27

 

Une bohémienne vendait de la lavande à Piccadilly Circus.

— Achetez un brin, monsieur, dit-elle à l’homme qui était devant moi. Ça porte chance.

Il tenta de la contourner pour l’éviter, mais elle ne l’entendait pas ainsi.

— Juste un petit brin, insista-t-elle d’une voix geignarde, et la chance vous sourira.

Il se dégagea car elle l’avait saisi par la manche et se hâta vers l’entrée du métro.

— Va pourrir en enfer ! hurla-t-elle à sa suite. M’apercevant, elle recomposa son expression et reprit son ton geignard :

— Un petit brin de lavande, mademoiselle ? Ça vous portera chance. Les jeunes dames ont autant besoin de chance que d’un joli visage.

Je n’avais pas envie qu’elle me voue aux gémonies. Il me semblait que j’avais déjà eu mon lot de malchance. La rencontre avec Maitlesham n’avait rien arrangé, bien au contraire. Et maintenant, j’allais devoir affronter Henry.

Je sortis mon porte-monnaie et donnai six pence à la bohémienne. Une main pareille à celle d’un singe s’empara prestement de la pièce et laissa tomber la lavande dans ma paume. La main était moite et laissa une trace sur le cuir clair de mon gant.

Je remontai rapidement Regent Street. Il était près d’une heure moins dix. Etreignant toujours le brin de lavande, je franchis comme une flèche le tambour du Café Royal.

Si Henry n’était pas parti, je m’attendais à le trouver au bar. Mais il était là, juste devant moi, dans l’entrée, et avec son costume bleu foncé à rayures discrètes, il semblait presque aussi soigné de sa personne que Simon Martlesham. Il avait un œillet blanc à la boutonnière, une pochette de soie dépassait de sa poche de poitrine. L’espace d’un instant, je le vis avec les yeux de quelqu’un de Rosington. Mme Forbury et ses Veilleuses lui auraient sûrement trouvé des airs de malfrat.

— Wendy, tu es superbe ! lança-t-il en se précipitant vers moi.

Je ne pus l’empêcher de m’embrasser mais tournai la tête, et il ne réussit qu’à déposer son baiser sur mon oreille. Son odeur m’était familière, mais comme le sont les odeurs du passé. Comme un effluve qui appartenait à votre univers à une autre époque, quand vous étiez quelqu’un d’autre.

— Il faut fêter ça, disait-il. Buvons un verre. Pourquoi portes-tu ce brin de lavande ?

Je regardai le brin. Je l’avais serré si fort que la tache s’était élargie sur mon gant, qui était sans doute fichu.

— Je viens de l’acheter à une bohémienne.

— Ça ne te ressemble pas d’être superstitieuse. (Henry avait toujours l’esprit vif.) C’est l’effet que te fait Rosington ?

Je secouai la tête et dis :

— Alors, et ce verre ?

Nous entrâmes dans le bar. J’enveloppai la lavande dans un mouchoir et la fourrai dans mon sac. Quand le garçon arriva, Henry commanda deux martinis dry.

— Comme la fois où nous nous sommes rencontrés, murmura-t-il.

— Ne joue pas les sentimentaux. Ça ne te va pas. Mais j’étais contente qu’il ait choisi des martinis dry.

J’avais besoin de boire un petit coup.

— On peut déjeuner ici si tu veux, dit-il. Mais si tu préfères, on va ailleurs. J’avais pensé au Savoy.

— D’où vient tout cet argent ? demandai-je. Ta veuve velue ?

— Je te l’ai dit au téléphone. Je ne l’ai pas revue depuis… depuis le jour où je t’ai vue la dernière fois.

Heureusement, les boissons arrivèrent à ce moment-là.

— A ta santé, dit Henry.

Pendant les minutes qui suivirent, aucun de nous deux ne trouva grand-chose à dire. Nous fumâmes, finîmes nos verres, en commandâmes d’autres. Henry me demanda comment allaient les Byfield et je lui répondis qu’ils allaient très bien, que Janet et David lui transmettaient le bonjour.

