CHAPITRE 25

Quand je suis sorti de l’immeuble, le jour se levait. Il faisait plutôt froid mais ça m’a paru bon parce que je transpirais tellement.

Je savais vraiment pas où aller. Je voulais pas d’un hôtel pour pas dépenser le fric de Phœbé. Aussi finalement ce que j’ai fait, j’ai marché jusqu’à Lexington et là j’ai pris le métro pour Grand Central. Mes valises étaient là-bas et tout et je me disais que j’allais dormir dans cette connerie de salie d’attente où y a des bancs. C’est ce que j’ai fait. D’abord c’était pas trop mal parce qu’y avait pas beaucoup de monde et je pouvais mettre mes pieds sur un banc. Mais j’aime mieux pas parler de ça. C’était plutôt moche. Je vous conseille pas d’essayer. Sans blague. Ça vous flanquerait le cafard.

J’ai dormi seulement jusque vers les neuf heures parce que après un million de personnes se sont amenées dans la salle d’attente donc il a fallu que je remette les pieds par terre. Pas facile de dormir avec les pieds par terre. Alors je me suis redressé. J’avais toujours mal à la tête. C’était même pire. Et je crois bien que j’étais plus déprimé que je l’avais encore jamais été.

Je voulais pas, mais malgré moi je me suis mis à penser au petit père Antolini et je me suis demandé ce qu’il dirait à Mrs Antolini quand elle découvrirait que j’avais pas dormi là. Ça me tracassait pas trop parce que je savais que Mr Antolini était très malin et qu’il trouverait bien une explication. Il pourrait lui dire que j’étais rentré à la maison. Bref, ça me tracassait pas trop. Mais ce qui me tracassait c’était ce truc de m’être réveillé quand il était en train de me tapoter la tête et tout. Je veux dire, je me posais la question de savoir si j’avais pas eu tort de croire qu’il me faisait des avances de pédé. Je me disais que peut- être c’était seulement qu’il aimait bien tapoter la tête des gars quand ils dorment. Ces choses-là, comment savoir ? On est jamais sûr. J’en étais à me demander si j’aurais pas dû reprendre mes bagages et retourner chez lui, comme j’avais dit.

Je commençais à réfléchir que même s’il était pédé il avait été drôlement chouette. Je me répétais qu’il avait pas râlé que je l’appelle si tard et qu’il m’avait dit de venir tout de suite chez lui, et qu’il avait pris la peine de me donner des conseils pour trouver la forme de mon esprit et tout, et qu’il était le seul type à seulement s’être approché du gars dont je vous ai parlé, James Castle, qui était mort. Je pensais à tout ça, et plus j’y pensais plus j’étais déprimé. Et j’en arrivais à me dire que peut-être j’aurais dû retourner chez lui. Peut-être qu’il me tapotait le crâne juste comme ça. Mais plus j’y pensais plus je me sentais cafardeux et paumé. Et puis, ce qui arrangeait pas les choses, j’avais vachement mal aux yeux. Ils me brûlaient et me piquaient, mes yeux, parce que je manquais de sommeil. Et aussi, je venais d’attraper une espèce de rhume et j’avais pas de mouchoir. J’en avais un dans ma valise mais je tenais pas à la sortir de la consigne et à l’ouvrir en public et tout.

Quelqu’un avait laissé un magazine sur le banc à côté de moi, alors je me suis mis à le lire en me disant que ça m’empêcherait, au moins un petit bout de temps, de me poser des questions sur Mr Antolini et sur un million d’autres trucs. Mais ce foutu article que je me suis mis à lire m’a presque fait me sentir encore plus mal. Ça parlait des hormones. Ça décrivait comment on devait être, la figure, les yeux et tout, si on allait bien question hormones. J’étais pas du tout comme ça. J’étais exactement comme le type dans l’article qu’avait des hormones. Et puis j’ai lu cet autre article sur la façon de voir si on a un cancer. Il disait que si on avait dans la bouche des écorchures qui mettaient du temps à guérir c’était probable qu’on avait un cancer. Ça faisait presque deux semaines que j’en avais une à l’intérieur de la lèvre. Aussi je me suis dit qu’il me venait un cancer. Ce magazine, rien de tel pour vous remonter le moral. Finalement, j’ai arrêté de lire et je suis allé me balader un peu. J’estimais qu’ayant un cancer je serais mort dans les deux ou trois mois. J’en étais positivement sûr. Ça n’avait vraiment rien pour me réjouir.

La pluie menaçait mais je suis quand même allé faire un tour. D’abord je trouvais que ce serait pas mal de prendre le petit déjeuner. J’avais pas faim mais je me disais qu’il fallait que je mange quelque chose. Que j’avale au moins quelques vitamines. Alors je me suis dirigé vers le quartier des troquets pas chers parce que je voulais pas dépenser beaucoup de fric.

