9

Mettant sa partie du plan à exécution, Katy installa son appareil photographique sur un trépied et le cacha devant la fenêtre la plus éloignée de sa boutique, derrière les rideaux, pour ne pas alarmer ses clients. Tout en pétrissant la pâte, elle jetait régulièrement des coups dœil dans la rue, espérant que l'alchimiste n'apparaîtrait pas au moment où elle devait servir quelqu'un. Elle adorait sa vie de maman qui avait aussi ses moments de panique, mais l'aventure lui manquait beaucoup depuis qu'elle passait presque tout son temps entre les murs de son commerce. Même si elle n'y avait pas participé quelques armées auparavant, Katy savait que les parties que se disputaient le magicien et le sorcier n'étaient pas inoffensives. Elle ne voulait pour rien au monde mettre la vie de ses enfants en danger, mais elle avait besoin de sentir une dernière fois qu'elle avait un plus grand rôle à jouer dans l'univers que celui de faire cuire des beignets jour après jour.

Katy laisserait évidemment ses amis assumer les tâches les plus dangereuses, non pas parce qu'elle était froussarde, mais parce que quelqu'un devrait se sacrifier pour garder le fort à Nouvelle-Camelot pendant la tempête qui se préparait. Elle fournirait aux autres les armes dont ils auraient besoin, puis attendrait patiemment leur retour. Elle se doutait bien que Marco voudrait se joindre aux guerriers, mais elle avait la ferme intention de l'en dissuader, car il était primordial à son bonheur. Ce qui importait surtout, c'était de s'assurer que leur petite ville tranquille ne se trouve plus jamais sur la route d'un sorcier tordu.

Après avoir coupé et déposé la pâte sur les plaques métalliques, Katy alla regarder une fois de plus par la fenêtre. Son curieux voisin passait justement devant la boulangerie ! Elle se précipita sur son appareil photo et se mit à prendre des clichés en rafales, jusqu'à ce qu'il disparaisse dans son local. Medrawt portait une longue cape noire qui recouvrait tous ses vêtements. On ne voyait que sa tête aux cheveux gris. « Il n'a peut-être pas de corps ? » songea Katy.

Tout en achevant ses pâtisseries, elle poursuivit son guet. C'est alors qu'elle vit une femme mettre la main sur la poignée de la porte de la boutique de l'alchimiste. Katy laissa son travail en plan et prit d'autres photos. Même si on ne voyait la cliente que de dos, elle n'eut aucun mal à la reconnaître : c'était la mairesse ! « Pourquoi consulte-t-elle monsieur Medrawt ? » s'étonna-t-elle. Pouvait-elle être mêlée à cette histoire ? Que savait-on vraiment du passé de cette femme ?

— Les choses se compliquent…

Elle vit Eisa Goldstein sortir de l'échoppe et se diriger vers le nord, sur la rue des Hanses. Si elle n'avait pas eu autant de produits en train de cuire, Katy l'aurait certainement suivie.

— Il faut que je prévienne quelqu'un !

Comme s'il l'avait entendue, le ciel répondit tout de suite à son appel en la personne de Fred et de Karen. Le couple entra dans la boulangerie et n'eut pas le temps de saluer Katy.

— Vous ne devinerez jamais ce qui vient de se passer ! s'exclama-t-elle.

— À en juger par ton enthousiasme, c'est quelque chose qui devrait nous faire avancer, constata Fred.

— J'ai pris des photos de l'alchimiste quand il est arrivé à son local, à exactement onze heures huit minutes, leur apprit-elle.

— Si l'on peut capturer son image, ce n'est donc pas un vampire, raisonna Karen.

— J'ai aussi photographié sa première cliente, et vous ne devinerez jamais de qui il s'agissait.

— Est-ce un jeu ? se lamenta Fred.

— Tu sais bien qu'elle va nous le dire, l'encouragea Karen.

— C'était la mairesse !

— Quoi ? firent en chœur les époux Mercer.

— Je vais vous le prouver !

Katy détacha la caméra de son trépied et leur montra les photos en question.

