cybersexe, parfait. Tony, on vient de descendre un certain Atef là-bas en Allemagne, on a là la confirmation de l’événement, plus une nouvelle cible à traquer. » Ryan revint à sa station de travail et, en quelques clics de souris, vérifia les sources. « Tiens, la NSA l’a intercepté, elle aussi. Peut-être qu’ils pensent que ça peut être aussi un acteur.
– Sûr que t’as l’imagination fertile, observa sèchement Wills.
– Fertile, mon cul ! » Pour une fois, Jack laissa poindre sa colère. Il commençait à comprendre pourquoi son père avait souvent été en rogne devant les renseignements qui parvenaient au Bureau Ovale. « Bon Dieu, Tony, qu’est-ce qu’il te faut de plus pour y voir clair ? »
Wills inspira un grand coup et s’exprima avec sa pondération habituelle : « Du calme, Jack. C’est une source isolée, un compte rendu unique sur un fait qui peut ou non avoir eu lieu. On ne se lance pas tête la première sur un truc tant qu’il n’a pas été confirmé par une source connue. Ce pseudo, "Honeybear", pourrait recouvrir un tas de choses, rien ne certifie qu’on ait affaire à un méchant. »
Pour sa part, Jack se demanda s’il n’était pas -encore une fois ! – mis à l’épreuve par son instructeur. « D’accord, reprenons tout ça pas à pas. 56MoHa est une source dont nous sommes à peu près certains qu’il s’agit d’un acteur, sans doute un agent opérationnel. On balaie le Net pour le surveiller depuis que je suis ici, OK ? Donc, on scrute l’éther et voilà que ce message arrive dans sa boîte au moment précis où nous croyons savoir que nous avons une équipe de neutralisation en activité sur le terrain. À moins que tu ne t’apprêtes à me dire qu’Ouda ben Sali a vraiment eu un infarctus du myocarde pendant qu’il rêvassait à sa pute préférée dans les rues du centre de Londres… Et que le Service de sécurité des Rosbifs a trouvé le cas hautement intéressant uniquement parce que c’est pas tous les jours qu’on voit un homme soupçonné d’être un financier du terrorisme tomber raide mort en pleine rue. Ou est-ce que j’ai raté un épisode ? »
Wills sourit. « Pas mal, comme présentation. Un peu maigre question preuves, mais ton raisonnement était bien argumenté. Donc, tu penses qu’on devrait envisager d’aller la montrer en haut lieu ?
– On devrait y courir, oui ! » dit Ryan, essayant de dominer sa colère manifeste. On respire un bon coup et on compte jusqu’à dix.
« Alors, je pense que je vais le faire. »
Cinq minutes plus tard, Wills entrait dans le bureau de Rick Bell. Il lui tendit deux feuilles de papier.
« Rick, a-t-on une équipe à l’œuvre en Allemagne ? » demanda-t-il.
La réponse fut pour le moins surprenante : « Pourquoi cette question ? » Bell avait un visage aussi impénétrable que celui d’une statue.
« Lis, suggéra Wills.
– Bigre, réagit le chef analyste. Qui a péché ce poisson dans l’océan électronique ?
– Devine, suggéra Tony.
– Pas mal, pour le môme. » Bell dévisagea son hôte. « Quelle est l’étendue de ses soupçons ?
– À Langley, sûr qu’il rendrait les gens nerveux.
– Comme tu l’es ?
– On pourrait dire ça, répondit Wills. Il est fort pour sauter aux conclusions, Rick. »
Cette fois, Bell fit la grimace. « Ce n’est pas le concours olympique de saut en longueur, hmm ?
– Rick, Jack sait additionner deux et deux presque aussi vite qu’un ordinateur fait la différence entre zéro et un. Il a raison, n’est-ce pas ? »
Rick prit une seconde ou deux avant de répondre. « Et toi, qu’est-ce que t’en penses ?
– J’en pense qu’ils ont eu ce Sali, ça, c’est sûr, et qu’il s’agit sans doute là de la mission numéro deux. Comment s’en sont-ils tirés ?
– Tu n’as vraiment pas besoin de le savoir. Ce n’est pas aussi net que ça en a l’air, répondit Bell. Cet Atef était un agent recruteur. Il avait envoyé au moins un gars à Des Moines.
– C’est déjà une raison suffisante, jugea Wills.
– Sam partage ton sentiment. Je vais lui refiler l’info. Des suggestions ?
– Ce MoHa devrait être surveillé de plus près. Peut-être qu’on peut parvenir à le localiser, dit Wills.
– Une idée de l’endroit où il se trouve ?
