76

SULLIVAN GOLD

Les hydrogues frappèrent Qronha 3 de partout à la fois.

Leurs engins jaillissaient des nuages, laissant une traînée de brume dans leur sillage, et leurs tirs déchiraient le ciel tels les coups de fouet d’un dresseur de lion. Leur première salve manqua le moissonneur et ricocha à travers les couches ionisées de l’atmosphère.

Les orbes de guerre émergeaient à la manière de bouées sous-marines. Un tir éventra la coque de l’un des réacteurs d’ekti, projetant des gaz catalyseurs qui agirent à la manière d’un propulseur de fusée. La poussée irrégulière fit tanguer la structure.

La voix de Sullivan retentit dans les haut-parleurs de la station :

« Vous avez toutes les raisons du monde de paniquer, mais je vous en prie, ce n’est pas le moment. Nous nous sommes entraînés mille fois pour cette situation. Que chacun se rende à son module d’évacuation. Je déclare ce moissonneur officiellement perdu. »

Les extracteurs d’ekti fonçaient dans les coursives, dégringolaient les échelles et traversaient les ponts au pas de course jusqu’aux dizaines de modules de sauvetage autonomes. Dans les explosions qui se succédaient, Sullivan essayait de rester concentré sur sa tâche.

Il héla Kolker qui se tenait debout, chancelant, sur le pont d’observation :

— Y a-t-il des vaisseaux militaires dans les environs ?

Le prêtre Vert répercuta la question en criant, comme si la qualité du télien dépendait du volume de sa voix. Ses pensées désespérées diffusèrent dans le réseau de la forêt-monde et parvinrent à la Ligue Hanséatique, aux Forces Terriennes de Défense et à ses pairs sur Theroc. Il se tourna vers Sullivan.

— La flotte nous envoie des vaisseaux. Mais ils n’arriveront pas avant demain, voire deux ou trois jours.

— Super. J’apprécie le geste, mais tout sera terminé d’ici là. (Il saisit Kolker par le bras.) Allons, il faut évacuer. J’ai promis à ma femme que je ne prendrais aucun risque inutile.

Courant à son côté sur le pont à ciel ouvert, le prêtre Vert portait à grand-peine le pot de son surgeon.

Les orbes de guerre tirèrent de nouveau, et le moissonneur tout entier trembla. Des explosions retentirent sur les ponts inférieurs. Sullivan n’avait aucune idée des dégâts, mais il savait que les hydrogues ne cesseraient pas leur assaut tant que le moissonneur ne serait pas totalement consumé.

Avant que les deux hommes aient pu atteindre la sortie du pont d’observation, deux orbes touchèrent un réservoir à moitié plein. L’onde de choc qui se propagea à travers la structure détruisit deux des énormes moteurs de sustentation. Le pont s’inclina brutalement.

Kolker trébucha et commença à glisser vers le bord ouvert sur l’extérieur.

Sans se soucier de sa propre sécurité, Sullivan vola à son secours. Le prêtre Vert chercha à empoigner une prise – et laissa échapper son pot. Celui-ci culbuta le long du pont incliné, avant de se briser sur le rebord. Kolker plongea afin de le rattraper.

— Non !

De la main gauche, Sullivan avait saisi une rambarde de soutien. Au même instant, sa main droite accrocha la cheville de son compagnon.

Marmonnant des supplications, le prêtre s’étendit au maximum… mais le surgeon bascula par-dessus le rebord et tomba dans l’atmosphère de la géante gazeuse. Kolker le contempla, les yeux exorbités d’horreur et d’incrédulité, comme s’il s’agissait de l’un de ses enfants. Sur le vaste champ de bataille qu’était devenu le ciel, le surgeon ne tarda pas à se réduire à un point minuscule.

Néanmoins, les hydrogues l’aperçurent. Sans aucune nécessité, l’un des orbes de guerre le réduisit en cendres, qui se dispersèrent dans les vents furieux.

Suant et soufflant, Sullivan resserra sa prise sur la cheville de Kolker, mais ce dernier se balançait, immobile et muet, désorienté par la rupture du télien.

Les détonations se poursuivaient. Déséquilibré, le complexe se mit à osciller comme un pendule. Sullivan saisit sa chance : profitant d’une inclinaison favorable, il ramena Kolker en sécurité juste avant que celle-ci s’inverse.

