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La panoplie de mec

À vélo, la maison de Michael sur Noe Hill n’était qu’à une courte distance de l’appartement de Jake dans le Duboce Triangle, mais la dernière partie du trajet était un raidillon exténuant. D’habitude, Jake mettait pied à terre dans le bas de Cumberland et poussait sa bécane jusqu’en haut de Noe Street. Ce soir pourtant, l’énergie lui manquait. Il lâcha donc le vélo pour se reposer sur les marches en béton. Quelques secondes plus tard, son téléphone vibra dans sa poche.

Lorsqu’il vit qui l’appelait, ce fut son cœur qui se mit à vibrer.

« Jonah… mec… quoi de neuf ?

— Salut, Jake.

— T’es à Snowflake ?

— Ouais. »

Un long moment s’ensuivit, ce qui incita Jake à une provocation gentille.

« Alors… quoi ? Je te manque ?

— Mec…

— Entre mecs aussi, ça arrive que l’autre vous manque, tu sais.

— Je sais. Et tu me manques. »

Ça ressemblait à une sérieuse déclaration, et Jake se sentit rougir.

Il se demanda si ça lui passerait avec son hystérectomie et si, en fait, il avait encore vraiment envie que ça lui passe. Bien sûr, il voulait toute la panoplie de mec, mais ça ne le dérangerait pas de continuer à rougir. Ce n’était jamais que son cœur qui faisait le sémaphore.

« C’est cool, répondit-il calmement à Jonah. Toi aussi, tu me manques.

— Et c’est super bon, en plus. »

Jake en rit de bonheur.

« C’est le but, mec.

— C’est ma première bromance.

— Hein ?

— Tu sais… ces histoires d’amour fraternel, comme Paul Rudd dans le film.

— Je sais ce que c’est qu’une bromance, Jonah. Là, c’est pas ça. Il s’est passé beaucoup plus entre nous. On s’est roulé une pelle pendant plus d’une demi-heure, bordel.

— Oui, murmura Jonah, et le Père miséricordieux m’a pardonné.

— Tu te fous de ma gueule. Te pardonner pour un baiser ?

— Nous avions des pensées impures, Jake. C’est une vraie chance qu’on ne soit pas allés plus loin.

— Donc… tant qu’il n’y a pas de coup de queue, t’es pas homo. C’est ça que t’es en train de me raconter ? C’est ce que t’a tartiné ton psy à la con ?

— Arrête, mec. Pour moi, t’es un gars super. Même si t’es gay, je…

— Même si ?

— Le Seigneur accorde Son pardon à tout le monde, Jake.

— Va te faire foutre avec ton pardon, mon pote. Et va te faire foutre si t’es trop lâche pour affronter ta vérité en face. T’avais vachement envie de moi, et tu le sais.

— Mon psy m’avait prévenu que tu dirais ça. »

Jake lui raccrocha au nez, attrapa son vélo et grimpa la colline à pied en direction de chez Michael, car il avait besoin de se dépenser physiquement pour calmer la tempête sous son crâne. Il était bien sûr plus en colère contre lui-même qu’il ne l’était et ne pourrait jamais l’être contre Jonah. Pourquoi n’avait-il pas laissé tomber ? Qu’avait-il espéré de cette relation ? Pourquoi avait-il essayé de construire quelque chose à partir de rien ?

 

Il se trouvait à un pâté de maisons de chez Michael, sur la partie la plus escarpée de Noe Hill, lorsqu’il entendit le hurlement. Il y avait peu de doutes à avoir sur sa gravité – et il en eut encore moins lorsqu’il entendit le coup de feu. Il lâcha sa bicyclette sur le trottoir et piqua un sprint jusque chez Michael et Ben. La maison était éclairée, il s’approcha donc prudemment par le jardin. Derrière la porte-fenêtre, il vit Mary Ann sur le canapé, qui se balançait d’avant en arrière, les bras serrés autour des genoux. Il voulut entrer, mais la porte était fermée. Il mit un coup de botte dans les carreaux, ce qui fit hurler Mary Ann de plus belle.

« C’est bon, cria-t-il. C’est Jake. Ça va ? »

Elle hocha la tête, incapable de parler.

« Il y a quelqu’un d’autre ici ? »

Elle hocha de nouveau la tête et lui indiqua le pavillon.

« Ils sont armés ?

— Il est mort. »

Il traversa le jardin. La porte du pavillon était ouverte, de sorte qu’il aperçut la mare de sang par terre. En approchant, il vit le renflement du corps à moitié caché sous un long manteau noir. Il y avait une giclée de sang sur le mur et un trou sur la tempe du mort. Jake n’avait encore jamais vu ce vieux bonhomme.

Un gémissement le fit sursauter et Roman émergea de la salle de bains, la tête basse, comme si c’était lui qui avait appuyé sur la détente.

« Viens ici, le chien », lui lança Jake, empli de compassion.

Roman négocia une lente et prudente retraite, mais s’arrêta pour renifler la poche du cadavre à plusieurs reprises avant de sortir.

De retour à la maison, Jake appela le 911. Il donna l’adresse à son interlocuteur et lui expliqua : « On a un suicide par balle. » Puis, en y réfléchissant, il murmura à Mary Ann : « C’est bien ça, hein ? » Elle acquiesça.

Il raccrocha et s’assit à côté d’elle sur le canapé. Elle se tourna vers lui et se laissa aller à pleurer contre son épaule, doucement d’abord, puis avec une violence qui le surprit. On aurait cru une de ces vieilles Grecques qui s’effondrent sur un cercueil.

« Là, chuchota-t-il en lui caressant les cheveux. Tu ne risques plus rien maintenant. Jake est avec toi. Ça va aller. » Il s’habituait à son statut de mec.

Mary Ann en automne
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