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Une légère bruine commença à tomber sur Macao. Sung Rhee et Ling Po se trouvaient sous le porche du manoir et contemplaient la ville. Po éteignit son téléphone portable et se tourna vers son supérieur. En bas de la colline, près du musée de la Marine, on voyait encore les gyrophares des camions de pompiers qui avaient éteint la Peugeot en flammes. Sur la droite, le long du cortège, une colonne de fumée éclairée par les lumières de la ville s’élevait du char en flammes.
— Quels qu’ils soient, ceux qui sont en train de voler les statues de Bouddha sont bien entraînés et bien financés, déclara-t-il.
Rhee avait retrouvé ses esprits et il était aussi furieux qu’un doberman. C’était déjà assez pénible qu’une bande de voleurs aient choisi sa ville comme terrain de jeu, mais c’était pire encore qu’ils lui aient fait prendre part au hold-up.
— Quoi qu’il se passe, dit-il, ils vont devoir faire sortir ces statues du pays.
— J’ai des hommes à l’aéroport et des patrouilles en mer, dit Po, et les douaniers à la frontière chinoise ont reçu l’ordre d’ouvrir l’œil. Ils ne pourront pas quitter Macao, ça c’est sûr.
— Tous les suspects hormis le marchand d’art britannique sont américains, dit Rhee. Est-ce que vous avez regardé la liste des visas touristiques ?
— L’autorité touristique qui délivre ces visas est fermée pour la nuit, avoua Po, mais j’enverrai quelqu’un dès demain matin.
— Ces types sont des professionnels, dit calmement Rhee. Ils ne vont pas traîner ici. Le temps que nous ayons la liste et que nous commencions à interroger tous les Américains, ils seront partis depuis belle lurette.
Le téléphone de Po sonna de nouveau ; il le déplia et appuya sur le bouton.
— Po.
— Le feu s’est propagé à un immeuble, lui rapporta un policier sur les lieux du défilé, mais les pompiers contrôlent la situation. Ils arrosent le char en ce moment, mais la structure est encore chaude et elle s’est recroquevillée sur elle-même. Cela fait un tas de métal tordu, encore trop chaud pour être inspecté.
— Vous voyez les motards au milieu de ce fatras ?
— On dirait qu’ils sont sous l’ossature du char, répondit le policier, mais c’est difficile d’avoir une certitude.
— J’arrive, fit Po. Faites reculer la foule et ordonnez aux autres chars de se rendre au point d’arrivée. Le défilé est officiellement fini.
— Parfait, chef. À tout de suite.
— Je descends au défilé, dit Po en se tournant vers Rhee. Voulez-vous m’accompagner, chef ?
Rhee réfléchit un instant.
— Je ne crois pas, Ling, dit-il. La publicité va être énorme sur ce coup-là. Il est préférable que je me rende au quartier général et que je coordonne les efforts de là-bas.
— Je comprends, chef, dit Po en s’éloignant sur l’allée.
— Trouvez ces types, dit Rhee, et ramenez-moi les statues.
— Je ferai de mon mieux, chef.
Puis Rhee ouvrit la porte du manoir et rentra pour faire son rapport au maire de Macao.
Dans le 4 x 4 Chevrolet, Juan Cabrillo changea la fréquence de sa radio pour appeler L’Oregon.
— On en est où, Max ?
Il y eut un léger décalage tandis que le signal brouillé était remis en clair pour être livré.
— L’équipe de Ross a un blessé, dit Hanley. On le soigne à l’infirmerie.
— Tiens-moi au courant dès que tu en sais plus, dit Cabrillo. Quoi d’autre ?
— L’équipe du temple est arrivée à l’égout pluvial comme prévu.
— J’ai vu la fumée, dit Cabrillo. Pas de blessé ?
— Non, dit Hanley. Jusqu’ici, ça va. Ils commencent l’exfiltration.
— Et les autres ?
— Ceux qui restent en ville ont répondu à l’appel, dit Hanley. King est revenu au bateau et il va diriger les offensives jusqu’au retour de Murphy.
— Et la troisième cible ?
— Le 737 a atterri il y a quelques instants, dit Hanley. Ils doivent passer les douanes en ce moment.
— Notre homme est toujours avec eux ?