Sur mon chemin je suis passé près de deux types qui déchargeaient d’un camion un énorme arbre de Noël. Un des deux arrêtait pas de dire à l’autre «Redresse-le ce putain de bordel de merde de machin. Redresse-le, sacré nom ». C’était vraiment une façon super de parler d’un arbre de Noël. Et en même temps c’était marrant, tristement marrant, disons, et je me suis mis à rire. J’ai eu grand tort parce qu’à l’instant même j’ai bien cru que j’allais vomir. Sans blague. J’ai même commencé à vomir, et puis ça s’est arrangé. Je sais pas ce qui m’a pris. Je veux dire que j’avais rien mangé de pas sain et d’habitude j’ai l’estomac solide. Bon ça s’est arrangé et je me suis figuré que ça irait mieux si je mangeais un peu. Aussi je suis entré dans un troquet qui avait l’air bon marché et j’ai commandé du café et deux beignets. Mais j’ai pas mangé les beignets. Ça n’aurait pas passé. Ce qu’il y a, lorsque quelque chose vous tracasse, on peut plus rien avaler. Le garçon a été très sympa. Il a remporté les beignets sans les faire payer. J’ai seulement bu mon café. Puis je suis reparti et j’ai parcouru la Cinquième Avenue.

C’était lundi et bientôt Noël, et tous les magasins étaient ouverts. Le bon moment pour se balader sur la Cinquième Avenue. Ça faisait très Noël. Tous ces Santa-Claus rabougris agitaient leurs clochettes à chaque coin de rue et les filles de l’Armée du Salut, celles qu’ont pas de rouge à lèvres ni rien, agitaient aussi des clochettes. J’essayais vaguement de repérer dans la foule les deux religieuses que j’avais rencontrées la veille mais je les ai pas vues. J’aurais dû me douter que je les verrais pas puisqu’elles m’avaient dit qu’elles venaient à New York pour être profs mais je les cherchais un peu quand même. En tout cas, subitement, ça faisait Noël. Un million de petits moutards avec leurs mères avaient envahi les rues, montant dans les bus ou en descendant, entrant dans les magasins ou en ressortant. J’aurais bien voulu voir Phœbé. Elle est trop grande à présent pour que le rayon des jouets l’excite beaucoup mais elle aime flâner dans les rues et regarder les gens. Pas à Noël dernier mais celui d’avant je l’ai emmenée avec moi faire des achats. On s’est vachement bien amusés. Je crois que c’était à Bloomingdale. On est allés au rayon des godasses et on a prétendu que Phœbé voulait une paire de ces bottines avec un million de trous où passent des lacets. Le malheureux vendeur, on l’a rendu fou. La môme Phœbé a essayé à peu près vingt paires et chaque fois le pauvre type devait lui lacer une des chaussures jusqu’en haut. C’était un sale tour mais Phœbé ça la tuait. Pour finir, on a acheté des mocassins qu’on a fait porter sur le compte des parents. Le vendeur a été très sympa. Je pense qu’il voyait bien qu’on se payait du bon temps parce que Phœbé peut jamais s’empêcher de rigoler.

Bon. J’ai marché, j’ai marché dans la Cinquième Avenue, sans cravate ni rien. Et puis tout d’un coup il m’est arrivé quelque chose de vachement effrayant. Chaque fois que j’arrivais à une rue transversale et que je descendais de la saleté de trottoir, j’avais l’impression que j’atteindrais jamais l’autre côté de la rue. Je sentais que j’allais m’enfoncer dans le sol, m’enfoncer encore et encore et personne me reverrait jamais. Ouah, ce que j’avais les foies. Vous imaginez. Je me suis mis à transpirer comme un dingue, j’ai trempé mon tricot de corps et ma chemise. Ensuite j’ai fait quelque chose d’autre. Chaque fois que j’arrivais à une nouvelle rue, je me mettais à parler à mon frère Allie. Je lui disais « Allie, me laisse pas disparaître. Allie, me laisse pas. S’il te plaît, Allie ». Et quand j’avais atteint le trottoir opposé sans disparaître je lui disais merci, à Allie. Et ça recommençait au coin de rue suivant. Mais je continuais mon chemin et tout. Je crois que j’avais peur de m’arrêter  – à dire vrai je me souviens pas bien. Je sais que je me suis pas arrêté avant d’être vers la Soixantième Rue, passé le zoo et tout. Là je me suis assis sur un banc. J’avais peine à reprendre mon souffle et je transpirais toujours comme un dingue. Je suis resté assis là, une heure environ j’imagine. Finalement, ce que j’ai décidé, c’est de m’en aller. J’ai décidé de jamais rentrer à la maison, de jamais plus être en pension dans un autre collège. J’ai décidé que simplement je reverrais la môme Phœbé pour lui dire au revoir et tout et lui rendre son fric de Noël, et puis je partirais vers l’Ouest. En stop. Ce que je ferais, je descendrais à Holland Tunnel et là j’arrêterais une voiture, puis une autre et une autre et encore une autre, et dans quelques jours je serais dans l’Ouest, là où c’est si joli, où y a plein de soleil et où personne me connaîtrait et je me dégoterais du boulot. Je suppose que je pourrais bosser quelque part dans une station-service, je mettrais de l’essence et de l’huile dans les voitures. Mais n’importe quel travail conviendrait. Suffit’ que les gens me connaissent pas et que je connaisse personne. Je me disais que le mieux ce serait de me faire passer pour un sourd- muet. Et comme ça terminé d’avoir à parler avec les gens. Tout le monde penserait que je suis un pauvre couillon de sourd-muet et on me laisserait tranquille. Je serais censé mettre de l’essence et de l’huile dans ces bagnoles à la con et pour ça on me paierait un salaire et tout et avec le fric je me construirais quelque part une petite cabane et je passerais là le reste de ma vie. Je la construirais près des bois mais pas dans les bois parce que je veux qu’elle soit tout le temps en plein soleil. Je me ferais moi-même à manger et plus tard, si je voulais me marier, je rencontrerais cette fille merveilleuse qui serait aussi sourde-muette et je l’épouserais. Et elle viendrait vivre dans ma cabane et quand elle voudrait me dire quelque chose il faudrait qu’elle l’écrive sur un bout de papier comme tout le monde. Si on avait des enfants on les cacherait quelque part. On leur achèterait un tas de livres et on leur apprendrait nous-mêmes à lire et à écrire.

