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RLINDA KETT
Moins de quatre jours après l’arrestation de Branson Roberts, une commission d’enquête se réunit à huis clos. Rlinda menaça de se menotter à BeBob si on ne la laissait pas assister à la séance. Bousculant les gardes sur son passage, elle pénétra dans la salle souterraine dépourvue de fenêtres.
BeBob se dirigea vers son siège d’un pas accablé. Rlinda lui donna un coup de coude dans les côtes, afin qu’il se redresse.
Son avocat commis d’office était assis à la table réservée à la défense. Il avait brièvement rencontré son client deux fois, principalement pour passer en revue la liste des faits que lui avaient fournie les FTD. D’après une note émanant du service administratif du général, un procès contradictoire n’était pas nécessaire, puisque personne ne mettait les faits en doute.
Ce qui, naturellement, n’était pas l’avis de Rlinda.
Celle-ci jeta à peine un coup d’œil à l’avocat, tandis qu’elle faisait face à Lanyan, flanqué de deux officiers subalternes. Malgré l’absence de caméras, tous portaient des uniformes impeccables.
— Madame Kett, dit Lanyan en fronçant les sourcils, vous n’êtes pas tenue d’assister à cette procédure.
— J’interviens en tant qu’avocate du capitaine Branson Roberts, répondit-elle avec un regard furieux au juriste militaire, qui gardait le nez plongé dans ses papiers. Et je serai fichtrement meilleure que votre marionnette, là-bas. Au moins moi, j’ai entendu l’accusé. Il paraît que c’est ce qu’il faut faire en premier, dans une stratégie de défense.
Piqué, l’avocat releva le menton. Les deux officiers gloussèrent jusqu’à ce que Lanyan les foudroie du regard ; aussitôt, ils retrouvèrent leur froideur professionnelle.
— Il ne s’agit que d’une audience préliminaire, madame Kett, dit Lanyan.
Rlinda se posta devant la table de la commission.
— Capitaine Kett, rectifia-t-elle. Général, laissez-moi vous rappeler ce que le capitaine Roberts a fait pour la Hanse. Vous-même avez épinglé cet homme au bout d’un hameçon et l’avez utilisé comme appât pour capturer le pirate vagabond Rand Sorengaard. Vous vous souvenez ? Il a risqué sa vie pour vous.
Lanyan ne se départit pas de son calme.
— Vous aussi avez bénéficié de la fin des méfaits de Sorengaard. Sérieusement, votre client espère-t-il obtenir notre clémence en vertu de faits qui se sont déroulés il y a huit ans ?
D’une traite, Rlinda raconta comment la plupart de leurs vaisseaux avaient été confisqués au profit de la flotte terrienne, comment BeBob avait effectué de périlleuses missions de reconnaissance contre son gré, et comment, avec la bénédiction du président Wenceslas en personne, il avait apporté sa contribution à la colonisation des mondes klikiss en transportant fournitures et provisions – ce qui l’avait amené à découvrir le massacre sur Corribus.
En désespoir de cause, Rlinda avait harcelé le président afin qu’il intervienne. Malheureusement – comme elle s’y attendait –, il avait cessé de répondre à ses appels. BeBob était tout seul.
Lanyan perdit patience.
— Vos souvenirs sont hors de propos, madame Kett. Il est un fait indéniable que le capitaine Roberts a été enrôlé dans les FTD. Par conséquent, il est soumis à la juridiction militaire. Il a déserté et s’est soustrait à la justice pendant des années. Nous sommes en guerre. Nous ne pouvons tolérer une telle attitude de la part d’un pilote des Forces Terriennes de Défense.
— Plus d’une centaine de pilotes ont abandonné leur poste, ajouta l’un des officiers, avec pour résultat une baisse de notre efficacité. Nous n’avons d’autre choix que de faire un exemple du capitaine Roberts.
L’avocat d’office ne semblait guère enclin à prendre la parole, aussi BeBob décida-t-il de s’exprimer par lui-même.
— Mais… mais vous m’avez fait chanter pour que j’effectue vos missions ! Vous m’avez utilisé comme de la chair à canon. Regardez ce qui m’est arrivé à Dasra ! Les hydrogues ont failli détruire mon vaisseau.
Le visage de Lanyan devint glacial.
— Et vous osez vous plaindre au sujet de Dasra ! À cause de vos données incomplètes, à cause de votre boulot inachevé, une équipe de surveillance et un escadron comportant plus de trois cents personnes ont été anéantis, là-bas.
BeBob baissa la tête.
— D’accord, ce n’était peut-être pas le meilleur exemple…
— Je ne suis pas sûr que nous ayons besoin d’en entendre davantage, commenta Lanyan d’un ton suffisant.
Rlinda se demanda si elle ne devrait pas frapper l’avocat pour le forcer à faire son travail. Exaspérée, elle s’avança de nouveau.
— Voilà ce qui s’appelle une « procédure sommaire », et…
— Les faits sont clairs et nets, l’interrompit Lanyan en claquant de la paume sur la table. Même le capitaine Roberts ne les nie pas. (Il se mit à les énumérer sur les doigts de la main :) Il a été enrôlé en toute légalité dans les Forces Terriennes de Défense. Son vaisseau a été légalement affecté au service armé. On a permis au capitaine Roberts de continuer à piloter à l’unique condition qu’il consacre son temps à des missions de reconnaissance. Au lieu de cela, il a fui pour ne jamais revenir. (Son regard sembla transpercer BeBob.) Niez-vous le moindre de ces faits ?
— Je suis revenu. Je suis là, n’est-ce pas ?
Rlinda se retourna vers la table réservée à la défense.
— Ne dis rien, BeBob. (Puis, elle prit à partie l’avocat :) N’est-ce pas ce que vous êtes censé lui conseiller ?
L’homme regarda BeBob d’un œil dépourvu d’expression.
— J’ai pensé qu’il comprendrait par lui-même.
Lanyan se préparait à partir.
— Je ne vois pas l’intérêt de continuer ces idioties, dit-il. L’amiral Stromo arrive de Corribus, et il faut que je m’entretienne avec lui dès que possible. Nous reprendrons la réunion demain afin d’examiner les éléments restants, mais il est clair que les preuves suffisent amplement pour engager le procès proprement dit.
Il jeta un coup d’œil aux deux officiers, qui acquiescèrent.
— Une fois que l’affaire sera devenue publique, dit le général, une expression de dégoût sur le visage, les médias vous dépeindront comme le misérable ver de terre que vous êtes. Je doute que vous obteniez beaucoup de compassion. Le président Wenceslas nous a d’ores et déjà autorisés à réclamer la peine de mort si l’on vous déclarait coupable de désertion. Il convient de sévir contre votre engeance.
Les yeux de BeBob s’agrandirent.
— La peine de mort ?
Rlinda mit les mains sur les hanches mais refoula ses cris de véhémence. De son côté, l’avocat opina d’un air solennel :
— La désertion en temps de guerre est un crime passible de mort. Il en va ainsi depuis des siècles.
D’un ton lourd de menace, Lanyan poursuivit :
— Toutefois, vos états de service constituent de légères circonstances atténuantes, de même que le sauvetage des deux survivants de Corribus. En fonction des réactions du public durant le procès en cour martiale, le roi Peter commuera peut-être la sentence en travaux forcés à perpétuité sur une planète industrielle. (Le général sourit.) Si du moins il se sent d’humeur généreuse.