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Quand Erlendur rentra chez lui dans la soirée, on était encore sans aucune nouvelle d’Einar. Sa famille s’était réunie dans la maison des parents. Albert avait quitté l’hôtel en fin d’après-midi et était rentré chez lui après une conversation chargée d’émotion avec Katrin. Il y avait là les fils aînés du couple avec leurs épouses et l’ex-femme d’Einar s’ajouta bientôt au groupe. Elinborg et Sigurdur Oli l’avaient interrogée plus tôt dans la journée et elle avait affirmé ne pouvoir imaginer l’endroit où Einar se terrait. Il n’avait aucun contact avec elle depuis six mois.
Eva Lind rentra peu après Erlendur et il lui raconta l’enquête de long en large. Les empreintes retrouvées chez Holberg concordaient avec celles relevées au domicile d’Einar, à Storagerdi.
Il était finalement allé voir son père et il semblait bien qu’il l’ait assassiné.
Erlendur parla également à Eva Lind de Grétar. La seule théorie plausible expliquant sa disparition et son décès était que Grétar avait fait chanter Holberg d’une manière ou d’une autre, probablement avec des photos. On n’avait pas de certitude sur ce qu’elles montraient précisément mais, d’après les éléments que la police avait en main, Erlendur considérait qu’il n’était pas improbable que Grétar ait pris des clichés des agressions perpétrées par Holberg, voire de viols dont ils n’avaient pas connaissance et qui ne seraient certainement jamais dévoilés au grand jour après tout cela. La photo de la pierre tombale d’Audur indiquait que Grétar savait ce qui s’était passé, qu’il aurait même pu en témoigner et qu’il avait collecté des informations sur Holberg, peut-être dans le but de lui extorquer de l’argent.
Ils discutèrent ainsi tout au long de la soirée pendant que la pluie cinglait les vitres et que le vent d’automne hurlait. Elle lui demanda pourquoi il se passait ainsi la main sur la poitrine, d’un geste machinal. Erlendur lui parla de la douleur qu’il ressentait au thorax. Il la mettait sur le compte de son vieux matelas, mais Eva Lind lui ordonna d’aller consulter un médecin. Il ne se montra pas très enthousiaste.
– Comment ça, tu n’iras pas chez le docteur ? demanda-t-elle et Erlendur regretta aussitôt d’avoir mentionné la douleur.
– Ce n’est rien, plaida-t-il.
– Combien de cigarettes est-ce que tu as fumées aujourd’hui ?
– Non, mais, qu’est-ce que c’est que ça ?
– Attends un peu, tu as une douleur à la poitrine, tu fumes comme un pompier, tu ne te déplaces qu’en voiture, tu te nourris de saloperies frites à l’huile et tu refuses de te laisser examiner ! Qui plus est, tu es capable de me sermonner si vertement que n’importe qui se mettrait à pleurnicher comme une petite fille sous tes attaques. Est-ce que tu trouves ça normal ? Tu ne serais pas un peu malade ?
Eva Lind s’était levée, tel un dieu de la foudre, elle surplombait son père qui osait à peine lever les yeux vers elle mais regardait droit devant lui avec un air de chien battu.
Oh, Seigneur Dieu, pensa-t-il en lui-même.
– Je vais faire voir ça, annonça-t-il ensuite.
– Faire voir ça ! Un peu, que tu vas faire voir ça ! cria Eva Lind. Et il y a longtemps que tu aurais dû le faire. Pauvre imbécile !
– Dès demain matin, dit-il en regardant sa fille.
– Il vaudrait mieux, conclut-elle.

 

Erlendur s’était mis au lit quand le téléphone sonna. C’était Sigurdur Oli qui l’informait que la police venait de recevoir une déclaration d’effraction à la morgue de Baronsstigur.
– La morgue de Baronsstigur, répéta Sigurdur Oli, voyant qu’il n’obtenait aucune réaction d’Erlendur.