– En Italie, on dirait, seulement il n’est pas tout seul à vivre dans la Botte. Il y a là-bas quantité de grandes villes avec quantité de planques. Mais l’Italie est assurément un bon coin pour lui. Une position centrale. Des relations aériennes avec le monde entier. Et les terroristes ont laissé le pays tranquille depuis un bout de temps, donc personne ne va chercher le chien qui n’aboie pas.
– Pareil en Allemagne, en France et dans le reste de l’Europe, non ? »
Wills acquiesça. « Ça en a tout l’air. Ce sont les suivants sur la liste mais je ne pense pas qu’ils s’en rendent vraiment compte. La politique de l’autruche, Rick.
– Exact. » Bell était d’accord. « Alors, qu’est-ce qu’on fait avec ton élève ?
– Ryan ? Bonne question. Sûr qu’il apprend vite. Il est particulièrement doué pour établir des liens. Il a l’imagination fertile, il y va parfois un peu fort, mais n’empêche, ce n’est pas réellement un défaut pour un analyste.
– Tu lui donnerais quelle note, jusqu’ici ?
– B plus, peut-être A moins, et encore, seulement parce qu’il est tout nouveau. Il n’est pas aussi bon que moi, mais je suis dans le métier depuis avant sa naissance. C’est un challenger, Rick. Il ira loin.
– Si bon que ça ? » demanda Bell. Tony Wills était réputé pour être un analyste d’une prudence de Sioux, et l’un des meilleurs que Langley ait formés, malgré son petit côté visière verte et pièces aux coudes.
Wills acquiesça. « Aussi bon. » Il était également d’une honnêteté scrupuleuse. C’était dans sa nature mais il pouvait également se le permettre. Le Campus payait bien mieux que toutes les autres agences gouvernementales. Ses enfants étaient tous grands – le dernier était en dernière année de physique à l’université du Maryland et, désormais, Betty et lui avaient l’esprit libre pour penser à la dernière grande étape de leur existence, même si Wills se plaisait bien ici et n’était nullement pressé de prendre sa retraite. « Mais va pas lui raconter que je t’ai dit ça.
– La grosse tête ?
– Non, ce serait injuste. Mais je n’ai pas envie qu’il commence à s’imaginer qu’il sait déjà tout.
– Personne d’un peu sensé ne pense une chose pareille, observa Bell.
– Ouais. » Wills se leva. « Mais pourquoi courir le risque ? »
Wills ressortit mais Bell ne savait toujours pas quoi faire du jeune Ryan. Eh bien, voilà un sujet à aborder avec le sénateur.
« Prochaine étape, Vienne, annonça Dominic. On a une nouvelle cible.
– Tu crois que ça va devenir un boulot régulier ? » se demanda tout haut Brian.
Son frère sourit. « Mec, il y a assez de sales types en Amérique pour nous tenir occupés jusqu’à la fin de nos jours.
– Ouais, ça économiserait des sous, on virerait tous les jurys et les juges.
– Hé, tête de nœud, je suis pas l’inspecteur Harry Callahan.
– Et moi, je suis pas le général Chester Puller. Bon, comment on y va ? En avion, en train… peut-être en voiture ?
– En voiture, ça pourrait être sympa, fit Dominic. Je me demande si on pourrait pas louer une Porsche…
– Oh, super, grommela Brian. Bon, tu te déconnectes, que je puisse télécharger le fichier, veux-tu ?
– Bien sûr. En attendant, je vais voir ce que le réceptionniste peut nous monter. » Et il sortit de la chambre.
« C’est la seule confirmation que nous ayons ? demanda Hendley.
– Oui, acquiesça Granger. Mais ça recoupe exactement ce que nous ont dit nos gars sur le terrain.
– Ils vont trop vite. Et si l’autre camp se met à penser : "Deux infarctus en moins d’une semaine"… ? Alors quoi ?
– Gerry, la nature de la mission est reconnaissance armée, tu te souviens ? On cherche plus ou moins à rendre l’autre camp nerveux, mais bientôt leur arrogance va reprendre le dessus et ils mettront tout ça sur le compte du pur hasard. Si on était à la télé ou au cinéma, ils se diraient que la CIA leur monte un coup en vache, mais on n’est pas au cinéma, et ils savent que la CIA ne joue pas à ce genre de jeu. Le Mossad, peut-être, mais ils se méfient déjà des Israéliens. Hé… » Une ampoule venait de s’allumer dans le cerveau de Granger « Et si c’étaient les gars qui ont éliminé l’agent du Mossad, à Rome ?
– Je ne te paie pas à faire des spéculations, Sam.
– C’est une possibilité, persista Granger.
