22
Place d’Espagne
« Vous plaisantez, dit aussitôt Jack.
– Seigneur, accordez-moi un adversaire idiot, répondit Brian. C’est une des prières qu’on nous enseigne lors de notre instruction. L’ennui, c’est que, tôt ou tard, ils finissent par devenir malins.
– Comme les escrocs, enchaîna Dominic. Le problème avec le travail de police, c’est qu’en général on chope les idiots. Les malins, on en entend rarement parler. Voilà pourquoi il a fallu tout ce temps pour démanteler la Mafia, et pourtant, ils ne sont pas si malins. Mais ouais, c’est un processus darwinien, et d’une manière ou d’une autre, on contribue à les doter peu à peu d’un cerveau.
– Des nouvelles du bercail ? demanda Brian.
– Regarde plutôt l’heure. Ils vont pas arriver au boulot de sitôt, expliqua Jack. Alors comme ça, le gars s’est vraiment fait écraser ? »
Brian acquiesça. Il s’était écroulé et avait subi le sort de la mascotte officielle du Mississippi : un chien écrasé sur la route. « Par un tramway. La bonne nouvelle, c’est que ça a masqué toute trace. » Pas de pot pour toi, sombre connard.
Il n’y avait même pas quinze cents mètres jusqu’au Krankenhaus Sainte-Élisabeth sur Invalidenstraβe, où l’ambulance avait transporté les restes de la victime. Ils avaient prévenu à l’avance l’hôpital, aussi personne ne manifesta-t-il de surprise devant les trois sacs plastique. Ils furent dûment déposés sur une table au laboratoire d’autopsie – il était inutile de passer par les urgences, vu que la cause de la mort était si évidente qu’elle frisait l’humour noir. La seule difficulté fut de retrouver assez de sang pour l’examen toxicologique. Le corps avait été tellement écrabouillé qu’il avait été quasiment vidé de son sang mais les organes internes – en particulier la rate et le cerveau – en avaient encore assez pour qu’il soit extrait à la seringue et envoyé au labo qui y rechercherait des traces de stupéfiant et/ou d’alcool. Le seul autre élément à relever à l’autopsie était une jambe brisée mais le passage du tramway au-dessus du corps signifiait que même un genou brisé serait quasiment impossible à découvrir : les deux jambes avaient été totalement broyées en moins de trois secondes.
Ils avaient le nom et l’identité grâce au portefeuille de la victime et la police était en train de vérifier auprès des hôtels du voisinage si le mort n’aurait pas laissé un passeport, afin de prévenir éventuellement une ambassade. Le seul fait surprenant était que le visage apparaissait placide. On se serait attendu à des yeux écarquillés, une grimace de douleur, mais d’un autre côté, même les morts traumatiques avaient peu de règles bien établies, comme le savait tout médecin légiste. Il n’était guère utile de procéder à un examen approfondi. Peut-être que si l’homme s’était fait tirer dessus, ils auraient retrouvé une blessure par balle, mais il n’y avait aucune raison de suspecter une telle chose. La police avait déjà interrogé dix-sept témoins oculaires qui s’étaient tous trouvés à moins de trente mètres de l’accident. En définitive, le rapport d’autopsie aurait aussi bien pu être un simple formulaire à cocher.
« Bon Dieu, observa Granger. Putain, comment ont-ils pu goupiller un coup pareil ? » Puis il décrocha son téléphone. « Gerry ? Descends voir. Le numéro trois est dans le sac. Il faut que tu voies ce rapport. » Après avoir raccroché le combiné, il pensa tout haut : « Bon, à présent, où est-ce qu’on les expédie ? »
La question fut réglée à un autre étage. Tony Wills recopiait tous les téléchargements de Ryan et celui venant en tête de liste était impressionnant par sa sanglante brièveté. Il décrocha donc son téléphone pour en avertir Rick Bell.
Le plus dur était de loin pour Max Weber. Il lui fallut une demi-heure pour surmonter le refus et le choc initiaux. Il se mit à vomir, tandis que ses yeux repassaient le spectacle de ce corps écrasé glissant sous son champ visuel, et l’horrible bruit sourd sous les roues du tram. Ce n’était pas sa faute, se répétait-il. Cet imbécile, das Idiot, avait trouvé moyen de s’écrouler juste devant lui, comme l’aurait fait un ivrogne, excepté qu’il était bien trop tôt pour qu’un homme ait déjà eu son compte de bières. Il avait déjà eu des accidents, en général simplement de la tôle froissée à cause de voitures qui avaient tourné trop brusquement devant lui. Mais il n’avait jamais vu et quasiment pas entendu parler d’un accident mortel avec un tramway. Il avait tué un homme. Lui, Max Weber, avait ôté une vie. Ce n’était pas sa faute, se répéta-t-il à peu près toutes les minutes durant les deux heures qui suivirent. Son supérieur lui accorda le reste de sa journée, aussi pointa-t-il avant de regagner son domicile à bord de son Audi, s’arrêtant à une Gasthaus à une rue de chez lui parce qu’il ne voulait pas boire tout seul aujourd’hui.
Jack parcourait à toute vitesse ses téléchargements du Campus, Dom et Brian à proximité. Tous les trois avaient pris un déjeuner tardif accompagné de quelques bières. C’était du trafic de routine : échanges de messages électroniques entre des personnages suspectés d’être des acteurs, mais en majorité, messages de citoyens lambda de divers pays qui avaient une fois ou deux écrit les mots magiques relevés par le système d’interception Échelon à Fort Meade. Et là, dans le lot, il y en avait un, pas différent des autres, excepté que le destinataire était 56MoHa@eurocom. net.
« Hé, les gars, notre gars dans la rue s’apprêtait à avoir un rendez-vous avec un autre coursier, on dirait… Il a écrit à notre vieil ami 56MoHa pour lui demander des instructions.
– Oh ? » Dominic s’approcha pour mieux voir. « Et qu’est-ce que ça nous dit ?
– Je viens d’avoir l’indicatif de l’émetteur – il est hébergé chez AOL : Gadfly097@aol. com. S’il a une réponse de MoHa, peut-être qu’on en saura plus. On pense que c’est un agent traitant qui travaille pour les méchants. La NSA l’a repéré il y a six mois. Il crypte ses messages, mais on sait les craquer et on arrive à lire la majorité de ses mails.
– Dans combien de temps tu pourras voir une réponse ? demanda Dominic.
– Ça, ça dépend de M. MoHa, dit Jack. On n’a plus qu’à prendre notre mal en patience.
– Bien reçu », dit Brian, qui était resté assis près de la fenêtre.
« Je constate que le jeune Jack ne les a pas freinés, observa Hendley.
– T’aurais cru ? Bon Dieu, Gerry, je te l’avais dit. » Granger avait déjà remercié le ciel de ses bienfaits, mais discrètement. « Toujours est-il qu’ils réclament à présent des instructions.
– Ton plan était d’éliminer quatre cibles. Alors, qui est le numéro quatre ? » demanda le sénateur.
Ce fut au tour de Granger de faire preuve d’humilité. « On n’est pas encore sûrs. Pour être honnête, je n’escomptais pas une telle efficacité de leur part. J’avais plus ou moins espéré que les premiers coups généreraient une fenêtre d’opportunité, mais personne n’a encore pointé le bout du nez. J’ai deux ou trois candidats. Laisse-moi les récapituler cet après-midi. » Son téléphone sonna. « Bien sûr, monte, Rick. » Il reposa l’appareil. « Rick Bell dit qu’il a quelque chose d’intéressant. »
La porte s’ouvrit moins de deux minutes après. « Oh, hé, Gerry. Ravi de te voir ici, Sam (Bell tourna la tête), on a ça qui vient de tomber. » Il tendit la copie papier du mail.
George le parcourut du regard. « Nous connaissons ce gars…
– Un peu, qu’on le connaît. C’est un agent traitant qui travaille pour nos amis. On pensait qu’il était basé à Rome. Eh bien, on avait vu juste. » Comme tous les bureaucrates, surtout les plus anciens, Bell adorait se donner des tapes dans le dos.
Granger tendit la page à Hendley. « OK, Gerry, voici notre numéro quatre.
– Je n’aime pas les hasards heureux.
– Je n’aime pas non plus les coïncidences, Gerry, mais si tu gagnes à la loterie, tu ne vas pas rendre l’argent », dit Granger, espérant que l’entraîneur Darrell Royal avait eu raison : la chance ne souriait pas aux abrutis. « Rick, est-ce que ce gars vaut le coup qu’on s’en occupe ?
– Oui, absolument, confirma Bell avec un signe de tête enthousiaste. On n’en sait pas des masses sur lui mais ce qu’on sait est entièrement négatif. C’est un spécialiste des opérations – ça, on en est sûrs à cent pour cent, Gerry. Et tout colle. Un de ses gars en voit tomber un autre, le signale, et notre bonhomme reçoit le message et répond. Tu sais, si je croise un jour le gars qui a pondu le programme Échelon, faudra que je lui paye une bière.
– La reconnaissance armée, observa Granger, en s’auto congratulant avec enthousiasme. Bon Dieu, je savais que ça marcherait. Tu bouscules le nid de guêpes et certaines sortent fatalement.
– Le tout, c’est qu’elles ne nous piquent pas le cul, prévint Hendley. OK, et maintenant ?
– On lâche nos gars avant que le renard retourne dans son terrier, répondit Granger, du tac au tac. Si on arrive à neutraliser ce gars, peut-être qu’on pourra faire sortir quelque chose d’intéressant. »
Hendley tourna la tête. « Rick ?
– Ça marche pour moi. C’est un feu vert.
