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Bien que l’on fût proche de la « Nuit Courte » de l’Arundha, et malgré le soleil prometteur, la température matinale demeurait fraîche. Dans les forêts de l’Intérieur, les dernières neiges ne fondaient jamais avant les lunes d’équinoxe de printemps. Certaines années même, elles perduraient bien après, rendant le travail des champs difficile.
Jehn et son père se remirent en route. Lorsqu’ils parvinrent aux abords du village, ils s’arrêtèrent quelques instants sur le promontoire qui le dominait, pour le simple plaisir de contempler leur domaine, celui où ils étaient nés, et leurs aïeux bien avant eux.
Les légendes racontaient qu’autrefois, les ancêtres de leurs ancêtres vivaient ailleurs, dans les lointaines contrées du soleil levant, au cœur des forêts profondes. Ils savaient déjà cultiver le blé et le seigle, mais ils ignoraient l’art de fertiliser la terre. Lorsque les champs s’appauvrissaient, les villages étaient abandonnés. Et les tribus repartaient vers le couchant, à la recherche de nouveaux territoires, défrichant peu à peu les forêts immenses qu’ils rencontraient.
Un jour, ils étaient arrivés dans cette contrée bordée par une étendue d’eau immense, l’Océan, la limite du monde, à n’en pas douter. Ils avaient compris qu’ils ne pourraient jamais aller plus loin et avaient chassé des lieux les quelques hordes de Mangeurs d’hommes qui y résidaient. Ceux-ci s’étaient alors réfugiés dans les hautes terres sauvages de l’Intérieur et survivaient de chasse et de cueillette.
Les tribus avaient pris le nom de nation de la Petite Mer. De génération en génération, ils avaient perfectionné l’art de l’agriculture. Ils s’étaient installés dans ce pays protégé des dieux et ne l’avaient plus quitté. Ce phénomène avait profondément modifié leur état d’esprit. Autrefois, les hommes avaient conscience d’appartenir à la terre, la déesse-mère, Gwanea, qui leur fournissait la nourriture et toutes choses utiles. À présent, ils estimaient qu’elle leur avait fait don d’une partie d’elle-même, et que nulle autre tribu n’avait le droit de s’installer sur leur domaine sans leur accord. Avec la sédentarisation était ainsi apparue la notion de propriété.
Le village ne comptait pas moins d’une cinquantaine de demeures de bois, édifiées sur des fondations de pierres consolidées par du mortier. Les murs étaient composés de rondins liés les uns aux autres et rendus étanches par une couche interne d’argile durcie. Les toits, couverts de chaume, protégeaient de la pluie. Un système ingénieux de canalisations de bois creusées au feu permettait de recueillir l’eau dans de grandes vasques de granit taillé, ce qui évitait d’aller la chercher à la rivière. Les femmes pouvaient ainsi en puiser à volonté, sauf durant les périodes de sécheresse qui suivaient parfois la « Nuit Courte ».
Une activité intense régnait déjà dans le village. Les femmes se préparaient à partir en groupes joyeux pour la cueillette des baies sauvages et des légumes que l’on ferait sécher, comme les lentilles ou les haricots. Avec un peu de chance, elles ramèneraient aussi quelques-unes de ces fleurs immenses dont le cœur était si savoureux. Elles s’épanouissaient au début de l’été. Deux vieilles femmes emmitouflées dans des toiles de lin épaisses, le visage et les mains protégés, allaient traquer les essaims d’abeilles sauvages, dont elles prélèveraient le miel.
Une nuée d’enfants turbulents entourait les femmes. Ils n’avaient pas leurs pareils pour dénicher les œufs des oiseaux en grimpant sur les branches les plus hautes des arbres. Ils préféraient d’ailleurs ce genre d’occupation à l’enseignement rudimentaire que leur dispensait Khallas, le man’sha, ou homme-médecine du village.
Au loin, sur le chemin qui conduisait à l’Océan, des hommes dirigeaient des traîneaux tirés par des chiens. Ils partaient collecter le goémon abandonné par les marées comme une offrande. On le ferait ensuite sécher dans des huttes de branchage, puis on le brûlerait afin d’en obtenir une cendre précieuse qui fertiliserait les champs. Car le village comptait une grande majorité d’agriculteurs.