En pensant à ça je me suis vachement excité. Vachement. Je savais que mon histoire de sourd- muet c’était débile mais je prenais plaisir à me la raconter. Et pour ce qui était de partir vers l’Ouest et tout, j’étais vraiment décidé. Ce que je voulais c’était d’abord dire au revoir à Phœbé. Alors, subitement, j’ai traversé la rue en courant comme un fou  – et pour rien vous cacher j’ai manqué me faire écraser  – et je suis entré à la papeterie et j’ai acheté un bloc-notes et un crayon. J’avais combiné d’écrire sur-le-champ un message pour Phœbé en lui expliquant où venir me rejoindre pour que je lui dise au revoir et lui rende son fric de Noël. J’irais à son école remettre le message à quelqu’un dans le bureau de la directrice en demandant qu’on le donne à Phœbé. Mais j’ai seulement enfoncé le bloc-notes et le crayon dans ma poche et je suis parti à toute bringue en direction de l’école. J’étais trop surexcité pour écrire mon mot dans la papeterie. Je marchais vite parce que je voulais le lui faire passer avant qu’elle rentre à la maison pour déjeuner et ça me laissait pas beaucoup de temps.

Bien sûr, je savais où était son école bicause c’est là que j’allais quand j’étais môme. Ça m’a paru drôle de m’y retrouver. Je m’étais demandé si je me souviendrais comment c’était à l’intérieur, eh bien oui je me souvenais. Ça n’avait pas du tout changé. Y avait toujours cette grande cour plutôt sombre avec les cages autour des ampoules électriques pour qu’elles soient pas cassées par un ballon. Y avait toujours les mêmes cercles blancs peints sur le sol pour les sports et tout. Et les mêmes vieux paniers de basket, juste un cercle, sans filet  – rien que les panneaux et les cercles.

Je voyais personne, probablement parce que c’était pas la récréation et pas encore l’heure du déjeuner. Tout ce que j’ai vu c’est un mioche, un petit Noir, qui allait aux cabinets : sortant à moitié de la poche de son pantalon y avait un de ces laissez-passer en bois, le même que nous on avait, pour montrer qu’il était autorisé à aller aux cabinets et tout.

Je transpirais encore mais plus autant. Je me suis assis sur la première marche de l’escalier et j’ai pris le bloc-notes et le crayon que j’avais achetés. L’escalier, je lui trouvais la même odeur qu’il avait déjà quand moi j’allais à cette école. Comme si quelqu’un venait juste de pisser dessus. Les escaliers des écoles ont toujours cette odeur-là. Bon. Je me suis assis et j’ai écrit :

 

Chère Phœbé,

Je peux plus attendre jusqu’à mercredi. Je vais probablement partir en stop cet après-midi. Viens me rejoindre si tu peux au Musée d’Art, à midi un quart près de la porte. Je te rendrai ton fric de Noël J’en ai pas beaucoup dépensé.

Je t’embrasse.

Holden

 

Son école était pratiquement à côté du musée et elle devait passer par là pour rentrer déjeuner à la maison donc ça lui serait facile de venir.

Ensuite j’ai monté les marches jusqu’au bureau de la directrice afin de remettre le message à quelqu’un qui le porterait à Phœbé. J’ai bien dû plier le papier en dix pour qu’on lise pas. Dans une école on peut avoir confiance en personne. Mais je savais qu’on le donnerait à Phœbé si je disais que j’étais son frère et tout.