– OK, alors, c’est un feu vert, approuva Hendley. Faites passer le signal. »
L’avantage des communications électroniques, c’est qu’elles vont vite. En fait, Jack avait déjà l’essentiel du message.
« OK, les gars, 56MoHa se prénomme Mohammed – pas vraiment une exclu ; c’est le prénom le plus répandu sur la planète – et il dit qu’il est à Rome, hôtel Excelsior sur la Via Vittorio Veneto, chambre 125.
– J’en ai entendu parler, dit Brian. C’est un établissement de luxe, très chouette et très cher. Nos amis aiment bien descendre dans les palaces, on dirait.
– Il s’est inscrit sous le nom de Nigel Hawkins. Ça fait furieusement anglais. Je suppose qu’il est citoyen britannique ?
– Avec Mohammed comme petit nom ? s’étonna tout haut Dominic.
– Ce pourrait être une couverture, Enzo, répondit Jack, saisissant la balle au bond. Sans une photo, on ne peut guère savoir la tête qu’il a. OK, il a donc un téléphone mobile, mais Mahmoud – c’est le gars qui a vu notre client se faire descendre ce matin – doit être censé le connaître. » Jack marqua un temps. « Pourquoi n’a-t-il pas simplement téléphoné, je me demande… Hmm. Enfin, la police italienne nous a transmis le résultat d’interceptions électroniques. Peut-être qu’ils surveillent aussi les ondes, et que notre gars se veut prudent ?
– Ça se tient, mais pourquoi… pourquoi dans ce cas envoie-t-il des messages sur le Net ?
– Il pense être en sécurité. La NSA a craqué pas mal de systèmes de cryptage publics. Les vendeurs de logiciels ne le savent pas mais nos gars à Fort Meade s’y entendent. Une fois qu’un système est craqué, il le reste, et l’utilisateur n’en saura jamais rien. » En fait, il ignorait la véritable raison. Les programmeurs pouvaient être persuadés, et cela s’était souvent produit, d’insérer des portes dérobées soit par patriotisme, soit par lucre, et le plus souvent pour les deux raisons. 56MoHa utilisait l’un des plus coûteux de ces programmes dont la notice technique proclamait haut et fort que personne ne pouvait le craquer grâce à son algorithme propriétaire. Ce n’était pas expliqué davantage, bien sûr : on se contentait de dire qu’il s’agissait d’une méthode de cryptage sur 256 bits, un chiffre dont la taille seule était supposée impressionner le gogo. Ce que ne disait pas la littérature technique, c’est que l’informaticien qui avait écrit le programme avait travaillé auparavant à Fort Meade – raison pour laquelle, justement, il avait été engagé – et qu’il était homme à se souvenir qu’il avait naguère prêté serment, sans compter qu’un million de dollars en franchise d’impôts avait sérieusement pesé dans la balance. Cela lui avait permis de s’acheter sa maison dans les collines de Marin County. On pouvait donc dire que le marché immobilier californien contribuait désormais en quelque sorte à la sécurité des États-Unis.
« Donc, on peut lire son courrier électronique ? demanda Dominic.
– Une partie, oui, confirma Jack. Le Campus télécharge l’essentiel de ce que la NSA obtient de Fort Meade et, quand ils renvoient le tout à la CIA pour corréler leurs analyses, nous l’interceptons. C’est moins compliqué qu’il n’y paraît. »
Dominic comprit pas mal de choses en l’espace de quelques secondes. « Putain…, souffla-t-il, levant les yeux vers le haut plafond de la chambre de son cousin. Pas étonnant… »
Une pause. « Plus de bières, Aldo. On descend à Rome. » Brian acquiesça.
« Vous n’avez pas de place pour un troisième larron ? demanda Jack.
– Peur que non, Junior. Pas dans une 911.
– OK, je prendrai l’avion. » Jack se dirigea vers le téléphone et appela la réception. En moins de dix minutes, il avait une place sur un 737 d’Alitalia à destination de Leonardo da Vinci International, qui devait décoller une heure et demie plus tard. Il pensa à changer de chaussettes. S’il y avait une chose qu’il détestait au plus haut point, c’était de devoir se déchausser dans un aéroport. Au bout de quelques minutes, il avait bouclé ses bagages et pris la porte, ne s’arrêtant que pour remercier le réceptionniste en passant. Un taxi Mercedes le mena hors de la ville.
Dominic et Brian avaient à peine eu le temps de défaire leurs bagages, aussi furent-ils prêts en dix minutes. Dom appela le chasseur tandis que Brian redescendait au kiosque à journaux acheter des cartes routières plastifiées couvrant leur itinéraire vers le sud-ouest. Ça, plus les euros qu’il avait retirés un peu plus tôt dans la journée, il estima qu’ils étaient prêts, à condition qu’Enzo ne leur fasse pas rater un lacet des Alpes. La Porsche bleu moche arriva devant l’hôtel ; il s’en approcha tandis que le chasseur introduisait en force leurs bagages dans le minuscule coffre avant. Deux minutes encore, et il avait le nez plongé dans les cartes pour trouver l’itinéraire le plus rapide permettant de rejoindre la Sùdautobahn.
Jack embarqua dans le Bœing après avoir subi l’humiliation qui était désormais le prix global à payer pour profiter d’un vol commercial – il ne lui en fallait pas plus pour songer avec nostalgie à Air Force One, même s’il devait se souvenir également qu’il s’était habitué au confort et aux attentions avec une vitesse remarquable pour ne découvrir que plus tard ce que devait endurer le commun des mortels, ce qui à l’époque lui avait fait l’effet de percuter un mur de brique. Pour le moment, il devait s’occuper de trouver un hôtel. Comment le faire depuis un avion ? Un téléphone était intégré à l’accoudoir de son fauteuil de première, aussi glissa-t-il sa carte noire dans le récepteur en plastique et fit-il sa première tentative de conquête du réseau téléphonique européen. Quel hôtel ? Eh bien, pourquoi pas l’Excelsior ? À la seconde tentative, il joignit la réception et apprit qu’ils avaient en effet plusieurs chambres disponibles. Il réserva une petite suite et, se sentant désormais rassuré, il demanda un verre de vin de Toscane à l’accorte hôtesse. Même une vie mouvementée pouvait être agréable, avait-il appris, pour peu qu’on sache quelle était l’étape suivante et, pour l’heure, son horizon se dévoilait étape par étape.
Les ingénieurs des ponts et chaussées allemands avaient dû enseigner tout leur savoir-faire à leurs homologues autrichiens, songea Dominic. Ou peut-être les plus doués avaient-ils tous appris dans le même manuel. Toujours est-il que la route n’était pas sans ressembler aux rubans de béton qui sillonnent l’Amérique, à l’exception de sa signalisation, si différente qu’elle en était quasiment incompréhensible, d’autant qu’il ne maîtrisait pas la langue et ne reconnaissait que les noms des villes – étrangers eux aussi. Il crut deviner que les chiffres noirs sur un disque blanc à liséré rouge correspondaient aux limitations de vitesse, mais elles étaient en kilomètres, soit trois pour deux miles, avec une marge confortable. Et les limitations en Autriche n’étaient pas aussi généreuses qu’en Allemagne. Peut-être parce qu’ils n’avaient pas assez de toubibs pour réparer tous les dégâts ; toutefois, alors même qu’ils gagnaient le relief, il nota que les courbes étaient dessinées avec un dévers parfait et que les bas-côtés disposaient d’une largeur suffisante pour se déporter en cas de pépin sérieux. La Porsche était dotée d’un limiteur de vitesse, qu’il régla cinq kilomètres-heure au-dessus du plafond, juste pour avoir le plaisir de rouler un poil trop vite. Il ne devait pas trop compter sur sa carte d’agent du FBI pour échapper à une amende, comme c’était le cas sur tout le territoire des États-Unis.
« Ça nous fait combien, Aldo ? demanda-t-il à son navigateur assis à la place du mort.
– À vue de nez, un peu plus de mille bornes. Disons dix heures de route, peut-être.
– Merde, juste de quoi s’échauffer. Faudra peut-être faire le plein d’ici deux heures environ. T’en es où, question liquide ?
– Sept cents billets de Monopoly. Tu peux les dépenser aussi en Italie, Dieu merci – quand ils avaient encore la lire, c’était à s’arracher les cheveux… Dis donc, il n’y a pas trop de circulation, observa Brian.
– Non, et ils se conduisent bien, admit Dominic. T’as les bonnes cartes ?
– Ouais, jusqu’au bout. En Italie, il nous en faudra quand même une autre pour Rome.
– OK, ça devrait pas être trop dur à trouver. » Et Dominic remercia le ciel d’avoir un frangin capable de lire les cartes.
« Quand on s’arrêtera pour ravitailler, on pourra en profiter pour prendre un petit truc à manger.
– Bien reçu, frérot. » Levant les yeux, Brian découvrit les montagnes au loin – impossible d’en déterminer la distance mais la vue avait dû être impressionnante au temps où les gens se déplaçaient à cheval. Il fallait qu’ils soient rudement plus patients que l’homme moderne ou alors bien plus inconscients. Pour l’heure, le siège baquet était confortable et son frère conduisait un peu moins comme un fou.
Il s’avéra que les Italiens étaient aussi bons pilotes de ligne que pilotes de course. L’appareil se posa littéralement telle une plume sur la piste, et le roulage fut pour Jack comme toujours bienvenu. Il avait trop souvent pris l’avion pour être aussi nerveux que jadis son père mais, comme la plupart des gens, pour se déplacer, il se sentait plus à l’aise à pied ou en tout cas en appui sur un support qu’il pouvait voir.