Mais on y rencontrait aussi des artisans, comme le vieil Akhoun, le tailleur de pierre. Il avait pris place devant sa maison et l’on entendait les coups sourds et précis qu’il donnait sur les pierres dures acquises à l’automne passé, et dont il taillait les haches polies les plus efficaces. À ses côtés, Maraad, le vannier, tressait ses vans dans lesquels bientôt viendraient se déverser les grains des moissons. Non loin de sa demeure s’étiraient les métiers à tisser le lin et le chanvre de Baa’Drav. Jehn se promit de lui rendre une petite visite. Aussitôt après l’Arundha, il devait épouser sa fille, la belle Myria. Il espérait qu’elle n’était pas encore partie pour les bois.
Une chaleur bien agréable l’envahit à sa pensée. Même s’il avait déjà eu l’occasion de caresser son corps tendre et ferme lors des instants magiques qui les réunissaient dans le secret de la forêt profonde, il n’avait pas encore le droit de vivre avec elle. Il lui tardait de passer une nuit entière avec elle, de sentir son corps chaud s’éveiller dans ses bras au matin, et lui réclamer l’amour qu’il brûlait de lui offrir. Le parfum de ses cheveux l’enivrait, et il aimait évoquer son visage aux courbes pures, ses yeux d’un bleu rappelant celui de l’Océan les jours de grand soleil. Ah, que vienne vite le temps des épousailles ! Les pierres mystérieuses n’avaient-elles pas le pouvoir d’accélérer le temps ?
Au loin, vers le couchant, on devinait les longs alignements de hautes pierres levées. Seul le man’sha, Khallas, connaissait leur langage mystérieux. Elles avaient été dressées quelques générations plus tôt par les anciens. Dans le secret de leur orientation, de leur hauteur, elles recelaient des messages incompréhensibles au profane, des messages qui disaient aux hommes le temps des semailles et celui des récoltes. Elles fixaient aussi les périodes des fêtes, celle de la grande réunion annuelle de troc du Ster’Agor. Elles racontaient aux initiés la course mystérieuse des étoiles dans la nuit, les différentes phases de la lune, Leh’ness, la déesse inquiétante dont le visage triste apparaissait et disparaissait tous les vingt-huit jours. Les man’shas lui prêtaient des pouvoirs étranges. Ainsi, certaines plantes médicinales ne devaient se cueillir qu’au moment où elle était pleine.
Jehn et Aalthus se remirent en route. Lorsque le jeune homme déchargea ses épaules du sanglier énorme sur la place du village, un attroupement fébrile se forma en quelques instants autour d’eux. Khallas lui-même vint les féliciter.
– Mon frère Aalthus a fait bonne chasse !
– Le mérite en revient à mon fils. Il lui a suffi d’une flèche pour clouer l’animal au sol. En vérité, il est un chasseur prodigieux.
Khallas se tourna vers Jehn et lui posa la main sur le bras.
– Ton fils est protégé des dieux, Aalthus.
Le visage du chef se figea un court instant.
– Aalthus le sait, mon frère !
Jehn ne comprit pas l’amertume soudaine de son père. Le man’sha saisit Aalthus par les épaules et éclata d’un grand rire sonore.
– Allons ! Ne nous plaignons pas, puisqu’ils vont nous permettre de manger à satiété. Ce sanglier est superbe.
Aalthus éclata de rire à son tour et envoya une bourrade affectueuse à son compagnon de toujours. En réalité, Aalthus et Khallas n’étaient pas frères. Mais leurs fonctions au sein de la tribu les avaient liés par le sang lorsqu’ils avaient été élus dans leurs rôles respectifs.
Jehn, troublé par la réaction de son père, n’eut pas le temps de s’interroger plus avant. L’apparition près de lui du visage radieux de la petite Myria lui fit tout oublier. Il ne vit plus qu’elle.
– Jehn est donc le plus grand chasseur de la tribu ! dit-elle avec un sourire qui découvrit les perles nacrées de ses dents.
Elle vint se blottir contre lui comme une chatte. Les bras du jeune homme se refermèrent sur elle en un geste possessif.
– Et Myria est la plus belle fille que Gwanea ait jamais enfantée, répondit-il.
Abandonnant le produit de sa chasse aux mains des vieilles femmes qui allaient le dépecer et le découper en morceaux, il s’éloigna, tenant jalousement la jeune fille contre lui.