– Il est également possible que la Mafia ait descendu le pauvre bougre parce qu’ils l’avaient pris pour un autre mafieux qui devait des sous à la famille. Mais je n’y parierais pas ma chemise.
– Oui, chef. » Et Granger regagna son bureau.
Mohammed Hassan al-Din était en ce moment à Rome, à l’hôtel Excelsior, où il buvait son café assis à son ordinateur. Pas de veine pour Atef. C’était – ç’avait été – un bon recruteur, avec juste la bonne dose d’intelligence, de charisme et d’engagement personnel pour convaincre d’autres volontaires de se joindre à la cause. Il avait voulu lui-même agir sur le terrain, ôter des vies et devenir un saint martyr, mais quand bien même il aurait été doué pour ça, un homme capable de recruter était beaucoup plus précieux qu’un homme prêt à donner sa vie. C’était de la simple arithmétique, une chose qu’un ingénieur diplômé comme Atef aurait dû comprendre. Qu’est-ce qui lui avait pris ? D’accord, un frère tué par les Israéliens en 1973… Un sacré bail pour entretenir une rancune, même pour des hommes de son organisation, mais on avait connu des précédents. Toujours est-il qu’Atef avait désormais rejoint son frère au paradis. C’était une chance pour lui, mais une malchance pour l’organisation. Enfin, c’était écrit, se réconforta Mohammed, et il en serait toujours ainsi, et la lutte continuerait jusqu’à la mort du dernier de leurs ennemis.
Il avait sur son lit deux téléphones clonés qu’il pouvait utiliser sans crainte d’interception. Devrait-il appeler l’Émir ? Cela valait le coup d’y réfléchir. Anas Ali Atef était le second cas d’infarctus en moins d’une semaine et, les deux fois, il s’était agi d’hommes jeunes ; c’était quand même bizarre, statistiquement inhabituel. Fa’ad s’était toutefois tenu juste à côté d’Anas Ali au moment des faits, et donc il n’avait pas pu être abattu ou empoisonné par un espion israélien – un juif les aurait probablement abattus tous les deux, songea Mohammed – et donc, avec un témoin oculaire sur place, il semblait peu plausible de soupçonner un acte criminel. Dans l’autre cas, eh bien, Ouda aimait mener une existence de libertin, et il n’aurait pas été le premier à mourir de cette faiblesse de la chair. Donc, tout cela ressemblait fort à une coïncidence improbable et qui par conséquent ne méritait pas de déranger l’Émir. Il nota toutefois les deux incidents sur son ordinateur, crypta le fichier, puis éteignit la machine. Il avait envie de faire un tour. La journée était agréable. Chaude pour l’Europe, mais cela lui rappelait l’air du pays. Un peu plus haut dans la rue se trouvait un petit restaurant en terrasse dont la cuisine italienne était certes moyenne, mais la moyenne ici était bien supérieure à ce que l’on trouvait dans plus d’un restaurant de luxe de par le monde. On aurait pu s’imaginer que toutes les Italiennes étaient obèses mais non, elles souffraient du mal commun à toutes les Occidentales, la maigreur… certaines étaient aussi maigres que les enfants d’Afrique. Préférer de jeunes garçonnes aux femmes mûres, épanouies et expérimentées, quelle tristesse !
Mais au lieu d’aller manger, il traversa la Via Veneto pour aller retirer mille euros au distributeur de billets. La monnaie unique avait rendu tellement plus pratiques les déplacements en Europe, Allah soit loué. Elle n’était pas encore l’équivalent du dollar américain en termes de stabilité mais, avec un peu de chance, ça pourrait bientôt être le cas, ce qui faciliterait encore plus ses déplacements.