En montant l’escalier, subitement, j’ai cru que j’allais encore vomir. Mais ça a passé. Je me suis assis une seconde. Aussitôt je me suis senti mieux. Mais pendant que j’étais assis j’ai vu quelque chose qui m’a rendu cinglé. Quelqu’un avait écrit «je t’enc... » sur le mur. Ça m’a presque rendu cinglé. Je me suis dit que Phœbé et les autres petits mômes allaient voir ça et qu’ils se demanderaient ce que ça signifiait et alors un gosse taré leur dirait  – et bien sûr tout de travers  – et pendant deux ou trois jours ils y penseraient et même peut-être se tracasseraient. J’aurais bien tué celui qui avait écrit ça. Je supposais que c’était un clochard pervers qui se glissait dans l’école tard le soir pour pisser et puis écrire ça sur le mur. Je me voyais le prendre sur le fait et lui écraser la tête contre les marches de pierre jusqu’à ce qu’il soit mort et en sang. Mais en même temps, je savais que j’aurais pas le cran de le faire. Je le savais. Au vrai, j’avais à peine le cran d’effacer le mot avec la main. Je me disais qu’un prof allait me surprendre à le frotter et penserait que c’était moi qui l’avais écrit. Mais finalement je l’ai tout de même effacé. Puis je suis monté au bureau de la directrice.

La directrice était pas là, mais une vieille dame dans les cent ans était assise devant une machine à écrire. Je lui ai dit que j’étais le frère de Phœbé Caulfield, de 7B-1 et je lui ai demandé s’il vous plaît de donner le message à Phœbé. J’ai dit que c’était très important parce que ma mère était malade et qu’elle avait rien préparé pour le déjeuner alors il fallait que ma sœur me rejoigne et je la ferais déjeuner dans un drugstore. La vieille dame, elle a été très sympa. Elle a pris mon billet et elle a appelé une autre dame du bureau voisin qui est ailée le porter à Phœbé. Puis la vieille dame dans les cent ans et moi on a parlé un peu. Elle était bien aimable et je lui ai raconté que j’avais été moi aussi dans cette école et mes frères tout pareil. Elle m’a demandé où j’étais maintenant et j’ai dit à Pencey, et elle a dit que Pencey était un très bon collège. Même si j’avais voulu j’aurais pas eu le courage de lui dire le contraire. D’ailleurs si elle trouvait que Pencey était un très bon collège fallait pas la décevoir. C’est pas génial de dire des choses nouvelles à des centenaires. Ils apprécient pas. Au bout d’un petit moment je suis parti. C’est bizarre, elle m’a hurlé « Bonne chance ! » tout juste comme le père Spencer l’avait fait lorsque j’ai quitté Pencey. Bon Dieu, comme je déteste quand quelqu’un me hurle « Bonne chance ! » quand je vais quelque part. Ça me fout le cafard.

Je suis descendu par un autre escalier, et j’ai vu un autre «Je t’enc... » sur le mur. Celui-là aussi j’ai essayé de l’effacer avec ma main mais il était gravé au couteau ou avec autre chose. Ça partait pas. De toute façon, c’est sans espoir. Même si on avait un million d’années pour le faire on pourrait encore pas effacer la moitié des «je t’enc... » du monde entier. Impossible.

J’ai regardé la pendule dans la cour de récréation, il était seulement midi moins vingt, donc j’avais du temps à tuer avant de voir arriver Phœbé. Mais j’ai quand même pris tout de suite la direction du musée. Je voyais pas d’autre endroit où aller. J’ai eu envie de m’arrêter à une cabine téléphonique et de donner un coup de fil à la môme Jane Gallagher avant de foutre le camp vers l’Ouest, mais j’avais pas le moral. D’abord j’étais même pas certain qu’elle soit déjà en vacances. Aussi je me suis rendu tout droit au musée et là j’ai traînassé.

Pendant que j’attendais Phœbé dans le musée, juste à côté de la porte et tout, deux petits gosses sont venus me demander si je savais où étaient les momies. L’un des deux, celui qui posait la question, avait oublié de fermer sa braguette. Je le lui ai dit. Et il s’est boutonné sans bouger de l’endroit où il était  – il a même pas pris la peine d’aller derrière un pilier ni rien. Ça m’a tué. J’aurais ri si j’avais pas eu peur que ça me donne encore envie de vomir aussi je me suis retenu. Le gamin, il a encore demandé « Où qu’elles sont, les momies ? Vous savez ? ».

J’ai un petit peu fait l’idiot. « Les momies ? Qu’est- ce que c’est ?

— Ben quoi. Des momies. Des types morts  – et qu’on a enterrés dans leurs tombereaux et tout. »

Tombereaux. Ça m’a tué.

Moi j’ai dit « Pourquoi vous êtes pas a l’école tous les deux ?

— Jourd’hui pas d’école » a dit le gosse qui menait la convers’. Il mentait, aussi sûr que je suis en vie, le petit cochon. Mais puisque j’avais rien à faire jusqu’à l’arrivée de Phœbé je les ai aidés à chercher l’endroit où sont les momies. Ouah, autrefois je connaissais exactement l’endroit mais y avait des années que j’étais pas venu au musée.

J’ai dit «Vous deux, les gars, ça vous intéresse les momies ?

— Ouais.

— Ton copain, il parle pas ?

— C’est pas mon copain. C’est mon frangin.

