La vie parisienne
de Chateaubriand
DE COMBOURG À PARIS.
François René de Chateaubriand se prépare à effectuer son premier voyage à Paris. Il quitte Combourg au mois d’août 1786 pour se rendre à Rennes où un membre de sa famille se propose de lui trouver un moyen de locomotion pour se rendre dans la capitale :
Je débarquai dans cette dernière ville chez un de mes parents. Il m’annonça tout joyeux qu’une dame de sa connaissance, allant à Paris, avait une place à donner dans sa voiture, et qu’il se faisait fort de déterminer cette dame à me prendre avec elle. J’acceptai en maudissant la courtoisie de mon parent.
Le futur auteur de La Vie de Rancé a dix-huit ans, c’est un jeune Breton sauvage, d’une timidité insurmontable, rougissant devant les femmes, ignorant les usages des grandes villes. Effectuer le voyage à Paris dans une chaise de poste, avec pour seule compagnie Mme Rose, marchande de mode leste et désinvolte le terrorise. Gauche, inhibé, balbutiant, le tête-à-tête est pour lui une rude épreuve. Il ne parvient pas à s’entretenir avec cette femme. La nuit venue, terrifié, il se réfugie dans un angle de la voiture, et ne dit mot jusqu’à Paris. En arrivant à destination au petit jour, Mme Rose s’empresse de se débarrasser de son béjaune, en le déposant à l’hôtel de l’Europe, rue du Mail, disparu aujourd’hui, non loin de la place des Victoires.
« Je n’ai de mes jours revu Mme Rose », écrit Chateaubriand un demi-siècle plus tard avec, semble-t-il, un sentiment de regret ; secrètement déçu de ne pouvoir lui faire constater ce qu’il est advenu de ce benêt dont elle regrettait de s’être « emberloquée », un jour du mois d’août 1786, entre Rennes et Paris.
Chateaubriand se montre singulièrement niais pour un garçon de son âge. Enfermé dans sa chambre, au troisième étage de l’hôtel de l’Europe, il est angoissé, au point de songer à repartir aussitôt pour sa Bretagne. Mme Rose, prise de pitié devant le désarroi du jeune homme, prévient son frère dont l’adresse lui avait été communiquée à Rennes. L’arrivée de son aîné, flanqué de leur cousin Moreau, le requinque finalement. Rondouillard, faraud et bavard, Moreau a tout d’un viveur fréquentant tripots, antichambres et salons. Il propose illico au jeune dadais de le conduire chez une dame dont le nom aristocratique dissimule, semble-t-il, une activité moins noble. Nouvelle panique du jeune homme maîtrisée par son frère aîné, jugeant plus opportun de le conduire chez Julie de Farcy, leur sœur, venue à Paris pour consulter des médecins.
Le lendemain, dès potron-minet, le cousin Moreau vient le chercher à son hôtel pour effectuer, en sa compagnie, un tour dans Paris. François René le suit, résigné. En fait, la promenade se borne à arpenter les rues malpropres des environs du Palais-Royal. Moreau, devenu brusquement bien puritain, met en garde le jeune provincial contre les dangers auxquels s’expose tout flâneur dans ce quartier mal famé. Puis, pour conclure la journée, tous deux s’attablent dans un restaurant, où François René déplore la médiocrité des mets, et la conversation inepte de son cousin. Dans de telles circonstances, Paris ne peut que donner au jeune vicomte la nostalgie de Combourg où, reclus dans son donjon, sa solitude n’était meublée que des vols et des cris des martinets.
Chateaubriand effectue ses premières armes au régiment de Navarre à Cambrai, puis revient dans la capitale où il doit être présenté à la cour de S.M. Louis XVI, à Versailles. Il est terrorisé par la pompe et les ors de la résidence royale :
J’avais l’air d’un homme que l’on traîne aux galères, ou sur lequel on va prononcer une sentence de mort.
Ne connaissant d’autre établissement que l’hôtel de l’Europe de la rue du Mail, il s’y installe de nouveau, va chaque jour déjeuner rue des Fossés-Montmartre (rue du Faubourg-Montmartre) chez son frère. Celui-ci, décontenancé par la gaucherie de son cadet, ne peut se résoudre à l’introduire dans le monde. François René s’accommode de monter chaque matin au manège, puis, meuble sa solitude en traduisant l’Odyssée et la Cyropédie de Xénophon. Questionné par son frère sur l’occupation de ses journées, il répond qu’il ne fait rien. Navré, l’aîné hausse les épaules, lui tourne le dos, pronostique qu’il mourra ignoré et inutile à sa famille. Le soir venu, François René se noie dans la foule des boulevards, traîne le long des quais, s’enhardit, parfois, à prendre une loge à l’Opéra ou au Théâtre-Français. Dans la nuit, il constate amèrement : « Sous tant de toits habités, je n’avais pas un ami2. »
QUELQUES PORTRAITS D’ARTISTES PARISIENS.