Il était difficile de ne pas aimer une ville comme Rome. Bien située, cosmopolite, envahie d’étrangers, et pleine de gens hospitaliers qui s’inclinaient pour ramasser vos pièces comme des paysans qu’ils étaient. Une ville idéale pour les femmes, avec des boutiques comme Riyad ne pouvait guère en offrir. Sa mère anglaise avait toujours aimé Rome et les raisons en étaient évidentes. De la bonne chère, du bon vin, et une histoire qui remontait avant le Prophète lui-même, la paix et la bénédiction soient sur Lui. Bien des hommes étaient morts ici de la main des Césars, massacrés au Colisée pour le plaisir du public, ou tués parce qu’ils avaient d’une façon ou d’une autre déplu à l’empereur. Les rues avaient sans doute été bien paisibles durant la période impériale. Quel meilleur moyen d’assurer la paix publique que d’appliquer les lois de manière impitoyable ? Ainsi en était-il sur sa terre natale, et il espérait bien que cela continuerait après qu’on se serait débarrassé de la famille royale – en la tuant ou en la contraignant à l’exil, peut-être en Angleterre ou en Suisse, pays où les individus fortunés et bien nés étaient assurés d’être traités avec suffisamment d’égards pour continuer à mener leur existence oisive. L’une ou l’autre solution conviendrait à Mohammed et ses collègues. Pourvu qu’ils ne dirigent plus le pays, avec leur régime corrompu, faisant des courbettes aux infidèles pour leur vendre le pétrole, et menant le peuple comme s’ils étaient les fils de Mahomet en personne. Il fallait que cela cesse. Son dégoût pour l’Amérique pâlissait devant sa haine à l’égard des dirigeants de son propre pays. Mais l’Amérique était sa cible principale à cause de sa puissance, qu’elle en use elle-même ou la délègue à d’autres en vue d’assouvir ses propres intérêts impérialistes. L’Amérique menaçait tout ce qui lui était cher. L’Amérique était une contrée d’infidèles, complice des juifs. L’Amérique avait envahi son propre pays, elle y avait stationné des troupes et entreposé des armes, sans aucun doute dans le but ultime d’asservir l’ensemble de l’Islam et ainsi de diriger un milliard de fidèles en les soumettant à ses intérêts étroits et partisans. Frapper l’Amérique était devenu son obsession. Même les Israéliens n’étaient pas une cible aussi attirante. Si vicieux qu’ils puissent être, les juifs n’étaient que les dupes des Américains, des vassaux qui faisaient ce qu’on leur disait en échange d’argent et d’armes, sans même se douter du cynisme avec lequel ils étaient manipulés. Les chiites iraniens avaient été corrects. L’Amérique en revanche était le Grand Satan, Iblis en personne, doté d’une telle puissance qu’il était difficile de lui porter un coup décisif, mais non moins vulnérable face aux forces justes de Dieu et des fidèles.
Dominic jugea que le réceptionniste de l’hôtel Bayerischer s’était surpassé en leur fournissant une Porsche 911. Certes, le coffre avant acceptait tout juste leurs sacs, et encore il fallait les tasser. Mais ça suffisait et la voiture était encore mieux qu’une Mercedes de petite cylindrée. La 911 avait du répondant. Brian se chargerait de la navigation et se débrouillerait donc avec les cartes durant la traversée des Alpes vers le sud-est pour rallier Vienne. Ils descendaient vers le sud. Mais c’était avant tout pour servir leur pays.
« Est-ce que je dois prendre un casque ? » demanda Brian en montant à bord – ce qui, dans le cas de cette voiture, signifiait quasiment descendre au ras du bitume.
« Pas avec moi au volant, Aldo. Allez, viens, frérot, il est temps de se bouger le cul. »
La carrosserie était d’un bleu horrible, mais le réservoir était plein et le six-cylindres réglé à la perfection. Les Allemands aimaient décidément que tout soit in Ordnung. Brian les dirigea pour sortir de Munich et prendre l’Autobahn en direction de Vienne. Sitôt sur l’autoroute, Enzo décida de voir ce que cette Porsche avait dans le ventre.
« Est-ce que tu penses qu’ils pourraient avoir besoin de renforts ? » demanda Hendley à Granger. Il venait de le convoquer dans son bureau.
« Comment ça ? » répondit Sam. « Ils », c’étaient les frères Caruso, bien sûr.
« Je veux dire qu’ils n’ont pas grand-chose comme soutien logistique, fit remarquer l’ancien sénateur.
– Ma foi, nous n’avons jamais vraiment abordé la question, pas vrai ?
– Justement. » Hendley se carra dans son fauteuil. « En un sens, ils opèrent tout nus. Aucun des deux n’a une grande expérience en matière d’action de renseignement. Et si jamais ils se trompaient de cible ? D’accord, ils ne se feraient sans doute pas interpeller pour ça, mais ça n’aiderait pas non plus, côté moral. Je me souviens d’un gars de la Mafia, c’était au pénitencier fédéral d’Atlanta, je crois bien. Il avait dessoudé un pauvre bougre dont il croyait qu’il cherchait à le tuer, mais il s’était trompé de mec et, résultat, il a complètement craqué. Il s’est mis à chanter comme un rossignol. C’est du reste comme ça qu’on a réussi notre premier grand coup contre la Mafia et son organisation, tu te souviens ?
– Ouais, c’était un certain Joe Valachi, mais lui, c’était un criminel, rappelle-toi.