Ici aussi, il trouva des taxis Mercedes ainsi qu’un chauffeur qui baragouinait à peu près l’anglais et connaissait le chemin de l’hôtel.
Toutes les autoroutes de la planète se ressemblent et, durant un moment, Jack se demanda où il était. Le paysage à l’extérieur de l’aéroport paraissait rural mais la pente des toits n’était pas la même qu’en Amérique. Il ne devait pas neiger souvent par ici, vu leur faible inclinaison. On était à la fin du printemps et il faisait assez chaud pour qu’il puisse se promener en chemisette, mais la chaleur n’avait rien d’oppressant. Il était déjà venu en Italie avec son père à l’occasion d’un voyage officiel – une réunion économique quelconque – mais il avait été tout le temps trimbalé dans une voiture de l’ambassade. C’était marrant de faire comme si on était un vrai prince, mais ce n’est pas comme ça qu’on apprenait à naviguer, et tout ce qui lui restait en mémoire était les endroits qu’il avait vus. En revanche, il n’aurait pas su dire comment il y était allé.
C’était la ville des Césars et de quantité d’autres noms de personnages célèbres entrés dans l’histoire pour avoir fait des choses, en bien comme en mal. Le plus souvent en mal, car c’est ainsi qu’allait l’histoire. Et cela, se souvint-il, était précisément la raison de sa présence ici. À vrai dire, un rappel utile du fait qu’il n’était pas l’arbitre du bien et du mal en ce bas monde, juste un gars qui travaillait en sous-main pour son pays, de sorte que l’autorité de prendre une telle décision ne reposait pas intégralement sur ses épaules. Être président, comme l’avait été son père durant un peu plus de quatre années, ne pouvait pas être un boulot agréable, malgré le pouvoir et le prestige qui s’y attachaient. Car le pouvoir s’accompagnait de responsabilités proportionnelles, et si l’on avait un minimum de conscience, cela devait être dur à assumer. Il y avait un certain confort à se contenter de se laisser dicter les choses que d’autres jugeaient nécessaires. Et, se souvint Jack, il pouvait toujours refuser ; quand bien même il y aurait des conséquences, elles ne seraient pas si sévères. Pas aussi sévères en tout cas que pour ce que ses cousins et lui étaient en train de faire.
La Via Vittorio Veneto semblait dévolue plus aux affaires qu’au tourisme. Les arbres bordant l’artère avaient l’air un rien miteux. Surprise, l’hôtel n’était pas du tout imposant. Il n’avait pas non plus d’entrée décorée. Jack régla la course du taxi et entra, un chasseur se chargeant de ses bagages. Le hall était tout de boiseries, et le personnel des plus accueillants. Peut-être l’accueil était-il une discipline olympique où les Européens excellaient, toujours est-il que quelqu’un le conduisit aussitôt à sa chambre. Elle était climatisée et la fraîcheur de l’air dans la suite était particulièrement bienvenue.
« Excusez-moi mais quel est votre nom ? demanda-t-il au chasseur.
– Stefano, répondit l’intéressé.
– Savez-vous, Stefano, si un certain Hawkins est descendu ici – Nigel Hawkins ?
– L’Anglais ? Oui, il est à trois chambres de la vôtre, à droite dans le couloir. Un ami ?
– C’est un ami de mon frère. Surtout, ne lui dites rien. Peut-être que je pourrai lui faire la surprise, suggéra Jack en tendant au chasseur un billet de vingt euros.
– Bien entendu, signor.
– Très bien. Merci.
– Prego », répondit le chasseur avant de s’éloigner.
C’était peut-être un tantinet crétin, du point de vue opérationnel, se dit Jack, mais s’ils n’avaient pas une photo de leur oiseau, il fallait bien qu’ils trouvent un moyen de savoir à quoi il ressemblait. Ceci posé, il décrocha son téléphone et essaya de passer un coup de fil.
« Vous avez un appel, annonça d’une voix grave le téléphone de Brian, répétant trois fois le message avant qu’il ne parvienne à l’extraire de sa poche de veston.
– Ouais. » Qui diable pouvait bien l’appeler ?
« Aldo ? C’est Jack. Hé, je suis à l’hôtel – l’Excelsior. Vous voulez que je voie si je peux vous avoir des chambres ? C’est plutôt chouette, ici. Je crois que ça vous plairait.
– Quitte pas. » Brian posa l’appareil sur ses genoux. « Tu devineras jamais où Junior est descendu. » Il n’eut pas besoin de préciser.
« Tu plaisantes ? répondit Dominic.
– Négatif. Il veut savoir s’il doit nous réserver une chambre. Qu’est-ce que je lui dis ?
– Merde… » Un bref instant de réflexion. « Eh bien, c’est notre soutien logistique, non ?
– Ça me paraît quand même un peu gros, mais si tu le dis… » Il reprit le téléphone. « Jack, c’est affirmatif, vieux.
– Super, OK. Je vous arrange ça. À moins que je rappelle pour un contrordre, vous pouvez débarquer ici.
– Bien reçu, Jack, à plus.
– Salut », entendit Brian. Il éteignit. « Tu sais, Enzo, ça me paraît pas vraiment malin.
– Il est là-bas. Il est sur place, il a des yeux. On peut toujours renoncer s’il le faut.
– Je suppose que t’as raison. La carte signale qu’on aura un tunnel dans sept ou huit kilomètres. » L’horloge de bord indiquait 4 : 05. Ils roulaient bien mais fonçaient droit vers une montagne, passé la ville de Badgastein. Il allait leur falloir soit un tunnel, soit un gros troupeau de chèvres pour franchir l’obstacle.
Jack alluma son ordinateur. Il lui fallut dix minutes pour arriver à se brancher sur la ligne téléphonique, mais il réussit tant bien que mal et, quand il se connecta, ce fut pour découvrir que sa boîte de courrier entrant débordait de bits et d’octets à lui destinés. Il y avait un bravo de Granger pour la réussite de la mission à Vienne, même s’il n’y était pas pour grand-chose. Mais en dessous, il y avait une évaluation de Bell et Wills concernant 56MoHa. Pour l’essentiel, le rapport était décevant. M. Cinquante-Six était un agent opérationnel pour les méchants. Soit il menait des actions, soit il les organisait, et il y en avait sans doute une dans le lot qui avait entraîné la mort de plusieurs dizaines de personnes dans quatre centres commerciaux américains, le salopard méritait donc amplement de retrouver son Dieu. Il n’y avait pas d’autres précisions sur ses actes, sur l’entraînement qu’il avait reçu, ses capacités ; on ne précisait pas non plus s’il portait ou non une arme, toutes informations que Jack aurait aimé voir, mais après avoir lu les mails décryptés, il les réencrypta pour les sauvegarder dans le dossier « Action », en vue de les examiner par la suite avec les cousins.
Le tunnel évoquait une séquence de jeu vidéo. Il se prolongeait à l’infini, mais au moins le trafic ne s’entassait-il pas dans un immense brasier compact comme quelques années plus tôt dans le tunnel du Mont-Blanc entre la France et l’Italie. Après un laps de temps qui parut durer une éternité, ils débouchèrent de l’autre côté. À partir de là, la route semblait redescendre.
« Station-service dans pas longtemps », signala Brian. Et en effet, huit cents mètres plus loin, ils virent un panonceau Elf. Tant mieux, le réservoir de la Porsche avait besoin d’être rempli.
« Vu. Je m’étirerais bien un peu, et j’irais bien pisser un coup. » L’aire de service était plutôt nickel selon des critères américains et la bouffe était différente, sans les Burger King ou Roy Rogers qu’on s’attendait à trouver en Virginie – les toilettes pour hommes étaient en tout cas parfaitement in Ordnung – et le carburant était vendu au litre et pas au gallon, ce qui maquillait fort bien le prix jusqu’à ce que Dominic fasse le calcul mental. « Bon Dieu, ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère !
– C’est la boîte qui paie, vieux, nota Brian sur un ton apaisant, avant de lui passer un paquet de biscuits. Profitons-en, Enzo. L’Italie nous attend.
– T’as raison. » Le six-cylindres redémarra en ronronnant et ils reprirent la route.
« Ça fait du bien de pouvoir se dégourdir les jambes, observa Dominic en montant les rapports.
– Ouais, ça aide, renchérit Brian. Encore sept cent vingt kilomètres à tirer, si mon calcul est bon.
– Pft, une promenade de santé. Compte six heures, si la circulation est fluide. » Il rajusta ses lunettes noires et secoua les épaules. « Descendre dans le même hôtel que notre cible… merde.
– J’y ai réfléchi. Il ne nous connaît pas du tout, peut-être qu’il ne se doute même pas qu’il est filé. Réfléchis un peu : deux crises cardiaques, dont une devant témoin ; un accident de la circulation, là aussi avec un témoin qu’il connaît. D’accord, c’est plutôt pas de chance, mais pas non plus le signe manifeste d’une action hostile, non ?
– À sa place, je serais un brin nerveux.
– À sa place, il l’est sans doute déjà. S’il nous voit dans l’hôtel, on ne sera jamais que deux infidèles anonymes de plus. Sauf s’il nous voit plus d’une fois, on reste tapis dans l’herbe, pas en pleine lumière. Aucune règle ne dit que ce doit être difficile, Enzo.
– J’espère que t’as raison, Aldo. J’ai déjà donné, l’autre fois dans cette galerie marchande.