— Et comment va Rosie ? Très bien.

— C’est bientôt son anniversaire, non ?

— C’était mercredi dernier.

— Ça lui fait… heu…

— Cinq ans.

— Je devrais peut-être lui envoyer un cadeau. La conversation redevint languissante.

— Nous devrions parler du divorce, dis-je enfin.

— Je pensais vraiment ce que je t’ai dit au téléphone. Je t’aime. (Il se redressa.) J’ai été stupide. Ne pourrait-on pas recommencer ?

— Je n’en vois pas l’utilité. Il y aura quelqu’un d’autre. Une autre grosse veuve, avec un gros compte en banque.

— Non. Parce que…

— Et où étais-tu passé, à propos ? Ton avocat a dit au mien que tu avais disparu dans la nature.

— J’étais en voyage d’affaires et un peu à court d’argent. (Henry regardait ses mains.) Je lui avais laissé une lettre pour toi. Il ne te l’a pas remise ?

— J’ai dit à mon avocat de la mettre au panier. C’était à peu près la seule chose utile que ce pauvre Fielder ait jamais faite pour moi. Sa note d’honoraires impayée traînait toujours dans ma chambre, à la Dark Hostelry. La somme réclamée semblait passablement importante eu égard à ce qu’il avait accompli.

— Je fais des économies pour divorcer, dis-je.

— Il y a quelqu’un d’autre ?

Je regardai Henry. Sa petite fossette au menton le faisait ressembler à un bébé monté en graine. Je l’avais toujours trouvée séduisante. Je me demande ce qu’il aurait dit si je lui avais répondu : « Oui, il y a quelqu’un d’autre. David. »

— Ça ne te regarde plus.

— Je te dois de l’argent.

— Tu en dois à beaucoup de gens.

— Tu te souviens de Grady-Goldman Associates ?

— J’aurais du mal à oublier. Il hocha la tête.

— Quand Grady a fait faillite, je me suis retrouvé avec trente pour cent des actions de la société.

Aloysius Grady avait un train de vie et un discours de riche. Il avait voulu que Henry lui monte un portefeuille d’investissements immobiliers en Europe et le gère pour son compte. Henry y avait beaucoup travaillé. Il avait même prêté de l’argent à Grady pour sa fille, qui faisait ses études en Angleterre, et il avait pris des actions de la société en garantie du prêt. Lorsqu’il avait fait faillite, l’argent s’était volatilisé et les actions avaient chuté.

— Juste après que tu… après ton départ, poursuivit Henry, j’ai reçu un télégramme de Louis Goldman. Une filiale d’Unilever voulait acheter la société et les actions étaient montées en flèche. Il était l’autre principal actionnaire et il pensait que nous pouvions les faire grimper encore si nous nous concertions.

— Allez, Henry…

— Quoi ?

— Ça ressemble encore à un de tes contes de fées.

— Ce n’est pas le cas, je te le jure. C’est pour ça que j’ai dû quitter le pays. Louis m’a acheté le billet d’avion. Je te racontais tout dans ma lettre.

J’essayai de me souvenir du siège de la société Grady-Goldman. Une vaste enceinte avec une clôture en grillage et des tas de baraquements à toiture de tôle ondulée. Un gardien noir qui faisait le thé. La Rover de Grady qui entrait dans l’enceinte dans un nuage de poussière. La fumée de cigare qui m’irritait la gorge dans un petit bureau surchauffé. Et Grady lui-même, un grand gaillard qui perdait ses fins cheveux roux et essayait de me pincer les fesses.

— Qu’est-ce qu’ils fabriquaient ? Pourquoi Unilever voulait-il racheter la société ?

— Des machines-outils. C’est pour ça que Grady-Goldman m’avait semblé être une bonne affaire au départ. Il n’y a pas beaucoup de gens qui en fabriquent au sud du Sahara. Louis avait remonté la société et la faisait tourner. Il n’y avait pas beaucoup de bénéfices à cause des dettes laissées par Grady. Mais ils avaient des ouvriers compétents, ils avaient l’usine et des clients.