– Justement, Brian et Dominic sont de braves gars, eux. Ils seraient d’autant plus vulnérables au sentiment de culpabilité. Peut-être qu’un soutien serait à envisager. »
La suggestion surprit Granger. « Je vois bien l’intérêt d’une meilleure évaluation du renseignement, et ce système de "bureau virtuel" a ses limites, je l’admets. Genre, ils ne peuvent pas poser de questions, mais s’ils en ont, ils peuvent toujours nous demander notre avis par mail…
– Ce qu’ils n’ont pas fait, fit remarquer Hendley.
– Gerry, ils n’en sont qu’aux deux premières étapes de la mission. Il serait prématuré de paniquer, non ? Ce sont deux jeunes agents intelligents et très capables. C’est pour ça qu’on les a choisis. Ils savent penser comme des grands, et c’est précisément ce qu’on réclame de nos agents du service action.
– On ne se contente pas d’élaborer des hypothèses, on les projette aussi dans l’avenir. Tu crois que c’est une bonne idée ? » Hendley avait appris comment mener des idées jusqu’au bout lorsqu’il était au Capitole, et il savait s’y montrer d’une efficacité redoutable.
« Les hypothèses sont toujours à manipuler avec prudence, je le sais, Gerry. Mais les complications, ce n’est pas mieux. Comment savons-nous que nous avons envoyé le bon élément sur le terrain ? Et si cela ne faisait qu’ajouter un niveau d’incertitude ? Est-ce qu’on veut ça ? » Hendley, songea Granger, souffrait du mal le plus meurtrier qui puisse sévir chez les parlementaires : l’excès de prudence. Cela vous menait droit à la paralysie…
« Ce que je veux dire, c’est que ce serait une bonne idée d’avoir également quelqu’un sur place qui pense un peu différemment, qui considère sous un autre angle les données disponibles. Les jeunes Caruso sont efficaces. Je le sais. Mais ils manquent d’expérience. L’important est d’avoir auprès d’eux un cerveau différent pour avoir un point de vue différent sur les faits et la situation. »
Granger se sentit acculé. « Bon, d’accord, je vois la logique du raisonnement, mais ça rajoute un niveau de complication dont on n’a pas besoin.
– OK, alors imagine qu’ils voient un truc auquel ils ne sont pas préparés ? Dans ce cas, ils auront besoin d’une autre opinion – une opinion extérieure, si tu veux – sur les données disponibles. Cela les rendra moins susceptibles de commettre une boulette sur le terrain. Le seul truc qui me tracasse, c’est qu’ils commettent une erreur, d’autant plus qu’elle serait fatale pour un pauvre bougre et que, de surcroît, cette erreur risquerait d’affecter leur façon de mener les autres missions par la suite. La culpabilité, le remords… sans compter qu’ils pourraient se mettre à en parler. Est-ce qu’on peut totalement éliminer cette éventualité ?
– Non, peut-être pas entièrement, mais cela veut dire aussi qu’on ne fait qu’ajouter un élément à l’équation, élément susceptible de dire non quand il faudrait dire oui. Dire non, n’importe qui peut faire ça. Ce n’est pas forcément le bon choix. On peut verser dans l’excès de précaution.
– Je ne pense pas.
– Très bien. Alors, qui veux-tu envoyer ? demanda Granger.
– On va y réfléchir. Ça devrait être… ce doit être quelqu’un qu’ils connaissent, et en qui ils ont confiance… » Il laissa sa phrase en suspens.
Hendley avait rendu nerveux son chef des opérations. Il avait une idée fixe et celui-ci ne savait que trop bien que l’ancien sénateur était à la tête du Campus et que, dans ces murs, sa voix avait force de loi et que ses décisions étaient sans appel. Donc, si Granger devait sélectionner un nom pour ce poste hypothétique, il faudrait que ce soit quelqu’un qui ne flanque pas le merdier.
L’Autobahn avait été conçue et réalisée d’une manière superbe. Dominic se prit à se demander qui l’avait construite. Puis il nota que la chaussée n’était pas toute neuve. Et cette route reliait l’Allemagne à l’Autriche… peut-être que sa construction avait été ordonnée par Hitler en personne ? Ce serait marrant. Quoi qu’il en soit, il n’y avait pas de limitation de vitesse et le six-cylindres de la Porsche ronronnait comme un tigre à l’affût sur la trace d’une proie encore chaude. En outre, les chauffeurs allemands étaient d’une politesse incroyable. Il suffisait de faire un appel de phares et ils se rangeaient sur le côté comme s’ils avaient reçu quelque édit divin. Vraiment à mille lieues de l’Amérique, où n’importe quelle petite vieille dans une Pinto hors d’âge restait scotchée sur la file de gauche parce quelle était gauchère et qu’elle aimait bien bloquer les cinglés en Corvette. Ici, c’était presque aussi chouette que la piste du Lac salé de Bonneville.
