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Le général Kurt Lanyan
Le Jupiter retourna sur Terre, mais pas pour un défilé de la victoire. Le président Wenceslas n’allait pas aimer. Vraiment pas.
Le général Lanyan n’avait jamais craint de se battre. Il avait eu affaire à forte partie avec les hydrogues, les robots klikiss et les compers Soldats. Mais cette fois, c’était différent. Au lieu de sécuriser quelques colonies hanséatiques, il avait peut-être déclenché une guerre contre une espèce inconnue. Si ces bestioles déferlaient sur les mondes de la Hanse, les FTD devaient s’y préparer.
Empli des colons qu’on avait secourus, le Mastodonte fit un arrêt à la base militaire martienne afin de subir des opérations de maintenance tandis qu’on débriefait l’équipage abattu. Pendant ce temps, Lanyan réquisitionna un Rémora intrasystème pour foncer vers le siège de la Hanse. Cela lui prit quelque temps. Il n’ignorait pas qu’il serait impossible de garder le mystère sur ce fiasco. Avec les nombreux témoins, sans compter les victimes, le public le découvrirait tôt ou tard.
Il usa de ses autorisations prioritaires pour circonvenir les multiples barrages de sécurité, puis atterrit au pied de la pyramide de la Hanse. Il força son chemin à travers les corridors, écartant la nuée de factionnaires, de gardiens du protocole et d’assistants qui envoyaient des messages frénétiques à leurs supérieurs. Dans les étages, il croisa Eldred Cain. Après un bref regard, ce dernier programma une réunion immédiate avec le président.
Basil Wenceslas sortit dans le couloir pour les rencontrer avant qu’ils aient pu atteindre son bureau.
— Je n’apprécie guère que l’on malmène mon emploi du temps, général.
Il se tenait, roide, au milieu du couloir recouvert d’un tapis gris. Le général sentit un nœud lui serrer l’estomac, une peur d’une nature différente de celle des batailles.
La plupart des portes des bureaux étaient ouvertes. Ministres, ambassadeurs et autres hauts fonctionnaires sortirent voir ce qui causait ce vacarme. Basil les toisa du regard.
— Veuillez nous laisser un peu d’intimité.
Tout le long du couloir, les employés se réfugièrent dans leur bureau dans un staccato de portes refermées.
— Comme vous êtes revenu bien avant la date prévue et que vous avez grand-hâte de me remettre votre rapport, je ne puis qu’en conclure que je ne vais pas aimer ce que vous allez dire. (Il croisa les bras.) Ou peut-être allez-vous me surprendre. Voilà qui me ferait plaisir, pour changer. Avez-vous de bonnes nouvelles ? Avez-vous rempli votre mission ?
— Non, monsieur le Président.
Il s’apprêtait à débiter sa peu réjouissante liste d’échecs, mais Basil leva la main.
— C’est bien ce que je pensais. Dites-moi seulement combien de colonies vous avez reprises en main avant de revenir : dix ? quinze ?
— Aucune. Nous ne sommes allés que sur Pym, où nous sommes tombés sur…
— Aucune ? Sur la vingtaine de mondes de votre liste, vous n’êtes allé que sur Pym ? Avez-vous au moins laissé un contingent sur Rheindic Co, d’où nous devions commencer la reconquête ?
— Non, monsieur. Nous avons détruit la base et le transportail. Cela s’est avéré nécessaire pour mettre tout le monde à l’abri.
— Vous avez détruit notre plaque tournante ? (Basil se massa les tempes, comme s’il refusait obstinément de comprendre l’argument de Lanyan.) Un autre échec, donc, comme celui de l’amiral Willis. Je donne à mon armée des missions simples, en lui octroyant assez d’effectifs et d’armement. Pourquoi dois-je… ?
— Monsieur le Président ! s’écria Lanyan en élevant la voix. Nous avons un sérieux problème.
Avant que Basil ait pu de nouveau l’interrompre, il raconta l’invasion de Pym par des Klikiss hostiles, et la façon dont il leur avait infligé des pertes.
— L’amiral Willis m’a déjà parlé de ces Klikiss. Le roi Peter prétend que ses prêtres Verts lui ont rapporté ces absurdités.
— Alors, préparez-vous des plans de défense ? Qu’allons-nous faire à ce sujet ? (Lanyan jeta un coup d’œil à Cain en retrait, qui semblait tout aussi troublé que lui.) Si ces Klikiss constituent une menace aussi grande que je le crains, et qu’ils décident de s’étendre au-delà de leurs mondes…
— Je crois qu’ils ne sont intéressés que par une poignée d’endroits abandonnés. (Basil eut un geste de dédain à l’égard de Lanyan, qui se raidit.) Général, vous ne vous focalisez pas sur ce qui importe le plus. J’avais espéré sécuriser les planètes de la campagne de colonisation klikiss. Mais aujourd’hui, il nous faut revoir nos priorités. Il y a peu, la Hanse comprenait près d’une centaine de mondes unifiés. À présent, je ne puis être certain que de quelques-uns d’entre eux, et de la Terre. Si les Klikiss deviennent une menace, la Hanse doit être forte. Nous devons récupérer nos planètes. Nous devons regrouper notre peuple sous une même bannière. La mienne.