— Il parle pas ? » Je me suis tourné vers celui qu’avait pas ouvert la bouche. J’ai demandé « Tu sais pas parler ?

— Ouais », il a dit. «Mais j’ai pas envie. »

Finalement on a trouvé l’endroit où étaient les momies et on est entrés.

J’ai encore demandé au gamin « Tu sais comment les Egyptiens enterraient leurs morts ?

— Nan.

— Eh bien, tu devrais. C’est très intéressant. Ils leur enveloppaient la figure dans ces étoffes traitées avec des produits chimiques secrets. Comme ça ils pouvaient rester enfermés dans leurs tombes des milliers d’années et leurs visages pourrissaient pas ni rien. Personne sait comment le faire. Même pas la science moderne. »

Pour arriver là où étaient les momies il fallait suivre une sorte de couloir très étroit avec des pierres sur le côté qui venaient des tombeaux des pharaons et tout. C’était plutôt impressionnant et les durs de durs que j’accompagnais ça leur plaisait pas tellement. Ils me lâchaient pas d’un poil et celui qui pratiquement avait pas ouvert la bouche se cramponnait à ma manche. Il a dit à son frère « On se taille. J’les ai vues déjà. Hé viens ». Il a fait le demi-tour et il s’est barré.

« C’est un foutu dégonflé » a dit l’autre. « Salut ! » Lui aussi s’est barré.

Alors je suis resté tout seul dans la tombe. D’un sens j’aimais assez. C’était plutôt sympa et puis paisible. Mais tout d’un coup j’ai vu sur le mur  – vous ne devineriez pas  – j’ai vu un autre «Je t’enc... ». Ecrit à la craie rouge, juste au-dessous de la partie vitrée du mur, au-dessous des pierres.

C’est ça le problème. Vous pouvez jamais trouver un endroit qui soit sympa et paisible, parce qu’y en a pas. Ça peut vous arriver de croire qu’y en a un mais une fois que vous y êtes, pendant que vous regardez pas, quelqu’un s’amène en douce et écrit « Je t’enc... » juste sous votre nez. Essayez pour voir. Je pense que même si je meurs un jour, et qu’on me colle dans un cimetière et que j’ai une tombe et tout, y aura «Holden Caulfield » écrit dessus, avec l’année où je suis né et celle où je suis mort et puis juste en dessous y aura «Je t’enc... ». J’en suis positivement certain.

Une fois ressorti de l’endroit où sont les momies j’ai dû aller aux toilettes. Si vous voulez savoir, j’avais comme la diarrhée. Bon, c’était pas trop méchant mais il m’est arrivé quelque chose d’autre. En sortant des chiottes, juste avant de franchir la porte, j’ai tourné de l’œil en quelque sorte. J’ai eu de la chance, j’aurais pu m’assommer par terre mais j’ai atterri sur le côté sans trop de mal. Et le plus curieux c’est qu’après m’être évanoui je me suis senti mieux. J’avais le bras tout meurtri de ma chute mais je me sentais plus si étourdi.

Il était à peu près midi dix aussi je suis retourné me mettre en faction à la porte pour y attendre la môme Phœbé. Je me disais que je la voyais peut-être pour la dernière fois. Pour la dernière fois quelqu’un de ma famille. Je pensais bien la revoir un jour mais pas avant des années. Je reviendrais peut-être à la maison quand j’aurais dans les trente-cinq ans, au cas où quelqu’un soit malade et veuille me voir avant de mourir, mais ça serait la seule raison qui me ferait quitter ma cabane. J’ai même essayé de me représenter comment ça se passerait quand je reviendrais. Je savais que ma mère serait dans tous ses états et se mettrait à pleurer et à me supplier de pas retourner dans ma cabane, de rester à la maison mais je repartirais quand même. Je serais très flegmatique, je la calmerais, et puis j’irais à l’autre bout de la salle de séjour et je sortirais une cigarette de la boîte et l’allumerais. Froidement. Je suggérerais qu’on me rende visite mais j’insisterais pas ni rien. Ce que je ferais, je laisserais la môme Phœbé venir en vacances d’été et aux congés de Noël et de Pâques. Et je laisserais aussi D.B. venir passer un moment s’il voulait un coin tranquille et sympa pour écrire, mais il aurait pas le droit d’écrire des films dans ma cabane, seulement des nouvelles et des livres. Y aurait une règle, personne ne pourrait rien faire de bidon pendant son séjour dans ma cabane. Si quelqu’un essayait de faire quelque chose de bidon faudrait qu’il se tire.

J’ai jeté un coup d’œil à la pendule du vestiaire et il était une heure moins vingt-cinq. Je commençais à me demander si la vieille dame de l’école avait pas dit à l’autre de pas remettre mon message à Phœbé. Je commençais à me demander si elle lui avait pas dit de le brûler ou quoi. Ça me foutait les jetons. Je voulais vraiment revoir la môme Phœbé avant de prendre la route. J’avais son fric de Noël et tout.