Pour sa part, Brian essayait de ne pas se ratatiner sous le tableau de bord. Il fermait les yeux de temps en temps, repensant aux vols en rase-mottes chez les commandos de marines, à travers les défilés de la Sierra Nevada, bien trop souvent à bord d’hélicos CH-46 plus vieux que lui. Enfin, il n’en était pas mort. Aucun risque. Là non plus, sans doute, et en tant qu’officier de marines, il n’avait pas le droit de montrer peur ou faiblesse. Et c’est vrai que c’était excitant. Ça faisait penser à un tour de grand huit sans la barre de sécurité en travers du siège. Mais il voyait bien qu’Enzo prenait le pied de sa vie, alors il se consola en se disant que sa ceinture était attachée et que ce petit spider allemand avait sans doute été dessiné par la même équipe d’ingénieurs qui avait conçu le char Tigre. Traverser les montagnes était le plus effrayant mais quand enfin ils redescendirent vers les zones de culture, le terrain devint moins vallonné et la route plus rectiligne, Dieu merci.
« Collines que j’aime, vous chantez au moooonde / Des airs qu’autrefois, j’entendais chez moaaaa…, entonna Dominic, d’une voix de fausset.
– Si tu chantes comme ça à l’église, Dieu va te foudroyer », avertit Brian, sortant son plan de ville à l’approche de Vienne.
Et les rues de la capitale autrichienne étaient en effet un vrai dédale. C’est qu’elle datait d’avant les légions romaines, et les artères étaient tout juste assez rectilignes pour faire parader une légion devant le tribunus militaris le jour de l’anniversaire de l’empereur. Le plan révélait deux ceintures de boulevards circulaires qui marquaient sans doute l’emplacement de murs d’enceintes médiévaux – les Turcs étaient venus plus d’une fois par ici dans l’espoir d’ajouter l’Autriche à leur empire, mais ce fragment d’histoire militaire n’avait pas fait partie du cursus abordé pour la formation des marines. Pays essentiellement catholique, parce que la maison des Habsbourg l’était, cela n’avait pas empêché l’Autriche d’exterminer son éminente et prospère minorité juive après que Hitler eut annexé le pays au Grand Reich allemand, à la suite du plébiscite sur l’Anschluss de 1938. Hitler était né en Autriche et les Autrichiens avaient payé cette loyauté du prix de la vie de certains de leurs concitoyens, en devenant plus nazis que Hitler lui-même, c’est du moins ce que rapportait l’histoire objective, mais pas forcément l’histoire vue par les Autrichiens. C’était le seul pays au monde où La Mélodie du bonheur avait fait un four, sans doute parce que le film était peu flatteur pour le parti nazi.
Quoi qu’il en soit, Vienne ressemblait à ce qu’elle avait été jadis : une vieille cité impériale aux larges boulevards bordés d’arbres, aux bâtiments à l’architecture classique, et aux citoyens à la tenue irréprochable. Brian les guida jusqu’à l’hôtel Impérial situé sur le Kartner Ring, un bâtiment qui ressemblait à une annexe du fameux palais de Schônbrunn.
« Faut reconnaître qu’ils nous logent dans des endroits chouettes », observa Aldo.
L’endroit était encore plus impressionnant vu de l’intérieur, avec ses plâtres dorés et ses boiseries laquées dont chaque élément semblait avoir été réalisé par un maître artisan tout droit venu de la Florence de la Renaissance. Le hall n’était pas spacieux mais le comptoir de la réception impossible à manquer, avec son personnel vêtu d’uniformes aussi voyants que la tenue de parade d’un marine.
« Bonjour, les accueillit le réceptionniste. Vous êtes bien monsieur Caruso ?
– Exact, répondit Dominic, surpris par les facultés extrasensorielles du bonhomme. Vous devriez avoir une réservation à mon nom et celui de mon frère.
– Effectivement, monsieur », répondit l’autre avec empressement. Il aurait pu avoir appris l’anglais à Harvard. « Deux chambres communicantes, sur la rue.
– Parfait ». Dominic sortit sa carte noire American Express et la tendit.
« Merci.
– Pas de messages pour nous ? demanda-t-il ensuite.
– Non, monsieur.
– Le chasseur peut-il s’occuper de notre voiture ?
Elle est louée. Nous ne savons pas si nous allons la garder ou non.
– Mais bien sûr, monsieur.
– Merci. Pouvons-nous voir nos chambres ?
– Oui. Vous êtes au premier… Excusez-moi, le second niveau, comme vous dites en Amérique. Franz ? »
L’anglais du groom était tout aussi bon. « Par ici, s’il vous plaît, messieurs. » Pas d’ascenseur, mais plutôt une volée de marches moquettées de rouge qui se déployait juste sous le portrait d’un personnage qui avait l’air fort important, dans son bel uniforme blanc, avec ses rouflaquettes soigneusement peignées.