– Cent pour cent d’accord, frérot. »
Ce n’était pas la région la plus élevée des Alpes -celle-ci s’étendait au nord-ouest ; ils l’auraient néanmoins senti dans les jambes s’ils avaient dû la franchir à pied comme jadis les légions romaines, regrettant probablement leurs voies pavées. C’était sans doute mieux que la glaise, mais guère mieux, surtout quand on se trimbalait un paquetage presque aussi lourd que celui des marines en Afghanistan. Les légionnaires étaient des durs, en leur temps, et sûrement pas si différents que les gars qui faisaient aujourd’hui le boulot en tenue camouflée. Mais à l’époque, on avait une manière plus directe de se débarrasser des méchants. On tuait leur famille, leurs amis, leurs voisins, et même leurs chiens, et surtout, la chose était connue de tous. Pas vraiment idéal à l’ère de CNN, et pour dire la vérité, il n’y avait pas beaucoup de marines qui auraient accepté de participer à de tels massacres collectifs. Mais éliminer les ennemis un par un, c’était OK, tant qu’on était sûr de ne pas buter des civils innocents. Ce genre de saloperies, c’était le boulot de l’autre camp. C’était vraiment dommage qu’ils ne puissent pas régler ça à découvert sur le champ de bataille, entre hommes, mais en plus d’être vicieux, les terroristes avaient le sens pratique. Il ne servait à rien de se lancer dans une opération de combat où non seulement on risquait de perdre, mais aussi de se faire massacrer comme du bétail. De vrais hommes auraient toutefois concentré leurs forces, les auraient entraînées et équipées, avant enfin de les lâcher, au lieu de venir se faufiler comme des rats prêts à mordre les bébés dans leur berceau. Même la guerre avait ses règles, promulguées parce qu’il y avait pire que la guerre, des choses qui étaient formellement interdites aux hommes en uniforme. On ne s’en prenait pas délibérément à des non-combattants et l’on faisait tout son possible pour éviter de le faire par accident. Les marines consacraient dorénavant beaucoup de temps, d’argent et d’efforts à apprendre le combat de rues, et le plus dur était d’épargner les civils, les femmes poussant un landau – quand bien même on savait que certaines avaient des armes planquées près du bambin, et qu’elles seraient ravies de voir le dos d’un marine à deux ou trois mètres, histoire d’être sûres de loger leur balle au bon endroit. Jouer selon les règles avait ses limites. Mais pour Brian, c’était une chose du passé. Non, son frère et lui jouaient désormais le jeu selon les règles de l’ennemi, et tant que celui-ci l’ignorerait, la partie leur serait profitable. Combien de vies pouvaient-ils avoir sauvées déjà en éliminant un banquier, un recruteur et un coursier ? Le problème était qu’on ne pouvait jamais le savoir. C’était la théorie de la complexité appliquée à la vie réelle, et c’était a priori impossible. Pas plus qu’ils ne sauraient jamais combien de vies ils épargneraient peut-être en éliminant ce salopard de 56MoHa. Mais ne pas pouvoir le quantifier ne signifiait pas que ce n’était pas réel, aussi réel que ce tueur d’enfants que son frère avait envoyé ad patres en Alabama. Ils accomplissaient l’œuvre du Seigneur, même si le Seigneur n’était pas un comptable.
À l’œuvre dans les champs du Seigneur, songea Brian. Certes, ces prairies alpines étaient vertes et délicieuses, et il chercha des yeux l’agneau solitaire. Yoda-layii-oh…
« Il est descendu où ? demanda Hendley.
– À l’Excelsior, répondit Rick Bell. Il dit qu’il est à deux pas de notre ami.
– Je crois que notre garçon aurait besoin d’un petit conseil question travail de terrain, observa sombrement Granger.
– Réfléchis un peu, suggéra Bell. L’ennemi n’est au courant de rien. Ils n’ont pas plus de raisons de s’inquiéter de Jack ou des jumeaux que du plongeur de l’hôtel. Ils n’ont pas de noms, pas de faits, pas d’organisation hostile à se mettre sous la dent… merde, ils ne savent même pas avec certitude si quelqu’un est ou non lancé à leurs trousses.
– Ce n’est quand même pas très pro, persista Grenger. Si Jack se fait repérer…
– Et alors ? demanda Bell. OK, d’accord, je sais que je ne suis qu’un bureaucrate du renseignement, pas un espion, mais la logique reste la même. Ils ne savent rien, ne peuvent rien savoir du Campus. Même si 56MoHa devient nerveux, ce ne sera que de l’anxiété vague et, merde, il doit être déjà passablement angoissé. Mais on ne peut pas être espion et avoir peur de tout le monde, pas vrai ? Tant que nos gars restent noyés dans le bruit de fond, ils n’ont rien à craindre -sauf à faire vraiment un truc con, et ce n’est pas le genre de la maison, si je les connais bien. »
Tout au long de cet échange, Hendley était resté assis sans mot dire, ses yeux passant de l’un à l’autre. Donc, c’était à ça que ça devait ressembler d’être « M » dans les films de James Bond. Être le patron, ça avait ses bons moments, mais c’était aussi une source de stress. Certes, il avait cette grâce présidentielle en blanc dans un coffre, mais ce n’est pas pour autant qu’il avait envie d’y recourir un jour. Cela ferait de lui un peu plus un paria qu’il ne l’était déjà, et les journaleux ne lui laisseraient plus un instant de répit jusqu’à sa mort… pas vraiment ce dont il rêvait.
« Tant qu’ils ne se font pas passer pour le personnel d’étage et décident de le descendre dans sa chambre, songea tout haut Gerry.
– Hé, s’ils étaient cons à ce point, ils croupiraient déjà dans une prison germanique », observa Granger.
La traversée de la frontière pour entrer en Italie n’était guère plus une formalité que passer du Tennessee en Virginie, un des avantages de l’Union européenne. La première ville italienne était Villaco, dont les habitants ressemblaient plus à des Allemands qu’à des Italiens pour leurs compatriotes de la Botte, et, de là, ils prirent l’A23 en direction du sud-ouest. Ils avaient encore des progrès à faire au niveau des échangeurs, estima Dominic, mais ces routes étaient indiscutablement meilleures que celles parcourues pour les fameux Mille-Milles, la course de seize cents kilomètres des années cinquante, interdite pour cause de trop nombreux accidents parmi les spectateurs amassés sur les bas-côtés. Le paysage n’était pas différent de celui de l’Autriche, et les bâtiments de fermes étaient en gros les mêmes. Dans l’ensemble, un joli paysage, pas si différent non plus de l’est du Tennessee ou de l’ouest de la Virginie, avec ses douces collines et ses vaches qu’on devait sans doute traire deux fois par jour pour nourrir les enfants des deux côtés de la frontière. Venait ensuite Udine, puis Mestre, où ils changèrent à nouveau d’autoroute pour se retrouver sur l’A4, direction Padoue, puis l’A13, et, au bout d’une heure de route encore, arriver à Bologne. La chaîne des Apennins était sur leur gauche, et le marine en Brian contempla les reliefs et réprima un frisson en songeant aux champs de bataille qu’ils représentaient. Mais déjà son estomac s’était remis à gargouiller.
« Tu sais, Enzo, chaque ville qu’on passe a au moins un grand restaurant – pasta, fromage maison, vitello francese, une cave à se damner…
– Moi aussi, j’ai faim, Brian. Eh ouais, on est cernés par la gastronomie italienne. Hélas, on a une mission…
– J’espère que le fils de pute vaut bien ce qu’il nous fait rater, vieux.
– Ce n’est pas à nous d’en décider, frérot, nota Dominic.
– Ouais, mais ça, tu peux te le carrer où je pense. »
Dominic se mit à rire. Ça ne lui plaisait pas non plus.
La nourriture à Munich et à Vienne avait été excellente mais c’était ici qu’on avait inventé la bonne chère. Napoléon lui-même avait emmené dans ses campagnes un chef italien et l’essentiel de la cuisine française moderne dérivait directement des préceptes de cet homme, tout comme les pur-sang descendaient en ligne directe d’un étalon arabe dénommé Éclipse. Et il ne savait même pas le nom de ce grand cuisinier(9). Dommage, songea-t-il en doublant un semi-remorque dont le chauffeur connaissait sans doute les meilleurs restaus du coin. Merde.
Ils conduisaient phares allumés – une règle en Italie, et la Polizia Stradale, la police de la route, qui n’était pas réputée pour son indulgence, veillait à sa stricte application ; ils roulaient à un cent cinquante régulier, une vitesse que la Porsche semblait apprécier. L’autonomie devait être d’environ vingt-cinq miles par gallon – c’est du moins ce que calcula au pif Dominic. L’arithmétique de la conversion des litres par kilomètre en miles par gallon dépassait ses limites de concentration sur le pilotage. À Bologne, ils rejoignirent l’Ai et poursuivirent leur route vers le sud et Florence, le berceau de la famille Caruso. La route qui traversait des montagnes, en obliquant au sud-ouest, avait un tracé superbe.
Passer Florence sans s’arrêter fut difficile. Brian connaissait un petit restaurant près du Ponte Vecchio qui appartenait à des cousins éloignés, où le vin était bellissimo et la nourriture digne d’un roi, mais Rome n’était plus qu’à deux heures de route. Il se souvint d’y être allé en train, en permission, avec toutefois son ceinturon Sam Brown pour proclamer son appartenance, et, de fait, les Italiens avaient aimé les marines américains, comme tous les peuples civilisés. Il avait regretté de devoir reprendre le train pour quitter Rome et rallier Naples où mouillait son navire mais, à l’époque, il n’avait pas le choix de son emploi du temps.
Pas plus qu’aujourd’hui. Il y avait encore des montagnes mais, à présent, certains des panonceaux indiquaient Roma, et c’était bon signe.
