CHAPITRE X.
DANS LE NOIR
Une vague appréhension s’empara de l’esprit du Comte lorsqu’il réfléchit aux inconvénients évidents de la situation. Sérafinio bredouillait une vieille mélodie espagnole qu’il tenait de sa mère et dont il avait, depuis longtemps, oublié la signification. Elle lui revenait à l’esprit dans les moments d’émotion vive. Adelphin n’ignorait pas ce détail. Aussi passa-t-il plusieurs fois sa main le long du dos de son acolyte afin de lui donner confiance. Sérafinio se tut.
Cependant ses jambes velues tremblaient sous lui. Il n’avait jamais pu supporter la vue du néant.
Adelphin fouilla dans la poche de son gilet et sortit le briquet Dunhill en or contrepointé dont la Duchesse Adémahye de Cornembouc lui avait fait cadeau le jour qu’il était arrivé bon premier au Grand Prix des Sportsmen de Saint-Germain, qui se courait sur dix-huit trous au trot. Il pesta intérieurement en pensant que le briquet n’allait pas s’allumer, frotta la molette et le briquet ne s’alluma pas. Il réfléchit alors qu’il n’avait pas d’essence.
— Sérafinio ! dit-il à mi-voix.
— Oui, Adelphin ?
— As-tu de l’essence ?
— Oui, Adelphin !
— Donne-m’en.
— Oui, Adelphin.
Et Sérafinio tendit à Adelphin un bidon d’essence à moitié plein sur lequel il venait de trébucher.
Quelques instants après, une vague lueur nimbait l’ombre grotesque des deux hommes qui vacillait sur le mur.
— Ça va mieux, soupira le Comte. Où sommes-nous ?
— Bien malin qui le dira, grogna Sérafinio. Moi, j’estime que nous sommes dans le pétrin. Mais c’est un point de vue que je ne te force point d’adopter.
Soudain, Adelphin plongea la main dans la poche droite de son pantalon noir. Il pâlit, ses dents se serrèrent et son visage prit une teinte intermédiaire entre celle du mastic et celle d’un beau ciel méditerranéen.
— Sérafinio ! rugit-il à voix basse. On m’a volé le BARBARIN FOURCHU !…
— Tout s’éclaire ! hurla Sérafinio… et la lumière était revenue d’un seul coup.