— C'est bien madame Goldstein, affirma Karen.

— Mais qu'est-elle allée faire chez lui ? s'étonna Fred.

— Je n'en sais rien, avoua Katy. Elle est restée environ trente-cinq minutes et elle est ressortie les mains vides.

— Peut-être qu'il donne des consultations en plus de vendre des objets ésotériques ? suggéra Karen.

— Il n'y a qu'une façon de le savoir, décida Fred.

Il prit la main de son épouse et l'entraîna vers la sortie. Katy remit la caméra à sa place et les observa par la fenêtre tandis qu'ils marchaient vers la porte de la boutique sous enquête.

Le couple commença par observer attentivement les objets en montre dans la petite vitrine. Y étaient disposées des pierres de toutes les couleurs, des pièces de monnaie très anciennes, des figurines de dragons et d'autres bêtes bizarres qui entouraient un grimoire à la couverture usée.

— Je n'arrive pas à lire ce qui est écrit sur le livre, soupira Fred.

— C'est en latin et ça se traduit plus ou moins par « Traité de magie ».

— Pourquoi vend-il des livres que personne ne peut lire ?

— Ces livres ne s'adressent pas au commun des mortels, Fred. Il les vend à des initiés.

— Comme les sorcières ?

— Ou les gens éduqués. Contrairement à ce que tu penses, il y en a à Nouvelle-Camelot.

— Allons voir à l'intérieur.

Karen ne se fit pas prier pour le suivre, car elle s'intéressait à l'occultisme depuis fort longtemps. Fred poussa la porte et fut bien surpris de ne trouver personne à l'intérieur, mais derrière le comptoir de bois pendait un rideau qui cachait certainement la porte de l'arrière-boutique. Medrawt devait s'y trouver. Peut-être voulait-il se faire une idée de ses clients avant de les aborder.

Le couple commença par étudier ce qui se trouvait derrière chaque surface vitrée. Il y avait surtout des pierres précieuses, des pendules et des talismans, mais aussi de magnifiques bijoux d'inspiration antique. « Jusqu'à quelle époque remontent-ils ? » se demanda Karen, fascinée. Les gondoles contenaient une foule d'objets bizarres. Des livres anciens, la plupart en latin, étaient alignés sur plusieurs étagères.

— On dirait une boutique de Nouvel-Âge, mais avec des trucs beaucoup plus vieux, fit remarquer Fred.

— Pas plus vieux, authentiques, le corrigea Karen.

— Vous avez l'œil, gente dame, fit une voix masculine derrière eux.

Le mari et la femme se retournèrent en même temps. L'étranger leur souriait, mais il était impossible de déterminer s'il se moquait d'eux ou s'il préparait quelque sombre entreprise.

— C'était uniquement une constatation, affirma Karen en rougissant.

— Certains de ces objets proviennent de sites archéologiques, et d'autres de collections privées en Europe. La plupart ont eu d'illustres propriétaires.

— Comme qui ? se méfia Fred.

— Comme des empereurs romains, des pharaons, des prêtres sumériens, des chefs de guerre troyens.

— Vraiment ?

— J'ai des défauts comme tout le monde, mais je ne mens jamais, assura l'alchimiste. Dites-moi ce qui vous intéresserait.

Avant que Karen n'ait le temps de lui pointer les curieux pendules qui se trouvaient sous son nez, Fred demanda à Medrawt s'il possédait des articles provenant des Croisades.

— C'est ma spécialité, affirma fièrement ce dernier.

— Où sont-ils ?

Le marchand prit une boîte en métal qui se trouvait sous le comptoir et la déposa devant lui. Fred ne respirait plus. Medrawt l'ouvrit avec beaucoup de déférence et la tourna vers son client. Elle contenait des médaillons en métal avec des emblèmes différents.

— Ils ont été retrouvés à Jérusalem il y a plusieurs années, expliqua l'alchimiste. On dit qu'ils confèrent des pouvoirs magiques à ceux qui les portent.

— Alors pourquoi ne les portez-vous pas vous-même ? lança Fred, sceptique.