— Si tu essaies de me dire que ton sens aigu des affaires t’a enrichi, je peux t’assurer que j’ai du mal à te croire…

— Ce n’est pas mon sens des affaires, mais celui de Louis. C’a été ma chance. Une chance qui m’a valu un peu plus de quarante-sept mille livres, pour être précis.

— Doux Jésus. (Je songeai au brin de lavande dans mon sac. Il semblait avoir eu un effet rétrospectif, mais pas sur la bonne personne.) Qu’est-ce que tu vas en faire ?

— Je vais t’en donner une partie. Je ne dis rien.

— J’ai pensé à des tas de choses ces derniers temps, continua Henry, apparemment content de lui.

— Grand bien te fasse. C’est une grosse responsabilité d’avoir tout cet argent à dépenser.

— C’est tout à fait ça. Changement de plan. J’en suis arrivé à la conclusion que faire carrière dans les spéculations ne me convenait pas. Je songe à reprendre l’enseignement…

Là, je me mis à rire.

— Ce n’est pas une idée aussi bête qu’elle en a l’air, se défendit-il. J’étais prof quand nous nous sommes rencontrés et ça me plaisait assez.

— Henry, tu as oublié ce qui s’est passé à la Choir School ? Ils t’ont plus ou moins flanqué à la porte. Personne ne te donnera de travail sans références.

Il prit un air suffisant.

— J’y ai pensé. Bien que, pour être honnête, je n’aie pas eu à y penser beaucoup. Quelqu’un d’autre l’a fait pour moi.

— Quelqu’un comme Louis Goldman ? J’aimerais que tu cesses de faire tant de mystères.

— Tu te rappelles que j’avais enseigné dans une autre école avant de m’installer à Rosington ? Veedon Hall. Les Cuthbertson veulent la vendre. Un de mes amis, qui fait toujours partie de l’équipe, m’a écrit alors que je ne m’y attendais pas, pour me demander si je connaîtrais quelqu’un que cela intéresserait de s’associer avec lui. C’est une affaire florissante, il y a une liste d’attente longue comme le bras et le vieux M. Cuthbertson a toujours eu un faible pour moi. Le prix aussi est super intéressant. Il suffit de trente mille livres.

— Rien ne t’empêche donc d’aller de l’avant.

— Je ne veux pas faire ça seul. Je voudrais que nous le fassions ensemble. (Je secouai la tête.) Tu sais, ça n’est pas comme s’enterrer en pleine cambrousse. (Il tendit vers moi une main que je fis semblant de ne pas voir.) Ce n’est pas loin de Basingstoke. Tu peux être en ville en un rien de temps.

— C’est trop tard.

— Je n’aurais pas dû te dire tout ça aussi vite. Excuse-moi. Ecoute, pourquoi n’y réfléchirais-tu pas pendant quelques jours ? Quelques semaines même, si tu veux. Parles-en à Janet. Maintenant, allons déjeuner.

Après cela, mon humeur changea. Je ne sais pas si c’était l’alcool ou ce qu’avait dit Henry, mais je me sentais plus heureuse. Peut-être la lavande remplissait-elle son office. Nous prîmes un taxi jusqu’au Savoy et déjeunâmes à la rôtisserie. Henry voulut du Champagne.

— Pas de Veuve Clicquot, dis-je. J’en ai ma claque, des veuves.

Il commanda une bouteille de Rœderer.

— A propos de veuves… dit-il. Cela me fait penser à quelque chose.

Il se lança dans une histoire longue et compliquée sur la veuve de Grady et ses tentatives de prendre au piège un cadre supérieur d’Unilever pour elle-même d’abord, puis, n’y réussissant pas, pour sa fille. Il finit par me faire rire. Je lui parlai ensuite de la Dark Hostelry et de mon travail. Nous fîmes des commentaires sur les habitants de l’Enceinte.

— Tu n’as pas besoin de continuer à faire ce travail si tu n’en as pas envie, dit Henry au moment du café.

— J’ai besoin de gagner ma vie maintenant, dis-je, aussi légèrement que possible.

