JUIN
MORTE EN APPARENCE ?
Évidemment, je n’avais pas l’intention d’assister à l’enterrement.
Aller à l’enterrement de Pia – quelle idée ! Ç’aurait été comme accepter sa mort.
Que notre dernière coccinelle ait été attribuée à la cafèt, que quelqu’un d’autre aille mettre des affiches aux murs vides de sa chambre. Que Bette, peut-être, attraperait la balle, quand je la passerai au basket. Non, Pia, je ne suis pas dupe ! Arrête tes conneries et reviens tout de suite !
« Exactement pour cette raison ! » a répliqué ma mère quand je lui ai expliqué en souriant pourquoi je ne voulais pas y aller. « Il faut absolument que tu ailles à l’enterrement. Cela t’aidera à faire un petit bout de chemin. »
Elle s’apprêtait à me prendre dans ses bras, mais je me suis écartée.
Je me suis assise devant mon placard, et j’ai chantonné : « Je marche vers la mort partout où je vais, hop la hop, hop la hé », alors que ma mère cherchait une robe grise et une chemise blanche dans mes affaires.
Puis je ne me souviens pas de grand-chose jusqu’au moment où je me suis retrouvée assise sur un banc dans la chapelle, un bouquet de roses violettes dans la main, fixant le cercueil blanc. Dans ma tête, je passais en revue ce qu’il pouvait contenir. À quoi est-ce qu’on ressemble quand on est passé sous les roues d’un train ? Je tâtais les tiges des roses à la recherche d’épines pour me piquer dans la main, mais il n’y en avait pas. De nos jours, même les roses ne servent plus à rien.
On s’est levés les uns après les autres pour jeter nos bouquets sur le couvercle du cercueil. Certains ont dit quelques mots, mais pour moi c’était comme entendre le bruit d’une radio à travers un mur. Puis une poignée de vieux l’ont soulevée – faites gaffe, abrutis, ne renversez pas le cercueil, elle va se faire mal ! – et ils sont partis avec elle. On les a suivis. (« Il ne faut pas qu’ils m’incinèrent, je pourrais juste être morte en apparence », a-t-elle dit une fois. Morte en apparence !)
Les bouleaux étaient vert clair, partout régnait une ambiance de printemps-qui-chante ; on avait atterri dans le mauvais cortège, Pia et moi. En fait, on aurait dû se trouver côte à côte à la fête de fin d’année, en train de commenter à voix basse le discours du directeur. Pour lui, les jeunes sont une race à part. Lors des fêtes de fin d’année, son racisme anti-jeunes touche à son apogée. D’habitude, il couronne le tout par un poème débile sur les bourdons. Pia et moi, on s’en serait donné à cœur joie.
Mais devant moi, il y avait un grand trou. J’ai failli pousser un cri, parce que Pia se tenait debout à côté de la fosse. C’était une Pia aux épaules larges, en uniforme, le menton un peu plus carré, mais en dehors de cela c’était bien le visage pétrifié de Pia. Et pourtant, ce n’était que son frère, le soldat. C’est à ce moment-là qu’elle est vraiment morte pour moi, parce que, tout à coup, je me suis souvenue de son visage.