– J’avais peur que tu ne sois déjà partie pour la cueillette !
– Non, rétorqua-t-elle. Pas aujourd’hui. Mon père a besoin de moi pour l’aider à rouir le lin. Je dois rester toute la journée au village. Il faut teindre les vêtements qui pareront les jeunes hommes pour l’Arundha.
Elle se fit câline.
– Je lui ai fait promettre de me laisser le soin de m’occuper de ton propre vêtement. Je connais déjà les motifs que je veux employer.
– Ah ? Et lesquels ?
– Les serpents noirs de la ruse, les…
Elle s’écarta de lui.
– Oh, et puis non, tu le verras lorsque ce sera terminé.
– Dis-le-moi ! insista-t-il en voulant l’attraper.
Elle s’échappa. Il la poursuivit ainsi, par jeu, dans le village, jusqu’au moment où il la saisit et la maintint prisonnière de ses bras. Elle éclata de son rire frais et se serra contre lui.
– Bientôt, tu seras à moi, murmura-t-il.
Elle leva ses yeux d’océan vers lui.
– Oui, toute à toi. J’ai hâte que vienne le jour de l’Arundha. Les pierres ne pourraient-elles pas accélérer le temps ?
Ému, il la serra avec force. Il avait eu la même idée quelques instants plus tôt. Elle se dégagea, un peu essoufflée.
– Jehn devrait prendre garde, déclara-t-elle. Une femme n’est pas du gibier. Tu m’as fait mal.
– Je suis désolé.
Mais elle revint dans ses bras.
– Ce n’est rien ! Avec toi, je sais que je ne crains rien ! Tu es l’homme le plus fort du village.
Une bouffée d’orgueil gonfla un instant les veines du jeune homme. Qu’il était bon de se sentir ainsi aimé et admiré ! Il répondit :
– Je crois que je vais aussi rester au village aujourd’hui. Je dois me fabriquer de nouvelles flèches. J’irai m’installer près de toi.
– Je l’espère bien.
Ils se séparèrent après un dernier baiser. Puis Jehn gagna la maison familiale, où l’attendait sa mère, Alëunda. En dehors de Myria, elle était la femme qu’il aimait le plus au monde. Avec elle, il se sentirait toujours comme un petit enfant, même s’il la dépassait de trois têtes. Lorsqu’il franchit le seuil de la grande salle, elle préparait des filets de poisson pour le fumage. Il tomba à genoux pour être à sa hauteur et enfouit son visage contre sa poitrine, une poitrine gonflée par une huitième naissance à venir.
– J’ai entendu dire que mon fils a fait bonne chasse ! dit-elle.
– Oui, mère ! Un sanglier.
Elle lui prit les mains et le regarda.
– Mon cœur se réjouit. Mais il est triste également. Car il sait que mon fils va bientôt quitter la demeure de sa mère.
– Mais je ne serai pas loin ! Tu sais bien que je resterai à Trois-Chênes.
– Puissent les dieux entendre ta voix, murmura Alëunda dans un souffle.
Jehn se redressa. Avec elle, comme avec son père, il n’y avait pas besoin de mots. Il ressentait leurs émotions à fleur d’esprit.
– Comment ma mère peut-elle penser que je quitterai un jour le village ? Ma vie est ici, avec Myria, et avec vous tous !
Elle eut un pauvre sourire.
– Nul ne connaît les desseins des dieux, mon fils !
Elle lui serra les mains avec vigueur, affichant un enthousiasme forcé.
– Mais pourquoi nous tracasser avec tout cela ? Aujourd’hui, tu es là, mon fils. Et bientôt, tu deviendras un homme-adulte. Je sais que tu triompheras de l’Arundha, comme tu as toujours triomphé de tout.
Jehn lui sourit et caressa son ventre tendu d’une vie nouvelle.
– Ma mère ne devrait pas être triste ! Le petit frère qu’elle porte ne sera-t-il pas le plus beau bébé du monde ?