Medrawt ouvrit les pans de sa cape. Sur une chaîne pendait un médaillon qui ressemblait beaucoup à ceux qui reposaient dans la boîte.

— Quel pouvoir a celui-là ?

— Celui de lire les pensées.

— Vraiment ?

— Vous n'êtes venus ici aujourd'hui que pour voir si j'étais un charlatan. En réalité, l'ésotérisme n'intéresse vraiment que cette jeune dame.

— Vous oblige-t-il aussi à toujours dire la vérité ?

— Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, je ne mens jamais.

— Alors, êtes-vous un charlatan ?

— Non, monsieur Mercer.

— Mais nous ne vous avons pas dit nos noms ! s'exclama Karen.

— Soyez sans crainte, madame Pilson, si je les connais, c'est que j'écoute souvent votre musique, avoua Medrawt avec un sourire moqueur.

— Donc, ces bijoux n'ont pas de pouvoirs, voulut s'assurer Fred.

— Non, ils en ont réellement. Je vous propose un petit exercice inoffensif qui vous convaincra de ce que j'avance.

Fred jeta un coup d'œil interrogateur à son épouse.

— Finis ce que tu as commencé, lui conseilla-t-elle.

L'alchimiste déposa sur le comptoir un grand morceau de velours sombre, puis y déposa les médaillons en prenant soin de bien les espacer. Il tendit ensuite un foulard opaque à Karen pour qu'elle l'attache sur les yeux de son époux.

— Votre femme va diriger doucement votre bras de façon à ce que la paume de votre main passe au-dessus de chaque pendentif. Lorsque vous ressentirez quelque chose, dites-le-nous, mais ne vous arrêtez pas.

— Je suis capable de faire au moins ça ! accepta Fred.

Il se prêta au jeu et fut bien surpris de ressentir un violent picotement dans sa main à deux reprises.

— Vous pouvez lui retirer le bandeau, indiqua Medrawt.

— Que s'est-il passé ? s'enquit Fred.

— Apparemment, deux de ces médaillons pensent que vous pourriez avoir besoin d'eux.

— Ils ne sont pas vivants, tout de même !

— Pas dans le sens où nous l'entendons généralement. C'est l'énergie qu'ils renferment qui l'est.

Il remit tous les bijoux dans la boîte, sauf ceux qui avaient signalé leur affinité avec la force vitale du musicien.

— Si vous n'en aviez qu'un à choisir, lequel serait-ce ? lui demanda l'alchimiste.

— Faut-il que je repasse mes mains au-dessus des deux ?

— Non. Cette fois, utilisez vos yeux.

Fred les examina l'un après l'autre, indécis. Le premier, de forme octogonale, semblait être en argent. Il représentait un chevalier sur son destrier, prêt à combattre, sa lance pointée devant lui. Le second, en étain ou dans un autre alliage semblable, était rond. Il affichait une épée en son centre. Le pourtour était gravé de symboles étranges.

— C'est le deuxième, décida le musicien.

— Très bon choix.

— Quel est son pouvoir ?

— Il assure à son porteur une connexion magnétique avec tous ceux qu'il rencontre.

— Est-ce que ça peut s'étendre à un public entier ?

— Fred ! s'exclama Karen sur un ton de reproche.

— J'imagine que oui, répondit tout de même Medrawt.

— Combien en demandez-vous ?

— Ce sont des pièces qui devraient se trouver dans des musées, alors elles valent très cher.

— Ça m'est égal.

— Je laisserais partir celle-ci pour deux mille dollars.

— Vendu.

Karen écarquilla les yeux avec surprise. Depuis qu'elle était mariée à Fred, jamais elle ne l'avait vu prendre une décision aussi rapidement ! Elle n'eut pas le temps de lui recommander de réfléchir un peu qu'il sortait déjà sa carte de crédit de son portefeuille. Dès que la transaction fut complétée, le musicien prit le médaillon entre ses doigts.

— Puis-je le porter tout de suite ?

— Mais évidemment.

