22

Sous ce déguisement, Juan Cabrillo ressemblait à un vieil universitaire ou un haut fonctionnaire à la retraite plutôt qu’au dirigeant d’un groupe d’intervention spéciale. Tout en marchant dans le centre-ville de Macao, il pianota sur son communicateur personnel et attendit la réponse de Hanley.

À ce moment-là, son équipe avait accompli à peu près un quart de sa mission et il y avait encore une ribambelle de variables. La première partie de l’opération s’était bien déroulée : ils avaient chargé le Bouddha à bord de l’hélicoptère et opéré une sortie en douceur, mais il n’avait aucun moyen de savoir où en était la seconde équipe. Cette information lui serait donnée par la salle de contrôle de L’Oregon.

Cabrillo venait de passer devant la boutique d’un orfèvre lorsque son communicateur se mit à vibrer.

Une adresse s’afficha sur son écran et il se dirigea aussitôt vers cette destination.

— Oui monsieur, déclarait le policier de Macao dans son téléphone portable, lui et sa femme étaient ligotés dans leurs lits.

— Ont-ils été blessés ? demanda Po.

— Non, monsieur. D’ailleurs, ceux qui ont fait ça leur avaient mis de la musique et laissé une note d’excuses.

— Comment étaient-ils attachés ? demanda Po. Ont-ils pu voir leurs agresseurs ?

— Non, concéda le policier, ils n’ont rien vu. Chacun d’eux a un petit point sur le bras, comme si on leur avait fait une piqûre, et leurs liens étaient en plastique. Ils ne se sont réveillés qu’à notre arrivée.

Cette équipe, quelle qu’elle soit, était douée, force était de le reconnaître.

— Apportez le mot d’excuses au labo, dit Po, et assurez-vous que les techniciens fouillent soigneusement la maison pour trouver des indices.

— C’est ce qu’ils sont en train de faire, répondit le policier.

— Parfait, dit Po. Je vous recontacterai.

Il coupa la communication et se tourna vers Rhee.

— Ils ont drogué l’expert de la compagnie d’assurances et sa femme, dit-il calmement, et ils ont même laissé un mot d’excuses.

Stanley Ho était de plus en plus agité. Il avait été non seulement dupé, mais roulé dans la farine. C’était ce fils de pute de marchand d’art anglais.

— Alors j’ai été piégé depuis le début ! s’écria Ho. La comtesse était une fausse, son malaise une ruse, et l’évacuation en hélico aussi.

Po leva la main pour lui faire signe de se taire car son téléphone sonnait de nouveau.

— Po.

— Chef, nous venons d’entrer dans l’appartement du gratte-ciel et nous avons découvert une femme du nom d’Iselda ligotée dans son placard.

— A-t-elle subi de mauvais traitements ?

— À part un gros manque de nicotine, non, répondit le policier. Elle a fumé un demi-paquet depuis qu’on l’a détachée.

— Est-ce qu’elle a vu ses agresseurs ?

— Elle a dit qu’elle a eu l’impression de se regarder dans un miroir, transmit le policier. Une femme déguisée de manière à lui ressembler a surgi du placard et lui a posé un chiffon imbibé de quelque chose contre la bouche. Elle ne se rappelle plus rien après.

Po posa la main sur le combiné pour s’adresser à Rhee.

— Ils avaient remplacé l’organisatrice de la soirée.

Ho leva les mains au ciel et poussa des jurons.

— Fouillez soigneusement l’appartement à la recherche d’indices, ordonna Po. Puis, faites remplir une déposition à la femme séquestrée, au poste de police.

— OK, chef, dit le policier avant que Po raccroche.

Rhee avait presque entièrement retrouvé ses esprits.

Il arpentait la pièce tout en parlant.

— Il s’agit d’une opération à gros budget, minutieusement orchestrée, dit-il. Alors prenons une minute pour réfléchir à ce qui s’est passé depuis le début.

— L’expert de l’assurance était un imposteur, dit Ho. Ils ont remplacé la coordinatrice de la réception, les musiciens, et fait entrer de faux invités.

— On dirait même qu’ils ont réussi à introduire leurs propres agents de sécurité, fit remarquer Rhee. Ceux qui devaient protéger la statue étaient les voleurs.

À cet instant, le dépanneur qui avait conduit Po au manoir entra dans le salon.

— Qu’est-ce que vous voulez ? demanda Po.

— J’ai changé vos pneus, dit-il, mais j’ai découvert un trou à l’intérieur du garde-boue.

— Ce qui signifie ?

