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Le talisman de Yaël
Dès qu’il avait eu le pendentif tant recherché entre les mains, le descendant de Mévérick s’était empressé de quitter les lieux, laissant le squelette noirci derrière lui. Il n’aimait pas l’atmosphère qui régnait autour des ruines de cette cabane perdue au milieu d’une forêt trop vaste. Des relents de magie maléfique flottaient dans l’air, comme s’il rôdait une présence invisible et dangereuse.
Reparu chez lui, dans un coin reculé des Terres Intérieures, il alluma d’abord un feu pour chasser l’humidité. Il n’était pas venu depuis plusieurs semaines et l’endroit empestait, manquant d’aération. Dès que les bûches crépitèrent, il s’assit dans un vieux fauteuil, les pieds au chaud devant l’âtre. À son cou pendait le talisman retrouvé ; d’une main, il tenait le journal de son arrière-grand-père. Il ne pourrait pas crier victoire tant que le bijou ne laisserait pas échapper ce qu’il contenait depuis trop longtemps.
Fébrile, Yaël tourna les pages du manuscrit, cherchant des instructions. Son ancêtre n’avait pas eu la chance de mettre la main sur le précieux talisman, mais il avait noté tout ce qu’il savait à son sujet. Il espérait ainsi que l’un de ses descendants puisse réussir là où il avait échoué. Banni par sa famille pour avoir renié son plus illustre aïeul, Bernard le Traître s’était autrefois exilé loin de sa contrée d’origine. À l’image de Yaël aujourd’hui, il avait souhaité réparer les torts causés par Mévérick et non pas reprendre à son compte son désir insensé de domination. Pour ce faire, il s’était mis à la recherche de Séléna, la sœur jumelle disparue de Mélijna. Convaincu qu’elle pourrait lui venir en aide, longtemps il refusa de croire à la mort de cette Fille de Lune même si tout prouvait le contraire. Sa quête dura de longues années, le conduisant dans des lieux mythiques, l’obligeant à des rencontres parfois surprenantes, rarement plaisantes. Il fit de belles découvertes, mais fut aussi souvent déçu. Il était mort alors qu’il suivait une ultime piste : celle du talisman que crée instantanément la mort d’une Fille d’Alana, quelle qu’elle soit. Résigné à ne pas trouver un être de chair et de sang, il avait transféré ses espoirs sur ce bijou légendaire. Peut-être renfermait-il le secret permettant de tuer Mélijna, première étape vers un renouveau pour la Terre des Anciens.
Yaël repéra rapidement le passage susceptible de l’éclairer :
Il est dit que seule une Fille de Lune peut extraire d’un talisman lunaire les pouvoirs et le savoir qu’il contient. Ces bijoux servent de dépôt aux connaissances et peuvent être d’une aide extraordinaire pour les Filles d’Alana. J’ai cependant découvert que, dans certaines circonstances, ils peuvent également servir à la création d’un spectre de la disparue. Honneur ultime qu’Alana accorde à ses plus vaillantes Gardiennes des Passages, le retour à la vie sous cette forme n’a été observé qu’en de très rares occasions au cours des sept derniers siècles et ne peut être possible qu’avec l’accord de l’âme de la disparue. Il est donc impensable de faire revivre Acélia la Maudite pour qu’elle répare les torts qu’elle a causés puisque ce serait contraire à ce qu’elle était. Je pense cependant que le spectre de Séléna pourrait accepter de revenir pour prendre sa revanche sur sa sœur.
Yaël se passa une main sur le menton, songeur. Il retira le pendentif de son cou, le soupesant dans sa paume. Même s’il était lui-même magicien, il avait peine à croire que cette représentation d’un hippocampe pouvait contenir l’essence de la jumelle de Mélijna. Pourquoi douter maintenant, après toutes ces années de recherches ? Il se sentait un peu bête. S’obligeant à faire abstraction de cette incertitude soudaine, il reprit sa lecture.
D’après ce que j’ai découvert, n’importe qui possédant un tant soit peu de magie peut tenter de faire revivre une Fille de Lune. Le grimoire des Anciens est très clair à ce sujet. Il décrit la méthode à employer – le sortilège mixte de Milas –, soit l’incantation à prononcer, l’endroit où le faire, de même que la mixture à verser sur le talisman. Le problème réside davantage dans la complexité des trois éléments…
Le rouquin fit alors apparaître le fameux grimoire, livre qu’il avait hérité de Bernard lui-même. Il ne pouvait que remercier son ancêtre puisque les copies manuscrites de ce précieux ouvrage étaient devenues aussi rares que les Filles de Lune. Il repéra rapidement le sortilège dont il était question. La lecture des trois pages suivantes lui prouva que ce ne serait effectivement pas de tout repos…