21

Sous un soleil de plomb, Alissandre et ses protégés se matérialisèrent au milieu d'une grande plaine désertique. Les trois humains étaient nus comme des vers, La chaleur les accabla aussitôt, mais n'eut aucun effet sur leur commandant immortel.

— C'est donc ce que vous vouliez dire par « aucun objet matériel ne pourra nous suivre dans le passé » ? ironisa Marco.

— Nous ne survivrons pas longtemps sans vêtements, fit remarquer Galahad sans afficher d'inquiétude.

L'esprit du magicien parcourut la contrée, à la recherche d'un habillement convenable pour ses soldats. Dans une commanderie, des centaines de kilomètres plus loin, il trouva exactement ce qu'il cherchait. Il n'était pas un expert en histoire ancienne ou en voyages dans le temps, mais il se doutait que les chevaliers ne feraient pas vieux os s'ils ne se vêtaient pas comme les gens de l'époque.

En un clin d'œil, les trois chevaliers virent apparaître sur leur corps une chemise en lin et des braies, puis des chausses en cuir attachées par des lanières. Un manteau matelassé descendant jusqu'à leurs genoux fut aussitôt couvert d'une cotte de mailles constituée de milliers d'anneaux en fer, avec manches, gorgerin et coiffe. Pour terminer, un surcot blanc avec une croix rouge brodée au-dessus du cœur apparut.

— Ce n'est finalement pas le soleil qui va nous tuer, grommela Marco, car le poids de cet uniforme était de loin supérieur à celui des vêtements modernes.

— Pourquoi nous déguises-tu en templiers ? s'étonna Terra. Ce sont eux qui ont enlevé mon fils !

— C'est tout ce que j'ai trouvé qui n'était pas déchiré, troué ou taché de sang, répondit Alissandre.

Contrairement à ses amis, Galahad ne semblait pas du tout incommodé par cet accoutrement.

— N'est-il pas dangereux de nous faire ressembler à ces moines soldats à l'époque où ils ont été massacrés par les Sarrasins ? s'inquiéta-t-il plutôt.

— Je ne capte pas la présence de Maures dans cette région. Enfin, pas pour l'instant.

— Très rassurant, soupira Marco.

— Néanmoins, je me sentirais mieux si nous étions armés, répliqua Galahad.

Un baudrier s'attacha aussitôt autour de leurs reins, serrant le surcot sur leur corps, et une épée s'y ajouta. Or, Terra eut beau chercher avec ses mains, il ne trouva aucune arme à sa ceinture.

— Je sais me battre, protesta-t-il en direction d'Alissandre.

— Mais le roi Arthur n'utilise pas n'importe quelle épée, fit remarquer le magicien.

— Personne n'a jamais retrouvé Excalibur, signala Galahad.

— Il suffit de savoir où chercher, chevalier.

Une magnifique épée apparut sur les paumes tendues d'Alissandre. Elle brillait de mille feux comme si elle n'avait jamais servi. Avec révérence, le magicien la tendit à Terra.

— Je ne suis plus le roi Arthur, se défendit ce dernier.

— Pour le sorcier, tu l’es encore.

Avec un soupir agacé, le Hollandais accepta finalement le présent.

— Est-ce que c'est la vraie ? chuchota Marco à l'oreille de Galahad.

— Oui, sire Tristan, affirma Alissandre, mais elle n'est magique que dans la main du roi.

Terra en avait évidemment entendu parler, mais son accident de voiture au Texas ne lui avait pas permis de remplir toutes les fonctions que l’ordre avait prévues pour lui.

— Un poignard pourrait aussi nous être fort utile, indiqua alors Galahad.

— Et des chevaux, enchaîna Marco.

Instantanément, les armes et les bêtes se matérialisèrent devant eux. Galahad glissa la dague dans sa ceinture et s'empara des rênes du cheval le plus proche avant que ce dernier, effarouché de se retrouver dans un autre lieu, ne prenne la fuite. Ses amis l'imitèrent sur-le-champ, calmant les destriers qui n'étaient pas d'origine européenne, mais arabe. Les quatre aventuriers se hissèrent en selle.

— Où allons-nous, maintenant ? demanda Terra en faisant effectuer un cercle à sa monture.

Il n'y avait aucune trace de vie à l'horizon.

— Au nord-ouest, il y a des ruines, leur apprit le magicien. Allons-nous y abriter pendant que je réfléchis à un plan.