François René et ses sœurs Julie et Lucile, « les trois plus jeunes oiseaux de la couvée », arrêtent, en 1787, un appartement à Paris, dans les pavillons de Saint-Lazare, en haut du faubourg Saint-Denis3, dans le voisinage de la demeure de leur frère aîné.
François René fait la connaissance de Delisle de Sales4, que lui présente sa sœur Julie. Auteur d’une Philosophie de la nature et d’une Histoire philosophique du monde primitif, celui que l’on surnomme le Singe de Diderot est le premier homme de lettres qu’il rencontre :
Delisle de Sales, très brave homme, très cordialement médiocre, avait un grand relâchement d’esprit, et laissait aller sous lui ses années ; ce vieillard s’était composé une belle bibliothèque avec ses ouvrages, qu’il brocantait à l’étranger et que personne ne lisait à Paris.
Portrait peu amène de celui qu’il considère à l’époque comme un aigle. Delisle lui présente Carbon de Flins des Oliviers5 « d’une éducation négligée, au demeurant homme d’esprit et parfois de talent », lequel le présente à Louis de Fontanes. Ce dernier l’invite chez lui, puis l’entraîne chez Joseph Joubert. Ils deviendront des amis, pour toujours.
Flins habitait rue Mazarine, il n’avait qu’une petite pension de sa famille, vivait de crédit. Vers les vacances du Parlement, il mettait en gage les livrées de ses Savoyards [ses domestiques], ses deux montres, ses bagues et son linge, payait ce qu’il devait, partait pour Reims, y passait trois mois. De retour à Paris, il retirait, au moyen de l’argent que lui donnait son père, ce qu’il avait déposé au Mont-de-Piété, et recommençait le cycle de cette vie, toujours joyeux et bien reçu.
Pendant les deux années précédant l’ouverture des États généraux, Chateaubriand se pousse dans la gentry des lettres parisiennes. Il écrit au chevalier de Parny6, « le seul poète élégiaque de la France », le priant de le recevoir. Reçu rue de Cléry par l’auteur, « homme grand, mince, le teint brun, les yeux noirs, enfoncés et fort vifs », Chateaubriand se lie avec lui. Il le reniera lorsque celui-ci se changera en un « misérable révolutionnaire ».
Il rencontre encore Ginguené, fait la connaissance de Chamfort qu’il compare aux sages de la Grèce. Le moraliste deviendra à son tour infréquentable en épousant la cause révolutionnaire.
Mais sans contredit, le plus bileux des gens de lettres que je connus à Paris à cette époque était Chamfort ; atteint de la maladie qui a fait les Jacobins, il ne pouvait pardonner aux hommes les hasards de sa naissance.
Sans contester son esprit ni son talent, Chateaubriand donne peu de chance à son œuvre d’atteindre la postérité. C’était sans compter sur Pierre-Louis Ginguené, l’ami de Chamfort qui réunira, plus tard, Maximes et Pensées, aphorismes et mots du moraliste spirituel et caustique. Ginguené n’est guère mieux traité que lui :
Ginguené vivait dans le monde sur la réputation d’une pièce de vers assez gracieuse, La Confession de Zulmé, qui lui valut une chétive place dans les bureaux de M. de Necker ; de là sa pièce sur son entrée au contrôle général. D’humble qu’il était nous vîmes croître son orgueil, à mesure qu’il s’accrochait à quelqu’un de connu. Vers le temps de la convocation des États généraux, Chamfort l’employa à barbouiller des articles pour des journaux et des discours destinés à des clubs : il se fit superbe. […] tombé de la médiocrité dans l’importance, de l’importance dans la niaiserie et de la niaiserie dans le ridicule, il a fini ses jours littérateur distingué, comme critique.
Grâce à son épouse, les jeunes Chateaubriand furent avertis du danger imminent d’un massacre devant être perpétré aux Carmes. Mme Ginguené leur donna asile, chez elle, cul-de-sac Pérou, près de Saint-Sulpice.
Lorsque je relis la plupart des écrivains du XVIIIe siècle, conclut-il, je suis confondu et du bruit qu’ils ont fait et de mes anciennes admirations.
Dans cette galerie de portraits gravés d’un burin acéré, Louis de Fontanes, compagnon d’exil, bénéficiera de l’allégeance indéfectible de son ami Chateaubriand.