Jack mangea au restaurant de l’Excelsior et le menu répondait à toutes ses attentes, tandis que le personnel le traitait comme le fils prodigue après une absence prolongée. Son seul reproche était que pratiquement tout le monde ici fumait. Enfin, peut-être que l’Italie ignorait les risques du tabagisme passif. Toute son enfance, il avait entendu sa mère en parler – ses remarques étaient souvent adressées à son père qui avait toujours essayé de perdre une bonne fois pour toutes cette mauvaise habitude sans jamais tout à fait y parvenir. Il prit son temps pour déguster son dîner. Seule la salade était banale. Même les Italiens ne pouvaient pas changer la laitue, quoique la sauce en fût sublime. Il avait pris une table d’angle pour mieux embrasser toute la salle. Les autres convives avaient l’air aussi banals que lui. Tous étaient bien habillés. Le livret d’accueil dans sa chambre n’avait pas signalé que la cravate était obligatoire mais il avait supposé que si et, du reste, l’Italie était la capitale mondiale de la mode. Il espérait avoir l’occasion de s’acheter ici un costume, si son emploi du temps le lui permettait.
Il y avait trente à quarante personnes dans la salle. Jack élimina les convives accompagnés de leur épouse. Donc, il recherchait un individu d’une trentaine d’années, mangeant seul, inscrit sous le nom de Nigel Hawkins. Il aboutit à trois possibilités. Il décida de rechercher les gens qui n’avaient pas le faciès arabe, ce qui en éliminait un. Bon, et maintenant ? D’abord, était-il censé prendre une quelconque initiative ? Quel risque y avait-il, tant qu’il ne se laissait pas identifier comme un agent de renseignements ?
Mais… pourquoi prendre des risques ? se demanda-t-il. Pourquoi ne pas laisser courir ?
Sur cette dernière pensée, il battit en retraite, mentalement du moins. Mieux valait identifier leur gars autrement.
Rome était en effet une ville agréable, se dit Mohammed Hassan al-Din. Il pensait périodiquement y louer un appartement, voire une maison. On pouvait même en louer une dans le quartier juif ; il y avait d’excellents restaurants casher dans cette partie de la ville, où l’on pouvait commander tout ce qu’on voulait en toute confiance. Il avait un jour visité un appartement sur la Piazza Campo di Fiori, mais bien que le prix – même pour un touriste – ne fût pas déraisonnable, l’idée de se retrouver bloqué dans un seul lieu l’avait fait reculer. Dans son activité, mieux valait demeurer mobile. Les ennemis ne pouvaient pas frapper ce qu’ils ne pouvaient pas trouver. Il avait pris déjà suffisamment de risques en tuant le juif Greengold – il avait eu droit aux remontrances de l’Émir en personne pour cette petite initiative personnelle, avec ordre de ne plus jamais rééditer ce genre de chose. Et si le Mossad l’avait pris en photo ? Quelle valeur aurait-il désormais pour l’organisation ? avait demandé l’Émir avec colère. Et cet homme était connu de ses collègues pour son caractère volcanique. Donc, fini ce genre de bêtises. Il ne portait même plus de couteau sur lui : celui-ci trônait désormais à la place d’honneur dans sa trousse de rasage, d’où il pouvait toujours le sortir pour inspecter le sang juif tachant la lame pliante.
Donc, pour l’heure, il vivait ici à Rome. La prochaine fois – après son retour au pays -, il descendrait dans un autre établissement, peut-être ce bel hôtel près de la fontaine de Trevi, même si celui-ci était mieux situé pour ses activités. Sans parler de la qualité de la cuisine. Oui, la cuisine italienne était excellente, supérieure encore à son avis à celle, plus simple, de son pays natal. L’agneau, c’était bon, mais pas tous les jours. Et ici, les gens ne vous lorgnaient pas comme un infidèle lorsque vous avaliez une gorgée de vin. Il se demanda si Mahomet avait sciemment autorisé les fidèles à boire des boissons alcoolisées à base de miel, ou s’il ne connaissait tout bonnement pas l’existence de l’hydromel. Il y avait goûté quand il faisait ses études à Cambridge et il en avait conclu qu’il fallait avoir désespérément besoin de se saouler pour y tâter – quant à passer une nuit à en boire, n’en parlons pas ! Donc, Mahomet n’était pas si parfait. Et lui non plus, se remémora le terroriste. Mais il accomplissait des tâches difficiles au nom de la Foi, alors, il avait bien le droit de prendre quelques libertés avec la voie juste. Si l’on devait vivre parmi les rats, autant avoir quelques moustaches, après tout. Le garçon vint débarrasser les assiettes et il décida de se passer de dessert. Il fallait qu’il garde la ligne s’il voulait préserver sa couverture d’homme d’affaires anglais et surtout entrer dans ses costumes Brioni. Il quitta donc la table et se dirigea vers le hall et les ascenseurs.
Ryan songea à boire un dernier verre au bar, mais préféra finalement s’en abstenir et quitter la salle. Il y avait déjà quelqu’un qui attendait l’ascenseur et il monta le premier dans la cabine. Les regards se croisèrent tandis que Ryan s’apprêtait à presser le bouton numéro deux avant de découvrir qu’il était déjà allumé. Donc, ce Rosbif bien mis – en tout cas, il avait l’air d’un Britannique – logeait à son étage… Intéressant, non ?
Il ne fallut que quelques secondes pour que la cabine s’immobilise et que les portes s’ouvrent. L’Excelsior n’est pas un hôtel aux dimensions imposantes mais c’est un hôtel luxueux, et l’autre occupant de l’ascenseur, une fois sorti, avait pris le bon couloir dans la bonne direction ; Ryan le suivit donc à distance respectueuse et, de fait, l’homme dépassa la chambre de Jack et poursuivit sa route, une porte, deux… pour s’immobiliser devant la troisième. S’étant tourné, il regarda Ryan, se demandant peut-être s’il était filé. Mais Jack s’arrêta à son tour et sortit sa clé puis, sans regarder l’autre, de ce ton détaché qu’on adopte entre inconnus, il lui lança un : « Bonne nuit.
– Bonne nuit à vous aussi, monsieur », lui répondit-on, dans un anglais des plus châtiés.
Jack pénétra dans sa chambre, tout en se disant qu’il avait déjà entendu cet accent quelque part… un accent analogue à celui des diplomates britanniques qu’il avait croisés à la Maison-Blanche, ou lors de voyages à Londres avec son père. C’était l’élocution d’un homme qui soit était né dans un manoir, soit avait l’intention d’en acheter un lorsque le moment serait venu et qu’il aurait amassé assez de livres pour prétendre au titre de pair du royaume. Il avait le teint de pêche d’un Rosbif, un accent de la haute…
… et il était descendu sous le nom de Nigel Hawkins.
« Et j’ai un de tes courriels, vieux, murmura Jack, s’adressant au tapis. Fils de pute. »
Il leur fallut près d’une heure pour naviguer à travers les rues de Rome, cité dont les édiles n’avaient jamais dû être mariés, apparemment, ni avoir la moindre notion d’urbanisme, estima Brian, en essayant de trouver un itinéraire pour rejoindre la Via Vittorio Veneto. Finalement, il sut qu’ils touchaient au but quand ils franchirent ce qui avait dû être une porte dans l’enceinte destinée à retenir Hannibal Barca, mais après un virage à gauche, puis à droite, ils comprirent que les rues de Rome avaient beau garder le même nom, elles n’allaient pas forcément toujours en ligne droite, ce qui les obligea à contourner le Palazzo Margherita pour revenir sur l’hôtel Excelsior où Dominic décida qu’il avait suffisamment conduit pour les trois prochains jours. En deux minutes, leurs sacs furent sortis de la malle et ils se retrouvèrent devant le comptoir de la réception.
« Vous avez un message vous demandant d’appeler le Signor Ryan dès votre arrivée. Vos chambres sont voisines de la sienne, les informa le réceptionniste avant de faire signe à un chasseur qui les conduisit à l’ascenseur.
– Sacré chemin, vieux, dit Brian, en s’adossant aux boiseries de la cabine.
– M’en parle pas, renchérit Dominic.
– Je veux dire, je sais que t’aimes bien les filles et les voitures rapides, mais la prochaine fois, qu’est-ce que tu dirais de prendre l’avion ? Peut-être que tu pourras emballer une hôtesse ?
– Quel con, bredouilla Dominic, en étouffant un bâillement.
– Par ici, signori, suggéra le chasseur avec un signe de la main.
– Le message à la réception… où est son auteur ?
– Le Signor Ryan ? Juste ici. » Le chasseur pointa le doigt.
« Pratique », nota Dominic avant de se raviser. Il se laissa conduire à sa chambre, puis ouvrit la porte de communication avec celle de son frère, sur quoi il gratifia le chasseur d’un généreux pourboire. Il sortit alors de sa poche le message et décrocha le téléphone.
« Allô ?
– On est juste à côté, champion. Quoi de neuf ?
– Deux chambres ?
– Affirmatif.
– Devinez qui loge après les vôtres ?
– Dis-moi.
– Un Britannique, un certain Nigel Hawkins, dit Jack à son cousin, et il attendit que la surprise passe. Bon, si on causait ?
– Passe donc nous voir, Junior. »
Cela ne prit pas plus de temps qu’il n’en fallut à Jack pour enfiler ses mocassins.
« Alors, sympa, le voyage ? » demanda Ryan.
Dominic s’était servi un verre de vin au minibar. Il n’en restait plus beaucoup. « Long.
– T’as conduit de bout en bout ?