Enfin je l’ai vue. Je l’ai vue à travers la partie en verre de la porte. Je l’ai reconnue tout de suite parce qu’elle avait ma dingue de casquette sur la tête  – on l’aurait repérée à plus de dix miles.

J’ai franchi la porte et j’ai descendu les marches pour aller à sa rencontre. Ce que j’arrivais pas à comprendre c’est pourquoi elle portait une grosse valise. Elle pouvait à peine la tramer. Quand j’ai été plus près, j’ai vu que c’était ma vieille valise, celle que je prenais lorsque j’allais à Whooton. J’arrivais pas à comprendre ce qu’elle faisait avec ça. Quand elle m’a rejoint elle a dit « Salut ». Elle était tout essoufflée d’avoir porté cette dingue de valise.

J’ai dit « Je commençais à croire que t’allais pas venir. Qu’est-ce qu’il y a là-dedans, bon Dieu ? ».

Elle a posé la valise. Elle a dit « Mes habits. Je vais avec toi. Je peux ? D’accord ?

— Quoi ? » j’ai dit. Et je suis presque tombé raide en le disant. Je vous jure. Je me suis à nouveau senti tout étourdi et j’ai cru que j’allais encore m’évanouir.

« J’ai pris l’ascenseur de service pour que Charlène me voie pas. C’est pas lourd. J’ai juste deux robes et mes mocassins et mes dessous et mes chaussettes et puis quelques autres petites choses. Tiens, soulève. C’est pas lourd. Soulève. Je peux venir avec toi ? Holden ? Je peux ? S’il te plaît ?

— Non. Et ferme-la. »

J’ai cru vraiment que j’allais tomber raide. Pourtant j’avais pas l’intention de lui dire de la fermer ou quoi, mais je me sentais comme si j’allais encore tourner de l’œil.

«Pourquoi pas, Holden ? Je ferai rien. Je viendrai juste avec toi, c’est tout. Je prendrai même pas mes habits si tu veux pas que je les prenne. Je prendrai seulement...

— Tu prends rien. Parce que tu viens pas. Je m’en vais tout seul. Alors boucle-la.

— S’il te plaît, Holden. S’il te plaît, emmène-moi. Je serai très très très... T’auras même pas à...

— Tu viens pas. Alors, suffit. Donne-moi cette valise. » Je la lui ai prise des mains. J’avais presque envie de la battre. Pendant une ou deux secondes j’ai cru que j’allais lui taper dessus. Sincèrement. Elle s’est mise à pleurer.

« Je croyais que tu devais jouer dans une pièce à l’école et tout. Je croyais que tu étais Benedict Arnold dans cette pièce et tout », j’ai dit. Et j’ai dit ça très méchamment. « Qu’est-ce que tu cherches ? A pas être dans la pièce ? » Elle a pleuré encore plus fort. J’étais content. Subitement je voulais qu’elle pleure à s’en fondre les yeux. Je la détestais presque. Je crois que je la détestais surtout parce que si elle venait avec moi elle jouerait pas dans la pièce.

J’ai dit « Allons-y ». J’ai remonté les marches du musée. Je pensais que le mieux c’était de déposer la foutue valise au vestiaire et Phœbé pourrait la reprendre à trois heures, après l’école. Parce qu’il était pas question qu’elle emporte la valoche à l’école. J’ai dit « Bon, allons-y ».

Mais elle a pas monté les marches. Elle voulait pas venir avec moi. Je suis quand même rentré dans le musée et j’ai mis la valise au vestiaire et puis je suis ressorti. Elle était toujours là sur le trottoir, mais quand je l’ai rejointe elle m’a tourné le dos. Elle fait ça quelquefois. Quand l’envie la prend elle vous tourne le dos.

J’ai dit « De toute façon je pars pas. J’ai changé d’avis. Alors arrête de pleurer et tais-toi ». Le plus drôle c’est qu’elle pleurait même pas lorsque je lui ai dit ça. En tout cas je le lui ai dit. Et puis « Viens maintenant. Je te reconduis à l’école. Allez, viens. Tu vas être en retard ».

Elle répondait pas ni rien. J’ai essayé de lui prendre la main mais elle a pas voulu. Elle continuait à me tourner le dos.

J’ai demandé «T’as déjeuné ? T’as mangé quelque chose ? ».

Elle voulait pas répondre. Tout ce qu’elle a fait, elle a attrapé la casquette qu’elle avait sur la tête  – la mienne, que je lui avais donnée  – et elle me l’a pratiquement jetée à la figure. Puis elle m’a encore tourné le dos. Ça m’a tué ou presque, mais j’ai rien dit. J’ai juste ramassé la casquette et je l’ai fourrée dans la poche de mon manteau.

J’ai dit « Hey, viens. Je te raccompagne à l’école.

— Je retourne pas à l’école ».

Quand elle m’a lancé ça, j’ai pas su quoi répondre. Je suis resté là sans savoir quoi répondre pendant une ou deux minutes.

«Mais il faut que tu retournes à l’école. Tu veux jouer la pièce, non ? Tu veux être Benedict Arnold, non ?

— Non, justement.