Il passa la cordelette de cuir par-dessus sa tête avec beaucoup de satisfaction.

— Si je m'occupais de la jeune dame, maintenant ? fit Medrawt en portant son attention sur elle. J'ai cru remarquer votre intérêt pour mes pendules.

— Je les ai toujours aimés, mais je n'ai jamais osé en acheter un.

— La radiesthésie est une science très ancienne. On la pratiquait déjà en Égypte il y a des milliers d'années. Elle permet de retrouver ce qui est caché, qu'il s'agisse de sources, de personnes ou d'objets perdus, d'établir des diagnostics médicaux, de déterminer la profondeur d'un puits et même de faire appel à certains élémentaux.

Fred ne les écoutait plus. Le dos appuyé contre le comptoir, il tenait son médaillon entre ses doigts et étudiait les incrustations autour de l'épée.

— Sommes-nous obligés de faire toutes ces choses lorsque nous possédons un pendule ? se renseigna Karen.

— Généralement, les gens se spécialisent dans une seule de ces applications. Tout dépend de leurs dons naturels.

— Choisit-on un pendule comme on choisit un médaillon magique ?

— Pas tout à fait. Ils ont tous une vocation différente. Le mieux, c'est de décider d'abord ce que l'on désire faire. Il y a des pendules cartographiques, universels, égyptiens, cylindriques, coniques, secrets ou gouttes d'eau. Ils ont tous des fonctions différentes. Certains servent à faire des recherches sur des cartes géographiques, d'autres à trouver des sources d'eau. Ceux-ci servent à l'hypnose.

— Et ceux-là ? demanda Karen sans oser y toucher.

— Ils aident à retracer des personnes disparues. Dans le pendule secret se cache un petit compartiment où l'on met une mèche de cheveux ou quelque chose de personnel qui aide la recherche. Le pendule goutte d'eau est généralement le plus populaire, car il aide à gagner au loto.

— Ce qui ne m'intéresse pas du tout.

— Il y en a un que je n'offre pas à tout le monde. Les Atlantes s'en servaient pour repérer les ondes nocives.

— Comme les démons, par exemple ?

— Les démons, les esprits, les sorciers, les vampires et même les loups-garous.

— Vous croyez qu'ils existent ?

— Je n'en ai jamais vus, mais cela ne veut pas dire que je n'en rencontrerai jamais.

Il fouilla sous le comptoir et déposa dans la paume de Karen un pendule en métal doré, sur lequel était attaché un cristal transparent ébiselé à la perfection.

— Il est magnifique…, murmura la jeune femme dans un souffle admiratif.

— Je ne connais pas sa provenance exacte, mais celui qui me l'a vendu m'a assuré qu'il provenait d'un grand trésor retrouvé dans la mer des Bahamas. Il est en or.

— Il doit valoir une petite fortune.

— Ce genre d'outil contre le Mal n'a pas vraiment de prix. Il choisit généralement la personne qui devrait le posséder et il s'organise pour trouver son chemin jusqu'à elle.

— Donc, si je ne vous l'achetais pas aujourd'hui, même s'il était parfait pour moi, il finirait éventuellement entre mes mains ?

— Oui, c'est ce que je crois.

— C'est vraiment celui que je préfère, mais je ne le prendrai pas, juste pour voir s'il pense la même chose de moi.

— Puis-je proposer un second volet à cette expérience, madame Pilson ? Si vous entrez en possession de cet objet magique, de quelque façon que ce soit, vous devrez me remettre une copie de votre dernier album.

— C'est tout ?

— Tel est le prix que j'en demande.

— Marché conclu.

Elle voulut lui serrer la main, mais il recula et remit plutôt le pendule sous le comptoir.

— Nous nous reverrons bientôt, monsieur Medrawt, affirma-t-elle en saisissant Fred par le bras.

— J'y compte bien.

Le couple quitta la boutique de l'alchimiste. Karen referma la porte et, en se retournant, heurta le poitrail immaculé d'un cheval. Heureusement, le destrier de Galahad était habitué à recevoir de tels chocs et il ne broncha pas. Les musiciens levèrent les yeux vers le cavalier en même temps.