— Il attend les instructions.
— Quoi d’autre ?
— On va bientôt attaquer la deuxième partie du plan, dit Hanley. Si ça continue comme ça, on devrait pouvoir livrer notre paquet à temps.
— Bien. Nous sommes presque à l’aéroport.
Hanley regarda le point lumineux de l’un des moniteurs.
— Je vois où tu es, Juan.
— Maintenant, je n’ai plus qu’à récupérer le paiement de notre petit bonus et on pourra repartir.
— Bonne chance, monsieur le président, dit Hanley.
— Cabrillo, terminé.
Meadows, Jones et Hornsby avaient l’air de trois touristes visitant une mine de l’Arizona.
Ils portaient des casques argentés faits de métal frappé, équipés de lampes frontales qui crachaient des faisceaux de lumière devant eux. Hornsby tenait un photocalque du réseau tentaculaire de drainage souterrain. Jones leva les yeux au moment où les premières gouttes de pluie commençaient à s’écouler par un vieux drain en tuiles le long du mur.
— Est-ce que le plan a pris en compte l’éventualité de la pluie ? demanda-t-il.
— Tant que l’averse ne dure pas, déclara Hornsby, ça devrait bien se passer.
— Et si elle dure ? demanda Jones.
— Ce serait pas terrible, concéda Hornsby.
— Donc on devrait se dépêcher, dit Meadows.
— Exactement, dit Hornsby. Mais pas la peine de s’inquiéter : le plan prévoit que nous pouvons subir six heures de pluie ininterrompue avant d’avoir de l’eau jusqu’à la poitrine.
— On peut être sortis d’ici là, dit Jones.
— C’est ce qui est prévu, acquiesça Hornsby.
Le Bouddha d’or était posé sur la rampe en bois. Lorsque Hornsby avait pénétré dans l’égout par un tunnel latéral dans la soirée, il avait apporté dans un sac quatre roues équipées de pneus en caoutchouc qui se fixaient sur la rampe. C’était du bricolage, mais cela permettrait aux trois hommes de faire rouler la statue dans les tunnels. Deux sacs gris-vert étaient posés au-dessus de la caisse et contenaient des fournitures de secours et des armes. Le tout leur arrivait à la poitrine.
— C’est par ici que je suis entré, leur montra Hornsby. C’est dommage qu’on ne puisse pas ressortir par là, il y a seulement deux cents mètres jusqu’à la grille. Le problème, c’est qu’on ressort en plein milieu de la ville et que ça doit grouiller de flics maintenant.
Meadows regarda l’itinéraire qu’indiquait Hornsby sur le plan.
— Et nous, la salle de contrôle nous a prévu quel itinéraire ?
Hornsby le lui traça avec son index.
— C’est plutôt long, fit remarquer Jones.
— Un peu plus de trois kilomètres, confirma Hornsby. Mais on ressort dans un endroit isolé, le long de l’arrière-port, là où on peut nous récupérer.
Meadows essuya le bord de son casque pour faire tomber quelques gouttes d’eau puis il se mit en place derrière le Bouddha.
— Tu as la carte, Horn Dog, dit-il. Tu n’as qu’à prendre l’avant et moi et Jonesy, on poussera à l’arrière.
Lentement, les trois hommes commencèrent leur lente progression dans le réseau souterrain. Dehors, la pluie s’intensifiait. En une heure, c’était devenu une averse de mousson.
Linda Ross entra dans la salle de contrôle de L’Oregon. Max Hanley, qui se servait une tasse de café, avait les traits tendus et Ross devina immédiatement son anxiété.
— Reinholt se remet, dit-elle doucement. C’était moins grave qu’il n’y paraissait. Si nous réussissons à éviter toute infection, il devrait bien s’en sortir.
— Est-ce qu’il aura de graves séquelles ? demanda Hanley en faisant un geste vers la cafetière.
Ross s’approcha pour se servir une tasse.
— Le haut de son oreille est arraché, dit Ross. Il lui faudra de la chirurgie plastique pour réparer ça.
— Comment il le prend ?
— Il est sorti des vapes à un moment et il a demandé où il se trouvait. Quand je lui ai dit qu’on était sur L’Oregon, il a eu l’air content.