– Hé, j’avais envie d’arriver en vie, mec.
– Quelle cloche ! railla Brian. Il croit que conduire une Porsche, c’est comme le cul… en mieux.
– Ça l’est, si t’as la bonne technique, mais même le cul, ça peut vous crever un homme. » Dominic reposa son verre « T’as pas dit… ?
– Si, tout juste. Derrière. » Jack indiqua le mur. Et porta deux doigts à ses yeux. J’ai vu le bonhomme. Il reçut deux hochements de tête en guise de réponse. « Bon, ben maintenant, les gars, tâchez de dormir un peu. Je vous appelle demain et on pourra réfléchir à notre rendez-vous. Ça baigne ?
– Ça baigne impec, confirma Brian. Tu nous sonnes aux alentours de neuf heures, d’accord ?
– Entendu. A plus. » Et Jack se dirigea vers la porte. Peu après, il était de retour à son ordinateur. Et soudain, ça fit tilt dans sa tête : il n’était pas le seul gars ici à en être équipé, non ? Ça pouvait valoir le coup d’essayer…
Huit heures arrivèrent plus vite que prévu. Mohammed se leva et aussitôt alla à son ordi vérifier le courrier. Mahmoud était à Rome lui aussi : il était arrivé la veille au soir, et presque en haut de sa liste de messages, il y avait un mail de Gadfly097, demandant un lieu de rendez-vous. Mohammed réfléchit et décida d’exercer son sens de l’humour.
Ristorante Giovanni, Piazza di Spagna, répondit-il. 13 : 30. sois prudent. Ce qui voulait dire : recours à des mesures de contre-surveillance. Il n’y avait pas de raison précise de suspecter un acte criminel dans la perte de trois agents de terrain, mais il n’avait pas atteint l’âge de trente et un ans dans le métier de l’espionnage sans avoir appris la prudence. Il s’estimait capable de discerner ce qui était ou non dangereux. Il avait éliminé David Greengold six semaines plus tôt parce que le juif n’avait pas vu la fausse boîte aux lettres lui tomber dessus… enfin, plutôt lui tomber sur la nuque, songea
Mohammed en réprimant un sourire au souvenir de cet instant. Peut-être qu’il devrait recommencer à porter le couteau, juste comme un porte-bonheur. Bien des hommes dans son métier étaient superstitieux, comme pouvait l’être un chasseur ou un athlète. Peut-être l’Emir avait-il eu raison : tuer l’agent du Mossad avait été un risque inutile et gratuit, c’était chercher les ennemis. L’organisation en avait déjà bien assez, même si les ennemis ne savaient pas qui ou quoi se cachait derrière. Mieux valait qu’ils demeurent simplement une ombre pour les infidèles… une ombre dans une pièce sombre, invisible et anonyme. Le Mossad était détesté par ses collègues, mais c’était une haine provoquée par la peur. Les juifs étaient des adversaires formidables. Ils étaient vicieux et d’une habileté infinie. Et qui pouvait dire ce qu’ils savaient, ce que les traîtres arabes achetaient avec l’argent américain pour servir les fins des juifs ? Il n’y avait pas une once de tricherie dans l’organisation mais il avait encore en tête les paroles de Youri, l’agent du KGB : La trahison n’est possible que de la part de ceux en qui vous avez confiance. Cela avait été sans doute une erreur de tuer le Russe aussi vite. C’était un espion aguerri qui avait effectué l’essentiel de sa carrière en Europe et en Amérique, et il avait sans doute une infinité d’histoires en réserve, chacune porteuse d’une salutaire leçon. Mohammed se souvenait de lui avoir parlé et il avait souvenance d’avoir été impressionné par l’ampleur de son expérience et de son jugement. L’instinct, c’était bien, mais l’instinct ne faisait souvent qu’imiter la maladie mentale avec sa paranoïa rampante. Youri avait expliqué avec force détails comment jauger les individus, et comment distinguer un professionnel d’un civil innocent. Il aurait pu leur narrer bien d’autres histoires, si la balle de 9 millimètres ne l’avait pas cueilli en pleine nuque. Cet acte avait en outre violé les admirables et strictes règles de l’hospitalité édictées par le Prophète. Si un homme mange ton sel, même si c’est un infidèle, il sera en sûreté sous ton toit. Enfin, c’était l’Émir qui avait violé cette règle, avec l’excuse boiteuse que l’homme était un athée et par conséquent en dehors de la Loi.
Mais il avait néanmoins appris un certain nombre de leçons. Tous ses courriers électroniques étaient cryptés par le meilleur programme du genre qui existe, reliés individuellement à son ordinateur personnel et par conséquent illisibles pour tout autre que lui. Donc, ses communications étaient sûres. Il n’avait pas le type arabe. Il n’avait pas l’accent arabe. Il ne s’habillait pas comme un Arabe. Dans tous les hôtels où il séjournait, il buvait de l’alcool, or chacun savait que les musulmans n’en buvaient pas. Donc, normalement, rien à craindre du point de vue de la sécurité. Bon, d’accord, le Mossad savait qu’un individu dans son genre avait tué ce porc de Greengold, mais il ne pensait pas qu’ils aient une photo de lui et, à moins qu’il n’ait été trahi par l’homme qu’il avait payé pour tromper l’espion juif, ils n’avaient aucune idée de son identité et de son activité. Youri l’avait mis en garde : on ne pouvait jamais tout savoir, n’empêche que se montrer parano à l’excès pouvait alerter l’ennemi, car les professionnels du renseignement connaissaient des « trucs » que personne d’autre n’utilisait – mais qu’une observation attentive suffisait à déceler. C’était comme une grande roue qui tournait sans cesse, revenait sans cesse au même point en décrivant toujours le même tracé, jamais en repos, mais sans jamais dévier de son axe. Une grande roue… dont il n’était qu’une dent, un rouage dont il ne savait pas au juste si la fonction était de contribuer à la faire tourner ou bien de la ralentir.
« Ah. » Il écarta cette idée. Non, il était plus qu’un rouage. Il était un des moteurs. Oh, pas bien grand peut-être, mais important, parce que même si la grande roue pouvait continuer à tourner sans lui, elle ne le ferait pas aussi vite ni aussi sûrement que maintenant. Et, si telle était la volonté de Dieu, elle continuerait à tourner jusqu’à ce qu’elle ait écrasé ses ennemis, les ennemis de l’Émir et les propres ennemis d’Allah.
Il envoya donc son message à Gadfly097 en demandant la livraison du café.
Rick Bell avait fait en sorte qu’une équipe soit sur les ordinateurs vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Curieux que le Campus ne l’ait pas fait depuis le début, mais c’était désormais le cas. Le Campus apprenait à mesure, comme tout le monde, comme chaque équipe de part et d’autre de la ligne médiane. Pour l’heure, c’était Tony Wills, mû par son constat personnel qu’il y avait six heures de décalage horaire entre l’Europe centrale et la côte Est des États-Unis. Bon informaticien, il téléchargea le message adressé par M. Cinquante-Six à 097 dans les cinq minutes après son envoi et le retransmit aussitôt à Jack.
Cela prit moins de secondes à faire qu’à penser. OK, ils connaissaient leur sujet et savaient où il était censé se trouver, et c’était d’autant mieux. Jack décrocha son téléphone.
« T’es debout ? entendit Brian.
– Je le suis maintenant, répondit-il en bougonnant. Qu’est-ce que c’est ?
– Passe prendre un café. Viens avec Dom.
– À vos ordres, chef. » On raccrocha.
« J’espère que c’est bon », dit Dominic. Il avait les yeux en trous de pine.
« Si tu veux t’élever avec les aigles dans l’air du matin, mon vieux, faut pas passer la soirée à te vautrer avec les cochons. Cool, mec. J’ai commandé du café.
– Merci. Quoi de neuf ? »
Jack se dirigea vers son ordinateur et alluma l’écran. Les deux jumeaux se penchèrent pour le déchiffrer.
« Qui est ce gars ? demanda Dominic à propos de Gadfly097.
– Il a débarqué hier de Vienne, lui aussi. »
De l’autre côté de la rue, peut-être ? songea Brian, réflexion aussitôt suivie de : A-t-il vu mon visage ?
« OK, je suppose qu’on est bons pour notre rendez-vous », conclut Brian en regardant Dom qui répondit en levant le pouce.
Le café arriva quelques minutes plus tard. Jack le servit mais ils le trouvèrent âcre, très turc, quoique encore pire que ce que les Turcs servaient. Enfin, c’était toujours mieux que pas de café du tout. Ils ne parlèrent pas du sujet en cours. Ils avaient suffisamment de métier pour ne pas causer boutique dans une pièce qui n’avait pas été sécurisée – ce qu’ils ne savaient pas faire et, du reste, ils n’avaient pas l’équipement idoine pour détecter des micros.
Jack avala son café et se dirigea vers la douche. La cabine était dotée d’une chaînette rouge, destinée à l’évidence à être tirée en cas de crise cardiaque, mais il se sentait en bonne forme de ce côté-là. Il n’en aurait pas dit autant de Dominic qui avait l’air d’une vraie ruine. Dans son cas, la douche fit des miracles et il en ressortit rasé de près, récuré et prêt à passer à l’action.
« La bouffe ici est plutôt bonne, mais je ne serais pas aussi catégorique pour le café, annonça-t-il.
– Tu parles, bon Dieu, je suis sûr qu’ils en servent du meilleur à Cuba, observa Brian. Même celui des rations de survie vaut mieux que ça.
– Personne n’est parfait, Aldo », observa Dominic. Mais il ne l’aimait pas non plus.