— Mais si, bien sûr », j’ai dit. « Certainement que tu veux. Bon. Allons-y. D’abord, écoute, je pars pas. Je rentre à la maison. Dès que tu seras à l’école, je rentre à la maison. Je vais à la gare, je récupère mes bagages et puis je rentre tout droit à... »

Elle a répété « Je retourne pas à l’école. Tu peux faire tout ce que tu veux mais moi je retourne pas à l’école. Alors ferme-la ». C’était bien la première fois qu’elle me disait ça, «ferme-la ». C’était terrible à entendre. C’était terrible, bon Dieu, c’était pire que des gros mots. Et elle voulait toujours pas me regarder et chaque fois que j’essayais de mettre ma main sur son épaule elle s’écartait.

J’ai demandé «Ecoute. Veux-tu qu’on fasse un tour ? Veux-tu qu’on aille au zoo ? Si je te laisse manquer l’école cet après-midi et qu’on parte se balader, tu arrêtes cette comédie ? »

Elle répondait toujours pas, alors j’ai recommencé. « Si je te laisse manquer l’école cet après-midi et qu’on se balade tu arrêtes ta comédie ? Tu retournes à l’école demain comme une bonne fille ?

— Peut-être. Ou peut-être pas » elle a dit. Et subitement elle a traversé la rue en courant, sans même prendre garde aux voitures. Parfois elle est barjot.

J’ai pas galopé derrière elle. Je savais bien qu’elle me suivrait aussi je me suis dirigé vers le zoo, sur le trottoir côté parc et elle a pris la même direction sur le trottoir opposé. Elle avait pas l’air de se soucier de moi mais elle me surveillait probablement du coin de l’œil pour voir où j’allais et tout. Bon, on a continué comme ça jusqu’au zoo. Le seul moment où j’ai été ennuyé, c’est quand est passé un bus à impériale parce que je pouvais plus voir l’autre côté de la rue où elle était. Mais quand je suis arrivé au zoo j’ai gueulé «Phœbé, j’entre au zoo. Viens, maintenant ! ». Elle a pas levé les yeux mais je savais qu’elle m’avait entendu et quand j’ai descendu les marches du zoo je me suis retourné et je l’ai vue qui traversait la rue et me suivait et tout.

Y avait guère de monde au zoo parce que c’était un jour plutôt moche mais y en avait tout de même un peu près du bassin des otaries. Comme je continuais ma route, Phœbé s’est arrêtée et elle a fait semblant de regarder le repas des otaries  – un type leur jetait des poissons  – aussi je suis revenu sur mes pas. J’ai pensé que c’était une bonne occasion de la rejoindre, je me suis arrêté derrière elle et j’ai mis mes mains sur ses épaules mais elle a plié les genoux et s’est dégagée  – je vous l’ai dit qu’elle peut être une vraie chipie quand ça la prend. Elle est restée plantée là tout le temps que le type nourrissait les otaries et moi je suis resté juste derrière elle. J’ai pas remis mes mains sur ses épaules parce que si je l’avais fait elle aurait pris sa revanche. C’est marrant, les mômes. Avec eux, faut drôlement faire gaffe.

Quand on en a eu fini avec les otaries, elle a pas marché à côté de moi mais tout de même pas très loin. Elle était d’un côté du trottoir et moi de l’autre. C’était pas encore gagné mais ça valait mieux que de la voir filer au diable comme avant. On est montés sur la petite colline pour voir les ours. Mais y avait pas grand-chose à voir. Un seul, l’ours polaire, était dehors. L’autre, l’ours brun, voulait pas se décaniller de sa foutue grotte. On voyait que son arrière-train. A côté de moi y avait un petit mioche avec un chapeau de cow-boy enfoncé jusqu’aux oreilles et il arrêtait pas de dire à son père « Fais-le sortir, papa. Fais-le sortir ». J’ai jeté un coup d’œil à la môme Phœbé mais elle a pas ri. Les mômes, quand ils vous en veulent, vous savez ce que c’est. Rien ne les fera rire.

Après avoir quitté les ours on est sortis du zoo et on a traversé l’allée du parc et alors on a emprunté un de ces petits tunnels qui sentent toujours la pisse. On se dirigeait vers le manège. Phœbé me parlait toujours pas mais maintenant elle marchait près de moi. J’ai attrapé la martingale de son manteau, juste pour blaguer, mais elle s’est pas laissé faire. Elle a dit «Pas touche, s’il te plaît ». Elle m’en voulait encore. Mais plus autant que tout à l’heure. Bon, on s’approchait du manège et on commençait à entendre cet air idiot qu’il joue toujours « Oh, Marie ». Il jouait déjà ça il y a au moins cinquante ans, quand j’étais môme. Les manèges, c’est ce qui est chouette, ils jouent toujours la même chose.

« Je croyais que le manège marchait pas pendant l’hiver » a dit Phœbé. Elle rouvrait la bouche pratiquement pour la première fois. Elle avait l’air d’oublier qu’elle était fâchée contre moi.

J’ai dit « Ça doit être parce que c’est bientôt Noël ».