— Je suis vraiment désolée, s'excusa Karen. Je ne regardais pas où j'allais.

— Que faisiez-vous dans cette boutique ?

— Une petite enquête à la demande de Katy, confessa Fred.

— C'est un type charmant, s'empressa d'ajouter Karen.

— Les plus petites vipères sont souvent les plus mortelles, laissa tomber Galahad. Je préférerais que vous ne vous approchiez plus de cet homme.

— Mais…, voulut protester Fred.

— Rentrez chez vous, ordonna le chevalier, mécontent.

Les musiciens le connaissaient assez pour savoir qu'il ne plaisantait pas. Karen prit la main de Fred et l'entraîna vers le carrefour. Galahad attendit qu'ils aient tourné le coin de la rue pour descendre de cheval. La magie qu'il captait maintenant autour de lui était étrange, mais bien réelle. Il ne savait pas ce qu'il dirait à cet homme ni même comment il l'aborderait, mais il ne pouvait plus reculer. Il devait savoir si ce dernier représentait une menace pour sa ville.

Il attacha les rênes au poteau prévu à cet effet et posa la main sur la poignée en métal de la boutique. L'énergie qui traversa tout son corps aurait pourtant dû le mettre en garde, mais il pénétra tout de même dans l'antre de l'alchimiste. Il faisait sombre dans le local. Galahad ralentit ses gestes le temps de s'habituer à l'obscurité.

— Je m'attendais plutôt à voir entrer Arthur, fit une voix masculine.

Le chevalier plissa les yeux et remarqua la silhouette debout devant la porte de l'arrière-boutique. Il combattit la peur qui lui conseillait de faire demi-tour et s'approcha du comptoir. Toutes les bougies s'allumèrent en même temps, ce qui le fit tressaillir. Il examina le visage du commerçant et dut en venir à la conclusion qu'il s'agissait bien de celui qu'il avait vu dans le dossier que lui avait remis Frank.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il, inquiet.

— Vous le savez déjà, Galahad.

— Vous n'êtes donc pas le véritable Timothée Medrawt.

— J'ai uniquement emprunté son nom, son image et son métier. On dirait bien que je lui ai tout pris, en fin de compte.

L'alchimiste éclata d'un rire provocant.

— Pourquoi êtes-vous ici ? poursuivit Galahad, impassible.

— Peut-être l'ignorez-vous, mais vos loyaux compagnons d'armes ont vendu votre roi à Mathrotus.

Personne, sauf le diable lui-même, ne prononçait le nom du sorcier sans s'exposer à une mort subite !

— Conduisez-moi à Arthur, chevalier.

— Votre sombre maître ne vous a-t-il pas informé que les pions tombés pendant la partie ne vous sont d'aucun secours ?

— Oh, mais le nouvel affrontement n'a pas encore commencé…

Medrawt leva la main devant lui. Galahad ressentit aussitôt une accablante pression sur sa gorge.

— C'est pour sauver votre peau que vous me guiderez jusqu'à votre roi.

— Je mourrai plutôt que de le trahir, rétorqua le chevalier d'une voix étouffée.

— Tout ce qui vit veut continuer à vivre. C'est une grande loi de la nature.

L'alchimiste tendit brusquement le bras. Une force invisible projeta Galahad contre le mur derrière lui et l'y écrasa impitoyablement.

— Je n'hésiterai pas à vous tuer, chevalier. Puis, je serai peut-être tenté de rendre visite à votre veuve avant qu'elle ne commence à vous pleurer.

— Non !

— Si cela ne suffit pas à vous persuader de m'aider, les amis de votre veuve mourront le jour de ses funérailles.

Galahad se débattit comme un forcené, sans arriver à bouger un muscle. Ce genre de pouvoir n'était jamais accordé aux soldats du magicien, seulement à ceux du sorcier. Mais Mordred, malgré sa déloyauté, avait pourtant été à l'origine un membre de la Table ronde.

Medrawt contourna le comptoir et s'approcha de lui, le visage contrit.