– Nom de Dieu, soupira Erlendur. Et alors ?
– Je ne sais pas, répondit Sigurdur Oli. On vient juste de recevoir la déclaration. Ils m’ont téléphoné et je leur ai dit que j’allais te contacter. Ils n’ont aucune idée du mobile de l’effraction. Est-ce qu’il y a autre chose que des cadavres là-dedans ?
– Je te retrouve là-bas, répondit Erlendur. Fais aussi venir le médecin légiste, ajouta-t-il, puis il raccrocha.
Eva Lind s’était déjà endormie dans le salon au moment où il enfila son imperméable et mit son chapeau. Il regarda l’heure. Il était minuit. Il referma doucement la porte derrière lui, de manière à ne pas réveiller sa fille, se précipita en bas de l’escalier et s’engouffra dans sa voiture.
Quand il arriva à la morgue, trois voitures de police se trouvaient devant avec leurs gyrophares. Il reconnut le véhicule de Sigurdur Oli et, alors qu’il allait entrer dans le bâtiment, il vit le médecin légiste tourner au coin, ce qui fit crisser les pneus sur le goudron mouillé. Le médecin avait l’air de méchante humeur. Erlendur traversa rapidement un long couloir au bout duquel se trouvaient des policiers, ainsi que Sigurdur Oli qui sortait de la salle d’autopsie.
– A première vue, rien ne manque, annonça Sigurdur Oli en voyant Erlendur arriver à toutes jambes dans le couloir.
– Raconte-moi ce qui s’est passé, demanda Erlendur en pénétrant avec lui dans la salle. Les tables de dissection étaient désertes, tous les placards fermés, et rien, à l’intérieur, n’indiquait qu’il y ait eu effraction.
– Le sol de la pièce était couvert de traces de pas, elles sont pratiquement sèches, expliqua Sigurdur Oli. Le bâtiment est équipé d’un système d’alarme relié à un central de sécurité et c’est de là qu’on nous a contactés, il y a une quinzaine de minutes. Il semble que celui qui s’est introduit dans le bâtiment ait cassé une vitre, ici, à l’arrière, et qu’il ait atteint le verrou. Pas très compliqué. Dès qu’il est entré, les détecteurs se sont déclenchés. Il n’a pas eu beaucoup de temps pour commettre son forfait.
– Sûrement assez, répondit Erlendur. Le médecin légiste était arrivé, il avait l’air complètement retourné.
– Qui diable irait cambrioler une morgue ? soupira-t-il.
– Où sont les corps de Holberg et d’Audur ? demanda Erlendur.
Le légiste regarda Erlendur.
– Cela est lié au meurtre de Holberg ? demanda-t-il.
– Ça se pourrait, répondit Erlendur. Allez, pressons, pressons.
– C’est ici que l’on entrepose les cadavres, dit le médecin en ouvrant une porte par laquelle ils le suivirent.
– Cette porte n’est jamais verrouillée ? demanda Sigurdur Oli.
– Qui donc volerait des cadavres ? éructa le médecin, cependant il s’arrêta net, interloqué, en regardant dans la salle.
– Que se passe-t-il donc ? demanda Erlendur.
– La fillette a disparu, dit le médecin, comme s’il n’en croyait pas ses yeux. Il traversa rapidement la pièce, ouvrit un cagibi dans le fond et y alluma la lumière.
– Quoi encore ? demanda Erlendur.
– Son cercueil a également disparu, annonça le médecin. Il regardait Erlendur et Sigurdur Oli à tour de rôle. Nous venions de recevoir un cercueil neuf qui lui était destiné. Qui donc ferait une telle chose ? Quel esprit pourrait enfanter une telle monstruosité ?
– Il s’appelle Einar, répondit Erlendur. Et il n’a absolument rien de monstrueux !
Il tourna les talons. Sigurdur Oli le suivit de près et ils quittèrent la morgue à toute vitesse.