Elle a pas répondu. Elle a dû brusquement se souvenir qu’elle était fâchée.

J’ai demandé « Tu veux faire un tour de manège ? ». Je savais que sûrement elle en avait envie. Quand elle était toute petite et qu’on l’emmenait au parc, Allie et D.B. et moi, elle raffolait du manège. On pouvait pas l’en faire descendre.

J’avais cru qu’elle me répondrait pas. Mais elle a dit «Je suis trop grande.

— Sûrement pas. Vas-y. Je t’attends. Allez, va. » On était arrivés au manège. Y avait quelques gamins grimpés dessus, des petits mômes pour la plupart et quelques parents qui attendaient autour, assis sur les bancs et tout. Ce que j’ai fait, je suis allé au guichet où on vend les billets et j’en ai acheté un pour Phœbé. Et puis je le lui ai donné. Elle était là, tout près de moi. «Tiens » j’ai dit. Et puis «Attends une seconde, prends aussi le reste de ton fric ». J’ai voulu lui refiler le reste du fric qu’elle m’avait prêté. Elle a dit « Garde-le. Garde-le-moi ». Et tout de suite après «...Je t’en prie ».

Quand quelqu’un vous dit « Je t’en prie » ça vous flanque le cafard. Je veux dire, si c’est Phœbé ou quoi. Ça m’a flanqué le cafard. Mais j’ai remis l’argent dans ma poche.

« Et toi, tu montes pas ? » Elle me regardait avec un drôle d’air. On voyait bien qu’elle était plus trop fâchée.

«Peut-être au prochain tour », j’ai dit. «Je vais te regarder tourner. Tu as ton billet ?

— Oui.

— Alors vas-y. Je reste là sur le banc. Je te regarde. » Je suis allé m’asseoir sur le banc et elle est montée sur le manège. Elle en a fait le tour. Je veux dire qu’elle a marché le long du bord et fait le tour complet. Puis elle s’est assise sur un gros vieux cheval brun qui paraissait plutôt fourbu. Le manège s’est mis en marche et j’ai regardé Phœbé tourner, tourner. Y avait seulement cinq ou six autres gosses et la musique c’était l’air de Smoke gets in your eyes, joué très biscornu, très jazz. Tous les gosses s’efforçaient d’attraper l’anneau doré, Phœbé comme les autres, et j’avais un peu la trouille qu’elle tombe de son cheval, mais j’ai rien dit. Avec les mômes c’est comme ça. S’ils veulent attraper l’anneau il faut les laisser faire sans rien dire. S’ils tombent ils tombent mais c’est pas bon de les tanner.

Quand le manège s’est arrêté, elle est descendue de son cheval et elle est venue me retrouver. Elle a dit « Cette fois tu montes aussi.

— Non, je te regarde. Je crois que j’aime autant te regarder. » Je lui ai donné encore un peu de son argent. «Tiens. Achète des billets. »

Elle a pris l’argent. Elle a dit « Je suis plus en colère contre toi.

— Je sais. Grouille-toi. Ça va repartir. »

Tout d’un coup, elle m’a embrassé. Puis elle a allongé la main et elle a dit « Il pleut. Il commence à pleuvoir.

— Je sais. »

Alors ce qu’elle a fait  – ça m’a tué ou presque  – elle a fouillé dans la poche de mon manteau, elle en a sorti ma casquette et elle me l’a mise sur la tête.

J’ai dit «T’en veux plus ?

— Tu peux l’avoir un petit moment.

— Okay. Maintenant grouille. Ça va démarrer sans toi. Ton cheval sera pris. »

Mais elle se pressait pas. Elle a demandé «C’est bien vrai ce que tu as dit ? Que tu vas pas t’en aller. Que tu vas rentrer à la maison, après ?

— Ouais », j’ai dit. Et c’était vrai. Je lui ai pas menti. Après, je suis rentré à la maison. «Et maintenant grouille-toi » j’ai dit. « Ça démarre. »

Elle a couru acheter son billet et elle est revenue juste à temps sur le foutu manège. Puis elle a fait tout le tour pour retrouver son cheval. Elle est montée. Elle a agité la main vers moi. Et j’ai agité la main.

Ouah. Ça s’est mis à pleuvoir. A seaux. Je vous jure. Les parents, les mères, tout le monde est allé s’abriter sous le toit du manège pour pas être trempé jusqu’aux os mais moi je suis resté un moment sur le banc. J’étais vachement mouillé, spécialement dans le cou et puis mon pantalon. Ma casquette c’était pas mal comme protection, mais quand même j’étais traversé. Je m’en foutais. Subitement, je me sentais si formidablement heureux, à regarder la môme Phœbé qui arrêtait pas de tourner. J’ai cru que j’allais chialer tellement j’étais heureux, si vous voulez savoir. Pourquoi, moi je sais pas. C’était juste qu’elle était tellement mignonne et tout, à tourner sur le manège, dans son manteau bleu et tout. Bon Dieu j’aurais vraiment aimé que vous soyez là.