— Ce serait vraiment dommage…

— Je ne suis pas un traître comme vous, ragea Galahad.

— Qu'en savez-vous ?

Un poignard apparut dans sa main.

— Je suis venu dans cette risible petite ville pour une seule raison, et je n'en repartirai que lorsque j'aurai accompli la mission qu'on m'a confiée.

Galahad garda le silence, prêt à mourir pour protéger son roi.

— Si vous ne craignez pas la menace, chevalier parfait, sachez que ce ne sera pas le cas de tous les autres. Mais à la fin, il se peut que vous nous soyez encore d'une quelconque utilité.

Luttant pour ne pas céder à la peur, Galahad se rappela alors sa conversation télépathique avec Perceval. Si cette faculté avait fonctionné avec son vieux compagnon, elle pouvait sans doute lui permettre d'alerter ses amis. Tristan, à l'aide, appela-t-il mentalement. J'ai été fait prisonnier par l’alchimiste et… Il ne termina pas sa phrase. Pendant qu'il se concentrait sur son propre sauvetage, Medrawt avait dévissé la pierre précieuse sur sa bague, dévoilant un dard métallique. Il le planta dans le thorax de son prisonnier. Galahad glissa le long du mur, mou comme une poupée de chiffon. Il sombra dans l'inconscience.

Quelques kilomètres plus loin, à l'hôpital, Marco venait tout juste de terminer le traitement d'une personne âgée qui devait réapprendre à marcher à la suite d'une chute dans un escalier lorsqu'il entendit la voix de son frère d'armes dans son esprit. Comment était-ce possible ?

Il accompagna sa patiente jusqu'à la salle d'attente, où son fils venait la chercher, en dissimulant son inquiétude grandissante. Heureusement, il n'avait pas d'autre rendez-vous ce jour-là. Il ne prit même pas le temps de se changer et fila dehors. Il sortit son téléphone cellulaire de sa poche, l'alluma et appela tout de suite son épouse. Katy était justement à la fenêtre, en train de se demander quand Galahad finirait par sortir de la boutique.

— Katy, Galahad est-il entré chez l'alchimiste ? demanda-t-il en marchant vers sa voiture.

— Oui, et ça fait longtemps. Son cheval commence à s'impatienter.

— J'ai de bonnes raisons de penser qu'il est en danger.

— Tu veux que j'aille voir ce qui se passe là-dedans ?

— Pas seule. Vas-y avec d'autres marchands. Je serai là dans quinze minutes environ.

— Dépêche-toi.

Katy raccrocha et se précipita dehors, en criant à l'aide de tous ses poumons. Tous ses voisins sortirent dans la rue pour voir ce qui se passait. Lorsqu'elle vit le boucher s'approcher avec son long couteau, elle sut tout de suite ce qu'elle devait faire.

— Monsieur Crawford, j'ai entendu un bruit de bagarre dans la nouvelle échoppe ! s'écria la boulangère.

Elle n'eut pas besoin d'en dire davantage. Le brave marchand poussa la porte du local et y entra, Katy sur les talons.

— Doux Jésus ! s'exclama-t-il. Appelez l'ambulance !

La jeune femme contourna le boucher et, dans la semi-obscurité qui régnait dans la boutique, vit Galahad gisant sur le plancher. Elle posa immédiatement une oreille sur sa poitrine.

— Il est vivant, affirma-t-elle, soulagée.

— Il n'y a pas d'air, ici ! grommela Crawford.

Avant que Katy puisse l'avertir qu'il était dangereux de déplacer un blessé sans savoir s'il avait une fracture, le boucher souleva le fondateur de la cité et l'emmena dehors. Tous les commerçants les entourèrent pour tenter de voir ce qui se passait.

— Donnez-nous de l'espace, exigea Crawford.

Le visage de Galahad était aussi pâle que celui de Blanche-Neige !

— On dirait qu'il a été vidé de son sang, commenta le boucher.

— Si c'était le cas, son cœur ne battrait pas, répliqua Katy en détachant le lacet qui refermait le col de la chemise du chevalier.