Une amitié toujours accrue par la mauvaise fortune, jamais diminuée par la bonne.
Les opinions monarchistes exposées par Fontanes dans Le Modérateur s’accordent avec celles de François René. Pour lui, il est, avec Chénier, le dernier représentant de l’école classique. À ce titre, Fontanes observera avec circonspection ce romantisme naissant dont Chateaubriand est le chef de file. Ébahi à la lecture des premiers fragments des Natchez et de Atala – « il comprenait une langue qu’il ne parlait pas » – Fontanes, loin de l’accabler, prodiguera à son jeune ami des conseils judicieux concernant l’euphonie de la prose, le danger des divagations, ou l’exécution rocailleuse employée par ses épigones. Enfin, il l’incitera à poursuivre l’ouvrage qui deviendra Le Génie du christianisme.
RETOUR DANS UN PARIS SURCHAUFFÉ.
Après avoir assisté, à Rennes, à la réunion mouvementée des États de Bretagne au mois de juin 1789, Chateaubriand revient à Paris. Accompagné de ses deux sœurs, il descend désormais dans un hôtel garni de la rue de Richelieu.
L’exaltation révolutionnaire règne dans les rues de la capitale envahies par la foule. À chaque carrefour, des groupes se forment, s’interrogent sur la surexcitation ambiante. Parmi les orateurs haranguant les Parisiens au Palais-Royal, on écoute principalement le dénommé Camille Desmoulins.
Au cours des mois précédant son retour à Paris, les événements se sont précipités dans la capitale : l’émeute du 27 avril, rue du Faubourg-Saint-Antoine, où la fabrique de papiers peints Réveillon a été pillée, à la suite de rumeurs sur une baisse des salaires ; les États généraux se sont réunis le 5 mai ; la constitution du tiers état en Assemblée nationale est proclamée le 17 juin, et le Serment du Jeu de paume, prêté le 20 juin ; enfin le 23 juin, le clergé et la noblesse se sont unis au tiers état.
Le 14 juillet, Chateaubriand assiste à la prise de la Bastille. Son récit indigné est, pour cause, moins glorieux que celui des manuels scolaires d’Histoire de France. Le 22, depuis la fenêtre de son hôtel de la rue de Richelieu, il voit passer
deux têtes échevelées et défigurées, que les devanciers de Marat portaient chacune au bout d’une pique ; c’étaient les têtes de MM. Foullon et Bertier7.
Le 6 octobre, il court aux Champs-Élysées pour voir passer la voiture du roi au milieu d’une forêt de piques et de baïonnettes. Son récit des jours de désordre, ses portraits fielleux des gloires de l’Assemblée, sont d’un observateur lucide à la férocité implacable.
En dépit de l’atmosphère menaçante, la vie de société se poursuit à Paris. Les allées des jardins des Toileries sont « inondées de femmes pimpantes », alors que son Palais est une vaste prison où s’entassent les condamnés. L’élégance aristocratique fréquente l’hôtel de La Rochefoucauld8, les salons de la haute magistrature et celui de M. Necker. Chez les divers ministres, Mmes de Beaumont et de Sérilly comme la duchesse d’Aiguillon se rencontrent avec Mme de Staël9. On visite les couvents désormais ouverts au public, on célèbre un peu partout les fêtes de la destruction.
Les rues de Paris, encombrées jour et nuit par la foule, interdisent au vicomte de flâner. Alors il se réfugie dans une loge, assiste vingt fois de suite au même spectacle, « m’ennuyant pour me désennuyer, comme un hibou dans vin trou de mur ».
C’est alors que germe dans son esprit l’idée d’un voyage aux États-Unis d’Amérique. M. de Malesherbes10 l’encourage à partir. Ensemble, ils se penchent sur des atlas, étudient des itinéraires, lisent les récits des navigateurs anglais, hollandais, espagnols, français, russes et suédois. Malesherbes lui dit :
Si j’étais plus jeune, je partirais avec vous, je m’épargnerais le spectacle que m’offrent ici tant de crimes, tant de lâchetés et de folies.
Muni d’une recommandation pour le général Washington, Chateaubriand quitte Paris début avril 1791, embarque à Saint-Malo le 8, sur le Saint-Pierre, brigantin de 160 tonneaux à destination du Nouveau Monde, où il arrive le 9 juillet.
Son périple aux États-Unis accompli, il revient en France le 2 janvier 1792, et se marie à Saint-Malo avec Mlle Céleste Buisson de Lavigne, jeune orpheline que l’on croyait riche héritière. Après la proclamation de la République, Chateaubriand s’exile en Angleterre avec son frère. Son amitié avec Fontanes prend alors toute son ampleur à Londres. Il ne pourra revenir à Paris que huit ans plus tard, au mois de mai 1800, apportant avec lui les premières feuilles imprimées du Génie du christianisme.