Il prit les devants et les rapprocha des restes d'un ancien poste militaire des Templiers. Galahad leva aussitôt le bras, recommandant à ses amis de s'arrêter. Au loin s'élevaient les vestiges d'une muraille qui protégeait une petite cité.

— Il y a des hommes, là-bas, annonça-t-il.

— Le vieux magicien m'a révélé qu'il t'avait doté de pouvoirs surnaturels, se rappela Alissandre.

— Je ne m'en sers pas souvent, mais ils n'ont jamais disparu.

— Qui sont ces hommes ? s'enquit Terra.

— Ce ne sont pas des sarrasins, mais des rescapés, affirma le mage. Ils ont faim et ils ont peur.

— Dans ce cas, je suggère qu'un seul d'entre nous les approche, poursuivit Terra.

— C'est un sage conseil, l'appuya Galahad. Laissez-moi les rassurer quant à nos intentions.

— Vas-y, ordonna Terra qui, malgré toutes ses réserves, se comportait déjà comme un monarque.

Galahad talonna son cheval et trotta vers la brèche la plus large dans le mur de pierre. La sentinelle le repéra facilement, mais n'adopta pas un comportement belliqueux. Elle avait sans doute reconnu la croix rouge sur le surcot du nouvel arrivant.

— Halte-là ! s'écria le templier.

Galahad arrêta la bête pour montrer sa bonne volonté.

— Qui êtes-vous ?

— Je me nomme Galahad de Nouvelle-Camelot. Je ne vous veux aucun mal.

— Sous quel commandant servez-vous Dieu ?

— Je suis un soldat d'Arthur, seigneur de Nouvelle-Camelot.

— Êtes-vous Anglais ?

Il était inutile de lui parler du Canada, qui n'existait pas encore à cette époque.

— Oui, affirma Galahad. Mon roi et mes frères d'armes cherchent un abri pour la nuit.

— Où sont-ils ?

— Là-bas, derrière moi.

— Ils ne peuvent pas rester à découvert sur la plaine. L'ennemi est à notre recherche.

Galahad leva le bras très haut pour signaler à ses amis qu'ils pouvaient avancer sans danger, mais en réalité, il utilisa plutôt ses facultés télépathiques pour leur transmettre ce message. Les silhouettes des trois cavaliers se détachèrent alors sur le sable pâle. Galahad demeura parfaitement immobile, surveillant le moindre battement de cils de la sentinelle.

— Pressez ! exigea ce dernier lorsque les étrangers se furent rapprochés.

Galahad remarqua que l’uniforme du guetteur n'était pas en aussi bon état que le sien. Il était facile de voir que son détachement avait beaucoup souffert au cours des récentes escarmouches.

— Voici mon seigneur, Arthur, fit le chevalier une fois que tous ses amis furent près de lui, et mes compagnons d'armes Tristan et Alissandre.

— Ne restons pas ici.

La sentinelle les conduisit entre les décombres, jusqu'à une ancienne demeure à demi détruite, mais dont une partie du toit de chaume tenait encore debout, procurant une ombre bienfaisante à une dizaine de soldats qui s'y reposaient. Ils se levèrent en mettant la main sur la poignée de leur épée, mais semblèrent aussitôt rassurés en voyant l'uniforme des inconnus.

— Ce sont des Anglais, annonça le guetteur.

— Je suis Alexis de Dinan, fit le plus âgé des templiers. Les hommes que vous voyez ici sont tout ce qui reste de l'ost de Philippe de Montfort. On dirait bien que vous avez subi autant de pertes que nous.

— En effet, répondit calmement Terra.

— Je vous en prie, asseyez-vous. Nous n'avons presque plus de vivres, mais nous les partagerons volontiers avec vous.

— Nous ferons de même, déclara Alissandre.

Le magicien décrocha de la selle de son cheval une besace qui venait juste d'y apparaître et la tendit à Alexis. Celui-ci se réjouit de la trouver remplie de nourriture. Pendant qu'il la distribuait à tous les soldats, y compris leurs invités anglais, Galahad en profita pour présenter une seconde fois ses amis. L'un après l'autre, les croisés se nommèrent. Lorsque leur chef était tombé au combat, Alexis de Dinan avait pris la responsabilité de diriger Étienne de Rohan, Conrad de Siochan, Frédéric de Valois, Simon d'Orléans, Robert de Goulaine, Renaud d'Ancenis, Jules de Bruc, Léopold de Kersaliou et Geoffroy de Courson. Ces hommes qui avaient fui les massacres perpétrés par les Sarrasins n'étaient pas des lâches, même s'ils avaient désobéi à la Règle. Le porteur de leur étendard était mort, et personne n'avait pris sa relève.