« De qui s’agit-il ? demanda candidement Dominic.
– Mais c’est l’empereur François-Joseph, répondit le chasseur. Il a rendu visite à notre hôtel lors de son inauguration, au xixe siècle.
– Ah. » Cela expliquait l’attitude du personnel, mais on ne pouvait pas critiquer le style de l’endroit. Sûrement pas.
Cinq minutes plus tard, ils étaient installés dans leurs appartements. Brian fit un tour dans la chambre de son frère. « Bon Dieu, l’étage résidentiel de la Maison-Blanche n’est pas aussi bien.
– Tu crois ? demanda Dominic.
– Mec, je le sais. J’y suis allé. L’oncle Jack m’y a fait monter après que j’ai décroché mes galons – non, en fait, c’était après le début de mes classes. Merde, c’est quelque chose, cette piaule. Je me demande combien elle coûte…
– Qu’est-ce que t’en as à foutre ? C’est moi qui régale et notre ami est tout à côté, au Bristol. Pas inintéressant de traquer les salopards friqués, hein ? » Ce qui les ramena aux affaires en cours. Dominic sortit son portable. L’Impérial était habitué à avoir des clients dotés d’ordinateurs et la connectique était tout à fait efficace. Pour l’heure, il se contenta d’ouvrir le tout dernier fichier reçu. Il ne l’avait jusqu’ici que survolé. Il prit à présent son temps pour le relire mot à mot.
Granger pesait le pour et le contre. Gerry voulait quelqu’un pour chaperonner les jumeaux, et cela semblait chez lui une idée bien arrêtée. Il y avait quantité de bons éléments dans le service sous les ordres de Rick Bell mais, étant d’anciens espions de la CIA ou d’ailleurs, ils étaient tous trop vieux pour convenir aux frères Caruso, jeunes comme l’étaient ceux-ci. Ça ne collerait pas de voir deux gars, même pas trentenaires, sillonner l’Europe en compagnie d’un quinqua bien tassé. Donc, mieux valait quelqu’un de plus jeune. Il n’y en avait pas tant que ça… mais il y en avait un…
Il décrocha son téléphone.
Fa’ad n’était qu’à deux rues de là, au deuxième étage de l’hôtel Bristol, célèbre établissement très chic, tout particulièrement réputé pour sa salle de restaurant d’exception et sa proximité de l’opéra, qui se trouvait en effet juste en face. Le Staatsoper était dédié à la mémoire de Wolfgang Amadeus Mozart qui avait été musicien de la cour des Habsbourg avant de connaître une mort prématurée, ici même à Vienne. Mais Fa’ad ne s’intéressait pas le moins du monde à ce genre d’histoire. C’était l’actualité son obsession. Voir Anas Ali Atef mourir là sous ses yeux l’avait sérieusement ébranlé. Aucun rapport avec la mort d’infidèles que l’on pouvait regarder à la télé avec un petit sourire tranquille. Il était là, il avait vu la vie quitter invisiblement le corps de son ami, vu les secouristes allemands lutter en vain pour le sauver – faisant à l’évidence tout leur possible même pour un individu qu’ils devaient mépriser. C’était une surprise pour lui. Certes, c’étaient des Allemands qui ne faisaient que leur boulot, mais ils l’avaient fait avec une telle détermination, une telle obstination… puis ils avaient conduit en toute hâte son ami à l’hôpital le plus proche, où les médecins allemands avaient sans doute agi de même, mais sans plus de succès. Un docteur était alors venu dans la salle d’attente pour lui annoncer la triste nouvelle, disant, bien inutilement, qu’ils avaient fait tout ce qui était en leur pouvoir, mais que l’accident ressemblait à une crise cardiaque aiguë, ajoutant que l’on procéderait à d’autres examens de laboratoire pour confirmer que l’infarctus avait bien été la cause de la mort, avant enfin de lui poser des questions sur la famille du défunt et de lui demander qui allait récupérer le corps une fois qu’ils l’auraient découpé en petits morceaux. Bizarre quand même, cette précision des Allemands pour tout. Fa’ad avait réglé le maximum de choses, puis il avait pris le train pour Vienne, assis tout seul en première, encore sous le choc de l’effroyable événement.