Bien qu’elle ne prononçât pas un mot, il entendit la réponse, comme si elle avait été projetée dans son propre esprit. « Le plus beau bébé du monde, c’était toi, Jehn ! » Troublé, il préféra ne pas insister et offrit de l’aider. Elle accepta. Il l’observa silencieusement tandis qu’elle découpait habilement, à l’aide de son couteau de silex, les peaux écailleuses des poissons. Son intuition lui soufflait qu’Alëunda avait vécu quelque chose d’extraordinaire. Un instant magique qui avait peut-être rapport avec sa propre naissance. Mais jamais elle n’en parlerait.
Plus tard, il rendit visite à Baa’Drav, le tisserand, le père de Myria. Comme elle l’avait annoncé, la jeune fille était présente. L’artisan délaissa un instant les fusaïoles[2] qui tendaient les fils de lin et adressa un sourire espiègle au jeune homme.
– Est-ce bien à moi que tu viens rendre visite, petit ?
Puis il éclata de rire. Le terme « petit », s’appliquant à Jehn, l’avait toujours beaucoup amusé. Baa’Drav était un homme simple et bon, toujours porté sur la plaisanterie. Sa fille avait hérité de son caractère heureux.
– C’est bien à toi. Parce que ta fille est la plus belle de toute la nation, et que je vais bientôt m’unir à elle.
– Au moins, tu n’es pas hypocrite. Mais Myria a une tâche importante.
– Moi aussi, Baa’Drav. Je me contenterai donc de la regarder.
Myria trempait les longues tiges des plantes à fleur bleue dans de grandes vasques de vannerie rendues étanches par une couche d’argile. On les laisserait ainsi macérer jusqu’à ce que les fibres soient isolées. Puis on les tresserait pour fabriquer des liens et de gros cordages destinés à la construction des demeures, ou la traction des lourds mégalithes de granit.
Jehn échangea un sourire complice avec elle, laissa tomber la poche de cuir qui contenait les pointes de silex qu’il désirait monter, et s’assit en tailleur sur le sol.
Quelques instants plus tard, Akhoun, le vieux tailleur de pierre, le rejoignait. Avec un clin d’œil malicieux, il montra au jeune homme une masse de dolérite qu’il achevait de tailler.
– Cette hache sera la plus belle que j’aie jamais fabriquée, affirma-t-il d’un ton péremptoire. Regarde sa taille. Elle est adaptée à ta force, jeune chasseur. Elle sera mon cadeau pour ton mariage.
Jehn sourit. L’objet était en effet de belles dimensions. Une fois emmanchée, elle permettrait d’abattre un arbre en un temps record[3].
– Je te remercie, Akhoun.
Le vieil homme étudia un moment les pointes acérées posées sur le morceau de cuir.
– Le silex, c’est bien, déclara-t-il. Mais il y a mieux. Attends un instant.
Il se leva et s’en alla farfouiller dans sa masure. Quelques instants plus tard, il posa avec des gestes délicats trois pointes faites d’une matière étrange, d’une couleur indéfinissable, vaguement grise.
– Il n’en reste malheureusement plus beaucoup, dit-il d’un ton triste.
Jehn observa les trois objets, tandis que Akhoun commençait un étrange récit, ménageant ses effets en vieux conteur qu’il était. Intriguée, Myria vint s’asseoir près de Jehn, bientôt imité par Baa’Drav. Akhoun n’avait pas son pareil pour narrer une histoire.
– Vos oreilles et vos yeux m’appartiennent. Écoutez-moi. Il y a de cela bien des générations, il s’est passé non loin d’ici une chose extraordinaire. C’était la nuit. Une nuit sans lune, car la déesse Leh’ness se cachait du regard du dieu-soleil, Hyphrâ, dans le sein de notre mère Gwanea. Une nuit où aucun chasseur n’aurait osé sortir. Tout à coup, nos ancêtres entendirent un vent violent se lever. Inquiets, quelques hommes sortirent de leur demeure et restèrent pétrifiés de terreur.
Ce disant, il roula des yeux effrayants. Le visage de Myria pâlit. Elle saisit la main de Jehn et se blottit contre lui.
– C’était comme si le soleil s’était soudain mis à luire en pleine nuit. Et l’explication leur apparut : une étoile brillait plus fort que toutes les autres. Elle illuminait la forêt d’un éclat insoutenable. Ils comprirent qu’elle se dirigeait vers eux, car elle grossissait à vue d’œil. Dans le même temps résonnait un sifflement aigu. Ils songèrent aussitôt à fuir. Mais où auraient-ils pu aller ?