Il sortit une enveloppe de la poche de sa veste et la posa sur la table entre nous.

— Ça dépend de toi.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un chèque de dix mille livres.

— Tu me donnes mon compte ? C’est ça ?

— Ne dis pas de bêtises, Wendy. C’est à toi. Je veux que tu le prennes.

— Une compensation pour le divorce ? C’est ça ? demandai-je en haussant le ton.

Il serra les lèvres.

— Au moins tu n’auras pas à garder ce travail sans débouchés si tu ne le veux pas, et tu ne seras pas obligée de vivre à Rosington.

— Je vais finir ce travail.

— Rien ne t’y contraint. Tu peux très bien t’arrêter maintenant.

— Ce ne serait pas correct vis-à-vis de Hudson.

— Tu ne lui dois rien, Wendy. Tu as effectué un certain travail pour lui, il t’a payée, mais il n’y a aucune raison pour que tu travailles plus longtemps que tu ne le désires.

— Je sais, mais j’aimerais le finir.

Henry mit deux cigarettes dans sa bouche, les alluma et m’en tendit une. Ça semblait tout à fait naturel. Il ne m’avait rien demandé, considérant comme allant de soi que s’il fumait une cigarette j’allais en fumer une aussi.

— En fait, il y a une autre raison, ajoutai-je.

— Je le savais bien. Il y a quelqu’un d’autre, hein ?

— Ça ne te regarde pas. Pas maintenant. (Je ris en voyant sa tête, rose sous l’effet du Champagne et de la colère.) C’est vrai, il y a quelqu’un. Il s’appelle Francis Youlgreave.

Il passa la main dans ses cheveux, laissant un épi vertical, comme il le faisait toujours quand il était perplexe.

— Tu l’as peut-être côtoyé à Rosington.

— Le salaud, marmonna Henry.

— Il est mort depuis cinquante-deux ans. C’était l’un des chanoines, au début du siècle, et aussi un poète mineur. Il a également fait un peu scandale et on l’a obligé à partir.

Le visage de Henry s’éclaira.

— Francis et moi avons donc quelque chose en commun. En dehors de toi, je veux dire.

— Il y a beaucoup de choses inexpliquées le concernant. Par exemple, personne ne semble savoir s’il est mort de mort naturelle ou s’il s’est suicidé.

— A Rosington ?

— Non… il est mort un peu plus tard, après qu’on l’eut obligé à donner sa démission. On raconte qu’on l’y a obligé parce qu’il avait fait un sermon en faveur des femmes prêtres.

Henry leva les sourcils.

— Si on faisait ça à Rosington encore aujourd’hui, on se ferait probablement rouler dans le goudron et les plumes…

— Ce n’est pas tout. Je n’arrête pas de trouver des traces de lui. Mais le plus curieux, ce qui me préoccupe, c’est qu’il se passe quelque chose, quelque chose que je ne comprends pas.

— Que veux-tu dire ?

— Quelqu’un d’autre s’intéresse à Francis Youlgreave, quelqu’un d’autre essaie d’en savoir davantage sur lui.

— Pourquoi pas ?

— Pourquoi pas, en effet. Mais il semble qu’il le fasse en se cachant.

— Tu n’en as pas l’air très sûre.

Je soupirai. Je ne l’étais pas. Personne ne semblait connaître le petit homme qui avait l’air d’un clerc de notaire, mais cela ne voulait pas dire pour autant qu’il essayait de cacher son identité. L’intérêt qu’il manifestait pour Francis pouvait s’expliquer de manière parfaitement innocente. En dehors de lui, qu’y avait-il d’autre de préoccupant ? Le fait que M. Treevor ne cessait de voir de petits bonshommes traîner autour de la Dark Hostelry ? La démence sénile ne contribue pas à faire des témoins dignes de foi. Le pigeon aux ailes coupées ? Peut-être l’idée que quelqu’un se faisait d’une bonne blague, ou tout simplement le fait d’un écolier particulièrement féru de biologie. Rien qui soit de nature à éveiller des soupçons, rien qui ait un rapport avec Francis. L’odeur tenace de ce qui pouvait être du tabac turc sur mon exemplaire des Langues des anges ? Pure coïncidence.