— Les ingénieurs de propulsion sont toujours plus à l’aise à bord d’un bateau, dit Hanley.
— Comment se passe le reste de l’opération ? demanda Ross.
— Le vrai Bouddha est en ce moment dans un égout, dit Hanley en montrant un écran. Cette équipe se dirige vers le front de mer.
— Je croyais que le Bouddha était transporté par hélicoptère ? fit Ross.
— Ça, c’était le faux, répondit Hanley.
— Mais…
— Très peu de personnes avaient besoin d’être au courant, dit Hanley. Vous vous rappelez quand le président est arrivé en hydravion ?
— Bien sûr, quand nous étions en mer.
— Il revenait d’une vente aux enchères d’œuvres d’art où a été vendue la statue. C’est là que la Corporation a commencé à intervenir : nous nous sommes occupés de la livraison à Macao. C’était Gunderson le pilote et deux de nos hommes sont venus récupérer la statue dans une voiture blindée : nous pensions pouvoir nous en emparer à ce moment-là, tout simplement. Mais le marchand d’art avait d’autres projets : il voulait baiser l’acheteur en lui fourguant un faux, et donc nous nous sommes adaptés à son plan, tout en sachant où se trouvait la véritable statue.
— Donc tous ces efforts à la réception, ce n’était qu’un leurre ?
— Le but était de désarçonner les autorités et d’ajouter un peu de confusion au tableau, expliqua Hanley. En tout cas, si tout va bien, Cabrillo va s’occuper de la vente pour le marchand d’art et la Corporation empochera les bénéfices.
— Alors Reinholt s’est fait tirer dessus pour rien.
— Reinholt a été blessé pour un tas de raisons, dit Hanley. Plus une, en comptant que nous avons brouillé les pistes en faisant du marchand d’art le suspect numéro un pour la police de Macao.
— Alors c’est le marchand d’art le pigeon ?
— C’est notre Oswald.
— Diabolique, commenta Ross.
— Ce n’est pas encore fini, déclara Hanley. Il faut encore qu’on soit payés. Et qu’on se tire d’ici.
À Pékin, le ministre des Affaires étrangères, le commandant en chef de l’armée chinoise et le président Hu Jintao étaient penchés sur des photos par satellite.
— Depuis hier, dit le ministre, Novossibirsk en Sibérie est l’aéroport le plus affairé du monde. Les Russes transportent des fournitures militaires à un rythme inquiétant. Des avions-cargos atterrissent toutes les deux minutes.
Hu Jintao examinait une photographie à l’aide d’une loupe.
— Des chars, des camions de transport de troupes et des hélicoptères d’assaut sont déjà sur place.
Le commandant en chef tendit une photo à Jintao.
— Le total des équipements déjà au sol peut servir pour une force de près de quarante mille hommes et cela augmente à chaque minute.
— J’ai déjà contacté Legchog Zhuren au Tibet, dit Jintao. Il a mobilisé ses forces, qui se mettent en route vers la frontière nord.
— Combien d’hommes a-t-il ?
— Il a vingt mille hommes en tout, pour le combat et le soutien logistique au Tibet, répondit le commandant en chef.
— Donc nous en sommes déjà à deux contre un, souligna le ministre.
Jintao écarta les photographies.
— Pour garder le contrôle du Tibet, nous avons encouragé une immigration de masse depuis les autres régions de la Chine depuis des années. Zhuren a mobilisé les citoyens chinois du Tibet et les a enrôlés dans l’armée. Cela nous fait à peu près vingt mille de plus en âge de combattre. Certains ont déjà quitté Lhassa et marchent vers le nord ; nous essayons de les entraîner tout en avançant.
— Les Russes ont des troupes d’élite, intervint le commandant en chef des armées. Nos nouvelles recrues fraîchement sorties de leurs fermes et de leurs boutiques se feront écraser.
— Seulement si les Russes traversent la frontière, fit remarquer le ministre. Ils ne cessent d’assurer par la voie diplomatique qu’il ne s’agit que d’un exercice.
— Un sacré exercice, dit Jintao, songeur.
Il se cala dans son fauteuil pour réfléchir. La dernière chose qu’il voulait, c’était un affrontement avec les Russes, mais il ne pouvait pas non plus ignorer la menace.