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Sirix
Depuis qu’il était sorti de sa longue hibernation, des siècles plus tôt, Sirix savait que ses congénères et lui ne pouvaient avoir confiance en personne. Il haïssait les Klikiss et avait appris que les Ildirans devraient un jour être détruits, tout comme ceux qui étaient apparus récemment : les humains.
Il se refusait à croire que son armée, naguère formidable, avait été vaincue.
De sa flotte de vaisseaux terriens volés, seule subsistait une vingtaine, dont un Mastodonte. Une poignée de groupes de robots noirs provenant de diverses enclaves l’avaient ralliée. Mais Sirix et ses compagnons n’étaient pas hors de danger pour autant. Ils avaient été pourchassés par les Klikiss, dévastés par les batailles, poussés à fuir constamment.
De moins en moins nombreux, son noyau de disciples quittait un système solaire après l’autre. Deux tiers de ses compers Soldats étaient détruits. Mais plus douloureuse était la perte de milliers de robots noirs dotés d’une mémoire ancestrale. Tous ses camarades…
Sirix avait projeté de dominer le Bras spiral, de reprendre les mondes klikiss et d’annihiler les humains. Au lieu de cela, les Klikiss étaient revenus, invincibles, innombrables. Malgré l’armement des FTD et un avantage stratégique, les Klikiss avaient pris le dessus sur eux à plusieurs reprises ; ils avaient détruit leurs vaisseaux de guerre et les avaient poursuivis avec leurs nefs-essaims.
Pour l’instant, il comptait se terrer. Ses vaisseaux revenaient vers ce que Sirix considérait comme son lieu d’origine, du moins concernant cette partie de son existence. Ils arrivèrent dans le système d’Hyrillka et approchèrent de la lune de glace au sein de laquelle le premier groupe de robots noirs s’était placé en hibernation durant des milliers d’années. Conformément au marché passé avec les Ildirans – lequel s’était finalement avéré une tromperie –, les robots avaient attendu là, jusqu’à ce que le Mage Imperator d’alors ordonne d’aller sur la lune d’Hyrillka les réveiller « par accident », cinq cents ans auparavant.
Cette même lune semblait un excellent endroit pour reprendre des forces et élaborer de nouveaux plans. Ne serait-il pas plus sage de se cacher encore mille ans ? Lui et les autres robots en décideraient. Il laissa ses vaisseaux en orbite basse, pendant qu’il descendait sur la surface de glace bossuée.
Comme toujours, DP et QT l’accompagnaient.
— Pour nous, dit DP, cet endroit revêt un intérêt historique. C’est pourquoi nous avons hâte de le voir.
— La lune d’Hyrillka est désormais notre sanctuaire, car, dernièrement, nos plans ont dû subir des révisions drastiques.
Progressant à travers le terrain glacé sur sa myriade de pattes, Sirix trouva sans peine les vestiges de la crypte d’hibernation. Cinq siècles s’étant écoulés, certaines des galeries creusées par les mineurs ildirans s’étaient effondrées. Ilkot et deux de ses camarades dégagèrent le passage. D’autres robots, armés de chalumeaux des FTD, ménagèrent dans la glace de nouveaux accès jusqu’à leur base.
Une fois qu’il eut atteint une grande profondeur, où la lumière était faible et la température incroyablement basse, Sirix, entouré de ses compagnons, se sentit enfin à l’abri.
— Notre principal point faible est l’usure, dit-il aux robots noirs rassemblés. Nous avons massacré des centaines de milliers, peut-être des millions de Klikiss, et cependant leurs spécex produisent de plus en plus de guerriers, de bâtisseurs et d’autres sous-espèces.
La tête d’Ilkot pivota, ses capteurs optiques rouges faisant naître des reflets de sang sur les parois de glace.
— La disparition d’un seul d’entre nous est une perte incalculable, déclara-t-il. Irréparable.
Il avait fait le décompte : sept mille huit cent quatre-vingt-quatorze robots noirs avaient d’ores et déjà péri.
Sirix doutait qu’ils se remettraient un jour de pareille dévastation. Comme ils avaient échoué à conquérir la Terre et que les humains avaient ordonné de détruire l’usine de fabrication des compers, Sirix n’avait même plus la possibilité de regarnir ses effectifs de compers Soldats.
— Nous serions heureux de vous proposer nos conseils, dit QT.
Le savoir cumulé de milliers de robots noirs n’avait abouti à aucune solution viable, non plus que les programmes tactiques des compers Soldats. Sirix doutait que les compers de type Amical puissent offrir quoi que ce soit d’utile.
— La solution à la crise est claire, indiqua DP. Nous avons besoin de plus de robots klikiss.
Ce n’était que trop manifeste, mais Sirix savait que les compers ne suggéreraient rien de décisif.
— Il n’y a plus de robots klikiss. Nous avons réveillé tous ceux qui avaient été placés en hibernation.
— Ce n’est pas ce que suggère DP, dit QT, qui semblait être parvenu à la même conclusion. Vous devez construire de nouveaux robots klikiss. Trouvez quelqu’un qui vous en fabriquera.
Sirix s’immobilisa. Il entendit une rumeur s’élever parmi ses compagnons. Une idée si grotesque ne leur était jamais venue à l’esprit. Les robots noirs avaient été créés, programmés il y avait des millénaires par les Klikiss. Chacun d’eux était un individu, qui portait en lui une douloureuse histoire ainsi que la haine de ses créateurs. Les robots klikiss n’avaient jamais fabriqué de doubles d’eux-mêmes, comme s’ils n’étaient que de simples machines.
Mais il n’existait aucune raison essentielle pour ne pas…
— Excellente suggestion, DP et QT. Merci de votre perspicacité. (Il embrassa du regard les robots noirs autour de lui.) Nous devons nous emparer d’une usine de fabrication, et forcer les exploitants à produire ce dont nous avons besoin.