— Êtes-vous tombés dans un piège ? s'informa Galahad.

— Comme tous les autres croisés, répondit Alexis. Nous vivons présentement des jours de dispersion et de calamités. Les soldats de Dieu sont éparpillés, et des milliers de chrétiens ont été tués dans des incursions inattendues partout sur les routes de pèlerinage.

— Avez-vous l'intention de retourner dans la mêlée ?

— Contre des milliers de guerriers assoiffés de sang ? Personnellement, je n'en ai nulle envie, même au risque d'être excommunié. Nous débattons justement de cette question depuis deux jours. Parlez-moi plutôt de vous. Qu'est-il arrivé à votre ost ?

Galahad s'apprêtait à tricoter une histoire qui ne serait pas trop éloignée de la réalité de ces hommes lorsque Terra le devança.

— Nous ne sommes que quatre, avoua le Hollandais.

Un murmure inquiet s'éleva parmi les templiers.

— Notre quête est à la fois différente et semblable à la vôtre.

— Il faut avoir perdu la tête pour se mesurer aux hordes d'infidèles qui patrouillent sur ce territoire.

— Celui que nous désirons affronter leur est bien supérieur.

— De quel grand sultan peut-il s'agir ?

— Il ne porte aucun titre même s'il aimerait gouverner tous les peuples.

Craignant que son ami ne leur révèle qu'il était un sorcier, une notion mal comprise à ce siècle, Galahad décida de pousser les choses plus loin.

— C'est le diable lui-même, affirma-t-il avant que Terra n'ouvre la bouche.

— Vous êtes donc de saints hommes.

— Nous ne sommes que de pauvres serviteurs de Dieu, tout comme vous.

Terra garda le silence, laissant le champ libre à Galahad.

— Nous sommes sur sa trace, mais pour le vaincre une fois pour toutes, nous devons recruter une dizaine de pieux soldats, poursuivit le chevalier.

Alexis observa les étrangers pendant quelques minutes.

— Quelle récompense vous a-t-on promise si vous réussissez cet exploit ?

— Le paradis jusqu'au Jugement dernier.

— Saviez-vous que nous étions ici ?

— Non.

— Est-ce Dieu qui a guidé vos pas jusqu'à nous ?

— Rien ne lui est impossible.

Les templiers terminèrent leur repas en silence, profondément perdus dans leurs pensées. Galahad, qui connaissait bien l'histoire des Croisades, comprenait qu'ils évaluaient leurs chances de survie. Puisqu'ils n'avaient pas subi le même sort que leurs compagnons sur le champ de bataille, la population n'hésiterait pas à les traiter en lâches s'ils réussissaient à retourner en France. Ils n'étaient pas sans ignorer non plus que toute la région grouillait d'ennemis qui désiraient leur trancher la tête…

Le soir venu, Galahad et Marco s'allongèrent près de Terra, qui observait les étoiles, une vieille habitude qu'il avait conservée du temps où il travaillait en astrophysique. Alissandre s'était éloigné du groupe, prétendant devoir assouvir des besoins personnels. En réalité, il était à la recherche de son adversaire, car il ne voulait surtout pas voir surgir des loups géants dans leur campement pendant la nuit.

— Si ces hommes n'acceptent pas de se joindre à nous, il faudra nous hâter d'en recruter d'autres, chuchota Marco à ses aînés.

— J'ai le pressentiment qu'ils accepteront notre proposition, l'encouragea Galahad.

— Je suis d'accord avec toi, acquiesça Terra. Ils n'ont rien à perdre.

— Justement, Alexis approche, les avertit Marco.

Le templier mit un genou en terre devant Terra, ce qui rappela de lointains souvenirs à ce dernier.

— Nous n'avons nulle part où aller, sauf à notre mort, laissa tomber le croisé. Nous préférerions donc périr en vous venant en aide plutôt que d'être écartelés vivants par une horde de sauvages.

— Notre quête est très dangereuse, le mit en garde le Hollandais.

— Nous en sortirons donc plus méritants.

Soulagé que la première condition du jeu ait été remplie, soit l'enrôlement de tous les pions du magicien, Terra le salua en baissant la tête avec respect.

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