Il faisait en ce moment même son rapport à l’organisation. Mohammed Hassan al-Din était son intermédiaire. Il était sans doute à Rome à l’heure actuelle, même si Fa’ad Rahman Yassine n’en était pas vraiment sûr. Il n’avait pas besoin. Internet procurait une adresse suffisante, si peu détaillée fût-elle. Mais c’était quand même bien triste pour son jeune, vigoureux et valeureux camarade de mourir ainsi, en pleine rue. Si cela servait un but quelconque, Dieu seul savait lequel -mais Dieu avait Son plan pour toutes choses, et il n’était pas toujours permis aux hommes de le connaître. Fa’ad sortit du minibar une miniature de cognac et la but au goulot, sans même prendre la peine de la verser dans un des verres ballons posés au-dessus du placard. Péché ou pas, l’alcool l’aidait à se calmer les nerfs et, de toute façon, il ne buvait jamais en public. Pas de veine, merde ! Il regarda de nouveau le minibar. Il restait deux petites bouteilles de cognac, et après, plusieurs miniatures de scotch, la boisson préférée en Arabie Saoudite, Charia ou pas.
« Vous avez votre passeport ? demanda Granger, sitôt qu’il se fut assis.
– Mais, naturellement. Pourquoi ? s’enquit Ryan.
– Vous partez pour l’Autriche. L’avion décolle ce soir de Dulles. Voici votre billet. » Le directeur des opérations fit glisser la pochette sur le bureau.
« Pour quoi faire ?
– Vous descendrez à l’hôtel Impérial. Là, vous établirez le contact avec Dominic et Brian Caruso pour les tenir au fait des dernières infos côté renseignement. Vous pourrez recourir à votre compte de courriel habituel, et votre ordinateur portable est doté de la technologie de cryptage adéquate. »
Bon sang, pourquoi ? se demanda Jack qui reprit : « Excusez-moi, monsieur Granger. Pouvons-nous revenir une ou deux étapes en arrière ? Que se passe-t-il au juste ici ?
– Votre père a posé cette question une ou deux fois, je parie. » Granger arbora un sourire qui aurait glacé un whisky-soda. « Gerry pense que les jumeaux ont besoin d’être encadrés côté renseignement. Donc, vous êtes détaché pour leur fournir ce soutien, disons que vous jouez leur consultant pendant qu’ils sont sur le terrain. Cela ne signifie pas que vous ferez quoi que ce soit : vous vous contenterez de surveiller les développements de l’information via votre bureau virtuel. Vous avez déjà fait du bon boulot dans ce domaine. Vous avez le flair pour pister des indices sur le Net – bougrement mieux que Dom et Brian. Avoir votre regard sur le terrain pourrait s’avérer utile. Voilà pourquoi. Vous pouvez décliner l’offre, mais si j’étais vous, j’accepterais, OK ?
– À quelle heure, l’avion ?
– C’est inscrit sur la pochette du billet. »
Jack regarda. « Merde, va falloir que je me grouille.
– Alors, grouillez-vous. Une voiture vous conduira à Dulles. Filez.
– Oui, monsieur », répondit Jack en se levant. Il valait mieux qu’une voiture de service lui tienne lieu de taxi. Il n’avait pas trop envie de laisser son Hummer sur le parking de l’aéroport. C’était une proie tentante pour les voleurs. « Oh… et qui est habilité à le savoir ?
– Rick Bell en informera Tony Wills. En dehors de lui, personne, je répète : personne. C’est clair ?
– Très clair, monsieur. OK, je file. » Il regarda à l’intérieur de la pochette de réservation et y découvrit une carte noire American Express. Au moins le voyage était-il réglé par la boîte. Combien de cartes comme celle-ci le Campus avait-il dans ses tiroirs ? Il se posa la question. Mais sûr qu’il n’avait pas besoin de plus pour la journée.
« C’est quoi, ce truc ? demanda Dominic à son ordinateur. Aldo, on a de la compagnie qui débarque demain.
– Qui ça ? demanda Brian.
– Pas précisé. Le message nous met toutefois en garde contre toute action tant qu’il ne nous aura pas rejoints.
– Merde, pour qui nous prennent-ils, des tueurs en série ? Ce n’est quand même pas notre faute si le dernier mec nous est pratiquement tombé dans les bras. Pourquoi nous faire chier ?
– Ce sont des gars du gouvernement. Dès que tu deviens trop efficace, ils ont la trouille, réfléchit tout haut Dominic. Bon, qu’est-ce que tu dirais d’aller dîner ?
– Super, on pourra comme ça tâter de leur version du vitello milanese. Tu crois qu’ils ont des vins corrects, par ici ?
– Je ne connais qu’une façon de le savoir, Aldo. » Dominic sortit une cravate de sa valise. La salle de restaurant de l’hôtel avait l’air aussi cérémonieuse que l’ancienne résidence de l’oncle Jack.