L’ATTRAPE-MALICES
L’attrape-malices regarde dans les coins et ne se laisse pas rouler. Il sait ce qui se cache derrière des masques innocents, il saisit dans un éclair ce qu’on veut de lui, et avant que le masque tombe de lui-même, il l’arrache résolument.
L’attrape-malices sait aussi attendre son heure. Il se répand parmi les gens et les regarde attentivement, tout a une signification. Il suffit que quelqu’un lève le petit doigt pour qu’on sache ce qu’il trame d’abominable. Tous lui veulent du mal, le monde grouille d’assassins. Quand quelqu’un le regarde, il détourne vite les yeux, il ne faut pas que l’autre remarque qu’il est démasqué. Mieux vaut que, sans méfiance, il s’abandonne encore un peu à ses instincts malfaisants et continue à couver ses projets diaboliques. L’attrape-malices ne déteste pas qu’on le prenne un moment pour un idiot. Pendant ce temps, ça bout en lui, ça bout si fort que pour un peu il partirait en vapeur. Mais il veille à ce qu’il n’en soit rien, et il frappe un grand coup avant d’en arriver là.
L’attrape-malices collectionne les mauvaises intentions. Il a de la place pour elles, il les conserve soigneusement et il appelle son sac, qui est plein de malices attrapées, la boîte de Pandore. Il marche à pas feutrés, pour ne pas effrayer prématurément les masques. S’il faut qu’il dise quelque chose, il le fait doucement, il parle avec lenteur, comme s’il avait des difficultés d’élocution. Quand il en tient un à l’œil, il songe déjà au suivant, pour faire diversion. Quand il a rendez-vous, il apparaît au mauvais moment, beaucoup trop tard, comme s’il avait oublié. Ainsi, il endort l’ennemi qui se croit en sûreté, et qui a le temps de se faire une fausse image de lui. Alors, il apparaît, s’excuse humblement et avance un motif ahurissant pour son retard, la crapule se frotte déjà les mains sous la table. Alors, l’attrape-malices le fait longuement parler et ne dit rien, il hoche souvent la tête, comme s’il était d’accord, jette des regards niais et admiratifs, s’étonne et rit, et lâche de temps à autre un compliment. C’est comme ça qu’il a toujours mis tout le monde dans sa poche. L’attrape-malices prend congé, tend la main à la fripouille, serre fortement la sienne, dit d’un air naïf : « J’y réfléchirai » et se dispose à rentrer chez lui, pour y aligner côte à côte toutes les malices, dont aucune ne lui a échappé, et les classer systématiquement.
Il a un don particulier pour les systèmes. En effet, tout au monde est systématique, rien n’est fortuit, chaque infamie s’enchaîne à l’autre, au fond il n’y a qu’une seule et même fripouille qui prend de multiples déguisements. Grâce à son discernement jamais en défaut, l’attrape-malices met la main dans le tas, et déjà il en tient tout un paquet grouillant et enchevêtré, il le remonte à la surface, et il a secrètement pitié du créateur, qui a tout disposé si astucieusement, mais pas assez astucieusement pour le rouler, lui.