— Rien d’important, dis-je. En tout cas, merci pour le déjeuner. Il faut vraiment que j’y aille.

— Ne pars pas tout de suite. Rien ne presse.

— J’ai des courses à faire avant de reprendre le train.

— Où ?

— Je pensais commencer par Piccadilly, puis remonter Bond Street et Oxford Street avant de prendre le bus ou le métro jusqu’à Liverpool Street.

— Ça me paraît difficile. Je peux venir avec toi ? Porter les paquets ? Ecarter les malandrins ?

— Non, Henry. De toute manière, tu t’ennuierais.

— Je voudrais t’offrir un cadeau…

— Je ne veux pas de cadeau, merci. Je ne sais même pas si je vais acheter quelque chose. Tu ne comprendrais pas… j’ai seulement envie de faire du lèche-vitrines. Quand on fait ses courses à Rosington, on a l’impression d’être au début du siècle.

— Tu sais quoi ? Je vais t’acheter des gants. (Il prit la paire posée sur la table.) Regarde-moi ceux-là. Ils sont tout sales. Il t’en faut des neufs.

— Bon, d’accord. (Je lui souris. Si l’argent ne comptait pas, autant en profiter.) En ce cas, tu peux m’en acheter à la Regent Glove Company. Mais ce n’est pas donné.

— J’espère que non.

Henry paya l’addition et nous remontâmes le Strand.

Il voulut héler un taxi mais j’eus des remords et l’en empêchai.

— Ecoute, Henry, tu prends des taxis à tout bout de champ, tu viens de m’offrir à déjeuner au Savoy, tu es sur le point de m’acheter les gants les plus chers que j’aie jamais eus… à ce train-là, tu n’auras plus un penny dans quelques mois. Et pourquoi un taxi ? Ce n’est pas déshonorant de prendre le bus.

— J’ai l’impression que Rosington t’a donné des habitudes en dessous de ton rang, dit-il en me prenant le bras et en m’entraînant vers l’arrêt de bus. Quand tu auras fini tes emplettes, nous irons boire un verre. On peut même dîner ensemble. Ou aller au spectacle ?

— Arrête, Henry. De toute façon, je n’aurai pas le temps.

— On peut juste prendre un verre en vitesse dans liverpool Street, si tu veux.

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

— Pourquoi pas ?

Je m’arrêtai si brusquement qu’un monsieur qui arrivait derrière nous se cogna contre Henry et jura.

— Henry, rien n’a changé. C’est fini entre nous. J’ai accepté de déjeuner avec toi, mais c’est tout. Je repensai à la veuve velue pour m’endurcir le cœur.) Je ne prendrai pas de verre avec toi.

Il me regarda, l’air à la fois peiné et en colère.

— Mais, Wendy…

— Je regrette, rien de ce que tu pourras dire ne me fera changer d’avis.

Je dégageai mon bras et nous fîmes le reste du trajet jusqu’à l’arrêt de bus sans dire un mot.

C’est à peu près une minute plus tard que je changeai d’avis. Le bus arriva presque tout de suite. C’était un autobus à impériale et je m’engageai la première dans l’escalier. J’avais envie de regarder par la fenêtre les rues de Londres, de jouer les touristes sans avoir à parler à mon mari.

Henry me suivit. Il me collait plus que je n’aurais voulu. Cela me rendait nerveuse et me procurait aussi un plaisir dont je ne voulais pas. Je me retournai dans l’intention de lui décocher un regard noir. Au même instant, quelque chose m’attira l’œil.

Des passagers faisaient encore la queue pour monter dans le bus. Juste à temps, j’aperçus un petit brun en imper qui se dirigeait vers un siège au niveau inférieur. Il ne portait pas de chapeau et était chauve.

De mon poste d’observation en haut de l’escalier, je vis très distinctement que sa calvitie dessinait grosso modo la forme d’une carte d’Afrique.