« Donc, disons une demi-heure ? » demanda Jack. Il lui fallait encore trois minutes pour être prêt.
« Sinon, t’envoies une ambulance », dit Enzo qui se dirigea vers la porte en espérant que les dieux de la douche seraient miséricordieux ce matin. C’était pas juste. Boire vous filait une cuite, pas conduire.
Mais une demi-heure plus tard, tous trois étaient dans le hall, impeccablement mis, ayant chaussé des lunettes noires pour se protéger de l’éclatant soleil italien qui étincelait à l’extérieur. Dominic demanda son chemin au chasseur et se vit indiquer la Via Sistina qui menait droit à l’église Trinità dei Monti ; l’escalier était juste de l’autre côté de la rue. Les marches semblaient descendre d’une petite trentaine de mètres – il y avait aussi un ascenseur qui desservait la station de métro située en contrebas, mais descendre n’avait rien d’une tâche insurmontable. Tous trois notèrent que Rome avait autant d’églises que New York de confiseries. La promenade était agréable. La scène, de fait, aurait été merveilleusement romantique avec une chouette fille au bras. L’escalier avait été dessiné suivant la pente de la colline par l’architecte Francesco De Sanctis, et il accueillait chaque année le défilé de mode de la Donna sotto le Stelle. Tout en bas était installée une fontaine décorée d’un navire en marbre qui commémorait une grande inondation – un événement où un bateau de pierre serait de piètre utilité. La piazza était située à l’intersection de deux rues seulement, l’une des deux nommée en référence à l’ambassade d’Espagne auprès du Saint-Siège. Sa superficie n’était pas très vaste -plus petite que celle de Times Square, par exemple -mais elle débordait d’activité et de circulation, avec assez de piétons pour en rendre la traversée délicate.
Le Ristorante Giovanni se trouvait sur le flanc ouest, un bâtiment anonyme de briques peintes en jaune crème, doté d’une large terrasse protégée par une banne. À l’intérieur, il y avait un bar où tout le monde avait une cigarette à la main. Y compris un agent de police en train de boire un café. Dominic et Brian entrèrent et embrassèrent la salle du regard avant de ressortir.
« Nous avons trois heures devant nous, les gars, observa Brian. Qu’est-ce qu’on fait ?
– Faut qu’on soit revenus ici quand au juste ? » demanda Jack.
Dominic consulta sa montre. « Notre ami est censé se pointer aux alentours d’une heure et demie. Disons qu’on pourrait s’installer pour déjeuner aux alentours de midi quarante-cinq, en attendant de voir. Jack, est-ce que tu pourras reconnaître le bonhomme ?
– Pas de problème, les assura Junior.
– Alors, j’imagine que nous avons deux bonnes heures à tirer. Je suis déjà venu ici, il y a deux ans. Il y a pas mal de boutiques sympa.
– Ce ne serait pas un magasin Brioni, par là ? demanda Jack, en pointant le doigt.
– On dirait bien, oui, répondit Brian. Ça ne peut pas faire de mal à notre couverture d’aller faire un peu de lèche-vitrines.
– Eh bien, allons-y. » Il n’avait encore jamais acheté de costume italien. Il avait plusieurs costumes anglais, venant du 10, Savile Row à Londres. Pourquoi ne pas se laisser tenter ici ? Le métier d’espion était quand même dingue. Ils étaient là pour tuer un terroriste mais, auparavant, ils allaient s’acheter des fringues. Même des femmes ne feraient pas une chose pareille… sauf peut-être pour des chaussures.
En fait, il y avait toutes sortes de boutiques à voir dans la Via del Babuino – la « rue du Babouin » ! -et Jack prit le temps d’en examiner un bon nombre. L’Italie était bel et bien la capitale de la mode, et il essaya une veste en soie gris perle qui semblait avoir été taillée à ses mesures par un maître couturier : il l’acheta sur-le-champ, pour huit cents euros. Il lui fallut bien sûr la porter sur l’épaule dans son sac en plastique mais n’était-ce pas une couverture superbe ? Quel agent secret irait s’encombrer d’un tel fardeau ?
Mohammed Hassan quitta l’hôtel à midi quinze, empruntant le même itinéraire que les jumeaux deux heures plus tôt. Il le connaissait bien. Il l’avait déjà pris pour aller tuer Greengold et cette idée le réconforta. C’était une belle journée ensoleillée, la température frisait les trente degrés – chaude, mais pas torride. Une journée idéale pour des touristes américains. Les chrétiens. Les juifs américains se rendaient en Israël pour pouvoir cracher sur les Arabes. Ici, ce n’étaient que des chrétiens venus prendre des photos et acheter des fringues. D’ailleurs, lui-même s’était également acheté ses costumes ici. Il y avait cette boutique Brioni, à deux pas de la Piazza di Spagna. Le vendeur, Antonio, était toujours fort aimable avec lui, pour d’autant mieux le soulager de son argent. Mais Mohammed venait lui aussi d’une culture marchande et on ne pouvait pas mépriser un homme pour ça.
C’était l’heure du déjeuner et le Ristorante Giovanni en valait bien un autre, il serait même plutôt meilleur que la plupart. Son garçon préféré le reconnut et lui indiqua sa table habituelle, du côté droit, sous la banne.
« C’est notre gars », dit Jack en inclinant son verre. Les trois Américains regardèrent son serveur lui apporter une bouteille d’eau minérale San Pellegrino, accompagnée d’un verre de glaçons. On ne voyait pas souvent de glace en Europe, où les gens pensaient que c’était réservé au ski et au patinage, mais il était évident que M. Cinquante-Six aimait boire son eau bien froide. Jack était le mieux placé pour regarder dans sa direction. « Je me demande ce qu’il aime manger.
– Le condamné est censé avoir un dernier repas correct », nota Dominic. Pas l’autre mec en Alabama, bien sûr. Il devait sans doute avoir un goût de chiotte, de toute manière. Puis il se demanda ce qu’on servait à déjeuner en enfer. « Son hôte est censé se pointer à une heure trente, non ?
– Exact. M. Cinquante-Six lui a conseillé de redoubler de prudence. Cela pourrait signifier qu’il s’assure de ne pas être suivi.
– Tu crois qu’on l’a rendu nerveux ? demanda Brian.
– Ma foi, observa Jack, ils ont connu pas mal de coups durs ces derniers temps.
– Il faut se demander ce qu’il pense », enchaîna Dominic. Il s’appuya au dossier de sa chaise et s’étira, en profitant pour jeter un coup d’œil à leur homme. Il faisait un petit peu chaud pour être en veston et cravate mais ils étaient censés avoir l’air d’hommes d’affaires, pas de touristes. Il en vint à se demander si c’était une bonne couverture ou non. Il fallait prendre la température en ligne de compte. Est-ce qu’il transpirait à cause de la mission ou de la chaleur ambiante ? Il n’avait pas été spécialement tendu à Londres, Munich ou Vienne, non ? Non, pas à ce moment-là. Mais ici, il y avait plus de monde… non, pas autant qu’à Londres, finalement.
Il est des hasards heureux et malheureux. Cette fois, ce fut un hasard malheureux. Un garçon portant un plateau de verres de chianti buta sur le grand pied d’une touriste de Chicago, venue à Rome retrouver ses racines. Le plateau rata leur table, mais les verres atterrirent sur les genoux des frangins. Tous deux avaient mis des costumes clairs à cause de la chaleur et…
« Et merde ! » s’exclama Dominic, dont le pantalon tabac Brooks Brothers donnait à présent l’impression qu’il avait reçu une balle de fusil dans le bas-ventre. Celui de Brian était dans un état encore plus lamentable.
Le garçon était atterré. « Scusi, scusi, signori ! » bredouilla-t-il. Mais il n’y avait hélas pas grand-chose à faire. Il se mit à baragouiner qu’il allait envoyer leurs vêtements au pressing. Dom et Brian s’entre-regardèrent. Ils auraient aussi bien pu porter la marque de Caïn.
« Pas de problème », dit Dominic en anglais. Il avait oublié toutes ses racines italiennes. « Il n’y a pas eu mort d’homme. » Les serviettes ne serviraient pas à grand-chose. Peut-être qu’avec un bon nettoyage à sec… et l’Excelsior devait avoir une teinturerie ou du moins en connaître une proche. Quelques clients s’étaient retournés pour regarder, horrifiés ou amusés, de sorte qu’il avait le visage aussi rouge que ses vêtements. Quand le garçon eut battu en retraite, tout penaud, l’agent du FBI demanda : « OK, et maintenant, quoi ?
– J’en sais fichtre rien, répondit Brian. Les probabilités n’ont pas joué en notre faveur, capitaine Kirk.
– Merci beaucoup, monsieur Spock, ronchonna Dom.
– Hé oh, je suis toujours moi, là ! leur rappela Jack.
– Junior, tu ne peux pas… » Mais Jack coupa Brian.
« Merde, et pourquoi pas ? demanda-t-il, tout tranquillement. C’est pas si dur que ça !
– T’as pas l’entraînement, objecta Dominic.
– C’est quand même pas les Masters de golf, non ?
– Ma foi… » Brian, à nouveau.
« Si ? » insista Jack.
Dominic sortit le stylo de sa poche de veston et le lui tendit. « Tu fais tourner la pointe et tu la lui plantes dans le cul, d’accord ?
– Le truc est prêt à partir, précisa Enzo. Mais fais gaffe, pour l’amour du ciel. »
Il était à présent treize heures vingt et une. Mohammed avait fini son verre d’eau minérale et s’en servait un autre. Mahmoud n’allait pas tarder. Pourquoi prendre le risque d’interrompre une réunion importante ? Il haussa les épaules et se leva pour se rendre aux toilettes pour hommes, lieu pour lui d’agréables souvenirs.