« Au loin dans la forêt, la tempête redoubla de violence, courbant, puis déracinant les arbres, jusqu’aux plus puissants des chênes. La lumière devint aveuglante. Atterrés, les hommes s’attendaient d’un instant à l’autre à être engloutis par l’haleine brûlante de l’étoile. Ils entendirent un grondement formidable, comme le hurlement poussé par un ours aussi gros qu’une montagne. L’étoile traça une longue courbe de feu dans le ciel de la nuit, et s’abattit sur la forêt, dans un vacarme si puissant qu’ils durent se boucher les oreilles. L’air de l’hiver se réchauffa brusquement, faisant fondre la neige et embrasant les arbres comme des fétus de paille. Nos ancêtres crurent que les dieux avaient décidé de les anéantir. Puis le grondement infernal s’évanouit, remplacé par le souffle d’un ouragan comme personne n’en avait jamais vu. Les maisons tremblèrent sur leurs bases. Les toits de chaume s’arrachèrent, les murs s’effondrèrent. Les hommes s’enfuirent en tous sens. Bien loin vers le nord, un feu gigantesque s’était déclaré, qui dévorait la forêt. Heureusement, il n’atteignit pas le village. Tremblant de peur, nos ancêtres se regroupèrent autour du man’sha, qui invoquait les dieux pour tenter de comprendre.
« Au matin, une pluie terrible s’abattit. Au-dessus de la forêt s’élevaient des colonnes de vapeur gigantesques, qui racontaient la lutte impitoyable que se livraient l’eau et le feu. Ce fut l’eau qui triompha. L’incendie dura deux jours, puis s’éteignit. Par chance, les hommes et les troupeaux furent épargnés. Seules les demeures avaient été touchées. Dans les jours qui suivirent, on se hâta de les reconstruire, car l’hiver était rude. Quelques hommes courageux osèrent s’aventurer à nouveau dans la forêt. À une demi-journée de marche, elle avait disparu. Ce n’était plus qu’une étendue de troncs noircis au milieu desquels gisaient les restes calcinés d’animaux qui n’avaient pas eu le temps de fuir.
« Plus loin encore, les arbres avaient été déracinés par le souffle ardent de l’étoile. Leur orientation indiquait un point central, vers lequel les anciens se dirigèrent. Quelle ne fut pas leur surprise de découvrir un énorme rocher au fond d’un profond ravin ! Un rocher d’une beauté inimaginable. Il était brisé en plusieurs endroits, et de ses plaies jaillissaient des éclats fumants, d’une dureté extraordinaire, plus grande que celle de la pierre. C’était l’étoile tombée du ciel. Elle brûlait encore. Ils comprirent qu’il s’agissait là d’un cadeau d’Urgann, le dieu du neuvième ciel.
– Que se passa-t-il alors ? demanda Myria.
– Ils amenèrent des cordes et voulurent déplacer le rocher pour le ramener au village. Mais il était beaucoup plus lourd que les pierres levées de Kher’Nach. Alors, ils prélevèrent des écailles, dont ils firent des pointes de flèches. Celles-ci sont les dernières, petite Myria. Cette histoire s’est déroulée il y a bien longtemps. Peu à peu, le vent et le sable ont recouvert l’étoile tombée du ciel. Et les arbres ont repoussé. Personne ne connaît plus son emplacement exact. Mais elle nous a fait don de ces pointes, que nous avons eu beaucoup de mal à travailler. Car il n’existe pas de roche plus dure. Les man’shas affirment même qu’il ne s’agit pas de pierre, mais d’une matière inconnue. Ils l’ont appelée l’yrhonn[4].
Jehn posa une main pleine de respect sur l’une des pointes. Elle était exceptionnellement lourde. Le vieil homme les avait travaillées « en amande », affûtant leur tranchant et leur tige pour permettre une adaptation facile dans le bois de la flèche.
– Ton cadeau est magnifique, Akhoun. Le vieil homme éclata de rire.
– Holà, petit ! Ce n’est pas encore un cadeau. Elles ne seront à toi que si tu triomphes des épreuves de l’Arundha.
Il reprit ses trois pointes, et ajouta :
– Mais je ne me fais aucun souci à ce sujet, jeune chasseur !