À PARIS, APRÈS UNE SI LONGUE ABSENCE.
Fontanes l’accueille chez lui, rue Saint-Honoré, à deux pas de Saint-Roch, le présente à sa femme, puis l’entraîne chez Joseph Joubert, où il trouve un abri provisoire. Il loue un entresol, rue de Lille, près de la rue des Saints-Pères, retrouve son vieux Delisle de Sales, se rend chez Ginguené, rue de Grenelle-Saint-Germain, près de l’hôtel du Bon La Fontaine. Il s’amuse de l’avertissement consigné sur la loge de son concierge :
Ici on s’honore du titre de citoyen, et on se tutoie. Ferme la porte, s’il vous plaît.
Le courant ne passera guère entre les deux écrivains trop imbus, l’un et l’autre, de leur génie.
Après huit ans d’exil à Londres, Paris inspire à Chateaubriand quelques remarques acerbes concernant les mœurs de la capitale.
Je ne pouvais me faire à la saleté de nos maisons, de nos escaliers, de nos tables, à notre malpropreté, à notre familiarité, à l’indiscrétion de notre bavardage : j’étais Anglais de manière et de goûts.
Puis, comme s’il voulait infléchir ses propos peu amènes, tempérer ce jugement défavorable sur ses compatriotes, il exalte avec ferveur les caractères propres aux Parisiens :
Mais peu à peu je goûtais la sociabilité qui nous distingue, ce commerce charmant, facile et rapide des intelligences, cette absence de toute morgue et de tout préjugé, cette inattention à la fortune et au nom, ce nivellement naturel de tous les rangs, cette égalité des esprits qui rend la société française incomparable et qui rachète nos défauts : après quelques mois d’établissement au milieu de nous, on sent qu’on ne peut vivre qu’à Paris.
Enfermé dans son entresol, il travaille. Dans ses moments de répit, il va se promener au Palais-Royal où Camille Desmoulins ne pérore plus en plein vent. On ne voit plus circuler des troupes de prostituées, compagnes virginales de la déesse Raison, et marchant sous la conduite de David, costumier et corybante. Dans les galeries, des marchands ambulants haranguent le chaland pour lui vendre des vues d’optique, des ombres chinoises, des cabinets de physique. « Malgré tant de têtes coupées, il restait encore des oisifs. »
Il traîne sa nostalgie en allant revoir les lieux de ses premières rêveries. Derrière le Luxembourg on achève de démolir la Chartreuse, située en face de la Closerie des Lilas. Les places des Victoires et de Vendôme pleurent les effigies absentes du grand roi. La communauté des Capucines est saccagée et le cloître intérieur est occupé par le matériel des « fantasmagories » de Gaspard Robertson11. Aux Cordeliers, rue de l’École-de-Médecine, il cherche en vain la nef gothique où il avait assisté aux débuts de Marat et de Danton.
À l’orée du siècle nouveau, Paris commence sa métamorphose.
Chateaubriand dédie à Bonaparte, restaurateur de la religion, Le Génie du christianisme et entame une carrière publique et mondaine. Il sera nommé premier secrétaire d’ambassade à Rome, puis ministre de France dans le Valais.
À PARIS, RETOUR DE JÉRUSALEM.
Après la mort du duc d’Enghien, Chateaubriand démissionne de son poste. Sa rupture avec Bonaparte est consommée. À son retour à Paris en 1804, il s’installe pendant une année dans un petit hôtel de la rue de Miromesnil.
La vente de l’immeuble le contraint à chercher refuge ailleurs. Il loue à la marquise de Coislin l’attique de son hôtel, place Louis XV (place de la Concorde, fait le pendant de l’hôtel de Crillon, au coin de la rue Royale), prépare son voyage pour le Levant. Sa relation constituera le sujet de son ouvrage : Itinéraire de Paris à Jérusalem.
Du 13 juillet 1806 au 5 juin 1807, Chateaubriand pérégrine en Orient.
À son retour à Paris, il quitte son logis de la place Louis-XV pour l’hôtel de Lavalette, rue des Saints-Pères, en attendant de prendre possession de sa chaumière de la Vallée-aux-Loups, à Châtenay-Malabry12, alors en travaux. Il ira, prudemment, s’y faire oublier quelque temps.