— Je pense que quelqu’un a tiré sur votre pneu, dit le dépanneur. On trouvera sans doute une balle quelque part dans la carrosserie.

— Nous regarderons, dit Po. Si la voiture est prête, vous pouvez y aller. Adressez votre facture au poste de police.

Le dépanneur sortit.

— Il ne s’agit pas d’une association hasardeuse de voleurs, fit remarquer Rhee. Ils ont des snipers capables de tirs de longue portée, des pilotes d’hélicos et des pros du déguisement.

— Ce ne sont pas des locaux ; ça c’est sûr, murmura Po.

— Oh, merci, je me sens mieux ! persifla Ho. Au moins ce sont des professionnels qui m’ont cambriolé ! Et si vous essayiez d’abord de retrouver mon Bouddha, tous les deux, hein ? Ensuite vous pourrez réfléchir à toutes les devinettes que vous voudrez sur leur modus operandi.

À cet instant, il y avait dix-sept agents de police et deux autres inspecteurs qui fouillaient le jardin et la maison. Trois équipes avaient été envoyées à l’aéroport et deux sur les lieux des séquestrations. Toute la police de la ville était sur le coup et Ho trouvait encore le moyen de se plaindre.

— Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir, monsieur Ho, dit l’inspecteur. Nous allons les attraper.

Ho secoua la tête d’un air de dégoût et quitta la pièce.

Le défilé atteignit le bas de la colline au moment où la barge de l’arrière-port lançait les premiers feux d’artifice de la soirée. La police de Macao avait avancé rapidement pour encercler les issues de la zone où avaient été aperçus les motards. Il n’y avait aucun moyen de s’enfuir sinon à la faveur d’une fusillade générale. Ce n’était plus qu’une question de temps. L’homme qui conduisait la moto chargée du Bouddha obliqua vers une petite rue, puis klaxonna pour disperser la foule. Son équipier le suivit et ils entendirent les sirènes se rapprocher. Un grand char représentant un dragon était juste devant eux. À intervalles réguliers, sa bouche crachait du feu.

Sur L’Oregon, les yeux rivés à son écran, Max Hanley déplaça sa manette vers la gauche. Le dragon avança vers le milieu de la rue. Sur un autre écran, une caméra montrait une vue de côté. Hanley aperçut les motards. Un autre écran affichait une carte GPS de Macao avec des points clignotants qui signalaient les voitures de police. Le piège se refermait sur les deux motards. Il ajusta encore le mouvement du char, puis regarda les photocalques volés aux services des travaux publics de Macao.

* * *

Cliff Hornsby était fatigué et en nage. Les yeux sur sa montre, il se leva de la caisse sur laquelle il était assis dans l’égout pluvial, puis gonfla un coussin en plastique au bas de l’échelle métallique. Une fois que cela fut en place, il monta à l’échelle en s’assurant que la rampe en bois était solide. Satisfait, il appliqua les mains sur la plaque d’égout qu’il avait déjà enlevée une fois pour s’assurer que rien ne la coinçait.

Maintenant il n’avait plus qu’à attendre le signal.

Hanley ne quittait pas des yeux son poste de commande. Des brûleurs de gaz pour la gueule du dragon, les charges de poudre d’aluminium pour l’explosion, la manette pour contrôler les déplacements. Une voix se fit entendre dans la radio.

— Ils ont mis en place un barrage sur l’Avenida Infante D. Henrique, déclara Halpert.

— Compris, dit Hanley. Michael, c’est fini, vous pouvez mettre les voiles.

Halpert se dirigea vers son hôtel.

— Maintenant ! fit Hanley aux motards.

Hanley plaça le dragon au-dessus de la plaque d’égout et le fit s’arrêter. Grâce à la caméra sur le côté, il voyait les motards approcher.

— Ouvrez la plaque, Hornsby, ordonna-t-il.

Hornsby poussa sur la plaque et la souleva, puis il la fît glisser sur le côté et contempla les entrailles de la bête qui s’était arrêtée au-dessus de sa cachette. Il détacha une lampe torche de sa ceinture, pour étudier l’intérieur. Il vit une charpente métallique faite de tubes soudés les uns aux autres et tous recouverts d’une épaisseur de tissu. Une bouteille de gaz prolongée par un tuyau était attachée sur un côté, et de l’autre, un tube contenant une petite charge explosive qui brillait d’une faible lueur verte. Tout à coup, Hornsby entendit le bruit des motos qui approchaient et il replongea dans son trou.