« T’es sûr que tu veux faire ça ? insista Brian.
– C’est un méchant, non ? Combien de temps faut-il pour que ce truc agisse ?
– Une trentaine de secondes, Jack. Sers-toi de ta tête. Si ça ne marche pas, tu renonces et tu le laisses partir, lui conseilla Dominic. C’est pas un putain de jeu, mec.
– D’accord. » Et merde, son père l’avait bien fait une ou deux fois, se dit-il. Par mesure de précaution, il intercepta un serveur et lui demanda les toilettes. Le garçon tendit le bras et Jack suivit la direction indiquée.
C’était une banale porte en bois ornée d’un pictogramme plutôt que d’une plaque écrite à cause de la clientèle internationale de l’établissement. Et si jamais le gars n’est pas seul à l’intérieur ? se demanda-t-il.
Alors, tu dégages, hé, pomme.
OK…
Il entra. Il y avait un autre client qui se séchait les mains, mais il ressortit et Ryan se retrouva seul avec 56MoHa qui venait de remonter sa braguette et s’apprêtait à se retourner. Jack sortit le stylo de sa poche intérieure et fit pivoter l’embout pour faire apparaître la pointe de l’aiguille en iridium. Il résista à l’envie instinctive de tâter celle-ci du bout du doigt, ce qui n’aurait pas été très malin, et, se glissant à côté de l’étranger bien mis, il fit retomber sa main et le cueillit en plein dans la fesse droite. Il s’attendit à entendre le chuintement du gaz mais non.
Mohammed Hassan al-Din sursauta sous la piqûre et il se retourna, découvrant alors un jeune homme ordinaire, apparemment… attendez, il avait déjà vu ce visage à l’hôtel…
« Oups, désolé de vous être rentré dedans, vieux. » Le ton adopté pour dire ça envoya un signal d’alarme dans sa conscience. C’était un Américain et il lui était rentré dedans, et il avait senti une piqûre aux fesses et…
Et lui, il avait tué le juif ici et…
« Qui êtes-vous ? »
Jack avait compté une quinzaine de secondes et il se sentait en pleine forme…
« Je suis l’homme qui vient de te tuer, 56MoHa », répondit-il sur un ton égal. Le faciès de l’homme s’était mué en celui d’une bête sauvage et dangereuse. Sa main droite glissa dans sa poche droite et en ressortit avec un couteau et, soudain, tout ça n’était plus drôle du tout.
Jack recula instinctivement d’un pas. Le visage du terroriste était l’image même de la mort. Il ouvrit le couteau à cran d’arrêt et visa la gorge de Jack. Il leva la lame, esquissa un pas en avant…
Le couteau lui échappa de la main… il regarda celle-ci, interloqué, puis releva les yeux…
… ou voulut le faire. Sa tête ne bougea pas. Ses jambes perdirent leur tonus. Il tomba comme une masse. Ses genoux rebondirent douloureusement sur le carrelage. Et il bascula en avant, tout en pivotant vers la gauche. Ses yeux restèrent ouverts et bientôt il se retrouva, le visage vers le haut, contemplant la plaque métallique collée au dos de la cuvette de l’urinoir, celle sur laquelle Greengold avait voulu récupérer la boîte, auparavant, et…
« Salutations de l’Amérique, 56MoHa. T’as fais le con avec ceux qu’il fallait pas. J’espère que tu te plairas en enfer, mec. »
Sa vision périphérique discerna la silhouette qui se dirigeait vers la porte, l’accroissement puis la diminution de la lumière quand celle-ci s’ouvrit puis se referma.
Ryan s’arrêta sur le seuil et décida de faire demi-tour. Il y avait un couteau dans la main du gars. Il prit le mouchoir dans sa poche et s’en servit pour le lui ôter de la main, puis le glisser simplement sous le corps. Mieux valait ne pas le tripoter plus, estima-t-il. Mieux valait… non, une autre idée lui vint. Il glissa la main dans la poche de pantalon de M. Cinquante-Six et trouva ce qu’il cherchait. Puis il ressortit. Le plus dingue était qu’il éprouvait comme un fait exprès une pressante envie de pisser et il s’éloigna en vitesse pour que l’envie passe. En quelques secondes, il était de retour à la table.
« Tout s’est bien passé, annonça-t-il aux frangins. J’imagine qu’il va falloir vous ramener à l’hôtel, hein ? Il y a un truc que j’ai besoin de faire. Venez », ordonna-t-il.
Dominic laissa assez d’euros sur la table pour régler le repas, plus un pourboire. Le garçon maladroit leur courut après, se proposant pour payer les frais de teinturerie, mais Brian le congédia d’un sourire, et ils traversèrent la Piazza di Spagna. Cette fois, ils prirent l’ascenseur pour monter jusqu’au parvis de l’église, puis, de là, redescendirent la rue vers leur hôtel. Ils avaient regagné l’Excelsior en huit minutes environ, les deux jumeaux l’air penaud avec leur falzar maculé de taches rouges.
Le réceptionniste le vit d’emblée et leur demanda s’ils avaient besoin d’un teinturier. « Oui, est-ce que vous pouvez nous faire monter quelqu’un ? demanda Brian.
– Bien entendu, signor. Dans cinq minutes. »
L’ascenseur n’était sans doute pas muni de micros.
« Alors ? demanda Dominic.
– Je l’ai eu, et j’ai eu ça, annonça Jack en brandissant une clé de chambre pareille aux leurs.
– Pour quoi faire ?
– Il a un ordinateur, vous vous rappelez ?
– Oh, ouais. »
Quand ils arrivèrent dans la chambre de 56MoHa, ils-découvrirent que le ménage y avait déjà été fait. Jack repassa dans sa propre chambre récupérer son portable et le disque dur externe qu’il utilisait pour ses sauvegardes. Il y restait dix gigas libres qu’il estima pouvoir remplir. Dans la chambre de la victime, il brancha le disque sur le port Firewire et alluma le portable Dell dont s’était servi feu Mohammed Hassan.
On n’avait pas le temps de finasser ; l’ordi de l’Arabe utilisait le même système d’exploitation que lui, et il put sans peine effectuer un transfert global de l’ensemble du contenu du disque dur du portable sur son disque Firewire. Cela prit six minutes, puis il nettoya soigneusement tout avec son mouchoir pour effacer les traces et ressortit, essuyant également le bouton de la porte. Il sortit juste à temps pour voir le valet de chambre repartir avec le costume de Dominic taché de vin.
« Alors ? demanda Dominic.
– C’est fait. Nos gars devraient aimer mettre la main là-dessus. » Il brandit le disque externe comme un trophée.
« Bon réflexe, mec. Et maintenant ?
– Maintenant, je prends l’avion et je rentre au bercail, les enfants. Vous envoyez un mail pour moi au siège, d’accord ?
– Ce sera fait, Junior. »
Jack refit ses bagages et appela le réceptioniste qui lui dit qu’il y avait un vol British Airways à Da Vinci pour Londres, avec correspondance pour Washington Dulles, mais qu’il faudrait qu’il se dépêche. Ce qu’il fit : quatre-vingt-dix minutes plus tard, il quittait la piste, harnaché dans le fauteuil 2A.
Mahmoud était là à l’arrivée de la police. Il reconnut le visage de son collègue quand la civière ressortit des toilettes pour hommes, et il fut abasourdi. Ce qu’il ignorait, c’est que la police s’était saisie du couteau et avait remarqué les taches de sang sur la lame. La pièce serait envoyée à leur laboratoire de police scientifique qui avait une unité d’analyse génétique dont le personnel avait été formé par la police londonienne, la meilleure dans le domaine de la recherche de preuves ADN. N’ayant plus personne à qui rendre compte, Mahmoud regagna son hôtel et réserva une place sur un vol pour Dubaï des Emirate Airways dès le lendemain. Il devait signaler son infortune à quelqu’un, peut-être à l’Émir en personne, qu’il n’avait jamais rencontré et ne connaissait que par son intimidante réputation. Il avait vu un collègue mourir, et contemplé le cadavre d’un autre. Quel horrible malheur était-ce là ? Il devrait y songer devant un verre de vin. Nul doute qu’Allah le Miséricordieux lui pardonnerait cette transgression. Il en avait trop vu en trop peu de temps.
Jack Junior eut une petite crise de tremblements lors du vol jusqu’à Heathrow. Il avait besoin de quelqu’un à qui parler, mais il lui faudrait patienter encore un bout de temps, aussi descendit-il deux mignonnettes de scotch avant l’atterrissage sur le sol britannique. Deux autres suivirent dans la cabine avant du 777 en direction de Dulles, mais le sommeil ne voulut pas venir. Il avait non seulement tué quelqu’un mais l’avait raillé, en plus. Pas de quoi être fier, mais pas de quoi louer Dieu non plus. Le disque externe contenait trois gigaoctets de données extraites du portable de 56MoHa. Que contenaient-elles au juste ? Cela, il n’en savait rien pour l’instant. Il aurait certes pu le connecter à son propre ordinateur et l’explorer, mais ça, c’était un boulot pour de vrais informaticiens. Ils avaient tué quatre individus qui avaient frappé l’Amérique et voilà que l’Amérique avait riposté sur leur terrain et selon leurs règles. L’avantage, c’était que l’ennemi n’avait pas les moyens de savoir quel genre de fauve errait dans la jungle. Ils en avaient tout juste rencontré les griffes.
À présent, ils allaient rencontrer le cerveau.