Il vient de temps à autre pour de brefs séjours dans la capitale, pour surveiller l’impression de son ouvrage Les Martyrs. Élu à l’Académie française en 1811 au fauteuil de Marie-Joseph de Chénier, il fait, dans son discours de réception, l’éloge de l’auteur des paroles du Chant du départ mis en musique par Étienne Méhul. Immortel, il estime, dorénavant, que « sa vie de poésie et d’érudition [fut] véritablement close par la publication de [ses] trois grands ouvrages, Le Génie du christianisme (1802), Les Martyrs (1809) et l’Itinéraire (1811) ».
ACCRÉDITÉ, PUIS
DISCRÉDITÉ.
CHATEAUBRIAND RETROUVE PARIS.
Dans l’hiver de 1813-1814, Chateaubriand prend un appartement rue de Rivoli.
En face de ta première grille du jardin des Tuileries, devant laquelle j’avais entendu crier la mort du duc d’Enghien. On ne voyait encore dans cette rue que les arcades bâties par le gouvernement et quelques maisons isolées s’élevant çà et là avec leur dentelure latérale de pierre d’attente.
Tandis que l’Empire s’écroule, il s’active à Paris en publiant De Buonaparte et des Bourbons, en collaborant au Journal des débats, en créant avec quelques amis Le Conservateur.
Retrouvant grâce auprès du pouvoir, Chateaubriand part pour Berlin le 1er janvier 1821, à titre d’ambassadeur de France. À Paris, il fait un froid à pierre fendre, la Seine est gelée. Aussi, n’est-il pas mécontent que sa fonction lui octroie une voiture confortable pour son voyage.
L’année suivante, le voici ambassadeur en Grande-Bretagne, accrédité auprès du roi George IV à Londres, puis plénipotentiaire, représentant la France au congrès de Vérone. Ministre des Affaires étrangères en 1823, il est destitué le 6 juin 1824, le jour même où il attendait, pour un dîner privé, une quarantaine de personnes dans les salons de son ministère.
Les embarras de la richesse et les inconvénients de la misère me suivirent dans mon logement de la rue de l’Université.
Après avoir envoyé ses regrets aux convives, il ne lui restait plus qu’à replier dans son modeste appartement les plats préparés et les ustensiles de cuisine.
Montmirel13 et ses aides se mirent à l’ouvrage, et nichant casseroles, lèchefrites et bassines dans tous les coins, il mit son chef-d’œuvre réchauffé à l’abri. Un vieil ami vint partager mon premier repas de matelot mis à terre.
C’est tristement qu’il se résigne à habiter la maison de la rue d’Enfer (92, avenue Denfert-Rochereau depuis 1879) où il fait exécuter des travaux d’agrandissement. Il l’avait acquise, pour sauver l’Infirmerie de Marie-Thérèse, que Mme de Chateaubriand transforma, en 1819, en maison hospitalière, chargée d’y recueillir des personnes d’un rang social élevé que l’infortune avait fait tomber dans la misère. Après sa mort, Chateaubriand s’y installe, arrange cette maison des champs à son goût. Il se plaît au cœur des prés où paissent les bêtes de l’infirmerie. Dans le parc, il plante vingt-trois cèdres de Salomon, et deux chênes de druides. C’est là qu’il va vivre les heures chaudes de 1830, il y écrit ses Études historiques, un Essai sur la littérature anglaise, Le Congrès de Vérone et une grande partie des Mémoires d’outre-tombe. Puis il voyage ! projette de se fixer à l’étranger ; revient à Paris ; quitte la rue d’Enfer, pour venir s’installer dans un rez-de-chaussée au 112, rue du Bac, allant chaque jour faire sa cour à Mme Récamier, sa voisine. Cette « amoureuse de l’amitié » tient salon à l’Abbaye-aux-Bois, l’ancien couvent des Bernardines de la rue de Sèvres, démoli en 1907. Après des revers de fortune, Juliette Récamier vient y habiter de 1819 à 1829. C’est ici qu’eurent lieu, en 1834, dans un autre appartement plus cossu, les lectures des Mémoires. Chateaubriand évoque avec ferveur « l’asile solitaire » de son amie et la douce intimité de ses visites quotidiennes au cours desquelles une réelle sérénité, aliénée par la hantise de la mort, le « délassait ». Ces heures de paix passées près de son amie le dédommagent, écrit-il, des heures troubles et de l’absence des hommes qu’il estimait : Joubert, Fontanes, Benjamin Constant, tous anciens familiers de Mme Récamier. Là « j’entrevoyais le prochain repos que ma foi, que mon espérance appelle ». Le 4 juillet 1848, Chateaubriand, lumière du siècle, s’éteint dans sa demeure de la rue du Bac. Moins d’un an plus tard, le 11 mai 1849, Juliette Récamier disparaissait.