— Ressaisissez-vous ! Il faut partir !

— Mon arbre…

— Il n’y a plus rien à faire pour lui, et je ne vous laisserai pas rester prostré ainsi.

Il le remit d’autorité sur ses jambes, et ils quittèrent en courant le pont de commandement, dont le personnel avait déjà rejoint les modules de sauvetage.

— Allons-y !

Sullivan poussa Kolker à travers l’écoutille puis verrouilla la porte du module derrière lui. Du regard, il balaya la foule amassée à l’intérieur.

— Tout le monde est là ?

— Il en manque trois au module 7, dit l’administrateur.

Tassée dans un coin, Tabitha Huck baissa les yeux sur son écran.

— Le module 4 en a deux de trop.

— Et nous, sommes-nous pleins ? demanda Sullivan.

— Oui, mais on peut accueillir une dizaine de personnes supplémentaires, si un module est endommagé.

— Je n’ai vu personne d’autre sur le pont de commandement, mais je leur accorde encore trente secondes. (Une nouvelle explosion ébranla la structure.) Ordonnez à tout le monde de décoller.

L’évacuation se déroulait comme prévu, mais restait la grande inconnue : les hydrogues les poursuivraient-ils, une fois les modules lancés ? Car ils ne pouvaient espérer les semer.

Kolker ramena les genoux sur sa poitrine. Il paraissait misérable – un prêtre Vert sans son surgeon.

— Personne ne sait ce qui arrive en ce moment. Tout contact a été rompu. Ils penseront que nous avons péri.

Sullivan essaya de se montrer encourageant.

— Vous avez sonné l’alerte à temps. Les FTD sont au courant. Mais c’est à nous de nous en sortir. (Il jeta un coup d’œil à sa montre.) Le temps est écoulé, on décolle !

Ils tinrent bon, tandis que leur vaisseau rudimentaire se libérait du moissonneur condamné et montait en flèche. Autour d’eux, d’autres modules autonomes s’éjectaient, telles les spores d’un champignon.

Par le hublot, Sullivan regarda en contrebas. Les hydrogues continuaient à attaquer ce qui restait de la station.

— Ils n’ont pas l’air de vouloir nous poursuivre, dit Tabitha. Pas encore en tout cas.

Il y eut un soupir de soulagement général, suivi d’un frisson de peur rétrospective.

Pendant qu’il gagnait de l’altitude, le module pivota, de sorte que Sullivan aperçut, sur l’océan de nuages, l’immense cité flottante de Hroa’x. Les hydrogues l’avaient encerclée et avaient ouvert le feu. Déjà, de multiples brèches dans la plate-forme vomissaient de la fumée et des flammes.

— Les Ildirans sont attaqués eux aussi, lança Sullivan. Mais leur cité n’a pas été conçue pour le sauvetage de l’équipage. Ils vont tous mourir.

Dans le compartiment, ses compagnons échangèrent des murmures angoissés. Kolker regarda Sullivan, plus triste que jamais.

— Hroa’x disait qu’il ne pouvait rien y faire.

— Les Ildirans n’ont pas coutume de modifier leurs anciennes structures. Ni de planifier à l’avance.

Sullivan lorgna ses camarades éparpillés. Les autres modules disposaient eux aussi de places vacantes.

— On ne va pas les laisser périr alors qu’on a les moyens d’agir, décida-t-il enfin. Et tant pis pour l’opinion de Lydia à ce sujet.

Les réfugiés le regardèrent, incrédules. Tabitha s’exprima au nom de tous :

— On ne va tout de même pas y retourner !

— Nous y allons tous. (Il se tourna vers l’opérateur radio.) Ouvrez une fréquence vers la cité des nuages ildirane, s’il y a quelqu’un à l’écoute. Informez Hroa’x que nous sommes en chemin. Je veux tous les modules avec moi. Nous allons sauver autant d’Ildirans que possible. Nous pouvons changer la donne.

La stupéfaction qui se lisait sur le visage de Kolker se mua en quelque chose qui ressemblait à du respect. Il opina légèrement du chef.

— Mais Sullivan…, balbutia Tabitha, frappée d’horreur, on ne peut pas prendre ce risque !

— Je ne vois pas d’autre option.

Soleils éclatés
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