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Dans la résidence de l’Estrada da Penha, les préparatifs de la fête battaient leur plein. Les camionnettes de livraison se succédaient pour franchir les grilles, se garer et décharger leur contenu. Trois grandes tentes en tissu rayé blanc et jaune furent montées rapidement sur la pelouse, équipées de climatiseurs portables qui les rendaient plus confortables. Ensuite ce furent deux grandes fontaines portables munies de projecteurs, qui enverraient des jets d’eau colorée à six mètres de haut ; des tapis rouges pour accueillir les invités, les équipements sonores, un piano demi-queue pour le musicien qui jouerait pendant le cocktail, des perroquets, des colombes et des paons ; puis les tables, les chaises et le linge de table.
L’organisatrice de la soirée était une Portugaise d’âge moyen du nom d’Iselda, qui portait ses cheveux noirs en un chignon serré sur la nuque. Elle fumait l’une après l’autre sans s’arrêter de fines cigarettes brunes au filtre bleu tout en criant ses ordres au personnel.
— Ce ne sont pas les verres que j’ai commandés ! dit-elle à un livreur qui en apportait une caisse dans la tente et commençait à les déballer. J’ai commandé ceux avec le tour doré. Remballez-moi ça.
— Désolé, mademoiselle Iselda, dit le livreur chinois en regardant son reçu. Ce sont ceux qui figurent sur la liste.
— Remportez-moi ça tout de suite, répliqua-t-elle en tournant les talons dans un furieux nuage de fumée.
Un paon s’aventura sous la tente et fit une crotte sur le sol. Iselda s’empara d’un balai pour le chasser.
— Où sont les projecteurs laser ? cria-t-elle sans s’adresser à personne en particulier.
Au même instant, Stanley Ho, l’hôte de la soirée, se trouvait dans l’un des trois bureaux de sa résidence, situé celui-là à l’étage supérieur de la maison. C’était son sanctuaire. Ni les membres de son personnel ni même ses assistants n’avaient le droit d’y pénétrer. Cette pièce était décorée selon les goûts de Ho, des plus éclectiques. La table de travail provenant d’un navire ancien voisinait avec l’écran de télévision plasma dernier cri.
Une bibliothèque remplissait un mur, qui ne contenait pas les beaux livres reliés que Ho exposait dans les pièces visitées par ses invités, mais des romans d’espionnage, d’érotisme soft avec des demoiselles en détresse, ou encore des westerns en livres de poche.
Un immense tapis en laine avec un motif de phénix stylisé, tissé par un Indien navajo d’Arizona, couvrait le sol, et les murs étaient décorés d’affiches encadrées de films populaires vieux et récents. Le dessus du bureau du capitaine était un modèle de désordre. Des piles de papiers, un modèle réduit de voiture, une tasse Disney World utilisée comme porte-crayons et une lampe poussiéreuse se partageaient un espace des plus réduits.
Ho s’approcha du petit réfrigérateur en forme de coffre-fort et en sortit une bouteille d’eau. Il la déboucha et but une gorgée au goulot, puis contempla le Bouddha d’or, dans son armoire dont la porte était ouverte.
Ho essayait de décider s’il allait exposer sa dernière acquisition lors de la soirée.
Soudain, son téléphone privé sonna. C’était son assureur qui voulait prendre un rendez-vous. Ho fixa une heure et se replongea dans la contemplation de son trésor.
— Tant que nous n’avons pas de coupure de courant, dit Kevin Nixon, personne ne devrait se rendre compte de rien.
— Avez-vous reçu leur liste de chansons ? demanda Cabrillo.
— Oui, on l’a, dit Hanley en la lui tendant, et on a programmé les chansons dans l’ordinateur.
— Pas mal de son des années soixante et soixante-dix, fit remarquer Cabrillo, avec beaucoup de riffs de guitare.
— Malheureusement, on ne peut pas changer la liste des chansons sans éveiller des soupçons.
— Ce qui m’inquiète, dit Cabrillo, c’est que s’il y a des invités qui jouent de la guitare, ils verront que nous sommes en play-back.
— J’ai équipé la guitare de minuscules diodes qui sont visibles seulement à travers des lunettes spéciales, dit Nixon en souriant. Elles sont dotées d’un code couleur pour indiquer au musicien où il doit poser les doigts.
Nixon tendit à Cabrillo une guitare et une paire de lunettes de soleil à monture noire. Il passa la sangle autour de son cou et Nixon brancha la guitare.
— Le pouce, c’est violet, l’index, rouge et ensuite jaune, bleu et vert, dit Nixon. Pareil pour les barrettes. Attendez une seconde, je branche l’ordinateur.
Cabrillo enfila les lunettes et attendit. Lorsque les lumières s’allumèrent, il posa les doigts sur les cordes illuminées. Une version laborieuse de l’hymne national américain emplit la Boutique magique.
— On ne va pas remporter de Grammy Awards[7], dit Cabrillo lorsqu’il eut fini, mais ça devrait passer.
Hanley attrapa une fiole en verre contenant un liquide bleu pâle.
— Et n’oublions pas ceci, fit-il en riant. Ça vient directement des labos de Fort Dietrich dans le Maryland. Quelques gouttes dans le punch et la fête va se mettre à tourner.
— Il n’y a pas d’effets à long terme, n’est-ce pas ? demanda Cabrillo.
— Non, seulement à court terme. Il paraît que quelques gouttes de cet élixir suffisent à t’envoyer au paradis.