Ils examinèrent rapidement ses vêtements sans trouver la moindre trace de violence.

— C'est peut-être une crise d'épilepsie, suggéra la lingère.

— Était-il malade ? demanda le poissonnier.

— Son cœur était-il faible ? s'enquit le tavernier.

— Que faisait-il chez l'alchimiste ? lança le potier.

— Peut-être que ce Medrawt pourrait nous le dire ! s'exclama la fleuriste.

Le chaudronnier et l'ébéniste se précipitèrent à l'intérieur du commerce pour aller le quérir.

— Il n'y a personne ! leur apprit le premier.

— Il n'y a même rien du tout dans l'échoppe, ajouta le deuxième.

— Quoi ? s'exclama Katy, incrédule.

Elle se releva et jeta un coup d'œil dans la vitrine. Ils avaient raison, elle était vide ! « Marco, arrive ! » s'impatienta-t-elle. Elle avait pris des centaines de photos depuis le matin. Sans doute pourrait-elle déterminer le moment où tout avait disparu.

— On a sans doute tenté de le voler, et sire Galahad est venu à son secours, suggéra l'imprimeur.

Katy secoua la tête pour réfuter cette hypothèse, car elle n'avait pas vu entrer personne après Galahad, et il n'y avait aucun autre accès à cette boutique. Le boucher se mit alors à tapoter les joues du chevalier pour qu'il revienne à lui. L'apothicaire se pencha lui aussi sur le blessé.

— Je connais cette odeur, déclara-t-il en sentant le surcot de Galahad, C'est du poison.

— Quoi ? s'étrangla Katy.

— On lui en aurait fait boire sans qu'il s'en aperçoive ? s'étonna la couturière. C'est pourtant un homme prudent.

— Je ne vois pas ce qu'il aurait pu avaler, puisqu'il n'y a plus rien dans la boutique, leur rappela le chaudronnier.

Ils entendirent au loin la sirène de l'ambulance. Seuls les véhicules d'urgence avaient le droit de circuler dans la cité, un anachronisme dont les habitants ne s'étaient jamais plaints.

— Dégagez, recommanda l'artisan fromager, sinon elle ne pourra pas se rendre jusqu'ici.

Bien à regret, les marchands retournèrent dans leur commerce, car la rue était trop étroite pour qu'ils s'y tiennent tous lorsqu'une voiture l'empruntait. Katy ressentit un profond soulagement lorsqu'elle vit Marco descendre du camion avec les ambulanciers. Tout en laissant ceux-ci faire leur travail, la dernière recrue de l’ordre de Galveston passa la main au-dessus de la poitrine de son compagnon d'armes. Ses doigts devinrent aussi froids que de la glace.

Les infirmiers posèrent un masque à oxygène sur le visage de Galahad, puis le hissèrent sur une civière qu'ils engouffrèrent sans tarder dans le véhicule. Marco ne chercha pas à les suivre. Il attendit plutôt que l'ambulance s'élance vers l'hôpital et que la rue redevienne calme pour s'adresser à son épouse.

— Nous avions raison de nous énerver, murmura Katy, ébranlée.

Elle lui indiqua d'une main tremblante la porte ouverte de la boutique de Medrawt. Marco alla l'inspecter. Il en ressortit aussitôt, stupéfait.

— Si ce n'est pas de la sorcellerie, je ne sais pas ce que c'est, ajouta la boulangère.

— Les médecins ne pourront donc pas aider Galahad, comprit son mari. Appelle Chance et dis-lui seulement que son mari a eu un accident et qu'on l'a transporté à l'hôpital.

Il détacha le cheval et mit un pied dans l'étrier.

— Où vas-tu ?

— Nous avons besoin d'aide magique. Je t'appellerai dans une heure ou deux pour te faire savoir si j'ai réussi à en trouver.

— Sois prudent.

Il talonna le cheval en direction du nord, là où s'étendaient les grands champs et les magnifiques forêts de Nouvelle-Camelot.

Capitaine Wilder
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