La première moto passa sous le mur de tissu et s’arrêta dessous en dérapage. C’était comme sous une tente. L’intérieur du dragon faisait cinq mètres de long et plus de deux mètres de large et le sommet culminait à plus de deux mètres. En mettant pied à terre, le motard se sentit comme un gosse dans une forteresse secrète. Une fois le deuxième arrivé, Hornsby ressortit de son trou.

Bob Meadows détachait son casque. Il l’enleva et le jeta par terre.

— J’ai vu les flics, dit-il vivement. Ils sont juste au bout de la rue.

Pete Jones se débarrassa également de son casque.

— Les dés sont jetés, déclara-t-il.

— Salut Horny ! fit Meadows tout en détachant la statue de Bouddha.

Jones s’approcha et fit coulisser les charnières latérales du side-car.

— C’est lourd, Cliff.

— J’ai une rampe, répondit Horasby. Si on le pose sur le sol, puis sur la rampe, on pourra le lâcher, il tombera sur un coussin gonflable au fond.

— Rusé, fit Meadows en se débattant avec son Bouddha.

Hanley suivait les images retransmises par la caméra à l’avant du dragon. La police de Macao s’était mise en formation et les hommes avançaient avec précaution, arme au poing, au milieu de la foule divisée en deux. Il appuya sur le bouton qui faisait cracher des flammes et la gueule du dragon rugit.

Ils installèrent le Bouddha d’or en haut de la rampe puis le relâchèrent. La statue dévala le toboggan en bois, atterrit sur le coussin et tomba sur le côté. Homsby déplaça le toboggan et fit signe à Meadows et Jones d’y aller.

— Vous deux d’abord, dit-il. Retirez le toboggan quand vous serez en bas. Je vais refermer la plaque.

Meadows et Jones descendirent l’échelle. Hornsby s’approcha de la charge d’explosif sur le tube métallique et arma le tout. La lumière clignota en rouge. Il se dirigeait vers le trou quand Hanley le rappela.

— Les flics sont à une trentaine de mètres, dit-il vivement. Vous en êtes où ?

Hornsby descendit quelques barreaux de l’échelle, puis rabattit la trappe au-dessus de sa tête. Il appuya sur un petit bouton sur le revers de sa mince veste et parla.

— Nous sommes armés et la porte est refermée, dit-il. Donnez-moi dix secondes pour arriver au fond.

— OK, fît Hanley.

Hornsby atteignit le bas de l’échelle et regarda la caisse contenant le Bouddha.

— Alors, les gars, comment ça va ?

Hanley pressa un bouton qui augmenta le débit du gaz dans la bouche du dragon. Une flamme fut projetée à dix mètres et la foule eut un mouvement de recul. Puis il appuya sur le bouton de la mise à feu. Une petite explosion déchira la paroi du réservoir métallique contenant la poudre d’aluminium qui se mit à brûler en dégageant une lumière blanche et chaude. Presque immédiatement, le tissu qui couvrait le char s’enflamma. En quelques secondes, le char était un maelstrom de flammes qui s’élevaient à cinq ou six mètres de haut.

— Nous avons besoin des pompiers, dit un des policiers en donnant sa localisation.

Puis il contempla l’incendie, s’attendant à ce que deux hommes s’échappent en courant et en hurlant.

Mais rien ne sortit du brasier.

La Chevrolet blanche se gara sur le bord de la route et Cabrillo grimpa sur le siège avant. Le pilote de l’hélicoptère, George Adams, s’écarta du trottoir.

— George le grand, s’exclama-t-il, des problèmes ?

Adams avait le visage d’une pub pour l’Amérique.

Il avait une mâchoire bien dessinée, de courts cheveux châtains avec une raie sur le côté et un sourire à vendre du dentifrice. Mais il ne semblait tirer aucune vanité de son physique. Marié à sa petite amie de lycée, il avait été adjudant dans l’armée avant de rejoindre la Corporation.

— Non, monsieur, dit-il.

— Monica ? demanda Cabrillo en se tournant vers le siège arrière.

— Aucun problème, chef, dit-elle. Mais notre invité est toujours dans les vapes.

Cabrillo observa Spenser, affalé contre la fenêtre. Puis il considéra le compartiment arrière où les caisses de haut-parleurs contenaient la réplique du Bouddha.

— Est-ce que la rampe pliante a fonctionné ? demanda-t-il à Adams.

— Une merveille, assura-t-il. Nous n’avons eu qu’à ajuster les pieds à la hauteur de l’hélico, puis à faire rouler le paquet.

— Parfait. Nous avons loué une partie d’un hangar à l’aéroport, dit-il à Adams. Il faut qu’on y aille tout de suite.

Adams opina et dirigea la Chevrolet vers le pont d’où il venait.

Bouddha d'or
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